Chapitre 39 (partie 2):
Des rires enjoués, des cris remplis d'excitation et d'euphorie, le son clair de choppes que l'on trinquait, des chants fiers et des danses pleines de vie. La nuit était tombée sur Quantamoniam, mais ses habitants ne trouveraient pas le sommeil.
Les banderoles hissées en honneur de l'Empire avaient été enlevées, remplacées par des bannières à l'image des Draconiques: la gueule d'un Dragon Noir -Onyx ?- sur un fond rouge et vert.
La lumière des braseros et autres éclairages jetaient sur les rues animées une lueur virevoltante et éclatante. S'il le choisissait, Drakayn pourrait penser qu'il était en plein jour. Mais un coup d'oeil vers la voûte céleste le ramenait vite à la réalité.
"Drakayn ! l'appela Sin en venant s'assoir à sa table, une bière moussante à la main. T'devrais danser hé !", fit-il d'une façon pataude.
Le Démon jeta un regard au verre du jeune Draconique. Combien...?
"Combien de verres as-tu pris, crétin ?", rit-il en portant sa propre boisson à ses lèvres.
Sin contempla un instant sa choppe, les sourcils froncés. Puis:
-Ah, j'sais pas.
Le jeune homme haussa les épaules et but cul sec le reste de sa bière. Drakayn l'examina, quelque peu admiratif et dérangé face à la vue. Sin lâcha une grande inspiration après sa goulée, avant d'écraser sa choppe sur la table.
"Hé ! brailla le Draconique, en faisant de vastes gestes à un serveur. Encore une !
-Tu en as peut-être eu assez..." lui conseilla le Démon, plus amusé que réellement préoccupé.
Sin lui jeta un regard noir.
"Hé, j'te dis comment faire la fête, moi ?
-"Danser", je crois bien ? ricana Drakayn, en finissant son verre.
-Ah, ta gueule.. marmonna le jeune Draconique.
-Pas assez bourré pour ça.", jeta-t-il en prenant une bouteille qui trainait sur la table, pour se resservir.
Et il lui faudrait bien plus que trois verres pour s'oublier au point d'en perdre la parole. Et ce n'était pas avec une gnôlle pareille qu'il y arriverait.
Et par les Six, il aurait donné tout l'or du monde pour avoir un bon cru des Enfers. Il voulait boire. Boire et oublier.
Il surprit les yeux de Sin, qui suivaient son mouvement avec une soif insatiable. Le Démon sourit et garda la bouteille dans sa main.
"Qu'est-ce t'attends pour me servir ? grogna le Draconique en lui fourrant son verre dans les mains.
-Et la politesse ?
-Va te faire foutre.
- Attention, quelqu'un d'autre pourrait y voir une invitation..."
Cette fois, le regard noir de Sin luisait d'un soupçon d'impatience.
"Drakayn...", gémit le jeune Draconique, en lui secouant le bras.
Le Démon, avec un petit rire, se laissa attendrir. Qu'il se bourre la gueule, lui n'aurait pas cette chance. Sin se jeta sur sa choppe de nouveau remplie avec un engouement hilarant...jusqu'à ce qu'une main arrête son verre en plein vol vers sa bouche.
La plainte que lâcha Sin fit la soirée du Draconiaque.
"Fergon... couina Sin, en faisant la moue à l'autre Démon, qui tenait en otage son verre.
-Tu as assez bu.", expliqua simplement Fergon, en s'appuyant sur la table, entre Sin et Drakayn.
Avec un soupir Sin laissa tomber sa tête entre ses bras. Drakayn entendit un vague "bande de connards...".
Pendant quelques secondes, aucune autre parole ne fut échangée. Et soudain:
-Tu es allé les voir ?
Drakayn jeta par reflexe un regard à la table la plus active, entourée d'une foule de badauds. Il lui sembla apercevoir Akhal et Yls, mais l'attroupement les recouvra trop rapidement pour qu'il en soit sûr.
Une table bien populaire.
La table où s'étaient attablés Onyx et Abaddon.
Drakayn serra les mâchoires. Il ne savait pas vraiment quoi penser de l'arrivée- confirmée- d'Onyx, mais il savait en tout cas qu'il ne se sentait pas emballé par l'idée.
Quant à Abaddon...
Un goût métallique envahit sa bouche.
"A ton avis ?" lui demanda-t-il en retour.
Fergon fronça les sourcils.
"Tu seras bien obligé de les voir un jour, pourtant...
-"Un jour", oui, pas "maintenant".", grogna Drakayn en terminant son verre.
Il eut une grimace et regarda le fond de sa coupe. Non, décidément, cet alcool était vraiment dégueulasse.
"Tu ne m'as jamais vraiment dit pourquoi tu détestais autant Onyx. Abaddon, d'accord, mais Onyx... murmura Fergon, en buvant également. C'est à cause d'Idras ?"
Drakayn repensa à Idras, qui lui racontait à son chevet des histoires sur Onyx Le Grand, ombre qui frappait ses ennemis et figure presque chevaleresque dans les contes et mythes des Six Mondes.
Il revoyait Idras et son regard mélancolique pendant qu'elle lui parlait de son père. Cette humidité qui apparaissait parfois aux coins de ses yeux, quand elle croyait qu'elle pouvait penser à lui ou à Idris sans que personne ne l'espionne.
Il se souvenait de cette fois où il avait eu le cran de lui demander pourquoi elle ne parlait jamais d'Onyx en dehors de ces fables héroïques.
Mais il pouvait surtout revivre ce jour... Ce jour où...
"Drakayn, hein ?", grogna Onyx, qui daigna enfin l'observer.
Le Draconiaque tint son épée plus fermement contre lui. Il hocha la tête froidement.
"T'es censé être mon petit fils, c'est ça ?", continua le Dragon Ancestral, en reniflant bruyamment et en le détaillant de la tête aux pieds avec une sorte de répugnance insultante.
Drakayn hocha de nouveau la tête, plus froidement encore.
"Eh bien, petit fils ou non, tu peux déguerpir. Et tu ferais mieux d'oublier cette idée de vengeance: le Diable est hors d'atteinte, gamin." Il eut un ricanement mauvais. "Ce salaud est increvable, crois-moi, j'ai déjà essayé." Et il reprit une goulée de sa boisson nauséabonde, qui semblait le suivre partout.
Le Draconiaque ouvrit la bouche, prêt à protester.
Onyx braqua son regard sur lui, ses yeux écarlates sévères et glacials.
"T'es peut-être le fils d'Idras, mais ne crois pas que je ne m'en prendrais pas à toi pour autant, gamin. C'est pas pour rien que je joue aux ermites: je veux voir personne. Alors fous-moi le camp."
Dans ses poches, la lettre qu'Onyx lui avait écrite semblait peser une tonne. Il passa des doigts fébriles de rage sur le papier qu'il avait maintes fois froissé, mais il ne trouva pas la force de s'en débarrasser. Il ne l'avait toujours pas lue.
"Entre autre.", marmonna Drakayn, en décidant qu'il avait bien assez bu.
Il mit son verre de côté.
"J'crois que j'vais dégueuler...", pleurnicha Sin, la tête toujours enfouie dans ses bras.
Fergon et Drakayn échangèrent un regard: ils l'avaient oublié.
"Tu n'avais pas qu'à boire autant, rétorqua Drakayn.
-Si tu sais que tu ne tiens pas l'alcool, ne boit pas, Sin.", ajouta Fergon en lui ébouriffant sa chevelure bonde.
Le Draconique émergea, le teint verdâtre.
"Mais c'est la fête... chouina-t-il. Tout le monde boit !
-Maintenant, tu te diras "tout le monde sauf moi", fit Fergon, amusé.
Sin fit la moue.
"Et puis, l'alcool, c'est pas pour les gosses comme toi.", nota Dralayn
-J'ai seize ans, d'abord !", s'insurgea Sin, désormais rougeâtre.
Aussitôt, il vira de nouveau au vert. Il mit la main devant la bouche et se courba en avant. Fergon et Drakayn s'écartèrent.
Quelques secondes s'écoulèrent.
"...c'est passé ? chercha à savoir Drakayn, le nez retroussé.
Sin secoua la tête à la négative.
Drakayn jeta un coup d'œil à Fergon.
"Ton binôme, ta corvée.", lui souffla Drakayn.
Fergon soupira puis pris Sin par le bras. Drakayn les observa s'éloigner dans la foule, deux figures chancelantes qui écartaient du monde sur leur passage.
"Sin a trop bu ? lâcha Achoura en apparaissant près de lui.
Drakayn vit Sin se courber violemment en avant. A la tête écœurée de Fergon, il comprit qu'il venait de vomir. Des exclamations dégoutées volèrent un instant dans l'air festif.
"Je lui avais dis de ne pas prendre un cinquième verre... murmura Achoura en s'asseyant près de lui.
-Il aurait dû s'arrêter au troisième, si tu veux mon avis.", rétorqua une autre voix féminine.
Drakayn se tourna vers sa demi-sœur et lui adressa un hochement de tête amical.
Crisis passa une main dans la chevelure d'Achoura. Le Draconiaque eut un rictus.
"Je suis surpris de vous voir."
Achoura haussa un sourcil.
"Faire la fête ? Ah, Drakayn... C'est mal nous connaître...
-Faire la fête, oui, mais d'un autre genre...", insinua le Démon, hilare.
Achoura lui adressa un clin d'œil et s'appuya davantage contre Crisis, qui souriait doucement.
"Ah, non, tu vas trop vite voyons... roucoula Achoura.
-C'est la suite du programme. Chaque chose en son temps..." ricana Crisis en embrassant vivement Achoura, qui gloussa.
Drakayn secoua la tête, amusé.
"Là, je vous reconnais, rit-il. Ca fait...quoi, trois mois que vous ne vous êtes pas vu ? J'aurais pensé que vous vous seriez sautées dessus dès la première occasion.
-Qui te dis que ce n'est pas ce qu'on a fait ?", lui lança Crisis, une lueur suggestive dans ses yeux rouges.
Le Draconiaque éclata de rire.
"Et toi ? Des idées plus festives pour cette nuit, frangin ?", le taquina Crisis.
Il se mit à faire tourner son verre entre ses doigts, pensif.
"Non, je n'ai pas la tête à ça."
Achoura gloussa.
"Ah, je me demande bien pourquoi... susurra-t-elle.
-Laisse-moi deviner... enchaina Crisis. Quelqu'un occupe déjà tes pensées... Rousse, yeux verts, plutôt mignonne ?"
Et les deux femmes partirent dans un nouvel éclat.
Il roula ses yeux et soupira.
Il aurait plutôt dit que c'était parce que la haine lui bouffait les tripes, enflammait son cœur d'un incendie destructeur et peignait son esprit de pensées noires.
Il se demandait souvent comment il faisait pour ne pas sauter à la gorge d'Abaddon. Qu'il y rencontre la mort ou non, il trouverait le repos, et ce feu ignoble pourrait s'éteindre.
Ou comment il arrivait à se retenir d'aller trouver Onyx, pour le prendre par le col et le secouer dans tous les sens et lui hurler qu'il n'avait pas le droit de revenir comme si de rien était, la bouche en cœur...!
Pas après lui avoir tourner le dos d'une telle manière.
Non, il n'en avait pas le droit.
Il regarda de nouveau son verre. Foutu alcool de merde, pas assez fort pour lui faire oublier des sottises pareilles...
"En parlant de Drakaïs... fit Achoura, qui s'était calmée et qui n'avait pas remarqué l'état du Démon. Elle est toujours avec le Baron ?"
Drakaïs et le Baron. Drakayn était toujours surpris qu'Idris et Idras aient accepté la requête du Rêveur... Ce dernier avait affronté Onyx, le temps de laisser l'Impératrice yuuzane et sa suite s'enfuir.
S'il n'en tenait qu'à Drakayn, il aurait déjà tué le Baron, ou du moins, tenté. En éliminant ou en capturant la nouvelle Impératrice, ils auraient pu mettre fin au conflit. Mais non content de leur avoir coupé l'herbe sous le pied, le maître des Rêveurs avait également demandé à s'entretenir avec Drakaïs, monnayant là des informations capitales en échange.
"Informations capitales"... Ah ! Stupide ! Il était prêt à parier que tout ce que le Baron leur donnerait, ce serait du vent ! Il avait beau s'être rendu, écrasé sous la patte d'Onyx, Drakayn avait vu son regard lorsqu'il était passé devant lui pour être enfermé dans une pièce du conseil, les mains liées et une rune sur son front pour désactiver ses pouvoirs.
Ce n'était pas le regard d'un homme vaincu. Au contraire.
C'était le regard d'un homme qui avait encore toutes ses cartes en main.
"Ah...Oublie ça, la voilà, souffla Achoura. Tu devrais aller la voir, Drakayn. Qui sait, peut-être que l'humeur festive vous ferra du bien..."
Le Démon releva aussitôt la tête, cherchant dans la foule la Draconique. Il l'aperçut immédiatement, avec ses cheveux roux, qui semblaient enflammés sous le jeu des lumières de la fête. Un couple qui dansait virevolta devant elle, lui obstruant la vue, très vite suivi pas d'autres, qui tourbillonnaient sur le rythme des violons et des cithares.
Sans même s'en rendre compte, Drakayn s'était levé et se dirigeait vers elle.
Il perçut les rires d'Achoura et de Crisis dans son dos.
"Essaye quand même de dormir un peu, Drakayn !" lui cria la Draconiaque, la voix secouée par l'amusement.
Il se contenta de lever la main en l'air pour leur faire comprendre qu'il les avait entendues.
La musique lui effleurait les oreilles, entrainante et joyeuse; il l'ignora. Il n'avait qu'en tête cette chevelure de flamme. Il se faufila dans la foule dansante, jouant de ses épaules et le pas vif pour se frayer un passage. Il ne pouvait pas dire pourquoi, mais rejoindre Drakaïs lui semblait vital.
"Plus tard.", avait-il dit.
"Plus tard" pour quoi, exactement ? Pour parler de son père ? Pour parler d'Abaddon ? Pour parler de la haine, la rage, le désespoir, la culpabilité qui lui emprisonnait le cœur ?
Non...
Désormais, ce "plus tard" avait aussi une autre connotation. Une connotation à la définition trouble.
Des danseurs passèrent devant lui, le coupant net dans son élan. Tel un rideau qui se levait avant un spectacle, il filèrent sous ses yeux pour dévoiler devant lui l'objet de son emportement.
La première chose qu'il nota fut son regard. Pensif, opaque, perdu. Il passait à travers lui, comme si elle ne le voyait pas. Puis, il remarqua qu'elle se tenait immobile, les bras ballants, la tête légèrement baissée et le dos courbé. Abattue.
Il sut, au moment précis où ses yeux verts reprirent une lueur vivace, qu'elle l'avait finalement reconnu.
Les lèvres entrouvertes, il n'eut pas le temps de lui demander ce qui n'allait pas, pourquoi elle était là, ce qui s'était passé avec le Rêveur, comment elle allait, si elle avait besoin de quelque chose_
"Danse avec moi.", lui ordonna-t-elle.
Elle vit la confusion passer sur le visage de Drakayn. Il s'apprêtait à protester, elle le sentait.
"S'il-te-plait, danse avec moi.", insista-t-elle, la voix tremblante.
Le corps lourd, elle avait l'impression de s'être enracinée sur place. Le mouvement de la foule tournoyante mettait en avant sa paralysie soudaine. Une pensée absurde l'obsédait: elle voulait danser. Danser et rien d'autre. S'oublier dans cet échange, oublier Cerbère, Inviat, le Baron, Onyx, Rubis; oublier un instant ses soucis.
Le Démon ne comprenait pas: elle le voyait à son regard plein de questions. Mais il joua le jeu, et elle sentit une vague d'affection pour lui la submerger.
"Est-ce que tu sais danser au moins ?", lui souffla-t-il en lui prenant la main délicatement, comme si le moindre geste brusque pouvait la briser en milles morceaux.
Elle s'arrêta un instant sur la sensation de sa peau sur la sienne, qui lui envoya un éclair de vie dans le bras. Elle serra ses doigts autour des siens et lui sourit. Un sourire sans grande conviction et quelque peu branlant, mais un sourire tout de même.
"Pas vraiment."
Il eut un haussement d'épaule qu'elle ne put totalement décrypter. Il l'attira vers lui et posa sa main libre sur sa hanche.
"Ce n'est pas vraiment différent d'un combat: suit les mouvements de ton partenaire, fond-toi dans ses gestes et laisse-toi porter par le rythme." Il lui adressa son fameux petit sourire en coin. "Je t'avoue que ce type de danse n'est pas mon domaine. L'autre..." Il rit. "L'autre, c'est une autre histoire. Met ta main sur mon épaule."
Elle s'exécuta, s'émerveillant de voir son corps tout à coup rempli de tant de volonté. Depuis qu'elle avait quitté Cerbère et Inviat, elle avait erré sans but, pour finir attirée vers les lumières et le bruit, tel un papillon de nuit. Ses pas l'avaient portée là, poussée par un dessein inconnu. L'expérience avait été instinctive et elle s'était laissée aller sans réelle résistance.
Mais maintenant, elle reprenait le contrôle.
"Et maintenant, quoi ?", l'interrogea-t-elle, raide et mal à l'aise.
Elle n'avait jamais dansé. Pas de cette façon en tout cas.
"Et maintenant, on danse.", lui assura-t-il d'un ton jovial.
Et il l'emporta avec lui.
Ils firent quelques rondes maladroites, ponctuées par le rire de Drakayn et les grognements de Drakaïs.
"Tu as menti, marmonna-t-elle en foudroyant ses pieds du regard, qu'elle trouvait soudain lourds et gauches. Ce n'est pas du tout comme combattre.
-Tu es trop raide, c'est pour ça, se moqua-t-il. Raide et loin..." Il l'invita près de lui, jusqu'à ce que leurs torses se touchent. Elle se figea, les yeux toujours fixés à ces chaussures. "Là, tu vois ? chuchota-t-il. Tu pourras mieux me suivre de cette manière."
Elle osa enfin le regarder en face et sentit son souffle lui manquer.
"Trop près, lâcha-t-elle.
-C'est toi qui voulais danser, Drakaïs... ricana-t-il en se remettant à bouger. Les danses des bals infernaux sont réputées pour être plutôt...intimes. Et j'ai le regret de t'apprendre que je ne connais qu'elles..." Il prit un air séducteur. "Effrayée ?
-Dans tes rêves." lui rétorqua-t-elle en se détendant.
Cette fois, leurs pas furent plus réussis. Elle finit par quitter ses pieds du regard pour attraper celui de Drakayn, qui l'observait avec intensité. Le rouge lui monta aux joues.
"Quoi ?" bafouilla-t-elle.
Il eut un sourire énigmatique et se pencha vers elle. Par reflexe, elle recula, les sourcils froncés.
"Quoi ?", répéta-t-elle.
Son rictus s'élargit, montrant ses canines effilées. Oh...Elle reconnaissait cette lueur dans ses yeux... Il s'approcha davantage, leur nez face à face. Elle oublia comment respirer.
"J'ai menti, murmura-t-il. Je connais d'autres danses."
Aussitôt, il s'écarta et la fit tourner sur elle même. Ici, le rythme était plus endiablé et elle tournoya dans tous les sens. Mais alors que le monde commençait à tanguer, Drakaïs décida qu'il était temps d'inverser les rôles.
Il s'apprétait à la faire virvolter une nouvelle fois, et quand il s'éloigna d'un pas, ce fut elle qui donna à son bras un mouvement circulaire, forçant le Démon déconfit à tournoyer.
A la vue de ses yeux rétrécis et de sa bouche entrouverte, elle n'y résista pas: elle éclata de rire.
Pour éviter qu'elle ne lui refasse un coup pareil, il la ramena près de lui, pour reprendre la valse précédente. Elle ricanait toujours.
"Moi aussi je pourrais rire, l'informa Drakayn, un sourcil haussé. Si tu voyais l'état de tes cheveux..."
Et ils rirent en cœur.
"Tu vois ? reprit-il après quelques secondes. Comme un combat.
-Sans le sang.
- Sans le sang, oui.", lui accorda-t-il.
Ils entrèrent dans une monotonie agréable, se balançant sur les notes des violons et des cithares. Une fois plus en confiance, elle passa ses bras autour de son cou.
"On prend ses aises, hum ? la taquina-t-il.
-Tu t'en plains ?
-Pas le moins du monde, madame.", se moqua-t-il, tout sourire.
En guise de vengeance, elle lui écrasa un pied.
Elle se sentait bien. Relaxée. Heureuse. Elle s'autorisa à sourire comme une enfant, son cœur déchainé dans sa poitrine. Elle était sur un petit nuage.
La chute dans la réalité fut brutale.
Derrière Drakayn, à travers la foule, son regard s'accrocha à un autre.
Abaddon.
Yls était à ses côtés, attablé avec lui, et lui faisait la conversation. Mais l'attention du Diable était ailleurs.
Focalisée sur Drakayn et elle.
Elle enfonça ses ongles dans la nuque du Draconiaque.
"Il nous regarde, je me trompe ? siffla-t-il, rageur et soudain tendu.
Les muscles de son cou bougeaient sous les doigts de la Draconique.
"Je le hais.", lui apprit-elle, essayant de mettre toute son animosité dans son regard.
Elle crut apercevoir de la fureur sur le visage du Diable. Mais la foule se referma sur eux avant qu'elle ne puisse le confirmer.
"Pas autant que moi.", affirma Drakayn.
Elle lui jeta un coup d'œil inquiet. Son expression pleine de haine la fit grimacer.
"Tu ne devrais pas te laisser envahir par la vengeance.", lança-t-elle sans réellement réfléchir.
Son emprise, sur sa hanche, se resserra.
"La vengeance est tout ce qu'il me reste.", cracha-t-il. Il se tut un moment, les paupières fermées. "Ne me sors pas des paroles que j'ai déjà entendues, Drakaïs.
-Mais la vengeance ne servira à rien, Drakayn.", rétorqua-t-elle en lui caressant la nuque.
Il ouvrit les yeux et l'examina un moment. Puis, il soupira.
"Tu te méprends: je sais que ça ne me ramènera pas mon père, je sais que ça ne m'apaisera pas, je sais que je risque d'y laisser ma peau. Et je m'en fiche.", martela-t-il, jetant chaque mot comme une insulte.
La Draconique laissa tomber ses mains sur ses épaules.
"Je les ai tué, tu sais.", lui apprit-elle.
Elle vit qu'il ne comprenait pas.
"Ceux qui ont massacré ma famille.", précisa-t-elle. Elle sourit d'une façon amère. "Je les ai tué.", répéta-t-elle.
Il n'osa rien dire, tout d'abord. Mais elle lisait la question dans ses yeux et patienta. Elle n'eut pas à attendre longtemps:
-Qu'est-ce que ça fait ?
Elle revit le rouge, partout sur elle, partout autour d'elle. L'odeur et le goût. Les cris et les larmes.
Elle préféra ne pas s'attarder sur cette partie de son passé.
"C'est devenu pire, fit-elle dans un murmure brisé. Je ne voyais que ça: me venger. Je pensais que je ne pourrais plus avancer. Que ça ne servait plus à rien de vivre sans ma mère et ma sœur. Que tout ne pouvait pas aller mieux. Alors, un jour, après des mois de recherche, je les ai retrouvé. Et je les ai massacré." Elle eut un rire froid. "Je m'attendais à mourir ! Mais ce fut pourtant si simple de les déchiqueter... J'ai pris plaisir à les voir ramper devant moi, à les voir me supplier, à les voir se pisser dessus de peur, à sentir leurs os se casser sous mes coups et à sentir leur sang sur moi." Elle prit un air lasse. "Je pensais mourir et je croyais que je n'aurais pas à subir ce qui suivrait: le dégoût. Je me suis sentie comme eux, Drakayn." Elle captura son regard, essayant de lui communiquer ce qu'elle ressentait."Je ne voulais pas me sentir comme eux."
Le Démon baissa la tête.
"Je pensais que je ne pourrais plus vivre. Et pourtant, me voila.", lui souffla-t-elle en lui serrant les épaules.
Ils se tenaient immobiles à présent. Et le Draconiaque retira sa main de sa hanche. C'était seulement parce que Drakaïs gardait son autre main emprisonnée dans la sienne qu'ils étaient toujours en contact.
"Qu'est-ce que tu me proposes alors ? De laisser tomber ?"
Sa voix était sombre et glaciale. Et Drakaïs sut que sa réponse à cette question déciderait de l'avenir de leur relation.
"Je te demande de ne pas te sacrifier pour ta vengeance." l'implora-t-elle en étudiant chacun de ses traits.
Il releva la tête brutalement.
"C'est le Diable, Drakaïs. Si je le tue, je meurs. Sa mort par mes soins implique la mienne. Il ne peut pas en être autrement.
-Tu choisis donc la mort ?", fit-elle piteusement.
Elle tint moins fermement la main du Démon.
"Je choisis la vengeance.
-Mais elle n'implique pas forcément ta mort !", s'irrita-t-elle.
Son expression était froide et distante.
"Dans ce cas précis, je t'assure que si."
Elle laissa tomber sa main.
"Et Idras et Fergon ?"
Et moi ?
Il fronça les sourcils et s'éloigna d'elle.
"Je_
-Tu es égoïste.", l'accusa-t-elle.
Les gens continuaient de danser autour d'eux, et le mouvement de la foule découvrit de nouveau le Diable, qui les observait toujours. Drakaïs siffla à sa vue. Ce salopard, qui manipulait son monde et ressortait satisfait quoiqu'il arrive... Comme il devait jubiler de les voir se déchirer ainsi ! Et en effet, elle vit un sourire se dessiner sur ses lèvres.
Quelle espèce d'enfoiré...!
Quant à Drakayn, il se renfrogna.
"Ne pense pas que parce que tu me connais depuis quelques mois, tu_
-Tu es égoïste ! insista-t-elle, furieuse, en appuyant son doigt sur son torse. Et figure-toi que je le suis aussi !"
Abaddon voulait du spectacle ? Elle fit un pas féroce vers Drakayn et l'empoigna par le col de sa chemise.
"Dra_?"
Elle lui cloua le bec en l'embrassant.
Il n'y avait rien de tendre dans ce baiser. Drakayn resta figé un court instant, trop choqué pour réagir immédiatement, mais une fois qu'il réalisa... Leurs dents s'entrechoquèrent et leurs lèvres entamèrent un combat féroce.
Mais il durent faire une halte dans leur assaut, pour reprendre leur souffle. Et Drakaïs se rendit compte que le Démon l'avait emprisonnée dans ses bras.
"Drakayn Menbriel O'Yax, je t'interdis de mourir.", lui chuchota-t-elle contre ses lèvres.
Au loin, le Diable avait pali de rage face à cette provocation. Drakaïs sourit.
Et sans aucune merci, elle repartit à l'attaque.
Cette fois, le baiser fut affectueux. Plus court aussi.
"J'ai gagné.", affirma-t-elle en s'écartant.
Drakayn ne chercha pas à la retenir. Elle se retint de rire: la bouche encore entrouverte, la respiration quelque peu haletante et les yeux écarquillés, elle ne l'avait jamais vu aussi bouleversé et confus.
Quand il revint complétement à lui, il était trop tard, elle s'était évanouie dans la foule. Elle l'entendit l'appeler, mais déjà, elle avait un autre objectif en tête. De nouveau, ses jambes ne lui appartenaient plus.
Il était temps de faire ce pour quoi elle était venu ici.
Sa trajectoire toute tracée et ses yeux plantés dans ceux du Diable, elle rejoint sa table, jouant des épaules d'une façon parfois violente pour y parvenir.
Elle posa violemment ses mains sur la surface froide et râpeuse de la table, provoquant le silence autour d'elle. Elle considéra Abaddon avec tout le dédain du monde et apprécia la rage qui peignit son visage. Un sourire moqueur fleurit sur celui de Drakaïs. A elle d'être satisfaite, à présent.
Avec dérision, elle quitta des yeux le Diable, filant à l'autre bout de la table, ignorant l'expression horrifiée et choquée d'Akhal ou l'air froid et étonné d'Yls.
Non, tout ce qui l'intéressait était l'homme en tête de table. Un verre à la main, il la regardait, un rictus amusé aux lèvres.
Le Dragon Ancestral, sous sa forme humanoïde, avait un petit quelque chose de pathétique, loin de la majesté de sa forme réelle.
Une chevelure ténébreuse, ébouriffée, un corps grand et osseux, sombre, vêtu d'un manteau en guenilles, ainsi qu'une épée noire, qui reposait dans un fourreau tout aussi obscur.
Seuls ses yeux vermeils, qui brillaient d'une lueur agressive, restaient les mêmes.
Elle sentit Rubis remuer dans son esprit, inquiète et irritée.
"Vous et moi, je crois que nous devons avoir une petite discussion."
Note:
:D
:D
:D
Contents ?
Ah purée, j'ai tellement de choses à dire sur cette partie lol. Merde pour les notes courtes. Ca mérite que je m'étale ! Et puis, bon, c'est le dernier chapitre. Et pour un dernier (long) chapitre, notes longues également. Je peux m'éclater X""D ! Je l'ai mérité !
1) Elle est énorme. (VRAIMENT énorme). Je me suis étalée, en long, en large, et en travers. Et je ne regrette rien XD ! Y peut-être des scènes inutiles mais je ne regrette rien !
2) Sin bourré (:D). J'adore cette scène bordel ahah ! Qu'en avez vous pensé (faut lui donner quoi pour sa gueule de bois lol ?)?
3) Achoura et Crisis (:D). Bon, à l'origine, je ne voulais pas vraiment le mettre dans cette versions, car je ne pouvais pas développer comme il faut leur relation, mais je n'ai pas pu résister ahah (et puis bon, leur dialogue m'a trop amusé pour que je l'enlève :p !).
4) La danse (:D :D :D). C'est pas vraiment rendu comme je le voulais mais... Meh. Tant pis ! J'avais envie de cette danse. Parce que. Voila. J'ai toujours parlé de leur combat ensemble comme une "danse" et les faire réellement danser...dans de telles circonstances... eh eh. Je suis contente :3. J'espère qu'elle vous aura plu ! Des pensées là-dessus ?
5)La dispute (D: D: D:). Alors, c'est pas tout rose tout beau. C'est quelque chose qui est problématique et qui fout la merde entre eux, je vous le dis. Donc voilà. Une opinion sur la vengeance (me donne envie d'en parler dans Parlons peu, parlons bien ahah !)? Mais bon, dites-vous que grâce à ça, il y a eu...
6)...le bisous (:D :D :D :D :D :D :D :D :D :D)! Ah mais purée, ce baiser... J'ai hésité. Loooongtemps hésité, à le mettre. Mais j'ai eu pitié de vous lol. Donc, un bisous. Je vous laisse en tirer vos conclusions, voir ce que vous en pensez, pourquoi et comment. Je sais ce qu'il signifie, mais je vous laisse comme ça, na :p ! C'est pas marrant sinon ! J'espère quand même qu'il n'était pas trop malaisant: j'ai essayé de ne pas partir dans des trucs mièvres car ne n'est pas mon style et que ça ne colle pas à leur relation/façon d'être mais.... mais à vous de me dire ce que vous en pensé ahah.
Je vous invite à aller écouter la musique que j'ai mise XD ! Je l'avais trop en tête en écrivant ce passage, donc je vous la partage !
7)La fin. Bon. Je finis encore d'une façon cliffhangeresque (vui vui néologisme ou gallicisme :p). Et vous pouvez deviner que dans la prochaine partie... Grosse. Révélation.
J'espère que cette partie vous aura plu ! En tout cas, j'ai pris énormément de plaisir à l'écrire (et à ne pas travailler du coup....ah ah... *se prépare à finir sa khôlle d'anglais*)! N'hésitez pas à m'écrire vos avis :D !
Encore merci pour tous ceux qui votent et commentent ! Je vous aime très fort ! Gros bisous et à la semaine prochaine <3 !
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top