Chapitre 3 : Le contrat
À son grand étonnement, le duc s'enquit des dernières leçons que sa fille avait suivies. Avec une moue boudeuse, Elizabeth lui détailla ses progrès à l'aquarelle.
— Bien. Dès demain, tu te consacreras à des activités plus soutenues. Ton union avec James Langsworth doit être préparée avec soin.
— Que voulez-vous dire, Père ?
— Les réceptions de la Reine Victoria demeurent les plus courues du pays. Chaque invité se doit d'adopter une conduite irréprochable et seuls les plus cultivés y ont leur place. Tu as deux ans pour maîtriser la géographie de notre monde, l'histoire et la littérature de l'Angleterre.
— Mais je...
— Je dois rencontrer ton précepteur, ce jour, pour ratifier les termes de notre accord.
Le regard de William Farleigh se durcit :
— Elizabeth... je tiens à ce que tu réserves un excellent accueil à Henry Carsington.. Ton engagement avec James Langsworth sera annoncé dans quelques jours, lors de la réception que sir George donnera en cet honneur. Il te faut à présent te conduire comme une véritable lady.
— Mais Père, Je m'y applique pourtant chaque jour !
— Je ne peux m'en accommoder. À dater de ce jour Elizabeth, je ne tolérerai plus aucun écart.
La jeune fille essuya prestement une larme au coin de l'œil, puis elle se composa un air affligé, mais maîtrisé à la perfection :
— Je vous croyais fier de moi, Père.
— Je le suis , Elizabeth. Mais je suis convaincu que tu peux fournir plus d'efforts. Promets-moi de t'appliquer.
— Oui, Père.
— Henry Carsington restera à Manley Hall pour toute la durée du contrat qui le lie avec notre famille. Tu bénéficieras d'un jour de repos par semaine : il te permettra de reprendre les activités que tu auras délaissées.
Elizabeth ne put retenir un hoquet de surprise, mais elle se rattrapa bien vite :
— Si telle est votre volonté Père, je l'accepte. Et je vous promets de travailler dur.
William Farleigh s'éclipsa dès le repas terminé. Il avait à peine quitté la vaste salle à manger du manoir, lorsqu'un domestique vint l'avertir de l'arrivée d'Henry Carsington. Le duc se rendit sur le perron devant l'imposante porte d'entrée de sa demeure et il observa avec attention celui qui allait parfaire l'éducation de sa fille chérie. Ce dernier paraissait plus jeune que ses vingt-six ans, car il ne portait ni la barbe ni la moustache. En effet, n'ayant jamais apprécié cette mode, Henry Carsington s'était fait fort d'imposer ses préférences à son père. Son attitude à contre-courant de ses pairs, lui avait valu quelques reproches implicites. Mais le précepteur ne s'était pas laissé impressionner pour autant. William Farleigh avait eu vent des critiques formulées à l'égard de ce dernier, mais il ne s'en était pas offusqué. Loin de ces considérations esthétiques, le duc de Hungerford recherchait surtout la perle rare capable de transformer Elizabeth en une parfaite lady anglaise.
Henry Carsington admira l'imposant manoir face à lui : la bâtisse était trois fois plus grande que la résidence de ses parents et illustrait à la perfection la réussite des Farleigh.
Il avait rencontré le duc deux semaines auparavant à Londres et l'impatience de ce dernier avait convaincu Henry qu'un mariage se profilait à Manley Hall. Bien qu'il ne se préoccupe guère du sort de sa future élève, il voulait satisfaire sa curiosité du nom de l'heureux élu. Il pourrait adapter son enseignement au prestige de la famille que rejoindrait Elizabeth. L'empressement du duc de Hungerford constituait à lui seul un indice important : l'homme qui allait épouser sa fille appartenait avec certitude à la très haute noblesse anglaise.
Henry Carsington salua avec respect le propriétaire de Manley Hall. Il se sentait fier d'avoir été choisi par un membre éminent du Parlement. Cette marque de confiance constituait un atout important pour son futur : le duc pourrait, s'il était satisfait de lui, le recommander aux plus riches familles du pays. Lorsqu'il se lancerait enfin dans une carrière d'avocat, le jeune homme savait qu'une réputation irréprochable lui amènerait de nombreux et fortunés clients. Cependant, Henry pressentait que sa dernière mission se révélerait ardue. Il avait tenté d'obtenir de plus amples informations au sujet d'Elizabeth Farleigh, mais aucune de ses innombrables anciennes gouvernantes n'avait accepté de lui parler de la demoiselle. Le précepteur appréhendait de se retrouver face à une jeune fille au caractère indocile, à l'exact opposé des trois autres adolescentes dont il s'était occupé auparavant. S'il se pensait capable d'affronter pareille situation, il redoutait une confrontation avec les interrogations de son élève sur son entrée dans le monde.
Lors de ses études, Henry Carsington avait consulté de nombreux livres et il remettait désormais en question toute l'organisation de l'aristocratie anglaise. Il avait ainsi découvert plusieurs ouvrages écrits par des femmes et admis que le modèle imposé par la société ne lui convenait guère. Henry ne considérait pas les dames comme des êtres inférieurs et il ne comprenait pas pourquoi elles étaient contraintes à tout un tas de restrictions aussi absurdes les unes que les autres. Il détestait par-dessus tout leurs rôles attribués de mère et de maîtresse de maison. Mais en aucun cas, il n'en toucherait mot à Elizabeth Cela compromettrait l'éducation formelle que William Farleigh voulait pour sa fille. Il avait été insistant sur ce point : elle effectuerait une entrée remarquée dans la Société. Elle devait se montrer apte à tenir une conversation avec des dames de sa condition et afficher un maintien impeccable — et accessoirement, jouer les potiches au bras de son fiancé.
Henry soupira : il détestait son métier et il réalisa qu'il serait plus judicieux pour lui d'enfin exercer au barreau de Londres.
En avançant d'un pas décidé vers le duc de Hungerford, le précepteur prit sa décision : il acceptait la mission par nécessité d'argent afin de pouvoir ouvrir son cabinet d'avocat, mais elle serait la dernière. Ensuite, il ferait tout son possible pour rendre meilleures les conditions de vie pour tous et combattre les injustices dans son pays.
Le père d'Elizabeth accueillit Henry Carsington avec courtoisie et l'invita à le suivre dans son bureau. En traversant le vaste hall d'entrée, le jeune homme eut le regard attiré par une porte qui s'ouvrait à sa droite. Arabella Farleigh et sa fille quittaient la salle à manger et se dirigeaient vers un escalier monumental afin de rejoindre leurs appartements privés situés au premier étage de la demeure. William leur fit signe de s'arrêter et les présenta :
— Henry, voici mon épouse et ma fille, Elizabeth.
La demoiselle détailla l'homme et ne put s'empêcher de le comparer avec son fiancé. Moins distingué selon ses critères, Henry Carsington lui apparut commun et sans aucun attrait particulier, L'absence de barbe et de moustache la surprit. Elle eut ainsi l'occasion d'observer un visage trop carré à son goût. Ses cheveux bruns légèrement ondulés et ses yeux azur ne lui firent aucun effet.
Elizabeth fit un bref mouvement de la tête et d'un ton froid et hautain, elle salua le visiteur. Henry Carsington comprit, dans les yeux de sa future élève, que sa présence n'était pas souhaitée et que sa tâche ne serait pas de tout repos. Mais il aimait les défis. Il lui sourit en retour tout en la provoquant également du regard : il n'était pas homme à baisser les bras et mademoiselle Farleigh le découvrirait très vite.
Le duc de Hungerford ne s'était aperçu de rien, car son arrivée l'avait rendu nerveux. Il savait qu'Henry Carsington pouvait refuser son offre, mais, si le cas se présentait, il s'efforcerait de le faire changer d'avis.
C'est donc assez anxieux que William s'assit à son bureau et fit mine d'examiner le contrat qu'il allait soumettre à son hôte. Son regard tourmenté croisa ensuite celui, interrogateur, d'Henry Carsington
— Bien. Mon cher ami, j'ai beaucoup réfléchi et pour vous éviter de longs et fastidieux trajets entre Londres et Manley Hall, je vous offre l'hospitalité en ma demeure.
— C'est bien aimable à vous Monsieur, mais je...
— Voyons Henry, pas de formalisme entre nous ! Appelez-moi simplement William ! Après tout, vous allez côtoyer ma famille pendant deux années complètes. Voici le contrat que je vous propose. Vous disposerez d'un appartement privé et d'un domestique à votre service exclusif. Je ne vous oblige pas à prendre vos repas avec ma famille. Si vous le désirez, ils vous seront servis dans votre salle à manger. Votre linge sera lavé et repassé ici même et l'un de mes employés se chargera de tout achat que vous jugerez nécessaire. Cela doit vous sembler étrange, mais il vous faut plus de dix heures pour effectuer le trajet aller et retour entre chez vous et ici. En logeant à Manley Hall, vous vous épargnez la fatigue de ces multiples voyages. Vous évitez également les mauvaises rencontres. Il n'est pas rare de croiser des Tziganes dans la région. J'ajoute cinquante livres au salaire convenu entre nous.
Henry Carsington dévisagea le duc de Hungerford avec une certaine incompréhension. Il s'apprêtait à accepter ce surprenant contrat, lorsqu'il se rappela un léger détail : son mariage prochain avec Margaret Rackwick. Les parents de la jeune femme avaient déjà consenti à reporter les noces à deux reprises. Il ne pouvait ajourner une troisième fois ses épousailles : le père de Margaret finirait par se poser des questions...
— Je suis touché par votre diligence, mais comme vous le savez, dans six mois je dois convoler avec...
— ... La fille de mon ami le comte de Burpham, oui. J'ai pris la liberté de transmettre une missive à Gordon. Il comprend ma position et consent à ce que votre union soit célébrée au terme de votre mission à Manley Hall. Je me suis engagé à lui verser une compensation financière pour ce désagrément. Naturellement, je ne tiens pas à vous priver de passer du temps avec votre promise. C'est pourquoi vous disposerez d'un jour de congé par semaine. Vous pourrez quitter le domaine la veille en soirée afin de profiter pleinement de la journée suivante.
Le précepteur resta interdit devant autant d'autorité. Si William Farleigh avait lui-même réglé la question de ses noces avec le père de Margaret, il n'avait plus aucune raison de refuser. Ce troisième report l'ennuyait fortement, il tenait à son indépendance. Mais ce contrat était une bénédiction financière. Il hésita alors quelques instants à reprendre la parole.
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Voici l'arrivée du précepteur, Henry Carsington. Doté d'un certain caractère, il aura fort à faire avec notre chère Elizabeth...
ça risque de faire des étincelles ces deux-là...
Va t-il accepter la proposition de William Farleigh ?
Et... aura t-il le courage d'aller au bout de sa mission ?
Vos hypothèses pour la suite ?
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