Chapitre 39 (partie 4):

 "Drakayn,

Je n'ai jamais été doué pour les mots et de toute manière, ce n'est pas vraiment mon genre de faire dans les sentiments.

Il y a maintenant plus de cent ans, t'es venu me trouver. Tu m'as trouvé, pauvre gosse naïf qui en attendait trop d'une vieille carcasse brisée. 

Je suis un sale vieux con qui se complaît dans ses tourments, mais je ne suis pas stupide. Je sais bien qu'en refusant de te venir en aide, je me suis privé de la chance de mériter ton affection. Je sais bien que cette lettre n'aura pas d'effet miracle.

Je n'ai jamais voulu de famille, tu sais. J'avais ma harde, c'était suffisant; c'était déjà bien assez emmerdant comme ça. Une famille, tu dois t'en occuper, tu dois prendre tes responsabilités. Et je sais que je ne suis pas un bon père, ni un bon grand-père, que je ne serai jamais ni l'un, ni l'autre. Tu n'as jamais connu ta grand-mère, mais c'était une sacré emmerdeuse. Si j'ai pu, pendant un temps, porter le masque d'un bon père de famille, c'est parce qu'elle me l'avait collé au visage. Son amour, comme cette famille, elle est venue me l'imposer, et je me suis retrouvé fou d'elle sans le réaliser, comme une évidence, inévitable. 

Regarde, je dis que les sentiments ne sont pas pour moi, et pourtant, cette lettre en déborde. C'est bien moi, ça. Toujours à me voiler la face.

Pathétique.

T'as un grand-père pathétique, Drakayn. Je pense que tu l'as compris à présent. Alors ne t'attend pas à de grandes choses de ma part. Tu ne peux pas compter sur moi. Ta grand-mère l'avait compris, je pense. C'est pourquoi elle me menait autant à la baguette. J'étais son pantin, et entre ses mains, elle façonnait quelqu'un de meilleur, je devenais un bon père. Qui sait, je serais peut-être devenu un bon grand-père.

Mais elle est morte, et on ne le saura jamais. Tu vois Drakayn ? J'en reviens toujours à ta grand-mère. Tu ne l'as pas connue, et je me dis souvent que ça aurait dû être moi qui aurait du crever ce jour où les Anges me l'ont prise. Si ça avait été moi et pas elle, elle se serait imposée dans ta vie comme elle l'a fait dans la mienne.

 Elle est partie, je suis restée. Tu dois faire avec ce que tu as, et ce que tu as, c'est moi.

Oui, c'est moi, et maintenant, je me rends compte que je veux faire partie de ta vie. Je ne peux pas être un bon père, encore moins un bon grand-père, mais je veux te côtoyer. Le conflit entre les Draconiques et l'Empire, c'est ma chance pour me rattraper.

Et tu vois, s'il y a bien un truc que m'a appris ta grand-mère, c'est qu'il ne fallait pas attendre les autres avant d'agir. Elle ne m'a pas demandé mon avis avant de s'insinuer dans mon cœur, encore moins quand elle s'est introduite dans ma vie. Alors j'en ai rien à foutre que tu me détestes, que tu veuilles me tuer ou m'éjecter de ta vie. J'en ai rien à foutre, car j'ai toujours fait ce qui me plaisait, sans me soucier de ce que pouvait vouloir les autres. C'est ce que je fais de mieux.

Donc me voilà."

Dans les mains de Drakayn, la lettre tremblait. Il y avait une énergie dans ses doigts. Une énergie pleine de rage et de frustration.

Mais il ne pouvait pas se résoudre à déchirer la lettre en mille morceaux. Et pourtant, il en mourrait d'envie.

Le ciel se teintait d'une couleur bleutée. La nuit s'évanouissait face au jour, et la fête endiablée reculait face au lendemain de soirée. La place remplie de fêtards était désormais habitée par quelques migraineux qui cuvaient sur les tables. Tout le reste avait déserté, et Drakayn avait sorti la lettre d'Onyx, se décidant enfin à la lire.

Il l'avait parcourue une première fois, sans émotion. Puis une deuxième fois, les sourcils froncés. Et une troisième fois, les mâchoires crispées. Et une quatrième fois, une cinquième fois, une sixième fois. Jusqu'à ce qu'il la connaisse par cœur, jusqu'à qu'il sente le goût du sang dans sa bouche.

Enfin, il l'abaissa et posa son regard furieux sur les tables vides qui trainaient devant lui. Une brise froide vint lui ébouriffer les cheveux, et il n'eut pas la force d'écarter les mèches qui vinrent s'éparpiller devant ses yeux.

"Tu crois qu'il en a encore pour longtemps ?", gémit Sin.

Le Démon se tourna vers le Draconique. Sin, la tête dans ses bras, gisait sur la table où ruminait Drakayn. Il souffrait d'une sévère gueule de bois.

Chanceux. Le Draconiaque aurait bien aimé être à sa place. Au moins, il n'aurait pas eu à lire cette saloperie de lettre.

"Même réponse que la dernière fois, Sin: je ne sais pas.", rétorqua Drakayn. 

Ses mains le démangeaient. Ils aurait aimé les serrer, sentir le papier se froisser dans sa paume, entendre cette déchirure libératrice. 

Mais ses mains ne trouvaient pas la force d'être féroces.

"Il avait dit qu'il n'en aurait pas pour longtemps... Et ça fait dix minutes qu'il est parti... marmonna le jeune Draconique, sa voix étouffée par ses bras. J'espère vraiment que son remède de grand mère en vaut la peine..."

Drakayn haussa les épaules, l'esprit ailleurs.

Même pas un pardon. Rien. Un semblant d'explication. Pas plus. Des justifications qu'il devinait. Des excuses floues et confuses. Et quoi ? Drakayn devrait s'en contenter ? Tout pardonner ? Tout effacer ? Tout oublier ? "Cette lettre n'aura pas d'effet miracle". Non, elle n'en aurait aucun.

Tout ce que cette putain de lettre réussissait à accomplir, c'était de lui donner plus de haine et de rage.

Mais est-ce qu'il attendait autre chose ? Il s'était fait avoir, encore une fois. Ces récits héroïques qui avaient bercé son enfance l'avaient aveuglés. Et l'illusion qu'ils diffusaient continuait de le faire halluciner. Onyx le Grand. Onyx le Salaud. C'était du pareil au même à présent. Et pourtant...

Et pourtant, l'enfant en lui se bornait à le regarder avec des attentes, admiratif et émerveillé. Il l'observait encore des étoiles plein les yeux, et voyait encore en lui ce sauveur qu'on lui avait décris toute sa vie.

"Pathétique", avait écrit Onyx.

Drakayn était tout aussi pathétique que lui. Il aurait dû savoir qu'il serait déçu, que cette lettre n'améliorerait rien, qu'au contraire, elle empirerait tout. Mais il était stupide et naïf. L'arrivée d'Onyx, cette attaque héroïque, il avait vu là le fantôme d'Onyx qui habitait ses souvenirs. Il s'était donc permis d'espérer.

Mais l'espoir, c'était pour les cons comme lui.

Du coin de l'œil, il aperçut Fergon qui revenait, le breuvage promis à Sin dans ses mains. Il lui offrit et le jeune Draconique se jeta dessus avec l'énergie du désespoir. Drakayn aurait aimé sourire face à ce spectacle, mais ses lèvres n'arrivaient pas à jouer le jeu. Combien de fois Fergon lui avait-il préparé la même mixture infecte pour soigner une mauvaise gueule de bois ? Trop, sûrement. Mais le souvenir, empreint de bons moments, ne réveillait en lui aucune nostalgie. 

Il crut entendre Fergon l'appeler, son regard braqué sur la lettre. Mais Drakayn ne se sentait pas encore d'humeur à lui en parler. 

Alors il répondit quelques mots vides, dont le sens lui échappait. Fergon ne fut pas dupe; Drakayn le sut en remarquant cette lueur suspicieuse et inquiète dans ses yeux. C'était bien lui, ça, à s'inquiéter pour lui plutôt que pour sa propre gueule...

Et tout à coup, s'en fut trop pour lui.

Un trop plein d'émotions, qui fit trembler ses mains violement et qui lui donna des envies de meurtre. Et sans un mot de plus, il quitta la table, le pas vif, les oreilles sourdes aux appels de Fergon et les yeux durs, qu'il aurait voulu apathiques mais qu'il savait remplis de douleur. Il enfouit la lettre dans l'une de ses poches. Il aurait aimé qu'elle y disparaisse.

Il ne pouvait pas dire combien de temps il marcha,  tandis que quelques rayons de soleil perçaient l'obscurité de la nuit fuyante pour éclairer les rues brumeuses. Il restait focalisé sur cette fureur qui montait en lui, cette souffrance dans sa poitrine et cette haine viscérale.  

Jusqu'à ce qu'il se stoppe en plein milieu d'une rue. Juste devant lui, deux regards, l'un noisette et l'autre émeraude, l'observaient.

Anas et Inviat.

Et d'un seul coup, tous ses démons repartirent dans les cages branlantes qui les retenaient en temps normaux. La diversion parfaite pour les fuir un instant. Il ignora la petite voix qui lui soufflait qu'il fuyait toujours, et qu'un jour, il serait bien obligé de les affronter.

Anas s'accrochait à la main d'Inviat, et les yeux de Drakayn notèrent la façon dont il se cramponnait au Nécromancien. De son côté, Inviat se tenait d'un façon nonchalante, sa main libre à sa faux et son manteau de Faucheur toujours drapé autour de ses épaules.

"Toi ici ! s'exclama Inviat, un large sourire sur son visage pâle. Ah, non, vraiment, j'ai une chance de merde."

Drakayn haussa un sourcil et croisa les bras sur son torse. Et enfin, il remarqua la sacoche dans le dos du gamin des Souterrains et la peur qui noyait son regard. Il était encore plus dur de manquer la froideur du sourire d'Inviat et l'emprise sèche sur son arme.

Il examina rapidement le ciel, encore sombre, même si le jour se faisait un peu plus présent à chaque minute. Les rues vides et silencieuses. Tout le monde dormait. C'était le moment parfait pour quitter la ville sans se faire remarquer.

"Alors quoi, on voulait se faire la malle ?", comprit Drakayn, la voix atone.

Il ne pouvait pas dire pourquoi cela le gênait autant. Mais il y avait quelque chose de louche dans cette affaire. Et le Draconiaque n'oubliait pas le mystère qui entourait Anas, cette aura vampirique qui imprégnait son âme et l'intérêt atypique que lui portait une figure telle que le Mort Vivant.

Inviat resta silencieux et Anas vint se cacher derrière lui. Comme si Drakayn était le grand méchant de l'histoire. La pensée lui fit serrer les poings.

"Les autres savent que vous partez ?"

Encore une fois, pas de réponse. Et ce sourire... crispé et tendu. Drakayn braqua son attention sur la faux, prêt à réagir au moindre geste suspect. Tout à coup, il lui semblait qu'il se trouvait devant un inconnu. La tension rendait le silence étouffant.

"Qui c'est, Inviat ? demanda Drakayn en examinant Anas. C'est pas un gosse ordinaire. Tu ne ferais pas autant de chichis sinon. Et son âme pu le Vampire."

Cette fois, la grimace qui tordait la bouche d'Inviat s'envola pour révéler une expression glaciale et sévère.

"Tu sais quoi, Drakayn ? Je te dis ce que tu veux si tu promets de nous laisser passer sans faire d'histoire et sans aller en parler immédiatement aux autres."

Le Démon se laissa surprendre. Ce n'était pas du genre du Nécromancien d'user si rapidement de la raison.

"Je ne peux pas te promettre une chose pareille."

Inviat lâcha un juron.

"Drakayn_

-Est-ce que ça met en péril notre groupe ?", le coupa sèchement le Démon.

Inviat prit le temps de réfléchir.

"Au contraire.", finit-il par lâcher.

Drakayn soupira. Il était bien trop tôt pour ce genre de conneries...

"Alors parle. Parle, et je ferai comme si de rien était."

Le sourire qui illumina le visage d'Inviat fut sincère. Drakayn s'autorisa à se détendre. Le plus dur était passé.

"Je serai court, fit le Faucheur, les yeux hilares. Tu as sous les yeux Anastasia De Lobscur, dernière de sa famille."

Le Démon resta un moment bloqué sur le prénom. Anastasia. Il s'arrêta sur les traits de l'enfant, trop émincés, trop crasseux, trop jeunes pour pouvoir y déceler réellement sa nature.  "Anas": cela l'avait orienté vers cette idée qu'il s'agissait d'un garçon. Et le gamin ne l'avait pas corrigé. Il valait sûrement mieux être un garçon qu'une fille dans les Souterrains...

Mais ce qui lui coupa le souffle fut le nom.

De Lobscur. 

Les Vampires étaient un peuple complexe, qu'il fallait diviser en deux groupes bien distincts. D'un côté, les Vampires dits "de basses extractions", qui ne naissaient pas suceurs de sang, mais le devenaient suite à une saignée précédée d'une morsure. Et de l'autre, les Vampires dits "purs", à l'origine de la race et regroupés en une société élitiste et aristocrate.

Quinze familles. Quinze clans. Quinze puissances.

De Lobscur était l'une d'entre elles. Tristement connue et suivie d'une réputation sinistre.

"Je pensais que tous les membres de la famille Lobscur avaient été tués.", murmura Drakayn en s'approchant d'Anas.

La fillette se recroquevilla un peu plus dans l'ombre d'Inviat. Le Nécromancien l'entoura de son bras pour la serrer contre lui, et Drakayn cessa sa marche.

"C'est ce que je pensais aussi.", fit Inviat en ébouriffant la gamine, qui se dégagea avec un regard noir, tout à coup moins farouche.

Toujours aussi bonne actrice, hein ?

"Et donc, Inviat ? insista Drakayn, pas vraiment convaincu. Tu retrouves la survivante d'une famille massacrée et quoi ?" Et plus bas, pour lui même. "Peut-être qu'elle aurait dû rester terrée ici..."

Mais le Faucheur l'avait entendu.

"Effrayé, Drakayn ? Inquiet pour elle ou pour toi ?", le taquina Inviat. Il tapota l'épaule de la petite, gentiment. "Elle ne mord pas, tu sais. Du moins, pas encore..."

Et il éclata de rire. Mais Drakayn n'avait pas envie de rire, au contraire.

"Arrête un peu de faire le con ! crâcha le Démon. Sa famille s'est faite décimée par les autres pour une raison, et pas des moindres: l'insurrection des Lobscurs pour renverser le Sénat Vampirique et  conquérir l'Eden est encore présente dans tous les esprits. Le retour des Lobscurs aussi tôt... Elle va se faire bouffer toute crue. Et j'exagère à peine."

Inviat se calma aussitôt.

"Inquiet pour elle, donc ? On s'y attache Drakayn ?",  se moqua-t-il.

Le Draconiaque eut une grimace dégoutée.

"Ne te fout pas de ma gueule... siffla-t-il. Tu sais bien que c'est plus compliqué que ça. Qu'est-ce que tu comptes faire avec elle ?" Il plissa les yeux, soudain soupçonneux. "Tu étais de mèche avec les Lobscurs ? Tu trempais dans le complot ? Tu espères pouvoir la replacer à la tête de cette révolte absurde en profitant du chaos qui s'installe ?" Il mit la main à l'épée. "Est-elle un danger pour nous ? Es-tu un danger pour nous ?"

Le Faucheur n'avait plus l'air de vouloir rire à présent.

"Tu réfléchis trop et du mauvais côté, lui expliqua Inviat, avec un soupir et en secouant la tête. Mes raisons pour l'aider sont personnelles: je ne veux pas te déballer ma vie, Drakayn. Tout ce que tu as à savoir, c'est qu'elle fait partie de la famille d'une amie que j'ai perdue, et que j'ai une dette envers elle." Il passa une main tendre dans les cheveux sales d'Anastasia, en lui lançant un sourire rempli d'amour. "Et puis, j'aime bien ma petite souris.

-Alors pourquoi partir de cette façon ?

-Parce que, comme tu l'as si bien dit, il est trop tôt. Idris, Idras, Yls, Abaddon, Onyx, Cerbère... Avec eux, ce sont les six mondes qui apprendront  le retour de la famille Lobscurs. Et j'ai besoin d'avoir l'effet de surprise si je veux que ce retour se fasse dans les meilleures conditions possibles."

Le Démon fronça les sourcils. Il lui en faudrait plus pour le laisser passer sans faire de remous. Inviat devait le savoir, car il reprit, avec un rictus féroce.

"Donc, pour répondre à ta question: non, nous ne sommes pas un danger pour vous. Comme je te le disais, et si tu m'avais laissé te l'expliquer: c'est même tout le contraire."

Le Démon pencha la tête sur le côté. Saloperie de bonhomme... A rester vague dans ses paroles pour mieux l'appâter... Et le pire, c'était que ça marchait.

"Explique-toi."

Le sourire qui se faufila sur les lèvres d'Inviat brillait d'une lueur satisfaite et victorieuse.

"Drakayn, si je joue bien mes cartes, je vous aurais de nouveaux alliés. Je vous aurais les Vampires."

Le ciel se peignait de teintes bleues et violettes. Les ténèbres de la nuit s'estompaient et les lueurs familières de l'aube pointaient à l'horizon.

Drakaïs laissa pendre ses jambes dans le vide, assise sur la muraille, observatrice de ce spectacle quotidien. Elle aurait aimé se perdre dans ce tableau vivant, mais il ne réveillait aucun émerveillement en elle.

Onyx l'avait laissée suite à sa révélation. Tout le reste de la nuit, elle était restée prostrée sur la muraille, son regard posé sur le lointain. La magie du Dôme l'avait caressée et le ciel l'avait appelé, mais elle était restée sans réaction.

Tout faisait sens à présent. Les événements de son enfance, les sensations inconnues, les visions de Rubis -ses souvenirs-, les actions de Seth, d'Inviat, de Cerbère... Tout.

Rubis, Drakaïs. Du pareil au même. Elle aurait dû se sentir différente. Et pourtant, elle se sentait la même. Elle était Drakaïs. Mais elle était aussi plus: Rubis, la Dragonne Ancestrale. Est-ce que Drakaïs était un mensonge, un rôle ? Allait-elle disparaître avec le temps, pour laisser la conscience de Rubis prendre la dessus sur la sienne ? Rubis...Drakaïs... Sa vision était binaire. Elle n'arrivait pas rassembler le passé -Rubis- et le présent -Drakaïs-. Elle n'arrivait pas à imaginer cet Eveil décrit par Onyx. Elle n'arrivait pas à se voir unie. Elle n'arrivait à rien.

Elle avait peur. Non, elle était terrifiée. Perdue, déboussolée, terrorisée. Qui était-elle ? Drakaïs ? Rubis ? Les deux ? Mais qu'est-ce que ça voulait dire, "les deux" ? Qu'est-ce que ça signifiait, d'être une Dragonne Ancestrale ? Qu'est-ce qui venait d'elle ? Qu'est-ce qui venait de Rubis ? Etait-elle Drakaïs ou avait-elle toujours été Rubis, sans le savoir ?

Toutes ces interrogations la plongeaient dans une confusion et un tourment atroce. Elle doutait de tout. Et ces questions l'avaient hantées toute la nuit, à la tenir immobile sur la muraille, comme une brindille face à une tempête. Le flot de questions la secouait, et elle se demandait combien de temps elle arriverait à lui faire face.

"Tu te poses trop de questions."

Drakaïs sourit avec amertume.

"Ce serait plutôt "nous nous posons trop de questions", non ?", chuchota-t-elle au vent, avec un rire sec.

Elle se mit à balancer ses jambes dans le vide, regardant tout à coup la montagne et le sol qu'elle surplombait. Elle eut la pensée absurde de sauter, pour peut-être s'envoler comme un Dragon.

"Ca ne marche pas comme ça.", lui apprit Rubis, comme excédée.

Drakaïs se pencha en avant, soudain fascinée par le vide. Oui, peut-être qu'elle deviendrait une vraie Dragonne et que ses ailes se déploieraient de nouveau si elle faisait le grand saut. 

"Drakaïs !", rugit la Dragonne, furieuse et inquiète.

La Draconique resta dans cette position, à la frontière de la chute.

""Rubis", tu veux dire ?", siffla Drakaïs, glaciale.

La Dragonne resta silencieuse un instant.

"Si tu veux, ça peut être ton nom.", fit-elle finalement.

Drakaïs renifla de dédain.

"Parce que j'ai le choix ? cracha-t-elle.

-Bien sûr que oui, ce n'est qu'un nom."

La Draconique lâcha un lourd soupir et plaqua ses mains contre ses yeux, en secouant la tête de dépit.

"Juste un nom. Mais c'est le mien, le notre. Je ne comprends pas, souffla-t-elle, la voix tremblante.

-Je suis autant toi que ton "toi" d'hier, Drakaïs. Un souvenir, un écho. Ne te torture pas sur ton identité. Au fond de toi, je suis là, comme un vieux modèle duquel tu te détaches. Depuis toujours, nous nous fondons l'une dans l'autre, comme je me suis fondue dans mes anciennes réincarnations. Et j'ai gardé mon intégrité. Tu es moi, je suis toi, et réunie, nous formons un être complet, un être nouveau, comme tu l'es à présent si tu te compares à l'enfant que tu étais auparavant."

Elle écouta ces mots et les manipula dans sa tête. Elle fit la grimace.

"Et si je ne veux pas être complète ? Et si je suis très bien comme je suis ? Et si je veux rester Drakaïs, et rien d'autre ?"

Elle sentit la Dragonne bouger dans son esprit, qui se lovait contre elle, et elle pouvait presque la sentir qui l'entourait de son corps chaud. Elle eut envie de bouger sa main pour sentir ses écailles, mais elle savait qu'elle ne rencontrerait que de la pierre froide.

"Tu ne peux pas, Drakaïs. Et tu ne le veux pas. Ces rêves qui se déchainent, nos souvenirs, c'est la preuve que tu as besoin de t'Eveiller. C'est ce à quoi tu tends depuis que tu es née, chuchota-t-elle avec ses sifflements familiers. Et puis, ce serait trop dangereux que tu restes affaiblie. Nous nous sommes faits de nombreux ennemis par le passé, et je ne pense pas qu'ils se retiendront de nous attaquer tout simplement parce que tu ne veux pas t'Eveiller.

-Tu penses au Chaos, comprit Drakaïs.

-Entre autre, marmonna la Dragonne. Il nous en veut et nous avons une place particulière dans sa vengeance. Il s'acharne sur nous et il continuera de nous tuer tant qu'il le peut.

- Pourquoi ?"

Elle aurait juré que le souffle qui secoua sa chevelure était celui de la Dragonne. Mais ce n'était que le vent. Autour d'elle, l'aube naissante se disparaissait pour laisser place à un monde de ténèbres opaques.

"C'est quelque chose de profondément ancré dans notre âme, que je ne peux pas t'expliquer par des mots. Une de ses actions qui fait partie de notre vie originelle et qui nous occupe à chaque vie. Sans elle, nous ne serions pas ce que nous sommes aujourd'hui."

L'obscurité était désormais partout autour d'elle, la Dragonne à ses côtés, dans une étreinte affectueuse et rassurante. Ses écailles brillaient tels des couchés de soleil sanglants.

"Est-ce que ça fait mal ?", murmura Drakaïs.

Sa voix résonna autour d'elle. La tête de la Dragonne apparut devant elle avec une contorsion tordue. Elle darda sa langue et son souffle vint ébouriffer la Draconique. Ses yeux verts lui apportèrent une réponse honnête.

"Qu'est-ce que je dois faire ?"

La Dragonne lâcha un long ronronnement et vint poser son museau contre le sien. Les tremblements de sa respiration firent frissonner la Draconique. 

"Rien, c'est déjà fait."

Aussitôt, elle vit défiler un flot d'images devant ses yeux. Le flot était trop rapide, trop violent pour qu'elle puisse en tirer quelque chose de concret. Il y en avait des milliers, peut-être même des millions, et la douleur dans son crâne fut lancinante, comme si on cherchait à lui écraser la cervelle. Et à travers la souffrance qui lui vrillait la tête, elle perçut tout de même quelques détails: des Dragons qui volaient, Onyx qui combattait, Seth qui fronçait les sourcils en regardant une épée, Inviat qui souriait malicieusement, Abaddon dans une armure sanglante, des Anges qui s'agenouillaient, des paysages inconnus, des étrangers aux visages belliqueux ou pacifiques et enfin, le Chaos, avec ses cheveux argentés et sa peau striées de veines d'encre, qui lui tendait la main avec un air déterminé. 

Et soudainement, plus rien.

"Si tu as besoin de moi, je suis là. Je serai toujours là.", souffla la voix de la Dragonne.

Et la reptile s'écarta doucement. Elle entendit comme un bruissement d'ailes qui s'envolaient, et elle disparut.

Le noir total.

Elle était seule.

Elle ouvrit les yeux avec un sourire. La lune avait échangé sa place avec le soleil. Ses rayons se faufilaient sur son visage. Pour la première fois depuis longtemps, elle n'avait pas peur d'affronter le futur qui l'attendait. Elle se sentait revigorée et puissante. Heureuse.

Elle savait ce qu'elle avait à faire.

Elle se leva et épousseta ses jambes. Les mains sur les hanches, elle admira la beauté du levée du soleil. Une nouvelle journée, un nouveau combat.

Elle sourit de toutes ses dents.

C'était une nouvelle aube qui se levait pour Drakaïs.


Note:

Et c'est la fin du chapitre 39 :D ! 

La boucle est bouclée, si je peux dire ! Je vais reprendre un peu de quoi il est question dans ce chapitre ahah !

Onyx et Drakayn, d'abord ! Il était temps que j'approfondisse cette relation entre eux. Je voulais mettre une confrontation entre les deux bonhommes dans cette versions, mais je n'ai finalement pas réussi à la caler :( ! Snif. Du drama et encore du drama. Est-ce que cette famille aura un jour la paix ? (nooope !)

Est-ce que cette partie vous a plu ? Vous savez enfin ce qu'il y avait dans cette lettre. Et on peut dire qu'Onyx est nul pour écrire des lettres et pour s'excuser x") !

(@Hudren j'espère que tu as vu le clin d'œil que je t'ai fait ahah !)

Puis, Inviat et Anas. Enfin, Inviat et Anastasia ! Là encore quelque chose que j'avais sous-entendu, mais il vous manquait quelques infos pour avoir toutes les clés pour comprendre l'ampleur de la situation :p ! J'ai pas mal de chose à dire sur les Vampires, et ce sera quelque chose que j'essayerai de mettre un peu plus en avant dans la réécriture (mais pas trop, car comme vous l'avez compris, ce sera surtout développé dans le tome 2 !)!

Qu'avez-vous pensé d'Anas et d'Inviat dans cette partie :D ?

Et finalement, Drakaïs et Rubis. Comme prévu, Drakaïs est paumée. C'est un tournant dans l'histoire, un tournant pour notre petite Draconique. J'espère avoir réussi à bien retranscrire la chose. Je voulais vous servir une fin qui en valait la peine. Je ne sais pas si j'ai réussi. Encore une fois, je ne suis pas vraiment satisfaite du résultat :") (serais-je trop dure avec moi-même ?). A vous de me le dire !

J'espère vraiment que ce chapitre vous aura plu. C'est un grand pas pour moi aussi. Plus que l'épilogue et ce sera fini. Je pourrai entamer la réécriture. Je suis un peu émue ahah !

Merci à tous ceux qui ont voté et commenté ! La plupart d'entre vous me suivent depuis très longtemps maintenant, et ça me met fait plaisir de voir qu'il y en a qui sont toujours au rendez-vous après tout ce temps :') ! Même si comparé à certains, ce n'est pas nombreux, je suis contente de vous avoir près de moi et d'avoir tissé des liens avec vous (enfin, je pense avoir tissé des liens avec vous ahah ! N'hésitez pas à venir me parler, je ne mords pas :p ! Wattpad, c'est avant tout un réseau social ;) !)! Donc, voilà, je finis sur une note sentimentale x) (qu'est-ce que ça va être la semaine prochaine :O !)!

Merci à vous tous, ceux qui votent, ceux qui commentent, ceux qui se contentent de lire: je vous aime tous !

A la semaine prochaine pour l'épilogue !


Ps: Il y aura très certainement de nombreuses fautes d'orthographes ! Promis, je me relirai plus tard ! 

Ps 2: Grande note mais c'était pour le geste :p ! POur l'épilogue, elle risque d'être immense XD !






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