Chapitre 4 : Réflexions


Henry admirait la force de persuasion du Duc, mais il refusa de demeurer à Manley Hall. Après de longues minutes de discussion, William Farleigh se résolut à accepter que le jeune homme loge au village tout proche du domaine.

Tandis que le précepteur signait le contrat que lui avait présenté William Farleigh, ce dernier lui exposa les raisons de son empressement :

— Elizabeth doit convoler dans deux ans avec monsieur James Langsworth. Vous comprenez qu'il est indispensable que ma fille dispose d'une culture générale étendue. Elle fréquentera des personnalités proches de notre Reine et je tiens à ce qu'elle puisse se faire un nom à Buckingham Palace.

— Naturellement.

Henry eut du mal à cacher sa surprise en découvrant l'identité du fiancé d'Elizabeth. Les Langsworth travaillaient pour la Couronne depuis plusieurs générations et possédaient une fortune plus conséquente encore que celle des Farleigh. Mais le Duc de Hungerford ne pouvait ignorer l'antipathie que de nombreux membres de l'aristocratie anglaise avaient pour le fils de Sir George. Cependant, le jeune homme était bien placé pour savoir que toutes les rumeurs n'étaient pas toujours fondées. Après tout, James Langsworth n'avait jamais été pris en défaut. Il se comportait de manière irréprochable lors des bals et des réceptions auxquels il participait.

Le précepteur s'interrogea sur la pertinence d'évoquer le cas de James Langsworth avec le Duc. Les séjours londoniens du fils du Sir George se multipliaient depuis quelques mois malgré ses nombreuses responsabilités au domaine familial de Sandringham. Certes, il possédait une seconde résidence à entretenir, des cheveux à examiner, des associés à rencontrer, mais son intérêt soudain pour la capitale commençait à susciter quelques commentaires du Norfolk au Berkshire. Les mauvaises langues évoquaient un possible trafic d'alcool ou de tabac, et même de juments et d'étalons. De plus, les gentlemen du club que fréquentait James se montraient bien moins complaisants à son égard, à présent. Henry tenait cette information d'un ami, membre de la même association que le fiancé d'Elizabeth.

En remettant à William Farleigh l'une des copies du contrat, le jeune homme choisit de se taire. Cela ne le concernait pas. Après tout, son interlocuteur disposait, lui aussi, de connaissances capables de l'avertir si nécessaire. Si le duc avait conclu un accord avec la famille Langsworth, il l'avait certainement fait en toute connaissance de cause.

Henry Carsington salua ensuite son futur employeur et il quitta rapidement les lieux. Prévoyant, il avait déjà rapporté de Londres ses effets personnels. Il se dirigea vers le petit village de Stanham, un bourg situé à cinq miles de Manley Hall.

En le traversant avant de se rendre dans la propriété des Farleigh, il avait repéré une charmante auberge et il espérait pouvoir y louer une chambre pour la durée de son séjour dans le Kent.

Il y fut accueilli par Helen, une femme âgée d'une quarantaine d'années qui lui adressa un sourire bienveillant. Lorsqu'il lui indiqua la raison de sa présence dans cette contrée retirée du pays, la propriétaire de l'établissement lui proposa un loyer modeste en échange de menus services. Henry, surpris, hésita quelques instants, puis il s'entendit accepter l'offre d'Helen.

L'aubergiste l'invita à la suivre dans la petite salle à manger et lui offrit une tasse de thé, accompagnée de quelques gâteaux que le jeune homme acceptât volontiers. Ils discutèrent ensuite des modalités de l'emménagement d'Henry :

— Puisque vous resterez deux longues années à Stanham, je vous propose de loger dans la plus vaste chambre. Elle se trouve au fond du couloir, à l'étage. Elle comporte un grand lit, un petit salon, un bureau et elle dispose de sa propre baignoire. Je demanderai à ma fille Henrietta d'apporter les seaux d'eau chaude lorsque vous en manifesterez le besoin. Si vous le souhaitez, je vous servirai vos repas dans votre chambre.

— Je vous remercie, Madame Lowerton.

— Oh, je vous en prie, mon ami, appelez-moi Helen ! Après tout, nous allons nous côtoyer un certain temps ! Je regrette de ne pas pouvoir vous apporter le confort auquel vous êtes sans doute habitué, mais je...

— Ce sera parfait, Helen, ne vous inquiétez pas.

Henry bavarda une bonne heure avec son hôtesse qui lui détailla quelques anecdotes au sujet de ses clients de passage. Il fit ensuite la connaissance d'Henrietta, la fille unique de sa logeuse et il ne put s'empêcher une rapide comparaison avec Elizabeth Farleigh.

En réalité, les deux jeunes femmes ne pouvaient être plus dissemblables. Henrietta était vêtue simplement, telle une domestique de riches aristocrates. Elle portait une robe noire et un tablier blanc par-dessus. Ses cheveux châtains étaient dissimulés sous un bonnet et ses mains dénotaient une vie de dur labeur. Ses épaules étaient légèrement voûtées et son visage trahissait une certaine fatigue. Cependant, Henry décela dans ses yeux une volonté de fer et une détermination inébranlable nécessaires pour supporter son quotidien harassant.

Si la fille du Duc de Hungerford l'avait irrité par son comportement hautain, Henry apprécia le caractère franc, direct et surtout naturel de la demoiselle qui lui faisait face. Le précepteur se résolut ensuite à quitter la compagnie des deux femmes. La journée chargée l'avait éreintée et l'heure tardive lui rappela qu'il commencerait son nouvel emploi tôt le lendemain, alors qu'il devait encore préparer quelques documents.

Avec un œil admiratif, il contempla la pièce qui serait sienne durant les deux prochaines années. Helen avait du goût, cela ne faisait aucun doute. Aucun détail n'était laissé au hasard et Henry eu alors le sentiment de se retrouver chez lui grâce à l'atmosphère cosy et chaleureuse qui se dégageait de la chambre.

Il inspecta les murs recouverts d'une tapisserie aux motifs floraux, l'imposant lit à baldaquin entouré de lourdes tentures. Puis son regard se posa sur une immense armoire, bien trop grande pour accueillir ses effets personnels. Dans un coin, il découvrit deux profonds fauteuils garnis de velours dans lesquels il s'imaginait déjà lire quelques ouvrages qu'il avait emportés avec lui. Le bureau situé juste derrière comprenait tout un nécessaire de papeterie et au premier coup d'œil, Henry devina qu'il s'agissait d'un meuble ancien de valeur. Le jeune homme s'approcha ensuite de l'une des fenêtres et il constata qu'elle donnait sur les vertes prairies situées à l'arrière de la maison.

À plusieurs reprises, il se félicita de sa décision. Lui-même vivait dans une petite demeure confortable à Londres et ne supportait pas les immenses domaines tels que Manley Hall. L'auberge d'Helen constituait le meilleur choix qu'il puisse prendre. Il s'y sentirait au calme et il ne doutait pas que sa propriétaire serait aux petits soins pour lui.

Tandis qu'il griffonnait quelques notes rapides, Henry s'interrogea sur sa future élève. C'était la caricature même d'une élégante lady cultivée, mais terriblement naïve et futile. Qu'adviendrait-il de cette enfant à l'âme pure et innocente lorsqu'elle serait jetée en pâture dans les bras de James Langsworth ? Il s'inquiéta également de son sort, face au statut dégradant des femmes dans l'aristocratie anglaise. Devait-il essayer de convaincre la jeune Elizabeth Farleigh des dangers qui l'attendaient ? Non. Son éducation stricte la pousserait à dénoncer ses propos à son père. Cependant, rien ne l'empêcherait de la questionner adroitement sur ses conditions de vie à Manley Hall. Plus tard, lorsqu'il embrasserait la carrière d'avocat, il devrait lutter contre de nombreux préjugés et idées préconçues. Elizabeth pouvait être un premier test pour ses projets.

Henry nota quelques idées dans un carnet, puis il se rendit au rez-de-chaussée à la recherche d'Henrietta. Le long trajet depuis Londres n'avait pas été de tout repos et il souhaitait prendre un bon bain.

À sa demande, la jeune femme ne tarda pas à apporter les seaux d'eau chaude dans sa chambre. Elle déposa ensuite des serviettes de toilette propres sur le lit et un gros morceau de savon sur le rebord de la baignoire.

—Dînerez-vous dans votre chambre ce soir, sir Carsington ?

— Non, je vous remercie, Henrietta. La collation que votre mère m'a offerte à mon arrivée me suffit. Je compte me coucher tôt et vous pouvez déjà indiquer à Helen que je prendrai mon petit-déjeuner dans la salle à manger.

Deux heures plus tard, Henry peinait à trouver le sommeil. Pourtant, la literie confortable et l'auberge silencieuse incitaient au repos. Lui qui avait pour habitude de s'endormir avec rapidité se trouvait à présent incapable de s'assoupir. Mécontent, le jeune homme se releva et s'installa dans l'un des fauteuils du coin salon. Il saisit un ouvrage qu'il qualifiait lui-même d'ennuyeux, traitant du droit britannique, et il se mit à lire. Mais quelque chose l'empêchait de se concentrer sur son livre.

Sa mission auprès d'Elizabeth Farleigh l'angoissait pour plusieurs raisons : ses convictions profondes et son dégoût de la bonne société anglaise commençaient à déplaire aux amis de son père. Son passé tumultueux  le rongeait, il craignait qu'un fantôme de son enfance réapparaisse inopinément. Henry avait conscience qu'il n'était nullepart à l'abri et il réalisa qu'il ne pourrait jamais occulter entièrement ses inquiétudes.


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Il semblerait que notre cher James Langsworth pourrait bien cacher quelques activités pas très...reluisantes.

Des idées ?

Du côté d'Henry...c'est qu'il cacherait bien aussi quelques secrets notre précepteur ! 

Qu'est-ce que cela pourrait bien être à votre avis ? 




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