Le chien
Aujourd'hui, mon chien est mort.
Il avait douze ans et il paraît que, pour un chien, c'est déjà pas mal. C'était un chien mal coiffé, il portait un bouc et des épis rêches. Un grand bâtard un peu idiot, toujours content.
C'était mon ami.
Je ne suis pas vraiment surpris. Il a été opéré deux fois, d'un méchant cancer, et les opérations n'ont pas été un succès. Ces derniers jours, il ne pouvait plus se lever. Ce n'est pas facile de savoir si un animal souffre, ils sont si résistants à la douleur... Mais papa a dit qu'il ne pouvait plus supporter le regard désolé du chien, honteux de ne pas avoir pu sortir faire ses besoins. Il a parlé de dignité et de respect.
Mais ce ne sont que des mots.
Et aujourd'hui mon chien est mort.
Il bruine sur la rivière où je me suis réfugié. Je ne voulais pas voir mes parents pleurer. Je voulais être seul, seul avec ma peine et mes souvenirs. Je voulais me rappeler du chiot qui tenait absolument à se percher sur les ballons de foot. Du jeune chien courant à en perdre haleine, la langue au vent, claquante sur sa joue.
De gros sanglots me secouent.
Jusqu'à présent, personne n'est jamais mort. Il manque mon grand-père paternel mais je ne l'ai jamais connu. Il me reste même une arrière-grand-mère. Et voilà que mon chien est mort, ouvrant la marche. Aujourd'hui je pleure l'animal mais aussi tous ceux qui vont suivre. Pour la première fois de ma vie, je pressens que nous sommes tous mortels. Même, et c'est insupportable, mes parents.
Je suis pas mal mouillé, je commence à avoir froid et j'ai du mal à respirer à cause de la morve. Je n'ai même pas de quoi me moucher. Ça m'agace au plus haut point et, rageur, j'appuie sur une narine et je souffle. On ne salit pas une rivière en se mouchant dedans, n'est-ce pas ?
Je pensais que le calme de la rivière en cette après-midi d'automne me réconforterait mais cela ne fonctionne pas. L'endroit est trop calme, trop serein. L'eau coule tranquillement, clapote joyeusement, ignorante de ma douleur. Les rochers sont gris foncé, l'eau brouillée par la pluie a pris la couleur des feuilles mortes.
J'ai si mal. Un cri primaire, contenant toute ma rage, ma peur, ma tristesse déchire ma gorge.
« Hey... Pourquoi tu pleures ? »
Je pose ma main sur celle qui vient de m'attraper l'épaule, j'ouvre les yeux essayant de faire le point malgré le voile de mes larmes. J'y vois flou, mais je reconnais les yeux bleus, la chevelure noire et l'affection de ma Justine. Je croyais qu'elle était rentrée chez elle à la fin de l'été. Mais qu'importe, elle est là. J'essaie de lui sourire, penaud.
« Oh Justine, mon chien est mort ! »
Sa bouche se pince dans une moue compatissante. Elle serre mon épaule. Elle ne sait pas quoi dire mais ce n'est pas grave. Il n'y a rien à dire à quelqu'un dont le chien est mort. Il faut seulement rester là, la main sur son épaule.
« Est-ce que tu ne voudrais pas venir te mettre à l'abri du préau ? » me demande-t-elle avec une douceur infinie.
Je jette un coup d'œil dans la direction qu'elle me montre.
« Non, merci, je préfère rester à la rivière, ça ne me gêne pas d'être mouillé.
— Ah oui... la rivière. »
Elle soupire à peine, fait la moue, encore, regarde autour de nous et enlève sa main de mon épaule. Elle part. Mon cœur se brise un peu plus et immédiatement le deuil me submerge à nouveau et je recommence à pleurer.
Mais très vite, elle est de retour. Au-dessus de nous, elle a installé une sorte de parasol. Ce ne sera pas vraiment étanche, mais, cela fera bien l'affaire. Il ne pleut pas si fort.
Sur la table, j'attrape un paquet de tabac et des feuilles à rouler oubliées là. Mes doigts tremblent et je m'énerve. Justine me prend le tabac des mains.
« Attends, laisse-moi faire.»
Je la regarde, fasciné, rouler la cigarette en quelques secondes. C'est à cause de moi qu'elle a pris cette mauvaise habitude.
Au loin, j'entends vaguement quelqu'un râler.
J'attrape la cigarette et l'allume, impatient de sentir ce petit bonheur. Celui de la première bouffée de cigarette.
La fumée est âcre et me brûle les poumons. Une horrible quinte de toux me prend. Justine tape dans mon dos et me prend la cigarette du bout des doigts. Je lutte pour trouver de l'air.
Finalement, le visage rougi par l'effort et le souffle court, je lui fais un sourire penaud.
« N'oublie pas, il ne faut pas fumer après avoir pleuré. »
Ses yeux se remplissent de larmes. Je ne sais pas ce que j'ai dit pour la mettre dans cet état mais elle se jette dans mes bras que je referme autour de son corps svelte, la berçant dans ses sanglots.
Elle aussi, elle devait aimer ce chien.
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