Acte II
Lorsque son réveil sonna aux coups de six heures, Yaël l'écrasa avec hargne dans l'espoir de faire taire cette insupportable sonnerie. Durant un instant, il resta allongé, les yeux encore fermés. Malgré la couverture rabattue sur le haut de son crâne, cela ne l'empêchait point de sentir de douloureux élancements lui vriller la tête. Tout son corps était fourbu après la chute de la veille.
Péniblement, il s'arracha à la chaleur de son lit et se traîna hors des couvertures. Ses yeux encore endormis s'habituaient avec peine à la lumière grandissante du jour. Pour un peu, Yaël aurait bien souhaité se recoucher. Il n'était rentré que tard dans la nuit, incapable d'avancer plus loin tant son corps et ses bras lui faisait mal sous le poids de l'inconnue. Autant dire que la nuit avait été courte.
Mais il était obligé de se lever pour se rendre à l'école. Le bus pour la ville ne passait qu'une fois le matin à sept heures tapante. Au moins pourrait-il finir sa nuit durant le trajet, se consola-t-il malgré la protestation véhémente de ses muscles.
Sortant de sa petite chambre aux murs sobres, il passa devant une autre pièce dans laquelle il avait placé la jeune inconnue. Derrière la porte entrebâillée, il se représenta les murs lambrissés d'un papier peint bleu à rayures, la coiffeuse blanche en face du lit aux montures travaillées, l'épais tapis couleur crème, qui attestaient d'une présence féminine dans ces lieux. En effet, il s'agissait de la chambre habituellement occupée par sa tante mais qui n'y dormait jamais puisque son travail la faisait se déplacer d'un bout à l'autre du globe. Il fut tenté d'y jeter un coup d'œil avant de se raviser, pensant que l'inconnue serait encore endormie et qu'il serait préférable de faire les présentations lorsqu'elle se réveillera d'elle-même.
La pièce suivante accueillait la salle d'eau. Sur le mur carrelé, un large miroir lui renvoya le reflet d'un jeune homme aux yeux cernés et aux cheveux batailleurs. On aurait dit qu'il avait passé la nuit à se battre contre son oreiller. Une affirmation pour le moins teintée de vérité puisqu'il s'était tué à essayer de ramener une jeune femme dont il ne connaissait strictement rien.
Quelques écorchures sur ses bras et ses jambes, ainsi que sa lèvre fendue lui rappelaient sa désagréable chute de la veille. Il se passa un peu d'eau sur le visage espérant redonner quelques couleurs à ce spectre qui lui faisait face. Puis il s'habilla de sa sempiternelle chemise blanche sur son un pantalon sombre avant d'enfiler sa veste en coton gris.
Lorsqu'il sortit, Yaël fut surpris de voir qu'une flaque d'eau tâchait le parquet ciré. Ses sourcils se froncèrent tandis qu'il se penchait pour trouver la raison de la présence de ce liquide.
La canalisation avait-elle encore sautée ? Bon sang sa tante allait le tuer si c'était ça ! Pourquoi ne l'avait-il pas remarqué avant ? Sans doute était-il trop mal réveillé pour la voir.
Haussant les épaules, il l'enjamba et se dépêcha de rejoindre la cuisine, puisqu'il n'avait rien trouvé qui puisse l'indiquer sur la source de ce liquide. La pièce était assez modeste. Les murs carrelés s'ouvraient sur le salon et une simple table en bois marquait la limite entre les deux espaces. Sur le plan de travail aux carrelages verts d'eau, il attrapa la bouilloire et entreprit d'allumer le gaz. L'engin se mit rapidement à siffler tandis qu'il finissait de s'activer pour se préparer un solide petit déjeuner. Jetant un œil à l'horloge murale, il nota que l'aiguille ne tarderait pas à dépasser la demi.
« Mince, s'exclama-t-il, je vais être en retard ! »
Pendant que la tasse de café fumant refroidissait, il jeta un œil à la chambre où reposait l'inconnue. Qui était-elle ? Son seul indice était un médaillon impossible à ouvrir. Dès qu'il serait en ville, Yaël irait trouver le commissariat pour y raconter son étrange découverte. Peut-être que les officiers sauraient faire un parallèle avec une affaire de disparition et retrouver ainsi sa famille.
Mais il espérait surtout qu'elle allait bien. La pâleur de son teint l'avait inquiété au plus haut point quand il l'avait ramené. Elle ne présentait pourtant aucune blessure apparente. Selon toute probabilité, elle avait dû s'évanouir suite au choc. Mais pourquoi ? Le mystère demeurait entier.
Attrapant son sac qui trônait sur la table de la cuisine, il sortit un cahier et déchira une page pour laisser un mot indiquant qu'il sortait. Ce n'était qu'une simple précaution si jamais la jeune femme se réveillait et cherchait la raison de sa présence ici. De toute façon, il rentrerait tard alors il ne pourrait la revoir avant longtemps.
Comme sa tasse n'était plus aussi chaude que tout à l'heure, il s'empressa de la boire. L'amertume du liquide l'aida en partie à recentrer ses idées et chasser son insupportable migraine. La journée allait être longue. Il aurait tant aimé pouvoir se poser comme ces riches bourgeois qui se prélassent dans leur demeure luxueuse sans manquer de rien. Au lieu de ça, il devait travailler jusqu'à très tard pour payer ses études et sa petite vie insignifiante. Un jour peut-être parviendrait-il à vivre de son savoir...
Reposant la tasse dans l'évier, son regard accrocha un reflet argenté près de l'accoudoir du canapé. Intrigué, il s'approcha pour constater qu'une large flaque d'eau étendait ses courbes graciles sous le velours éliminé. La canalisation avait-elle vraiment sautée ?
Poursuivant son introspection, il promena ses yeux bleus, plissés par l'inquiétude, aux alentours jusqu'à tomber sur une autre tâche argentée. Et de flaques en flaques, il remarqua qu'un chemin d'eau se dessinait depuis la chambre de sa tante jusqu'à la fenêtre du salon, laquelle était grande ouverte.
Sa bouche forma un o de surprise et d'incompréhension. Les rayons timides du jour levant se dessinaient sur le sol ciré formant une agréable masse chaleureuse. Dehors l'on voyait le village endormi aux tuiles d'ardoises et les quelques cheminées où s'échappaient d'épaisses fumées. Une brise se leva et joua avec les rideaux translucides qui voletèrent un instant, comme possédés par un esprit facétieux.
Remis de son étonnement, Yaël se précipita tout en prenant soin d'éviter les flaques, et referma les battants. Puis le jeune homme se tourna vers la chambre de sa tante. D'où provenait cette eau ? Pourquoi la fenêtre était-elle ouverte ?
Il n'avait pas les réponses mais Yaël pressentait que l'inconnue y était étroitement liée. Lentement, comme s'il craignait d'effaroucher le maître de ses lieux, il s'avança vers la porte entrebâillée. Sa main se tendit pour effleurer le battant en chêne avant de la pousser tout à fait.
Des lamelles de lumières s'infiltraient à travers la persienne des volets fermés et se déversaient en cascade sur le lit, vide. L'édredon était aussi tiré et lisse que si sa tante venait de passer sa main dessus. Aucune trace de l'inconnue. Rien n'indiquait par ailleurs qu'elle avait dormi ici. Rien si ce n'est ces traces d'eau qui partaient de la chambre.
Ne comprenant guère ce qu'il se passait, Yaël s'avança, espérant trouver un quelconque indice. Pourtant la couverture écrue était aussi propre que l'avait laissée sa tante. Aucune trace d'herbe ni de boue que la jeune femme n'aurait pas manqué d'étaler puisque sa robe en était couverte de même que son corps. Et son visage...
Mais lorsqu'il essaya de s'en souvenir, il lui sembla que son esprit était englué de mélasse. Ses traits qu'il avait pourtant essayé de graver pour en dresser un portrait précis lorsqu'il préviendrait la police, s'estompaient déjà. Il ne gardait que le souvenir de longs cheveux diaphanes tombant en cascade sur ses bras. Encore que... Avait-elle vraiment une chevelure de cette couleur ?
Abasourdi par ce qu'il se passait, Yaël retourna dans le couloir. Dans sa consternation, il en oublia l'eau et sentit ses pieds nus entrer en contact avec le liquide froid. Le jeune homme poussa un juron et s'en écarta vivement.
Promenant son regard dans toutes les directions, il dut se rendre à l'évidence. L'inconnue qu'il avait sauvé, s'était bel et bien volatilisée.
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