Chapitre 8:
La plaine immense s'étalait à perte de vue. Le vent la balayait, faisant onduler à son rythme les hautes herbes. Seules deux montagnes sur le côté marquaient ses limites, gigantesques et majestueuses. Deux cavaliers se tenaient face à ce paysage. Le premier tenait des jumelles, sa capuche rabattue sur son visage, tandis que le second observait l'horizon, en caressant délicatement l'encolure de son cheval.
« Alors ? », demanda-t-il en suspendant sa main sur les oreilles de l'animal.
L'autre se retourna en affichant un visage rayonnant et abaissa ses jumelles.
« Personne à des lieux à la ronde. Nous sommes tranquilles pour un bon moment, partenaire. »
Drakaïs hocha distraitement la tête et se remit à sa contemplation pendant que Drakayn reprenait la route en assenant une légère pression sur les rênes de sa monture. Voyant que la Draconique restait là où elle était, le Démon lui demanda, agacé:
- Drakaïs ? Tu auras tout le temps de t'intéresser au paysage pendant le trajet...
- Oui, oui... Je sais. J'arrive... lui répondit-elle en avançant à son tour.
Contrairement au Démon, elle montait à cru. Elle n'avait pas besoin de selle ou de licol pour être sur un cheval. Il suffisait de ne faire qu'un avec lui et le tour était joué. Elle eut un petit sourire. Encore une chose qu'elle avait appris des Enfants de Gaïa, même si elle ne pouvait pas se comparer à eux. Elle connaissait son cheval, Eclipse, depuis de nombreuses années, mais elle aurait été incapable de communier ainsi avec une monture qu'elle venait de rencontrer, au contraire des Enfants de Gaïa.
Eclipse était une belle jument gris pommelé. Elle en était à plus de la moitié de sa vie, mais Drakaïs s'en fichait. Il fut un temps où Eclipse avait été sa seule amie, un de ses seuls réconforts après son arrivée chez les Enfants de Gaïa. Et cela, elle ne l'oubliait pas. Alors, lorsque les Enfants de Gaïa leur avaient proposé de prendre des montures, et qu'elle avait vu Eclipse dans l'écurie, elle n'avait pas pu résister face à ses yeux qui lui avaient semblé si implorants en cet instant... On ne l'avait pas montée depuis longtemps avant que Drakaïs ne le fasse. En effet, Eclipse était partie au galop lorsqu'elle était sortie. Drakaïs se rappelait très bien du regard que lui avait alors lancé Drakayn: un regard rieur.
Son cheval, Illagael, une jument aussi, était pie noir. Elle était plus jeune qu'Eclipse et plus musclée également. Drakayn l'avait choisie au premier regard. La Draconique et Cerbère avaient tenté de le prévenir. Après tout, Illagael avait une réputation dangereuse dans la forêt... Quand Drakaïs trainait dans les écuries, enfant, Cerbère l'avait plusieurs fois mise en garde contre ce cheval, lui disant qu'elle était devenue folle de douleur après la mort de son cavalier, avec qui elle s'était Liée. Et elle n'avait plus jamais accepté personne sur son dos après ce drame. Pourtant, malgré leurs recommandations, Drakayn avait affiché son sourire habituel et avait monté cette jument comme si c'était la plus naturelle des choses.
Et mystérieusement, Illagael n'avait pas bronché, n'avait pas cherché à le faire redescendre. Et même si un bon bout de temps s'était déjà écoulé, Drakaïs se demandait toujours comment cela était possible. Beaucoup d'Enfants de Gaïa avaient tenté de faire de même. Ils avaient tous échoué.
Lorsque Drakaïs le lui avait demandé, Drakayn lui avait seulement répondu qu'ils étaient pareils, qu'ils avaient les mêmes blessures et qu'ils avaient surtout la même soif de révolte. La Draconique n'avait fait que soupirer face à cette dernière réplique.
Drakaïs observait le dos du Draconiaque. Cela faisait un mois qu'ils avaient quitté la Forêt Originelle et qu'ils voyageaient ensemble.
Lorsqu'ils étaient sortis des bois, ils n'avaient trouvé à la place du campement militaire qu'une plaine vide. Drakayn n'en avait pas le moins du monde semblé surpris, au contraire de Drakaïs, qui l'avait assommé de questions.
« Ne t'inquiète pas, partenaire. Cela fait partie du plan. », lui avait-il assuré avant d'avancer.
Ce n'était que des heures après, alors qu'elle jetait des regards noirs au dos du Démon, qu'il s'était retourné pour lui dire en rigolant :
- C'est bon, c'est bon ! J'abandonne ! Je préfère mille fois tes questions incessantes que ces yeux de tueur ! Que veux-tu savoir ?
Elle lui avait jeté une dernière œillade, qu'il ne semblait pas tant détester au vu de son visage rayonnant, avant de le questionner :
-Quel plan ? Où va-t-on ? Qu'allons-nous faire ?
- Ola ! s'exclama-t-il en riant légèrement. Toi et tes questions... Finalement, je préfère peut-être tes regards noirs...
Elle s'était justement apprêtée à lui en lancer un autre, mais lui avait préféré poser une nouvelle question :
- Tu me réponds, oui ou non ?
Il lui avait souri doucement :
- Répondre à ta première question répondra aux autres. Voilà le plan : l'armée s'est divisée en deux. La première partie, la plus grande, est partie installer notre campement, notre place forte si tu veux, dans la Vallée aux Milles Sortilèges. Le deuxième groupe, auquel nous appartenons, ira à la première cité du Cercle : Quantamoniam. Il me semble t'avoir déjà dit que c'était notre première cible... Là-bas, nous devrons observer la ville et nous fondre parmi ses habitants pour en trouver ses faiblesses. Une tâche des plus ardues, puisque tu n'es pas sans ignorer que c'est une véritable forteresse qui a essuyé bien des attaques.
Drakaïs avait alors pris le temps d'avaler les informations reçues.
« Quantamoniam, c'est loin à partir d'ici ?
- A cheval, nous y serons dans deux semaines. Mais je compte y être dans un mois.
- Pourquoi ? fit Drakaïs, qui ne comprenait pas son intention.
- On va s'entraîner. Ou plutôt, tu vas t'entraîner. J'ai déjà prévenu Idris et Idras, donc ne t'inquiète pas pour ça. Ah, et ne pense pas que nous serons inactifs une fois arrivés... Ils seront loin d'avoir fini... Même avec l'avance qu'ils ont ! »
La Draconique s'était renfrognée. Etait-elle si faible que cela ? Et semblant lire dans ses pensées, il avait ajouté :
- L'entrainement sera le même qu'avant. Il faut qu'on s'habitue à se battre l'un avec l'autre. Tu es loin de manquer d'expérience, Drakaïs. Il faut juste que tu affines certains points ! De plus, n'était-ce pas toi qui souhaitais apprendre l'Effacement ?
Drakaïs avait dû se rendre à l'évidence : il avait raison.
« Et puis, un voyage comme celui-ci nous permettra de faire plus ample connaissance !
- Je ne suis pas sûr de vouloir que cela arrive, grommela-t-elle.
- Encore cette mentalité réservée, partenaire ? »
Elle avait préféré s'abstenir de répondre.
Maintenant que Drakaïs y repensait, cela faisait plus d'un mois qu'elle connaissait Drakayn... Elle était chaque jour surprise de voir comment il était avec elle... et même comment elle agissait avec lui. Ils étaient plutôt proches. Un mois... C'était peu pour la Draconique. Le Démon pouvait sembler rustre et arrogant à première vue, mais c'était une personne des plus chaleureuses lorsqu'on le connaissait...
« On devrait arriver d'ici un jour ou deux, l'informa Drakayn. Tu vois cette montagne, sur la gauche ?" Il la montra de la main."Il y a un passage que tu ne peux pas voir d'ici. On le traversera et là, tu pourras voir Quantamoniam. La cité est sur l'autre versant de la montagne, celui qui ne nous est pas visible. »
Les hautes herbes léchaient les flancs des chevaux. Drakaïs ne pouvait s'empêcher de voir une danse dans cet entrelacs de végétation. Elle se demandait si Drakayn y remarquait la même chose ou d'autres encore. Mais elle se doutait pertinemment qu'il ne devait surement pas y faire attention et qu'il devait être focalisé sur quelques autres pensées intérieures...
Pourtant, elle le surprit plusieurs fois en train d'observer la plaine avec intérêt.
« Qu'est-ce qu'il y a ? », l'interrogea-t-elle, les sourcils froncés.
Il se retourna sur son cheval et l'observa.
« Non, rien... Cet endroit ressemble à s'y méprendre à un lieu que j'ai connu... Une place intéressante... L'herbe que tu vois abritait des brigands qui s'attaquaient aux voyageurs assez hardis pour s'y aventurer. Lorsque j'étais plus jeune, je m'y étais risqué et m'étais trouvé dans une situation des plus excitantes !" Il rit à ce souvenir." Ces imbéciles n'ont même pas eu le temps de comprendre à quoi ils avaient affaire... Ils m'ont surpris, tu comprends ? Ce n'est pas vraiment la meilleure des choses à faire avec un Démon... Je suis plutôt pointilleux sur ce point... J'ai tendance à dégainer ma lame et à la mettre dans la gorge du malheureux lorsque c'est trop violent à mon goût... »
Drakaïs se promit de ne pas le surprendre alors qu'il avait une épée avec lui... Mais plus important :
- Tu es sûr que ce n'est pas le même lieu ?
Elle regardait désormais ses pieds avec inquiétude, se trémoussant sur Eclipse.
« Je n'en sais rien. C'était il y a longtemps et je ne suis pas revenu depuis. Mais sois tranquille, c'est peut-être juste une impression, même si je préférerais que ce ne le soit pas... Sans vouloir te vexer, nos combats sont très intéressants, mais ils restent des entrainements avant tout. Un vrai duel, où des vies sont en jeu serait des plus... divertissants. Surtout maintenant.», fit-il avec un sourire sadique.
Drakaïs l'avait remarqué depuis qu'elle le connaissait, mais Drakayn semblait prendre du plaisir à combattre... Un très grand plaisir. Trop, sûrement.
« Oui, eh bien, je ne préférerais pas. Je ne prends pas le même goût que toi à prendre des vies.
- Tu te méprends. Ce n'est pas tuer qui m'intéresse, mais la partie juste avant. Tu ne sais sans doute pas ce que c'est, un combat où tu te bats pour ta vie. Soit, j'avoue que de mon côté, cela fait bien longtemps que je n'ai pas combattu pour ça, mais quand tu as un adversaire qui donne tout ce qu'il a pour la sauver... C'est une autre histoire. C'est complétement différent de nos combats, et beaucoup plus jouissif à la fin. »
Drakaïs fronça les sourcils et arbora un air sombre.
« Je crois que je l'ai déjà expérimenté... lui dit-elle avec tristesse.
- Ah bon ? De ton côté ou de l'autre ? lui demanda-t-il, le regard perçant.
- Les deux, il me semble... », lui répondit-elle en repensant à sa famille et à l'homme qu'elle avait tué peu après.
Drakayn émit un petit sifflement de surprise. La Draconique dû focaliser toute son attention sur l'herbe pour arrêter de penser à ces choses. Hors de question qu'elle revienne là-dessus une nouvelle fois.
Elle s'attendait à ce que Drakayn l'interroge, mais il n'en fit rien. Il stoppa son cheval, la forçant à s'arrêter à son tour.
« Hé ! Préviens-moi avant de faire ça ! », grogna-t-elle.
Il ne daigna même pas lui accorder la moindre attention et sauta à terre en dégainant son épée.
« Eh bien, eh bien... Il semblerait que mes soupçons soient fondés... Descend Drakaïs, il va y avoir de l'action. Voyons si ton entrainement a porté ses fruits ! »
Elle eut à peine le temps de comprendre de quoi il voulait parler avant de voir les hautes herbes bouger d'une façon singulière dans leur direction. Et ce n'était pas à cause du vent... Pas de doute possible, quelque chose se dirigeait vers eux.
Elle posa les pieds au sol et dévoila sa lame à l'air. Elle se positionna dos à Drakayn qui faisait tourner son épée entre ses doigts d'un air impatient.
Alors commença l'attente. Le temps paraissait comme ralenti. Il sembla à Drakaïs qu'un moment infini s'était écoulé.
Elle renifla l'air et se rendit compte qu'aucune odeur particulière ne lui parvenait.
Sa peau se couvrit de chair de poule et les battements de son cœur s'accélérèrent. Pas par peur, mais à cause d'un sentiment qu'elle ne put identifier. Elle sentait qu'une chose clochait. Elle ne pouvait pas mettre le doigt dessus, mais elle le sentait.
Elle ne percevait aucune odeur particulière, car ce qu'elle recherchait avançait vers eux à contre vent. Ils agissaient comme elle l'aurait fait à leur place. Oui, ils agissaient en prédateur.
Soudain, elle entendit, si doucement qu'elle se surprit elle-même à le faire, un léger frottement sur sa gauche.
"Drakayn, sur la gauche !", lui hurla-t-elle.
Deux fauves jaillirent des fougères en rugissant, attaquant simultanément Drakaïs et Drakayn. Drakaïs esquiva l'attaque et écarta la créature d'un coup de pied dans le ventre. L'animal couina et s'affala sur le sol avant de se relever aussi vite qu'il était tombé en l'observant méchamment. Il se mit alors à tourner autour des deux dragons, sa queue battant furieusement le sol.
Le félin qui s'en était pris à Drakayn n'avait pas eu la même chance : il gisait au sol, une mare de sang autour de son corps sans vie.
« Des bandits, hein ! lança Drakaïs à Drakayn en riant nerveusement.
- Tu m'excuseras de ne pas être venu me renseigner pour savoir quels étaient les nouveaux habitants du coin ! », lui rétorqua-t-il avec un sourire éclatant.
Le fauve avait une crinière rousse qui partait de la tête et qui se terminait en bas de son dos. Il possédait un pelage que Drakaïs ne put s'empêcher d'admirer : il était parsemé de rayures noires sur fond brun. C'était une belle bête. Mais une bête sauvage. En pleine chasse, qui plus est.
Trois nouvelles créatures sortirent à leur tour des hautes herbes, grognant et feulant face à Drakaïs et Drakayn.
« C'est bien ce que je pensais... Des Erks... Je n'aime pas tuer les animaux, mais si nous en laissons partir un seul, il nous égorgerait en plein sommeil. Une fois que ces bestioles ont une proie, ils la poursuivent jusqu'à sa mort.», expliqua Drakayn.
Une proie... Cela faisait bizarre d'être vue de cette manière. La dernière fois que cela lui était arrivé, c'était le jour où elle avait perdu sa mère... Non... Décidément, elle n'aimait pas ce sentiment ! Cela lui semblait incongru... Presque hilarant tellement c'était ridicule ! Elle, un Dragon, proie d'un simple chat !
« Hors de question que je laisse un chaton avoir ma peau ! », siffla-t-elle.
Drakayn éclata de rire.
« Tu m'enlèves les mots de la bouche, partenaire ! »
Mais le temps des rigolades était terminé. Les fauves s'abattirent sur eux en un tourbillon de griffes, de crocs et de feulements.
Drakaïs esquiva les premiers coups et éventra l'un des matous qui s'écroula avec un ultime miaulement rauque. Un autre réussit à lui taillader le bras, mais cela ne fit que renforcer sa soif de vaincre. Elle lui infligea une longue estafilade sur le côté en guise de vengeance. Le fauve recula et laissa échapper un long grognement.
Quant à Drakayn, il avait enfoncé son épée dans le crâne de l'une des bêtes et observait d'un regard amusé la dernière qui lui faisait face. Elle se recroquevilla sur elle-même et s'élança vers lui pour l'égorger de ses crocs. Le Démon sourit. Il n'y avait que des animaux pour lui faire face ainsi, à garde découverte... La bête se jeta sur son épée : il l'avait placée sous sa gorge et le fauve essayait tant bien que mal de le pourfendre de ses dents. Il sortit vivement son couteau pour l'égorger à son tour. L'Erk dû le sentir car il s'écarta aussitôt. Drakayn l'observa et il sut alors que ses pupilles viraient d'une couleur écarlate, plus vive que d'habitude. Il darda sa langue et siffla à l'encontre de l'Erk, qui se recroquevilla misérablement sur lui-même en miaulant pitoyablement.
La peau du Draconiaque devint noire comme la nuit la plus sombre et il déploya ses ailes immenses, couvrant l'Erk de son ombre. Alors, aussi vif qu'un serpent il l'acheva de ses griffes effilées. Il l'avait fait sous sa forme de Dragon, pour lui montrer qui était le vrai prédateur.
Le Démon reprit sa forme habituelle et se tourna vers Drakaïs. Elle n'en avait pas fini avec son adversaire, mais cela ne saurait tarder.
La bête était à ses pieds, vaincue, et respirait faiblement. La blessure que la Draconique avait sur le bras saignait abondamment mais elle ne devait pas s'en rendre compte. Son attention était accaparée par le geste qu'elle allait faire. Par la mise à mort qu'elle allait donner. Cela serait rapide et indolore. Comme les Enfants de Gaïa lui avaient appris. Elle prit une inspiration et plongea sa lame dans le crâne de la bête qui mourut sur le champ.
Voyant que le Démon la dévisageait, elle ne put s'empêcher de le toiser avec la même considération. Lorsqu'il l'étudiait ainsi, Drakaïs pouvait être sûr qu'il allait sortir une de ses phrases « spirituelle ».
« Ton bras... Etais-tu trop concentrée sur ton combat pour même le remarquer ? », gloussa-t-il en haussant les sourcils.
La Draconique lorgna sa blessure. Elle n'était pas jolie à voir... Elle appuya sa main sur son épaule pour faire compresse.
Le Démon fit claquer sa langue contre son palais d'un air agacé.
« Ce que tu fais est inutile... Viens là... », ordonna-t-il en lui faisant un signe de la main.
Il sortit des bandages d'un sac resté sur sa monture. Il désinfecta sa plaie avec une potion à la fragrance étrange, et Drakaïs ne put s'empêcher de plisser du nez et de laisser échapper un « Aïe ! » lorsque qu'il appliqua son remède sur sa plaie. Le Démon afficha un air amusé avant de lui bander le bras.
« Voilà. C'est tout ce que je peux faire pour le moment. Mais vu ton incroyable régénération, −Il lui avait expliqué qu'elle guérissait vite, même pour un être comme elle.− tu ne seras déjà plus ennuyée ce soir. Bien, après cette petite pause, on devrait se remettre en route.
- Je me passerais bien d'une prochaine « pause »... », maugréa-t-elle.
La Draconique, une fois revenue sur Eclipse, avait du mal à avancer dans l'herbe aussi facilement qu'avant. Elle regardait les alentours avec inquiétude, s'attendant à voir surgir des Erks sur eux. Drakayn, remarquant encore une fois son attitude, déclara :
- Les Erks agissent en meute variant de quatre à huit individus et ils ont un vaste terrain de chasse qu'ils gardent avec jalousie. Tu n'as aucune crainte à avoir. Nous les avons tous tué et nous sommes donc tranquilles pour un moment.
Elle hocha simplement la tête pour lui faire comprendre qu'elle avait compris. Mais elle continua tout de même de fixer les alentours. La dernière fois qu'il lui avait dit qu'ils seraient « tranquilles », ils s'étaient faits attaquer quelques temps après...
∞
Ils arrivèrent au bout de la plaine alors que le soleil entamait sa descente. L'océan vert était désormais derrière eux et ils allaient désormais entrer dans le passage qui passait par la montagne. Le ciel se colorait lentement d'un orange pâle et les nuages ressemblaient désormais aux friandises que Drakaïs avait l'habitude de manger avec sa sœur lorsqu'elle était enfant.
Drakayn ne s'était pas trompé cette fois. Le reste de la traversée s'était déroulé calmement.
« On va passer la nuit ici. Cela ne sert à rien de nous avancer dans le passage pour le moment. », affirma Drakayn.
Le Démon commença à installer leur couche et à préparer un feu de bois. Drakaïs l'épiait, comme chaque soir elle le faisait. Le Démon assembla les brindilles et les branches pour former son feu. Alors, comme chaque soir, il l'alluma. Mais pas de la manière que l'on avait apprise à Drakaïs. Chaque soir, elle était fascinée par cet acte qui semblait si normal pour lui. Il pointait le bois du doigt et une flamme jaillissait de nulle part. La première fois que Drakaïs avait vu cela, elle avait dévisagé le Démon avec de grands yeux. Bien sûr, elle avait déjà entendu parler de la magie, mais elle ne l'avait encore jamais vue pratiquée devant elle ! Quand elle lui avait demandé comment cela marchait, il avait tenté de lui expliquer :
- La magie est un instrument comme les autres. Elle est en chaque être, mais tous n'ont pas la chance de pouvoir la manipuler. Et encore, parmi ceux qui peuvent l'utiliser, il y a des différences en terme de puissance. Tu as remarqué que je fais un geste lorsque j'invoque ma flamme, n'est-ce pas ? Eh bien, ceux qui ont une moins bonne maîtrise de la magie doivent se servir de mots tandis que les plus forts ont juste besoin de penser pour que cela arrive ! Après, si tu me demandes comment je fais pour lancer mon sort, je concentre juste mon attention sur ce que je veux accomplir et la magie fait le reste ! Désolé si cela te semble confus, mais je ne n'ai jamais tenté d'expliquer à quelqu'un la magie avant... C'est quelque chose qui est inné chez moi. On appelle ça l'Instinct.»
Drakayn se leva soudainement, coupant ainsi les souvenirs de Drakaïs.
« Tu veux réessayer cette fois encore, Drakaïs ? », souffla-t-il en la fixant intensément des yeux.
La Draconique lui rendit son regard.
« Ce n'est plus interdit ? demanda-t-elle avec espoir.
- Si tu promets de t'arrêter quand les douleurs reviendront alors je n'ai aucun problème avec ça... Mais ne me refait pas le même coup que la dernière fois ! », la prévint-il en fronçant les sourcils.
La Draconique sourit et se remémora les circonstances de cette interdiction.
Elle avait tenté pour la première fois l'Effacement un jour après être sortie de la forêt. Drakayn lui avait expliqué comment faire : il suffisait, selon lui, de penser à disparaitre. D'y réfléchir jusqu'à ce que la pensée devienne naturelle et prenne le contrôle de son corps. Il avait ajouté que ce n'était pas grave si elle n'y arrivait pas du premier coup.
Pourtant, c'est ce qui était arrivé. Elle l'avait fait naturellement dès son premier essai et un étrange sentiment de nostalgie s'était alors emparé d'elle. Puis était venu la douleur. Légère au début, elle avait empiré jusqu'à devenir insupportable. C'était la même qu'elle avait ressenti dans la Forêt Originelle.
Elle ne pouvait pas se débarrasser de ce sentiment de déjà-vu. A chaque fois qu'elle avait tenté de s'effacer, ce sentiment s'imposait jusqu'à retenir toute son attention. Elle ne pouvait s'empêcher de se focaliser sur cette réminiscence. Et c'était seulement quand elle commençait à s'interroger sur cette sensation que la douleur apparaissait. C'étaient des maux de tête abominables, accompagnés de visions toutes plus mystérieuses les unes que les autres. Elles étaient peuplées de Dragons et de paysages magnifiques. Ensuite, le monde se mettait à tanguer. Et comme dans la Forêt Originelle, elle s'évanouissait sous le regard stupéfait de Drakayn.
A chaque nouvelle tentative, l'évènement se reproduisait : elle ne pouvait résister à l'envie de trouver d'où lui venait ce trouble.
A tous les essais, le Démon avait été avec elle, la surveillant de ses yeux rouges. Puis un jour, alors qu'elle s'apprêtait à retenter l'expérience, il l'avait stoppée en déclarant avec un sérieux qui lui était rare :
- Arrête. Tu vois bien que pour le moment cela ne mène à rien... mis à part tes évanouissements. Fais une pause pendant quelques jours, d'accord ?
Drakaïs l'avait fixé et au bout d'un moment, avait fini pas accepter.
Pourtant, le lendemain, elle avait désobéi. Elle eut l'impression d'être retournée des années en arrière lorsqu'elle enfreignait les règles de sa mère ou plus tard, de Cerbère.
Elle s'était exilée un instant, simulant une envie d'être seule. Pendant qu'elle lui avait parlé, elle n'avait pas pu le regarder dans les yeux. Elle avait eu trop peur qu'il ne lise en elle et qu'il devine ses intentions.
Encore une fois, le même schéma s'était déroulé. Elle avait bien tenté de résister à la tentation de plonger dans ses visions, mais elle n'avait pas pu le faire longtemps.
Une fois enfouie dans ses pensées, elle s'était retrouvée en plein ciel, fondant sur une harde de cerfs, le soleil projetant son immense ombre aillée sur la plaine. Un clignement de paupière plus tard, elle était entourée de Dragons majestueux. Et comme à chaque essai, la souffrance avait déchiré ces images. Elle avait enfermé son visage entre ses mains, entendant les battements de son cœur résonner dans sa tête. Puis, le noir l'avait envahi.
Elle reprit conscience des heures plus tard et la première chose qu'elle rencontra fut le regard glacial de Drakayn.
Un silence pesant s'était installé.
Drakaïs n'avait pas supporté longtemps cette confrontation et avait concentré son attention sur le tronc d'un arbre situé derrière le Draconiaque.
La voix froide de Drakayn s'était alors élevée :
- Je t'avais pourtant dit d'attendre, il me semble...
Le ton avait été glacial. Elle avait alors compris que Drakayn était furieux. Mais c'était une colère maîtrisée et non effusive. Une colère froide. Cela avait été la première fois qu'elle le voyait comme cela.
Elle avait préféré se taire. Visiblement, il n'attendait aucune réponse de sa part.
« Je t'interdis de le refaire.», l'avait-il averti, toujours de la même manière.
Les épaules de Drakaïs s'étaient détendues, et elle n'avait pas pu retenir un soupir de soulagement de lui échapper.
« Je crois que tu m'as mal compris...avait-il continué avec acidité. Je t'interdis de t'effacer. Tu n'es pas prête, Drakaïs. Je pensais que tu l'étais, mais on dirait que je me retrouve face à une gamine irresponsable. »
Drakaïs s'était tassée sous l'insulte.
« Drakayn, je_
- Tais-toi. "Il s'était levé et l'avait fusillée du regard." Je ne veux plus qu'un seul mot sorte de ta jolie bouche pour le moment, ou je sens que je vais exploser.», l'avait-il prévenu, furieux.
Alors elle s'était tue et s'était mordu la langue pour ne pas lui hurler ce qu'elle voulait lui dire.
« Maintenant, fais tes affaires. Nous partons.», avait-il ordonné.
En serrant les poings, elle avait obéi.
Toute l'après-midi, alors qu'ils chevauchaient, le dos de Drakayn avait été crispé par la rage et ce n'était que le soir venu qu'il s'était calmé. Ce fut alors qu'il préparait le feu que la Draconique s'était décidée à discuter avec lui :
- Tu n'es plus furieux ?
Elle avait cru qu'il l'était encore vu le temps qu'il avait mis à réagir.
« Plus autant que tout à l'heure. »
Drakaïs en doutait presque vu les muscles tendus sur son cou. Pourtant, le fait qu'ils aient cette conversation montrait qu'il s'était apaisé.
« Drakayn, je suis désolée... », avait-elle lâché d'une toute petite voix nouée par l'émotion.
Elle s'était rendue compte qu'elle détestait être fâchée avec le Draconiaque.
« J'espère bien que tu l'es... », avait-il marmonné, un léger sourire trouvant son chemin sur ses lèvres.
La tension avait désormais disparue. Drakaïs se sentait de nouveau à l'aise et la boule de stress qui avait élu domicile dans son ventre toute l'après-midi s'était volatilisée.
« Ne me refais plus jamais une chose pareille, Drakaïs... Je dois pouvoir te faire confiance, avait déclaré le Démon en la fixant de ses yeux rouges.
- Je sais... C'était incroyablement stupide, mais c'était plus fort que moi. Ce sentiment... Drakayn, il est insupportable, avait-elle expliqué en baissant les siens au sol.
- Je comprends. Mais à l'avenir, laisse-moi faire les conneries. C'est une tâche qui me va mieux qu'à toi.», avait-il assuré d'un air faussement sérieux.
La Draconique avait pouffé.
« Je suis peut-être la plus sérieuse de nous deux, mais je ne suis certainement pas aussi sage que tu le penses !
- Oh, mais je n'en doute pas ! Tu me l'as très bien montré ce matin !" Son visage s'était fait dur. " Je ne retirerai pas ce que j'ai dit tout à l'heure. Laissons l'Effacement de côté pour l'instant. Nous aurons tout le temps de nous y remettre plus tard. »
Drakaïs avait été déçue. Elle avait pensé que Drakayn serait revenu sur ses paroles... même si elle s'était doutée au fond d'elle qu'il ne le ferait pas.
Et désormais, cela faisait deux semaines que l'interdiction durait. Et maintenant qu'il l'autorisait à reprendre l'entrainement, elle n'allait pas attendre une seule seconde de plus !
Elle s'assit face au Draconiaque, un sourire joyeux sur les lèvres. Drakayn, l'observait, une lueur amusée dans le regard. Elle ferma les yeux. Alors, comme lors des multiples fois précédentes, elle s'immergea dans son corps jusqu'à sentir la moindre sensation sur sa peau. Elle se sentit disparaitre peu à peu.
Mais cette fois-ci, il y avait quelque chose de différent.
Instinctivement, elle se transforma. Ses écailles rouges la recouvrirent. Puis, ce fut comme si elle basculait dans le vide. Tout s'était évanoui. Les ténèbres l'entouraient et une voix inconnue, qui pourtant, lui paraissait familière, s'en éleva. Elle était rauque et bestiale.
« Drakaïs... », murmurait-elle inlassablement. Elle venait de tous les côtés et entourait la jeune fille.
L'impression de nostalgie lui serra le cœur et elle dut concentrer toute son attention sur l'extérieur pour ne pas s'abandonner une nouvelle fois à ses visions. Le chant des rares oiseaux encore présents lui parvint, puis le vent qui chantait dans les quelques arbres aux alentours...
La voix disparut doucement, jusqu'à ce qu'elle ne soit plus qu'un écho dans sa tête.
Enfin, elle ouvrit les yeux. Drakayn la contemplait avec admiration, surpris par ce qu'il voyait, ou plutôt, par ce qu'il ne voyait pas.
« Drakaïs. Tu t'es effacée. Complètement. Ce n'est pas seulement ton odeur qui a disparue mais ton corps tout entier."
Drakaïs perdit alors toute sa concentration face à cette annonce et réapparut brusquement.
Le visage du Démon s'éclaira d'un large sourire.
« Tu es vraiment incroyable.», s'extasia-t-il.
Elle se passa une main gênée dans ses cheveux sous le compliment.
« J'ai juste_ commença-t-elle.
- Tu as juste accompli quelque chose qui m'a pris des années, oui ! la coupa-t-il en éclatant de rire.
- Avec tes directives, crut-elle bon d'ajouter.
- Allons ! Tu sais parfaitement qu'elles étaient pratiquement inutiles !
- C'est faux, le défendit-elle. Et puis, tu n'avais personne pour te l'apprendre...
-Il est vrai qu'Idras n'a pas pris la peine de le faire... songea-t-il à haute voix, la main sur le menton. On s'arrête ici pour le moment. Je crois que cette réussite est suffisante pour aujourd'hui, non ? »
Une réussite... Comment l'interpréter autrement ? Elle s'était effacée complétement et cela sans ressentir la moindre douleur. Mais il y avait tout de même un point noir... Cette voix et ces ténèbres qui l'avaient envahie... Drakaïs se ressaisit. Cela devait être une de ses visions, rien de bien grave. Elle finit par approuver le Démon d'un hochement de tête. Sa bonne humeur s'agrandit.
Le repas fut simple. De la viande séchée avec du pain dur. Rien de bien extraordinaire, mais ils n'avaient pas pris la peine de s'arrêter à un village dernièrement, et la nourriture qu'ils avaient était donc plutôt vieille.
Les deux Dragons observaient les braises du feu qui rougeoyaient doucement dans la nuit. Drakayn se leva et rajouta une bûche qui provoqua une explosion d'étincelles et de crépitements.
« Eh bien... Il serait peut-être temps de penser à aller se coucher... », murmura-t-il d'une voix pâteuse.
Pour toute réponse, Drakaïs laissa échapper un bâillement retentissant.
« Nous sommes bien d'accord. », acquiesça-t-il en ricanant. Il se leva et s'étira comme un félin.
« Dors. C'est moi qui prends le premier tour de garde ce soir. »
Elle s'apprêtait à protester, mais comme il s'y attendait, il ajouta :
- Ne crois pas que je n'ai pas remarqué ton petit jeu... Tu retardes le plus longtemps possible le moment de t'endormir. Je sais pourquoi, mais cela ne t'avancera à rien. Les cauchemars seront toujours là à t'attendre et tu ne pourras pas tenir éloigné le sommeil éternellement, partenaire.
Drakaïs faillit rétorquer autre chose, mais préféra s'abstenir .Peut-être que cette nuit, elle n'aurait pas à revivre une énième fois cette scène... Peut-être qu'elle allait passer une nuit paisible...
Pourtant au fond d'elle-même, elle savait que ce n'était pas le cas. Et ce fut en fixant le ciel étoilé et la lune qu'elle sombra peu à peu dans l'inconscience, le cœur rempli d'appréhension.
∞
Drakayn regarda la jeune fille avec tendresse. Elle dépassait toutes ses espérances. Ses talents cachés étaient des plus intéressants.
Elle s'agita dans ses couvertures, comme chaque nuit elle le faisait. Il fronça les sourcils. Cela avait commencé deux semaines auparavant et chaque soir c'était la même rengaine. Ses cauchemars la torturaient. Il aurait aimé qu'elle lui en parle, mais ce n'était pas le cas, et jusqu'à présent, il avait donc préféré se taire. La Draconique était forte, cela il n'en doutait pas, mais les démons de son passé l'ébranlaient énormément. Il savait ce que cela faisait. Après tout, il avait déjà vécu une expérience similaire.
Ces mauvais rêves étaient abominables. Il détestait ne pas pouvoir l'aider lorsqu'elle les faisait. Il aurait voulu qu'elle n'ait pas à subir cela mais c'était impossible avec le passé qu'elle avait.
Il l'avait vu hurler et même pleurer pendant qu'elle dormait, et il n'avait rien pu faire pour la calmer.
Il n'y avait rien de plus frustrant.
Elle commençait à gémir et à se débattre dans sa couche. C'en fut trop pour lui.
Il s'accroupit à côté d'elle et la secoua délicatement. Il murmura son nom puis se mit à le dire plus fort pour qu'elle se réveille. Et pour une fois, il eut un résultat. Elle ouvrit les yeux avec panique et se redressa brusquement, son torse se soulevant violemment.
« C'est bon... », lui chuchota-il.
Elle avait le regard apeuré.
« C'est fini. »,continua-t-il.
Elle ne semblait pas entendre les paroles apaisantes de Drakayn.
« Drakaïs ! »
Cette fois, elle se calma et le fixa d'un air perdu.
« Encore tes cauchemars, n'est-ce pas ? »
Elle ne répondit rien. Il soupira. Ce n'était pas comme s'il s'attendait à ce qu'elle s'ouvre à lui, mais se serait pourtant la meilleure chose à faire.
« C'est toujours le même depuis deux semaines... », murmura-t-elle finalement d'une petite voix.
Drakayn se tut. Il ne voulait pas prendre le risque qu'elle se referme sur elle-même alors qu'elle abordait pour la première fois ses hantises avec lui.
« Je ne sais pas pourquoi cela m'arrive... C'est la même scène. Encore et encore. Elle se déroule devant moi. Je sens tout. L'odeur du sang, le bruit des pleurs... Tout. Ce n'est pas qu'un simple cauchemar. C'est un souvenir. »
Il se décida à parler.
« Je sais ce que cela fait. Tu peux me croire. J'ai vécu la même chose un jour. En discuter m'a beaucoup aidé. »
Elle enferma son visage dans ses mains crispées.
Alors, elle commença son récit.
∞
Drakaïs s'écroula au sol, Drags sur son dos. La puanteur du sang était partout. Elle la sentait sur son corps et par terre. En de longs filets vermeils, le sang s'écoulait de Drags, qu'elle portait sur son dos. Comment allaient-elles s'en sortir ? Sa mère n'était plus là pour les protéger et sa sœur était inconsciente, au bord de la mort. Qu'allait-elle pouvoir faire ? Elles étaient dans une forêt. Drakaïs ne pouvait dire depuis combien de temps elle errait dans ces bois, trainant Drags avec elle.
Ses yeux se mirent à lui piquer. Mais elle tint bon. Il ne fallait pas qu'elle pleure. Elle devait être forte. Elle était la seule qui pouvait protéger sa sœur. Elle l'avait déjà fait en s'échappant et elle était prête à le refaire. Drags et elle rejoueraient ensemble. Elles feraient de nouveau les mêmes bêtises. Drags survivrait. Elle devait survivre.
Car sinon, Drakaïs serait seule.
Elle rampa jusqu'à l'arbre le plus proche et s'adossa contre son tronc immense, posant sa sœur à côté d'elle. Les villageois étaient-ils à leur recherche ? Elle ne le savait pas. Sa sœur remua et ouvrit les yeux.
« Drags !
- Tu es bruyante, Drakaïs...,dit-elle en crachant du sang.
- Drags !, fit de nouveau Drakaïs avec plus d'inquiétude dans la voix.
- Dis... Tu...pourrais me raconter une histoire ? Tu sais... celle que maman avait l'habitude de nous faire avant qu'on aille se coucher..., souffla-t-elle faiblement.
- Pas de problème ! », déclara Drakaïs, la voix fébrile.
Drakaïs sentait les larmes qui coulaient sur ses joues.
« Il était une fois, dans un pays très lointain, un jeune homme des plus malheureux. Tout le monde le haïssait et il n'avait aucune famille et amis. On l'insultait et le frappait, sans qu'il n'en sache la raison. Un jour, on le battit si violemment qu'il faillit en mourir et une femme s'interposa entre lui et ses agresseurs. Ils reculèrent avec respect. En effet, c'était la princesse du royaume et on avait une grande estime pour elle. Sa gentillesse était reconnue dans tout le pays. Elle recueillit le malheureux et lui offrit une vie dont tout le monde rêvait. Peu à peu, ils tombèrent fou amoureux l'un de l'autre et l'homme trouva enfin la joie. Hélas, le souverain d'un pays voisin, jaloux de leur bonheur, décida de livrer une guerre sans merci au royaume. Il tua la princesse et s'empara de son trône. Notre héros fou de douleur, fut emprisonné dans la prison la plus inviolable qui soit : le Néant. »
Drakaïs fit une pause dans son histoire.
« Tu m'écoutes toujours, Drags ? »
Sa sœur ne bougeait plus.
« Oui, continue.», croassa-t-elle finalement.
Drakaïs renifla bruyamment et reprit son récit :
- Là-bas, ivre de vengeance, il chercha par tous les moyens à s'échapper. Et il réussit. Grace à l'aide d'une mystérieuse personne, il trouva la clé du Néant et ouvrit les portes du monde ténébreux. Mais la malédiction de la prison avait fait son œuvre. Il avait perdu le fil du temps, et alors qu'il pensait que cela ne faisait que quelques mois qu'il était retenu en captivité, il se rendit compte que ce n'était non pas des mois qui s'étaient écoulées, ni mêmes des années ou des décennies, mais des siècles. Le pays et son ennemi pour lesquels il vivait n'étaient plus. Cela le brisa. »
Nouvelle pause.
« Tu es encore là, Drags ? »
Sa sœur hocha la tête. Son torse se soulevait de plus en plus faiblement.
« Alors, la personne qui l'avait aidé à quitter le Néant apparut devant lui. Elle lui vint en aide une nouvelle fois. Elle lui affirma que s'il arrivait à atteindre la lune, son souhait le plus cher serait réalisé. L'homme n'avait plus rien à perdre et décida de suivre ses conseils. Il commença à élever une tour, mais bientôt, il ne trouva plus de pierre pour la construire. Il tenta ensuite de construire une machine qui pourrait le porter à son but, mais elle n'allait jamais assez haut. Alors, il usa de la magie pour lui permettre de voler. Des ailes lui poussèrent et il put enfin atteindre son but. Une fois à côté de l'astre, les Dieux se matérialisèrent et lui demandèrent quel était son souhait. Il délivra son vœu : il voulait retrouver son amour. Les Dieux l'exhaussèrent et il retrouva le bonheur. Dis, tu sais ce que j'aurais fait à sa place ? »
L'odeur salée de ses larmes envahissait son odorat.
« J'aurais demandé que tout redevienne comme avant. Que maman soit toujours là, et qu'on s'amuse ensemble dans les champs. Et toi, qu'est-ce que tu aurais demandé ? »
Elle n'eut aucune réponse.
« Drags ? », insista-t-elle.
Toujours rien.
Sa sœur ne respirait plus. Elle était pâle comme la Mort et une grande flaque écarlate s'étalait à ses pieds.
« Drags ! », cria-t-elle en pleurant.
Elle secoua le corps sans vie de sa sœur qui pendait mollement entre ses bras.
« Ne me laisse pas ! »
Elle ne voulait pas être seule. Qu'allait-elle pouvoir bien faire sans elle ?
« Drags ! », hurla-t-elle une dernière fois.
C'était fini. Drags était morte. Drakaïs avait perdu tout ce qu'il lui était le plus cher. Elle n'avait plus rien mis à part sa souffrance.
Elle éclata en sanglots en caressant délicatement les cheveux de sa sœur ainée.
Drags ne sourirait plus jamais, ne lui parlerait plus jamais, ne la taquinerait plus jamais, ne serait plus jamais là.
« Ne pars pas... S'il te plait... », murmura-t-elle.
Elle aurait tellement aimé que tout cela ne soit qu'un cauchemar. Mais c'était la dure réalité. Elle leva les yeux au ciel et à travers les branches des arbres, elle aperçût une lumière familière. La lune.
Et elle sut ce qu'il lui restait à faire.
∞
Drakaïs pleurait mais elle s'en fichait. Elle n'avait pas la force d'essuyer ses larmes. Elle n'en avait pas envie. Elle se sentait soulagée d'avoir parlé, de s'être délivrée de ce fantôme du passé.
Drakayn avait sa main posé sur l'épaule de la Draconique. Elle ne l'avait pas senti pendant qu'elle lui racontait son récit.
« Mon père est mort assassiné. », déclara Drakayn de but en blanc.
Elle releva la tête pour le dévisager. Il observait le lointain, voyant des choses qu'elle ne pouvait percevoir.
« J'étais complétement obnubilé par la vengeance. Je ne vivais que pour cela. »
Elle ne dit rien. Il avait donc perdu un être cher lui aussi...
« Donc, je sais ce que tu ressens. Regarde-toi aujourd'hui. Tu n'es pas seule. Loin de là. Moi non plus d'ailleurs... J'avais Fergon avec moi et cela a tout changer. »
Désormais, le Démon observait les flammes et elles se reflétaient dans ses yeux écarlates.
« Tu es comme moi, Drakaïs. C'est lorsque tu es accompagnée que tu révèles ta vraie nature. En ce sens, on peut dire que tu me ressembles !
- Je vois, chuchota-t-elle en reportant son attention sur le feu. Mais il y a une chose que je ne comprends pas... −Elle enfouit son visage dans ses bras fins.− Il y a encore récemment, je ne pensais presque jamais à Drags et ma mère... Et pourtant, tout ressurgi, comme si mon passé venait me narguer... J'ai l'impression que ces douze dernières années n'étaient qu'un rêve et que c'est seulement maintenant que je me réveille... »
Il y eut un court silence entre eux que Drakayn brisa :
- Je te l'ai déjà dit, il y a des choses que l'on ne peut comprendre et c'est peut être mieux ainsi. Ne le penses-tu pas ?
Un long moment s'écoula tandis qu'il attendait la réponse de la Draconique. Il sentit qu'elle appuyait sa tête contre son épaule.
« Drakaïs ? »
Il comprit qu'elle dormait. Il la contempla comme il l'avait fait pendant son coma chez les Enfants de Gaïa. Elle avait les cils courts mais ils étaient épais. Sa peau était hâlée, mais toujours pâle par rapport à la sienne. De longues mèches rousses tombaient devant ses yeux. Il les écarta délicatement. Elles étaient plus douces qu'il ne l'imaginait...
Il installa la jeune fille dans ses couvertures. Ce soir, ce serait lui qui assurerait la garde. Un petit sacrifice qu'il pouvait bien se permettre pour elle. Maintenant qu'elle s'était confiée à lui, elle passerait de meilleures nuits. Les mots étaient le meilleur des remèdes.
Il n'en avait pas encore parlé à Drakaïs, mais il croyait avoir trouvé la cause de ses cauchemars ou de ces visions du passé accompagnées du mal de tête qu'elle lui avait décri.
Un sort d'oubli. Il ne voyait que cela... Quelqu'un avait préféré oblitérer les souvenirs qu'elle avait concernant sa sœur et sa mère. Il se doutait que cela avait dû être pour son bien, après tout, elle avait perdu sa famille très jeune et cela avait dû être un horrible traumatisme pour elle...
Mais les personnes pouvant user d'une telle magie étaient rares et encore plus celles qui arrivaient à se sortir d'un tel sort... Qui pouvait bien avoir fait une telle chose ? Quant à Drakaïs, même s'il commençait à la cerner de plus en plus, il y avait toujours une grande part de mystère en elle...
Lui parler de son père avait ravivé des douleurs enfouies en lui, mais aussi une grande haine. C'était peut-être il y a un siècle, mais il n'avait pas oublié la promesse qu'il s'était fait... Oui, malgré ce qu'il avait dit à Drakaïs, venger son père était toujours son obsession...
Après tout, il avait juste fait mine de l'oublier pour rassurer Fergon...
Note de l'auteur: Hey les gens :D ! Je vous avez dit que je posterai le prochain chapitre prochainement ;) ! Au fait, je suis trèèèèès contente ! J'ai eu des commentaires :D ! Alors merchi milles fois à Whitevador et ArgantaelLesEcrit pour leur commentaires qui sont trop choupis mimis trop meugnons (on a tous l'image de la grand mère qui vous tripote les joues en tête ? Bien. Objectif atteint.) *kof kof* Un peu plus de sérieux. Un grand merci à eux :D ! Et que ça n'empêche pas d'autres de faire de même :) !
Donc, que dire de ce chapitre...sinon que c'est le plus long ! Un bébé de 18 pages ! Le plus long de tous les chapitres que j'ai posté et -attention !- que j'ai écris (juste pour vous dire, j'ai de la marge, je vais commencer le chapitre 25 :D !) ! Bon, alors, là aussi on apprend pas mal de choses... Notamment sur la magie et sur nos deux héros ! Pour la magie, je me disais qu'il était peut-être temps de l'introduire... Et pour notre Drakaïs, la boucle est bouclée, comme on dit ! Donc ne vous inquiétez pas, plus de scènes déchirantes avec elle (notez bien: avec elle !) ! Et Drakayn... a aussi vécu un drame. Yup. Oh oh ! J'allais oublier ! La "voix" que Drakaïs a entendu (Oui oui, une autre. Je vais finir par l'appeler Jeanne D'Arc si ça continue...), retenez là, elle a son importance ;) !
J'ai hâte de poster le prochain chapitre ! Car un personnage que j'apprécie énormément va faire son entrée ! Et nos deux héros arriveront à Quantamoniam ! *claque des mains d'un air excité* ça va swinguer !
A la prochaine :D !
Ps: *relis sa note et hoche la tête* Je m'améliore !
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