Chapitre 49 - Avoir confiance

Thilste resta silencieux pendant de longues secondes. Karis eut de la peine devant l'expression angoissée de Milanne. Elle se plaça à côté d'elle pour lui serrer brièvement la main. Mais sa sœur ne faisait que fixer son ami en se mordant la lèvre.

— Qu'est-ce qui m'a trahi ? finit-il par articuler d'une voix faible, presque triste.

— Ça, je suis curieux de le savoir, ajouta Érenn. Même moi, je ne vois pas.

Il fallait dire que même si son teint n'était pas aussi mat que celui de Milanne, Thilste avait l'air de n'avoir que du sang dalrenien dans les veines. Du moins, à première vue.

— Tes yeux, répondit l'Ashkani. Ils ont une tache bleue. Une couleur pas très dalrenienne, si je peux me permettre.

— Forcément, suis-je bête, ce sont toujours les yeux qui nous trahissent, ronchonna Érenn. Sauf toi Karis, tu as de la chance avec tes mirettes à l'apparence purement askanienne. Je parie que dans le reste de la ville, personne ne devine que tu as un parent abandonné. Non pas que ce soit une tare, mettons-nous d'accord dessus. Mais c'est un peu agaçant qu'à chaque fois que je sors du ghetto, entame une sympathique conversation avec des gens, ils prennent leurs jambes à leur cou quand ils remarquent la subtile – mais très élégante, si je peux me permettre – lueur dorée dans mon regard.

— On ne parle pas de toi là ! éclata Milanne.

Les deux garçons sursautèrent face à son ton autoritaire. Karis en aurait bien ri, si elle n'avait pas l'air réellement blessée.

— Il faut qu'on parle.

Elle attrapa le bras de Thilste et sortit en trombes de la salle. Érenn se gratta la nuque. Karis se tendit tout d'un coup. Tenait-elle le moment pour récupérer son médaillon ? Elle pourrait utiliser ses pouvoirs pour immobiliser le sang-mêlé puis l'assommer. Mais quel risque qu'on le retrouve avant qu'elle n'ait pu s'enfuir avec Milanne ?

— Je ferais mieux de les suivre, soupira Érenn. Histoire qu'ils ne s'étripent pas. Et toi, tu devrais aller à l'infirmerie. Tu as un bleu sur la joue.

Étonnée, Karis porta sa main à la joue, pour en effet découvrir une dureté là où Thilste lui avait asséné un coup de bâton. Elle retint un rire : il avait fini par frapper assez fort.

— Très bonne idée.

Érenn lui indiqua sommairement le chemin à suivre avant de sortir à la recherche de Milanne et Thilste. Elle ramassa son voile puis attendit un peu avant de quitter la pièce redevenue silencieuse. Elle croisa quelques fidèles dans les couloirs, Askaniens comme Dalreniens, dont une jeune fille à qui elle redemanda son chemin.

Elle finit par arriver devant une porte. Son cœur continuait de pulser à cadence effrénée, mais plus à cause de l'effort, ni de la satisfaction d'avoir piégé Thilste. À la place, les battements étaient douloureux dans sa poitrine.

Après une hésitation, Karis frappa trois coups secs contre le battant.

— Entrez ! résonna une voix à l'intérieur.

C'était lui. Si elle avait eu des doutes devant les détails confus donnés par Milanne, plus aucun n'était permis à présent. C'était sa voix à lui, toujours mesurée et réconfortante. La voix de celui qui avait soigné ses égratignures laissées par ses bêtises de Novice, ri aux éclats lorsqu'elle lui avait assuré être en train de mourir – elle avait juste ses premières règles – et qui avait pansé ses plaies le jour où, cette fois-ci, elle avait vraiment failli passer l'arme à gauche.

Ses doigts tremblants tournèrent la poignée avec lenteur. Il était de dos, vêtu d'une tunique abîmée par le temps, et bien différente de l'uniforme dans lequel elle avait eu l'habitude de le voir. Karis ferma le battant derrière elle. Pouvait-elle seulement lui faire encore confiance ?

Lorsqu'il se retourna, le pot qu'il tenait dans ses mains couvertes de mitaines – sans doute pour dissimuler ses tatouages – s'écrasa au sol. Elle croisa son regard bleu-vert, figé par le choc. Ignorant le rythme affolé de son cœur, elle enfila un sourire sarcastique.

— Ravie de te revoir moi aussi, Dirann.



— Comment tu as pu me cacher ça ? s'écriait Milanne. Non, plutôt, comment j'ai pu être aussi aveugle ?

Thilste s'était laissé entraîner sans résistance dans leur cellule, puis assis sur sa natte, les avant-bras posés mollement sur ses genoux. Faisant les cents pas, Milanne mourrait d'envie de lui redresser le menton, de le forcer à soutenir son regard.

— Toc, toc, toc, résonna la voix d'Érenn.

Milanne croisa les bras lorsqu'il ouvrit la porte sans avoir attendu de réponse.

— Je sais que tu dois être en colère, commença-t-il. Les mensonges peuvent empoisonner une amitié. Mais mets-toi un peu à sa place : on ne sait jamais, les gens peuvent avoir des réactions très violentes quand ils apprennent que...

— Ce n'est pas le problème qu'il soit un sang-mêlé, soupira Milanne avec exaspération. Quand est-ce que tu vas nous ficher la paix ?

Devant l'air ahuri du jeune homme, elle prit sur elle pour ajouter :

— S'il te plaît. Laisse-nous dix minutes, seuls. Promis on reviendra après.

Avec une mine contrite, le sang-mêlé finit par se retirer. Milanne s'assura qu'il ne soit plus dans le couloir pour pester à nouveau.

— Je rêve, c'est lui qui ose me faire la morale sur les mensonges.

Thilste se raidit.

— Oui, ce n'est pas le problème que tu sois un sang-mêlé, reprit-elle. Le problème, c'est que tu sois un sang-mêlé et que tu fasses partie de la famille Larq. Ou du moins, prétend d'en faire partie.

— Je suis sincèrement désolé, balbutia-t-il.

— Mais quelle idiote, tous les signes étaient là en plus, s'irrita-t-elle. Tu viens de la capitale, tu as un frère, tu dis être le neveu de Niel, mais je ne t'avais jamais vu ni entendu parler de toi. Et oh, par Liha, ton livre askanien !

Sans lui demander son avis, Milanne ouvrit le sac du jeune homme pour en sortir l'ouvrage, qu'elle ouvrit à la première page. Les lettres élégantes de la dédicace n'avaient pas bougé.


À mon cher fils Thilste,

A.


— Par pitié, ne me dis pas que c'est la reine Attalie qui a signé ce livre ?

— Qu'est-ce que tu veux entendre ? répliqua Thilste. Que c'est faux ?

Évidemment, que c'était elle. Qui d'autre qu'une ancienne princesse askanienne pour offrir un livre de son pays ? Une princesse dont on disait que, par amour, elle avait quitté son désert pour épouser le roi du Dalren.

Milanne se laissa choir sur sa paillasse, le livre serré entre ses mains.

— Par Liha, un prince ! Pourquoi tu ne m'as rien dit ? Ma famille va être accusée de crime de lèse-majesté !

— Non, murmura Thilste. Ils ne le seront pas, parce que je ne fais pas vraiment partie de la famille royale. Je ne suis que le Leurre du prince héritier. Ma vraie mère est une Askanienne de la suite de la reine.

— Je croyais que seul le souverain savait qui était vraiment l'héritier, bredouilla Milanne.

Thilste eut un sourire sans joie.

— Disons que le roi ne cache pas ses préférences. Et le fait que la reine m'appelle son « fils », ajouta-t-il en pointant le livre, ce n'est qu'une courtoisie. Elle doit bien savoir que je ne suis pas son enfant.

Milanne n'osait pas imaginer l'existence que Thilste – et Niel de Larq en son temps – avait dû mener jusque-là. Les souverains dalreniens enfermaient l'héritier et son leurre au palais de Solarina, avec de rares apparitions publiques, pour les élever à l'écart de tout. Les Leurres ne rencontraient jamais leur vraie famille avant leur majorité. Cette coutume visait à protéger le futur souverain, mais sa radicalité faisait frémir la jeune fille. S'il était toujours inquiet à l'idée qu'il lui arrive quelque chose, son père ne l'empêchait jamais de sortir.

— Pourquoi on t'a envoyé à Runac sans ton frère alors ? s'enquit-elle d'un ton plus doux.

— D'après le roi, pour m'ouvrir au monde, ricana Thilste. La coutume veut qu'il nous révèle à moi et à mon frère qui est réellement son fils lorsque nous auront dix-huit ans, avant la révélation au royaume à vingt et un. Mais je le soupçonne d'avoir voulu prendre un peu d'avance, et de m'avoir écarté pour en parler avec son fils. Waraan est persuadé qu'il n'est pas le prince, alors il va prendre un peu de temps avant de digérer la nouvelle. Mieux vaut que je ne sois pas là pour ne pas gêner.

Il enserra ses jambes repliées.

— C'est pour ça que je voulais fuir de Runac. Niel a été très gentil avec moi. Je pense que même s'il ne l'a pas dit, il comprend ce ça fait d'être à la merci d'une famille qui n'est pas la sienne. Mais je voulais simplement retrouver la mienne. C'était sans doute égoïste parce que ça les mettrait en position de disgrâce.

— Pourquoi m'as-tu suivie alors ?

— Parce que pour une fois, je pouvais décider de mon chemin.

Milanne se leva. Thilste redressa la tête, une lueur d'incompréhension dans son regard lorsqu'elle s'approcha.

— Par Liha, je suis tellement désolée que tu aies dû vivre ça. Pardon de m'être emportée contre toi.

Elle fléchit les genoux et referma ses bras autour de ses épaules. Thilste se raidit, et elle sentit une main lui tapoter maladroitement le dos. Elle se décolla de lui, embarrassée par son propre emportement.

— Ma vie aurait pu être pire, grimaça-t-il après un haussement d'épaules. En tout cas, je te promets qu'en cas de problème avec les Arl, je prendrais sur moi toute la responsabilité de mes actions. Ta famille ne sera pas inquiétée.

Milanne lui envoya une œillade reconnaissante, à laquelle il sourit brièvement. Elle essaya de discerner la tache bleue dont sa sœur avait parlé, mais le jeune homme avait les yeux baissés, le front à moitié recouvert par ses cheveux.

— Puisqu'on en est aux sujets qui fâchent, soupira Thilste, je ne pense pas que Karis soit...

Le craquement de la porte l'interrompit. Érenn apparut de nouveau sur le seuil, tout sourire.

— Ça fait dix minutes, claironna-t-il. Mais heureusement, je vois que vous n'êtes plus en train de vous crier dessus, donc j'en déduis que vous êtes redevenus les meilleurs amis du monde. Ne m'obligez pas à vous traîner dans le bureau de la Prophétesse pour qu'elle fasse la médiatrice.

Milanne se retint de protester. Elle n'avait aucune envie de se retrouver à nouveau avec la femme aux voiles gris.

— Oui, merci de nous avoir accordé un peu de temps seuls. On a pu s'expliquer, se contenta-t-elle de répondre.

— J'en suis ravi. Venez, allons à la salle commune, c'est l'heure du déjeuner.




Eyo !

Mes plus plates excuses pour le gros coup de ralentissement de la publication de LRDL :) Je suis enfin sortie d'une grosse période sans écriture pour diverses raisons, mais je m'y suis enfin remise cette semaine !

La bonne nouvelle ? Il ne me reste à écrire que deux chapitres avant de finir ce tome 1 :D Ce qui veut dire que les publications devraient reprendre un rythme plus régulier ! 

Merci de votre patience et de votre lecture :3

Cassandre

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