Chapitre 6

"Les âmes les plus captives sont souvent celles que l'on ignore le plus. L'indifférence est une arme redoutable, plus tranchante que n'importe quelle lame."

Amiel discutait avec Mickaël Sterling, échangeant des paroles calculées sur un potentiel partenariat. Chaque mot qu'il prononçait était pesé avec précision, chaque sourire feint et chaque regard parfaitement mesuré. À ses côtés, Aella se tenait droite, écoutant attentivement la conversation, sans vraiment savoir de quoi il en retournait, mais ce qu' elle sentait surtout était l'indifférence d'Amiel la frapper de plein fouet.

Il ne lui accordait aucun regard, pas même une once d’attention. À ses yeux, elle n’était qu’un fantôme à ses côtés, une présence invisible dans cette salle pleine de jeux d'influence et de stratégies. Frustrée, Aella sentit la tension monter en elle. Elle aurait voulu intervenir, dire quelque chose, n'importe quoi pour qu'il la remarque, mais le masque d’Amiel restait impassible.

Elle sentait de la colère monter en elle, ils s'étaient déjà rencontré plusieurs fois, sans compter qu'ils se sont parlés plus d'une fois. Mais, il faisait comme s'il ne la connaissait pas et l'excluait intentionnellement de la discussion. Quel goujat ! Un imbécile, menteur !

— Puis-je prendre l’air ? demanda-t-elle finalement, sa voix douce contrastant avec le tumulte intérieur qui bouillait en elle.

Sterling lui lança un regard surpris, mais bienveillant.

— Bien sûr, ma chère, répondit-il. Prenez tout le temps qu'il vous faut.

Aella inclina légèrement la tête en signe de remerciement avant de se détourner. Elle jeta un dernier coup d’œil à Amiel, espérant qu’il daigne croiser son regard, mais il continua de l’ignorer, absorbé dans sa conversation avec Sterling. Son cœur se serra, et, se mordant la lèvre, elle se détourna, se dirigeant vers les grandes portes de la salle de bal.

Lorsqu'elle franchit les portes, la fraîcheur de la nuit l'enveloppa aussitôt, contrastant avec la chaleur oppressante de l’intérieur. La nuit était calme, le ciel noir piqué d’étoiles, mais son esprit était en ébullition. Elle respira profondément, espérant que l’air extérieur calmerait ses pensées tourmentées.

Alors qu’elle avançait dans les jardins illuminés, elle repensait à la manière dont Amiel l’avait ignorée. Pourquoi la traitait-il ainsi ? Il semblait être une énigme, une muraille infranchissable, mais au fond d'elle, quelque chose la poussait à vouloir comprendre cet homme. Et cela l'effrayait autant que cela la fascinait.

Les ombres de la nuit s'étendaient comme un voile épais autour des jardins du manoir. L'air était lourd, saturé par l'odeur de roses et de jasmin, et chaque bruissement de feuilles semblait amplifier la tension latente dans l’atmosphère. Aella, le regard fixé sur les étoiles, tentait de calmer les battements frénétiques de son cœur. Elle s’était enfuie de la salle de bal pour échapper à l’étouffante tension qui régnait entre Amiel et elle, mais même ici, dans l’obscurité, elle sentait encore sa présence.

Les ténèbres avaient une manière étrange de révéler des vérités que la lumière cachait, pensa-t-elle. Et dans cette nuit particulière, quelque chose rôdait, quelque chose d’invisible mais palpable, qui la guettait dans l'ombre.

Elle avait espéré que l’air frais chasserait la sensation oppressante qui l’accablait, mais ce fut l'inverse. Plus elle s'éloignait de la lumière de la salle de bal, plus elle sentait l'obscurité l'envelopper, une obscurité qui n’avait rien à voir avec la nuit, mais tout avec l'homme qui occupait ses pensées.

Amiel Khalis.

L'invisible fil qui les liait depuis leur rencontre semblait s'être tendu à l'extrême, sur le point de se briser à tout instant. Et pourtant, malgré la tension, malgré l'incertitude, elle ne pouvait s'empêcher de le chercher, de vouloir comprendre cet homme qui jouait avec elle comme un maître du jeu.

Le bruit d’un craquement de branche attira son attention, et elle se figea. Une silhouette se déplaça dans l’ombre des arbres, à peine perceptible. Son cœur manqua un battement. Quelqu’un la suivait.

Elle tourna lentement la tête, ses yeux s’habituant progressivement à l’obscurité. Les jardins semblaient déserts, mais elle savait que ce n’était qu’une illusion. Elle le sentait, cette présence familière et troublante. Elle aurait pu fuir, retourner à l’intérieur et se mêler aux invités, mais quelque chose la retint. Quelque chose de plus fort que la peur.

— Tu as l’air perdue, murmura une voix grave derrière elle, aussi douce que le venin d’un serpent.

Elle se figea instantanément, le cœur frappant contre sa poitrine. La voix… Elle la reconnaîtrait entre mille.

Amiel.

Elle se retourna lentement, ses mouvements comme suspendus dans le temps. Ses yeux verts brillaient dans la pénombre, plus sombres, plus profonds que jamais. Une lueur indéchiffrable dansait au fond de ses iris, comme un feu intérieur prêt à éclater. Ce n’était plus l’homme distant qu’elle avait rencontré, froid et impassible, mais un prédateur, un homme qui savait exactement où frapper pour la faire vaciller. Ici, dans l’obscurité, il devenait une créature de l’ombre, menaçante, comme si la lumière lui avait enlevé toute humanité et l’avait remplacé par quelque chose de plus... primal.

— Pourquoi es-tu ici ? demanda-t-elle d'une voix si faible qu'elle se surprit elle-même. Ses lèvres tremblaient légèrement.

Un sourire amusé se dessina sur les lèvres d’Amiel, un sourire qui n’atteignait pas ses yeux, lesquels brillaient d’une lueur dangereuse. Il se rapprocha d’un pas, puis encore un autre, jusqu’à ce que la distance entre eux devienne presque inexistante.

— La question, Aella, n’est pas pourquoi je suis ici. La vraie question est : pourquoi toi, tu es seule dans l’obscurité ? murmura-t-il, sa voix basse, mais chargée de sous-entendus. Les ombres… elles cachent bien des choses, tu sais.

Les mots résonnèrent dans sa tête comme un écho sinistre. Son nom, prononcé avec une telle lenteur, un tel poids, envoya un frisson glacé tout le long de sa colonne vertébrale. Une partie d’elle voulait fuir, s’échapper de cet instant où la tension entre eux était si palpable qu’elle en devenait suffocante. Mais elle ne bougea pas. Elle ne pouvait pas.

Elle planta ses yeux dans les siens, cherchant à y trouver quelque chose qui l’alarmerait, mais ce qu’elle y lut la paralysa encore plus. Un jeu. Un jeu dangereux, et elle en était la proie.

— Peut-être que je cherchais à m’éloigner de toi, dit-elle enfin, sa voix à peine plus qu’un murmure, tremblant sous la pression de son regard.

Amiel s’approcha un peu plus, chaque pas rétrécissant l’espace entre eux jusqu’à ce qu’elle sente la chaleur de son corps, presque brûlante. Il était là, tout près, trop près. Son souffle effleurait sa peau, et elle eut un moment d’hésitation, un instant où son cœur battait à tout rompre, mais elle ne pouvait pas… elle ne pouvait pas fuir.

Il s’arrêta juste devant elle, son regard toujours rivé sur elle, comme une flèche qui l’avait déjà transpercée. L’air était lourd, étouffant. Il n’y avait plus rien autour d’eux, juste le bruit de leur respiration qui se mêlait à un silence lourd de sens.

— Et pourtant, tu es restée, souffla-t-il, sa voix rauque, presque imperceptible.

Leurs corps se touchaient presque maintenant. Elle sentait la chaleur de lui, intense, qui la poussait à le fuir, à se retirer, mais en même temps, quelque chose en elle voulait… savoir. Savoir ce qui se passait quand il était tout près d’elle, quand elle sentait sa présence comme un poids insupportable et en même temps… irrésistible.

Lorsqu’il se pencha légèrement, il effleura son oreille, sa respiration chaude contre sa peau. Un frisson incontrôlable la traversa.

— Finalement, les ombres te protègent, Aella. Elles te cachent de ce que tu ne devrais pas voir.

Elle ferma les yeux un instant, la sensation de sa voix vibrante dans ses tympans, sa peau brûlante là où il avait effleuré son oreille. Le frisson se transforma en un froid glacé, mais elle n’arrivait pas à bouger, à briser le contact. Elle ne comprenait pas ce qui la retenait là, avec lui, dans cette tension électrique qui pesait sur tout son être.

Et pourtant, une question brûlait ses lèvres, comme une urgence, un besoin irrésistible de savoir, même si cela risquait de la détruire.

— Et qu’est-ce que je ne devrais pas voir ? souffla-t-elle, sa voix fragile, presque effrayée.

Amiel resta un instant silencieux, ses yeux fixés sur elle. La chaleur de son regard semblait la brûler. Puis, dans un dernier souffle rauque, presque inaudible, il murmura :

— Moi.

Le mot s’éteignit dans l’air, lourd et suffocant.

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