Chapitre 4

Drakaïs n'avait pas vraiment réfléchi lorsqu'elle avait accepté l'offre d'Idris. Elle avait fait cela sur le coup de l'émotion, sur le coup d'une impulsion soudaine. Son esprit, à ce moment-là, était embrouillé par une foule d'idées confuses.

Et tandis qu'elle s'interrogeait, elle ne se rendit pas compte que ses pas l'avaient menée directement à la tente de Drakayn. Celui-ci ... Certes, Idras lui avait dit qu'il lui servirait volontiers de guide, mais Drakaïs n'avait toujours pas avalé sa petite excursion dans son âme ... De plus, son attitude après son geste déplacé lui avait paru des plus étrange.

Elle resta immobile devant l'entrée, attendant elle ne savait quoi. Elle aurait du mal désormais, à avoir une conversation plutôt amicale avec lui ... Elle hésitait. Après tout, elle n'était pas vraiment obligée d'avoir un guide pour visiter le camp, non ? Et puis, Drakayn avait l'air d'être absent. Alors qu'elle était sur le point de tourner les talons, une main se posa fermement sur son épaule et une voix inconnue l'interrogea :

- Tiens ! Mais tu n'étais pas avec Drakayn tout à l'heure, toi ?

Drakaïs se retourna d'un bloc. Le Draconiaque qui se tenait devant elle lui était vaguement familier...

« Si ...

- Ah c'est bien ce qui me semblait ! », s'exclama-t-il avec chaleur.

Maintenant cela lui revenait. C'était le soldat que Drakayn avait salué pendant qu'il la conduisait à Idris.

« Et donc, que puis-je pour toi ?

- C'est plutôt à moi de te demander ça. Tu cherches Drakayn ?

-Pas vraiment ... En fait Idras m'a dit qu'il pourrait peut-être me faire visiter les parties principales du camp.

-Sauf qu'il n'est pas vraiment disponible pour le moment ... »

Le Draconiaque sembla réfléchir un instant. Puis, soudainement, il prit le bras de Drakaïs et l'amena avec lui en disant :

-En attendant qu'il revienne, que dirais-tu de passer quelques temps en ma compagnie... ?

Il laissa délibérément sa phrase en suspens, attendant de sa part la réponse qui pourrait la combler.

« Drakaïs.

- Oui, alors Drakaïs, qu'en penses-tu ?

- Pourquoi pas ... », fit-elle, une note d'hésitation dans la voix.

Il l'entraina alors à sa suite, toujours en lui tenant le bras fermement.

« Au fait ... »

Il la regardait, un sourire éclatant sur les lèvres:

- Enchanté de te rencontrer Drakaïs, je suis Fergon !

Elle n'avait pas vu un tel sourire depuis la mort de Drags et elle lui rendit la pareille naturellement, sans y réfléchir. 

Il lui fit traverser le camp tout en lui présentant les aménagements qui la concernaient. Les tentes dédiées aux Draconiques étaient situées de l'autre côté du camp, au contraire de celles des Draconiaques qui étaient à l'extrême opposé, soulignant davantage les problèmes qui les séparaient. Drakaïs fronça ses sourcils d'un air exaspéré face aux regards haineux que les Draconiques leur jetaient. Contrairement à elle, Fergon ne semblait pas le moins du monde gêné, et adoptait la même réaction de Drakayn : l'indifférence totale.

Drakaïs repensa à la façon dont Fergon et Drakayn s'étaient salués plus tôt dans la matinée. Ils avaient eu l'air complices.

« Tu connais Drakayn depuis longtemps ? lui demanda-t-elle au bout d'un moment.

- Oh oui ! Je me le coltine depuis l'enfance, répondit-il en ricanant.

- C'est donc pour ça que vous êtes aussi proches ... constata-t-elle.

- Hum ? Ça se voit tant que ça ? »

Il regarda la Draconique, et vit sur son visage la réponse qu'il attendait.

« Effectivement ... reprit-il. A vrai dire, je le considère comme mon frère, et je crois que c'est pareil pour lui ».

Cette phrase l'amena à penser directement à Drags. Comment aurait été sa sœur ? Une incroyable beauté pleine d'entrain, sans aucun doute...

Fergon remarqua que Drakaïs s'était fermée sur elle-même, et pour briser ce court silence qui s'était installé entre eux, il lui demanda en toute innocence:

- Et toi ?

Drakaïs leva la tête.

« As-tu grandi avec quelqu'un qui t'est cher ? »

L'image de sa sœur apparut dans son esprit.

« Ma sœur. Elle est morte, répondit-elle brutalement avant même qu'il n'ait pu poser d'autres questions.

- Ah ... Désolé, cela a dû raviver quelques souvenirs douloureux...

- J'ai plus de bons souvenirs avec elle que de mauvais », expliqua-t-elle mélancoliquement.

Fergon décida de mettre un terme à cette discussion en lui proposant de lui montrer la partie du camp où les soldats s'entraînaient.

Sur le chemin, ils croisèrent de nombreux soldats Draconiaques, et pas un seul ne passa à côté de Fergon sans le saluer respectueusement d'un signe de tête. Drakaïs en conclut que Fergon devait avoir lui aussi, comme Drakayn, une place importante dans la hiérarchie des Draconiaques.

Lorsqu'ils arrivèrent, Drakaïs, ne fut pas surprise de voir la diversité d'armes disponibles. Le fracas des épées qui se heurtaient violemment, le bruit des cordes qui se détendaient pour laisser filer les flèches, et tous ces autres sons qui lui étaient familiers, la renvoyèrent loin dans le passé.

C'était un camp d'entraînement différent. Elle voyait d'autres soldats combattre, mais seul un attirait son regard. Il n'appartenait pas à cette vision du passé. Il n'était que boule d'énergie affrontant un adversaire plus faible que lui. Tel une tempête, il abattait son épée avec toujours plus de force. Une nouvelle image se superposa, et l'homme disparut.

Elle tenait un arc plus grand qu'elle, et la cible devant elle semblait la narguer. Ses petites mains, devenues celles d'une enfant, tremblaient sous le poids de l'arc. Elle devait faire mouche. Elle voulait faire mouche. Elle sentait cette main apaisante qui venait de se poser sur son épaule, qu'elle connaissait tant, qui lui conseillait de faire le vide de toute émotion en elle. Oui, elle avait l'impression de sentir cette paume toujours chaude et remplie de gentillesse. Là, tout près. Et lorsqu'elle lâcha sa flèche, elle partit se ficher droit dans le centre de la cible.

Pourtant, lorsque qu'elle cessa de se remémorer ces souvenirs, et qu'elle ouvrit finalement les yeux, elle se rendit compte que c'était la main de Fergon qui était posée sur son épaule, et qu'il la regardait avec inquiétude. Et l'homme qu'elle avait aperçu dans ce déferlement de souvenirs bruts n'était autre que Drakayn en pleine session d'entraînement.

Drakaïs en fut complétement décontenancée. C'était la première fois qu'une telle chose lui arrivait. Elle murmura un léger « Je vais bien.» à Fergon, et ses épaules se détendirent sous le coup du soulagement.

Une migraine commençait à pointer dans sa tête, mais elle préféra se concentrer sur le combat de Drakayn.

Il était excellent à l'épée. Sans aucun doute meilleur qu'elle ne l'était pour le moment. Ses mouvements, fluides et vifs, ne laissaient presque aucune chance à son opposant. Il finit par le désarmer d'un bref mouvement du poignet, après une série d'offensives que le pauvre soldat n'avait pu que subir.

Drakaïs croisa le regard de Drakayn. Il était dénué d'émotion. Il lui rappelait celui d'un autre ... Un homme qu'elle avait déjà rencontré, mais dont elle n'arrivait pas à se rappeler. Dans son esprit, les contours de son visage étaient flous, et seul son regard d'un bleu intense apparaissait clairement. Un regard où aucun sentiment ne perçait. Un regard qui en devenait presque effrayant. Et alors que son esprit allait enfin trouver d'où lui venait cette étrange certitude, son mal de tête s'intensifia. Drakayn, remarquant son malaise, s'apprêtait à les rejoindre, Fergon et elle, lorsque les deux patriarches apparurent.

Tous les combats en cours cessèrent dès leur arrivée, et un silence rempli de respect envahit le lieu.

Drakayn était désormais aux côtés de Drakaïs, et c'est d'un ton inquiet qu'il lui demanda :

- Eh, ça va ?

Il posa sa main sur son bras, et Drakaïs se dégagea d'un bref mouvement d'épaule.

« Pourquoi cela n'irait-il pas ? »,répondit-elle d'une voix rauque.

Sa migraine s'amplifiait un peu plus à chaque instant. Elle entendait son cœur battre, tel un tambour de guerre, plus fort, et encore plus fort.

Plus elle continuait à chercher au fond de ses souvenirs pour se rappeler de l'identité de l'homme aux yeux bleus, plus elle avait l'impression de se rapprocher d'une chose qui lui échappait, et dont elle ne pouvait mesurer l'importance.

La révélation n'eut pas l'impact qu'elle avait imaginé, mais ne la laissa pas de marbre.

Ces yeux bleus ... D'un bleu surnaturel, presque maudit ... C'étaient ceux de l'être qui l'avait attaqué dans la forêt ... Elle en était sûre. Alors pourquoi son visage lui était-il toujours interdit ? Lorsqu'elle le revoyait dans sa tête, l'imaginait dans la forêt, elle n'avait aucun mal à voir ses traits. Pourtant, quand elle essayait de voir ce même visage dans le souvenir que les yeux de Drakayn avaient fait émerger, son image avait l'air ... de glisser. Quand elle pensait l'avoir à portée, il disparaissait à nouveau, lui causant alors une douleur affreuse. Et malgré cela, elle continuait de chercher. Car au plus profond d'elle-même, une petite voix lui soufflait que c'était essentiel.

« Arrête. Tu te fais du mal pour rien. Il n'est pas encore temps que tu te rappelles, petit Dragon. »

La voix, la même que celle qui lui avait ordonné de raconter son mensonge, venait de s'éteindre, ne laissant qu'un léger écho dans sa tête. Petit dragon ... Il n'y avait qu'une seule personne à l'avoir nommé ainsi ... L'homme aux yeux bleus ! Qu'est-ce que cela pouvait bien signifier ? Se rappeler ? Mais de quoi ?

Drakaïs se rendit compte que depuis qu'elle s'était renfermée dans ses pensées, des choses s'étaient produites à l'extérieur. Et cela devait être important, vu l'attitude de Drakayn à ses côtés.

Les deux Patriarches se tenaient sur une estrade, et leur discours tenait en haleine tous les Draconiques et les Draconiaques présents.

Ils parlaient d'une voix forte, chacun leur tour.

« Mes frères, mes sœurs, l'heure est grave. Pour laver l'affront qui nous a été fait, nous avons décidé de nous allier à nos vieilles connaissances : les Draconiaques. », commença Idris.

Des grognements s'élevèrent du côté des Draconiques et des Draconiaques. Idris les ignora, et continua son discours, Idras toujours à ses côtés, observant l'assistance de son regard vermeil :

- Mais je vois bien, nous voyons très bien, que l'entente n'est pas au rendez-vous ...

Il laissa Idras prendre la parole :

- Nous avons certes eut des querelles dans le passé_

- Des querelles ? Je n'utiliserais pas ce mot !, s'exclama un Draconique en lui coupant la parole.

Des murmures approbateurs lui répondirent. Mais ces murmures se turent bien vite sous le regard sévère des deux patriarches.

« Mais, nous sommes désormais alliés, et vous avez besoin de nous, reprit-elle avec agacement. Osez me contredire, et mes troupes et moi lèveront le camp immédiatement ! »

Elle balaya la foule de ses yeux où on pouvait désormais voir une lueur de colère.

Un silence, qu'elle apprécia, s'installa.

« Bien, c'est déjà ça.», pensa la matriarche.

Idris reprit la parole :

- L'ambiance dans ce camp ne peut plus durer ! Vous agissez comme des irresponsables ! Mais j'espère que cela ne durera pas plus longtemps ... Et pour vous aider à y remédier, j'ai eu une idée. Chaque Draconique, chaque Draconiaque ici présent, formera une paire avec un autre de l'espèce différente.

Une explosion de mécontentement lui répondit.

Idris sentit sa patience se craqueler.

« Je ne crois pas avoir demandé votre avis ! Nous sommes en guerre je vous le rappelle ! On ne peut pas se payer le luxe de faire comme bon nous semble ! Je ne peux pas me payer ce luxe !

- De plus, nous en avons plus qu'assez de cette ambiance abominable ! Si vous voulez avoir la moindre chance de remporter cette guerre, de remporter même une seule bataille, vous devrez faire plus d'effort que cela ! Alors serrez-vous les coudes, bon sang ! Du nerf ! reprit Idras.

- Vous pouvez haïr votre partenaire, nous haïr si cela vous chante, mais plus jamais nous ne voulons entendre parler d'une quelconque dispute entre Draconique et Draconiaque ! Dois-je vous rappeler pour quelle raison nous sommes ici ? Dois-je vous rappeler ce qui est en jeu ? Alors j'espère que nous avons été bien clairs ! »

La tension était électrique. Drakaïs retenait son souffle, ne sachant pas ce qui allait bien pouvoir ce passer ensuite. Les deux patriarches avaient enfin décidé d'agir, mais ce qui l'inquiétait, c'était qu'elle venait à peine d'arriver et qu'elle ne connaissait pratiquement personne ... Et alors qu'elle se demandait avec qui elle allait bien pouvoir se mettre, Idris reprit la parole :

- Si nous vous obligeons à faire cela, ce n'est pas seulement pour améliorer l'ambiance, mais aussi pour renforcer nos liens, pour nous rendre plus fort. Vous devez comprendre que nous n'avons aucune chance de gagner une bataille, et donc encore moins une guerre, si nous ne sommes pas soudés ! Nous avons donc décidé de vous forcer la main.

Idras laissa résonner les paroles d'Idris avant de reprendre :

- Apprenez à vous connaître. Apprenez de chacun. Ne restez pas fermés sur vous-même, oubliez les différents qui nous ont opposés ... Dites-vous que nous avons le même objectif à présent et que travailler ensemble sera la meilleure des façons d'y parvenir. Bien, pour ceux qui mettent de côté leur ressentiment, et qui se demandent en quoi consistera le rôle de votre partenaire, sachez que vous devrez le choisir avec le plus grand intérêt. Lors des combats à venir, il sera votre principal allié. Vous ne devrez jamais le perdre de vue. Vous veillerez l'un sur l'autre.

Et à Idris de continuer, les bras croisés et la mâchoire crispée, joignant sa voix à celle d'Idris :

- Chaque personne ici sait de quel être nous sommes issus ...

Drakaïs tendit l'oreille.

« Les Dragons ! » s'exclama la foule d'une seule voix.

A côté de Drakaïs, Drakayn ricanait et Fergon toussota à son intention en lui jetant un regard noir.

« Drakayn, ne pense même pas une seconde à faire ça ... », gronda-t-il.

Drakayn leva les bras pour montrer son intention, comme pour dire « Pas de danger, je me contrôle. ».

Drakaïs fronça les sourcils à son intention, mais il haussa les épaules, et pointa du menton Idras et Idris, en mettant un doigt sur ses lèvres.

Les deux chefs se dirigeaient vers eux.

Les troupes s'écartaient sur leur chemin, signe d'un grand respect, ou peut-être d'une grande autorité ...

Quand ils furent à leur côté, Fergon se redressa, Drakayn se figea dans une pause presque ... arrogante. Drakaïs soupira. Elle ne le connaissait pas depuis longtemps, mais elle pouvait déjà dire quel type d'homme il était ... Ce genre d'homme provoquant, qui n'avait pas froid aux yeux ... et elle devait admettre que cette attitude lui allait comme un gant !

Et alors que tous s'attendaient à une remarque envers Drakayn, ils furent tous surpris de voir Idras dire à Drakaïs gentiment :

- As-tu pensé à un partenaire Drakaïs ?

- Pas vraiment ... dit-elle en hésitant devant les yeux de Drakayn qui s'étaient posés sur elle.

- Hum ... Jolie comme tu es, tu ne devrais avoir aucun mal à en trouver un ! dit-elle en explosant de rire devant sa mine déconfite.

Et le regard de Drakayn qui se faisait toujours plus pénétrant ... Cela en devenait presque perturbant ...

« Elle en a déjà un. »

La voix de Drakayn s'était élevée, haute et clair.

« Moi.», continua-t-il.

Les yeux de Fergon s'étaient ouverts comme des soucoupes devant sa déclaration.

« Oh ? C'est surprenant Drakayn ! J'aurais pensé que tu te serais débattu face à nos exigences ! Un changement devançant une prochaine tempête de ton mauvais caractère ?, ricana Idras avec un sourire narquois.

- Qui sait ... répondit-il mystérieusement.

- Tu es sûr de ton choix ? Même si ces mots me coûtent, tu es l'un de nos meilleurs combattants, et Drakaïs vient à peine d'arriver. Nous ne connaissons donc pas ses compétences ... Sans vouloir te vexer Drakaïs, déclara Idris.

- Eh bien, nous n'avons qu'à faire un duel, dit-il avec triomphe, vous verrez bien alors de quoi elle est capable. »

N'avait-elle donc pas son mot à dire là-dedans ? Elle fut sur le point de rétorquer quelque chose, et se ravisa, l'ombre d'un sourire flottant sur ses lèvres. Un combat, quoi de mieux pour montrer à Drakayn tout son ressentiment envers lui depuis qu'il avait observé son intimité la plus profonde ?

Drakaïs s'avança, Drakayn à sa suite. La Draconique dégaina son épée et Drakayn prit celle qu'il avait plantée dans le sol à la fin de son entrainement.

Le Démon, en passant près d'elle, lui chuchota à l'oreille :

- Depuis que tu as pointé ta lame sur moi, je me suis toujours demandé ce que tu valais à l'escrime ...

Il se plaça devant elle, se mettant en garde.

Un petit cercle de curieux s'était déjà formé autour d'eux, murmurant des propos qu'elle n'entendait pas. Sûrement des paris. Mais tout ce qui comptait désormais, c'était Drakayn, devant elle.

Il s'était positionné, la lame en avant, pratiquement aucune faille dans sa garde. Quant à Drakaïs, elle tenait son épée avec fermeté, attendant le meilleur moment pour commencer cette joute avec lui. Une joute qu'elle avait envie de remporter, même si elle se réjouirait d'en sortir seulement indemne ! Les deux adversaires se toisaient, attendant respectivement que l'autre se jette sur lui.

Puis au bout de longues minutes, Drakaïs s'élança. Elle fut sur lui avec une rapidité foudroyante, et Drakayn l'admira pour cela.

Drakaïs feintait, frappait avec force et célérité, mais la garde de Drakayn était impénétrable et aucun coup ne l'atteignait. Drakayn n'avait fait qu'encaisser les attaques, et Drakaïs appréhendait le moment où se serait lui qui mènerait l'offensive. Elle ne lui laissait donc aucune chance de la frapper. Mais chaque choc entre leurs épées la fatiguait un peu plus, et elle comprit que c'était la tactique de Drakayn depuis le début. Elle s'arrêta volontairement un léger temps après avoir tenté de l'avoir au flanc, pour lui faire penser qu'il avait atteint son objectif. Il fit alors un pas vers elle, si rapide qu'elle eut du mal à voir qu'il avait bougé. C'était seulement parce qu'elle avait vu une lumière dans son regard qu'elle avait compris qu'il allait frapper. Fort. Elle eut à peine le temps de parer et d'arrêter sa lame à quelques millimètres de son ventre. Des hurlements s'élevèrent autour d'eux. Un coup de traitre ... Drakayn l'avait testé ... et cela ne lui plaisait pas ! Il avait voulu voir de quoi elle était capable en matière de parade ... Il allait être servi ! Drakayn tapait désormais plus rapidement et fortement, enchainant feintes et discrets mouvements, en tapant toujours à des endroits différents. Chaque attaque était mortelle. Chaque attaque était un défi.

Effrayant. Il était réellement effrayant à cet instant, mais aussi incroyablement fascinant. Il pratiquait l'escrime avec fougue, et tout dans ses mouvements traduisait sa passion et les longues heures d'entrainement qu'il avait enduré pour arriver à ce niveau. Elle avait réellement l'impression de danser avec lui, et toutes ses colères le concernant s'étaient envolées pour ne laisser place qu'à de l'excitation et de l'admiration. C'était la première fois qu'elle prenait un tel plaisir à combattre. Pour elle, cela avait toujours était une nécessité, et non un loisir. C'était juste un moyen de se défendre et de vivre plus longtemps. Plus jeune, cela avait été pour elle un moyen de se défouler, d'exprimer sa haine envers l'injustice de la vie et du monde auquel elle appartenait. Mais ici, c'était différent. Elle se sentait légère, libre, plus rien n'existait, et au vu du sourire de Drakayn, cela devait être la même chose pour lui.

Ils occupaient tout le terrain en sautant, et en parant dans des positions toutes plus extraordinaires les unes que les autres. Leur danse en subjuguait plus d'un. Ils bougeaient en harmonie, et cela faisait bien longtemps qu'un combat n'avait pas duré autant pour Drakayn. D'habitude, il jouait un petit peu, puis se lassant vite, se donnait au maximum et désarmait son adversaire. Et à part avec Fergon, jamais il ne prenait autant de temps face à un combattant. Mais Drakayn décida que le spectacle s'était assez éternisé, et qu'il avait largement montré de quoi était capable Drakaïs. Il accéléra davantage la cadence, et comme prévu la jeune Draconique ne put le suivre davantage. Des blessures légères zébrèrent les bras de Drakaïs et il vit une grimace de douleur traverser le visage de la Draconique. Pourtant, elle s'obstinait à lui tenir tête, alors même qu'elle connaissait l'issu de ce combat.

Drakaïs sentit en elle quelque chose se fissurer, et elle sentit une souffrance profonde au creux de son estomac. Cela n'avait rien à voir avec les blessures que Drakayn lui infligeait. Elle manqua presque de lâcher son épée tellement la douleur était grande. Drakayn le remarqua et recula un instant en l'interrogeant du regard.

Sa vue commençait à se brouiller. C'était vraiment quelque chose de désagréable de voir que tout allait mal, alors que vous voudriez que tout aille bien. Voilà que la tête lui tournait maintenant ... Elle n'allait tout de même pas s'évanouir ?

L'entaille que Drakayn avait provoqué à son bras gauche crachait du sang, et venait couler sur sa main tenant le manche de l'épée. Cette main ... Elle l'observa fugacement. Ou plutôt elle observa la cicatrice qui partait du milieu de son annulaire et qui remontait jusqu'au haut du poignet. Un souvenir douloureux qu'elle tenait du poignard d'un humain qu'elle avait tué, il y a de nombreuses années ...

...Il se tenait devant elle, agenouillé et la suppliant du regard. Mais lui, quand elle l'avait supplié du regard, avait-il cessé de massacrer sa mère ? Non. Alors pourquoi agir différemment ?

Sentant sa fin proche, il prit un poignard qu'elle n'avait pas remarqué et l'enfonça dans la main de Drakaïs. Elle cria de douleur, et la vue de son sang la ramena des semaines en arrière, lorsque sa mère était morte, tant de sang quittant son corps ...

Elle vit rouge. Elle se jeta sur l'humain en criant de fureur.

Et alors, elle le tua. Le déchiqueta.

Les larmes coulaient sur ses joues. Des larmes de colère, de tristesse et de dégout. Elle ne pouvait dire si ce dégout concernait l'humain ou elle-même.

En venant ici, elle avait pensé qu'en les tuant tous, la douleur partirait, que tout irait mieux. Elle se trompait. Tout n'allait pas mieux. Tout était pire.

Alors un hurlement déchirant sortit de sa gorge, et les sanglots vinrent violemment, secouant sa poitrine.

La porte de la cabane s'ouvrit brusquement, et Cerbère fut là.

« Drakaïs ... Qu'as-tu donc fait ? »

Il la regardait avec compassion et déception. Elle aurait aimé lui dire quelque chose, mais elle ne savait pas quoi. La culpabilité était là, mais la haine était elle aussi toujours à sa place. Jamais elle ne l'avait vu la regarder comme cela durant les dernières semaines.

Enfin, une phrase sortit de sa bouche :

- Je suis désolée ...

Ses écailles rouges brillaient, et le sang -ce n'était pas le sien− était partout sur elle. Sur ses griffes, ses crocs, son visage ... Partout.

Il dit alors avec une immense tristesse, tout en la prenant dans ses bras tandis qu'elle pleurait contre son épaule :

- Pas autant que moi ...

Elle avait envie de disparaitre ... Elle se sentait sale ... Elle se sentait comme eux ...

« Tout ira bien ... Drakaïs, je te le promets ... », dit-il en lui caressant les cheveux.

Jamais elle n'aurait cru que son ton -si froid avec elle par le passé− puisse contenir autant de chaleur.

Elle observa sa main poignardée par l'humain, la douleur la traversa soudainement, et elle s'évanouit dans les bras de son gardien.

Encore une fois, le souvenir s'était emparé de son esprit ... Il avait vraiment bien choisi son moment ... La douleur dans son estomac se fit plus rude, la clouant sur place.

Une haine viscérale surgit alors de sa douleur intestine. Une haine dont elle avait dit à Drakayn avoir oublié l'existence. Pourquoi ressurgissait-elle maintenant, à cet endroit ?

Drakayn, croyant que les problèmes de Drakaïs étaient terminés, s'avança lentement vers elle, déterminé à en finir, pour permettre à la jeune dragonne de se reposer. Il n'eut pas le temps de lever sa lame. Drakaïs venait de lui faire une estafilade le long de son bras. Une vilaine blessure ... qui lui infligea une vilaine douleur. Il ne l'avait pas vu venir, celle-là ... L'aurait-il sous-estimée ? Pas le temps de réfléchir, elle s'élançait à nouveau. Son regard était dur. Elle était comme ailleurs, habitée par une rage inexpliquée. Faisant fi de sa souffrance et du sang qui venait empoisser sa main, il se décala sur la droite de Drakaïs et d'un bref mouvement du poignet, qui fit traverser un éclair de douleur dans son bras, il la désarma.

Le combat était terminé. Les applaudissements retentirent, et il vit des Draconiques claquer le dos de Drakaïs pour la féliciter. Au bout de trente secondes, elle fut entourée par un cercle de curieux voulant savoir qui elle était.

Drakaïs revint à elle et regarda le bras de Drakayn avec embarras. Il lui fit un bref mouvement du menton, lui signifiant que ce n'était rien de grave, et se retourna, la laissant à ses activités. Pour le moment, il fallait qu'il fasse soigner son bras... Tout le monde était trop occupé par la nouvelle recrue. Parfait. Il pouvait donc partir sans attirer l'attention. Seul Fergon partit à sa suite, la mine soucieuse.

« Elle l'a traversée, n'est-ce pas ? »

Comprenant qu'il parlait de sa garde, Drakayn répondit d'un ton sombre :

- Oui. Elle est encore plus intéressante que je ne le pensais.

Fergon fronça les sourcils :

-Plus inquiétante, tu veux dire ! Ecoute −il lui prit son bras blessé−,je ne connais que très peu de personnes capables de t'infliger une telle blessure alors que tu es en possession de tout tes moyens !

Drakayn s'écarta.

« Elle n'est pas n'importe qui, et je suis sûr que tu l'as senti, lui murmura Fergon.

- Évidemment ! Je l'ai vu dès que je l'ai rencontré !, s'écria-t-il avec exaspération. Ainsi, tu l'as remarqué toi aussi ? »

Fergon sourit doucement :

- Ce n'est pas quelque chose que l'on peut ignorer, c'est vrai... Tu ferais mieux de ne pas trop la titiller, si tu vois ce que je veux dire ...

- Mais je n'en avais aucune intention. », s'offusqua-t-il faussement.

Drakayn entra dans sa tente et s'assit sur son lit. Fergon s'adossa à un meuble qui se trouvait en face du lit.

« Bandages. », réclama Drakayn.

Fergon les lui envoya en pleine tête. Drakayn le foudroya du regard, et l'intéressé sifflota en levant les yeux au ciel comme pour dire « Ce n'était pas vraiment voulu... »

Il nettoya sa plaie et comme il n'arrivait pas à bander son bras, Fergon soupira, et le fit.

« Alors qu'as-tu pensé d'elle ?, demanda Fergon.

- C'est une bonne escrimeuse, mais elle pourrait être encore meilleure. Comme je te l'ai déjà dit, il y a une chose que je n'arrive pas à saisir chez elle ... Elle voit les choses d'une façon différente ... J'ai jeté un rapide coup d'œil dans son âme, et ce que j'y ai vu ne m'a pas vraiment aidé à comprendre ...

- En tout cas, je comprends mieux pourquoi elle t'en voulait maintenant ... Je parie que tu l'as fait sans la prévenir.», ricana Fergon.

Pour toute réponse, Drakayn haussa les épaules.

Sa mine devint sombre.

« Mais j'y ai tout de même vu une chose ... »

Fergon le dévisagea intensément.

« Une chose qui épaissit le mystère qui l'entoure... Et qui la rend encore plus incroyable et intéressante ... Au début, j'en ai été tellement surpris ... J'en tremblais !, rigola Drakayn.

- Mais qu'as-tu donc vu pour que ça te choque autant ?

- Tu as peut être raison ... Elle est sans doute dangereuse, mais les personnes comme elle ne sont-elles pas les plus irrésistibles? C'était tellement incroyable ...

- Arrête de tourner autour du pot, et dis moi. Qu'as-tu donc vu dans son âme ? », grogna son ami.

Drakayn se leva, faisant soupirer Fergon.

Et alors qu'il allait quitter la tente, il souleva un pan de celle-ci, et souffla avec émerveillement :

- Un Dragon !

Et ce seul mot suffi à leur donné la chair de poule.

Mot de l'auteur: Voila le chap' 4 ! Dans celui-ci, les mystères autour de Drakaïs s'épaississent... Et vous avez eu le droit à une scène d'action ! Alors, dites-moi ce que vous en pensez ;) ! Vos commentaires comptent beaucoup pour moi et ça m'aide à continuer ^_^ !









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