Chapitre 37 (partie 3):
Rien de pire que de se réveiller en sursaut à cause d'une Aura écrasante. Surtout lorsqu'il s'agissait de l'Aura du Diable. Encore plus quand il en émanait un puissant désir de meurtre.
Dans un chaos confus, Drakayn avait déchiré ses draps, bondi vers la sortie, arraché la porte sur son passage, et s'était engouffré dans le couloir avec une angoisse glaçante.
Devant lui, à quelques mètres, le Roi des Démons lui tournait le dos. L'horrible Aura qu'il connaissait tant drapée autour de lui telle une armure et broyant le reste du monde. Et face à lui... Il aurait reconnu cette chevelure rousse même aveugle: Drakaïs.
Il n'oublierait jamais la panique qui l'avait alors enraciné sur place. Pendant un instant, le vide s'était emparé de son esprit. Puis affluèrent les pensées alarmées.... Il va la tuer. Tu ne pourras rien faire, comme autrefois; comme toujours. Son sang inondera les dalles, ses yeux te lanceront un dernier reproche opaque, ses lèvres une ultime récrimination: "Ta faute." Ta faute, ta faute, ta faute. Trop lent, trop négligent, trop faible. Jamais assez rapide, jamais assez prévoyant, jamais assez fort. Elle va mourir, il va te la prendre, et ce sera ta faute. ...qui s'évanouirent devant une calme promesse: il ne lui permettrait pas de lui ravir quelqu'un d'autre.
La suite n'était qu'une succession d'images et de sensations troubles. Les paroles jetées au Diable un vague murmure, sa poigne autour du bras de Drakaïs une faible caresse, le choc de ses pas sur le sol un obscur écho, ses pensées remplies de jurons et d'insultes une résonnance à ses oreilles et cette porte, si proche et pourtant jamais assez.
Seul le soleil sur sa peau le ramena à la réalité. Tomba alors la fureur. Il s'abandonna à elle avec soulagement. Il pouvait s'énerver: elle n'était pas morte. Mieux valait la colère que le désespoir. Cette imbécile, pauvre petite gamine sans cervelle et inconsciente, n'était pas morte.
Il se répéta cette phrase un moment, tout en jetant entre temps quelques coups d'œil à l'idiote pour se rassurer qu'elle était bien là, pour ensuite accentuer sa prise sur son bras afin de vérifier que c'était bien le cas.
"Tu me fais mal, Drakayn."
Oh, il espérait bien qu'il lui faisait mal, oui.
"Drakayn..."
Savait-elle au moins qu'elle avait failli mourir ?
"Drakayn."
Non, bien sûr... Trop stupide pour ça !
"Drakayn !"
C'était une impulsive, imprudente, irréfléchie_
"Hé ! Je ne suis pas_"
_totalement conne, enrageante et horripilante bonne femme !
"_impulsive, imprudente, irréfléchie_"
D'un mouvement vif du poignet, il l'envoya en avant. Elle trébucha et lâcha un juron.
"Ah non ?", souffla-t-il en la détaillant de la tête aux pieds, le regard lourd de sous-entendus.
Elle eut une grimace offusquée, l'expression confuse. Sûrement se demandait-elle pourquoi sa voix était si calme. Si elle savait...
"Je te ferai dire que_
-Ne t'approche plus jamais de lui.", la coupa-t-il, l'attitude désormais glaciale.
Elle resta la bouche entrouverte, un éclair d'incompréhension passant dans ses yeux émeraudes. Il remarqua le moment précis où la lumière se fit dans son esprit: ses sourcils se plissèrent d'une façon presque comique et un air indigné peignit ses traits.
"Je_
-"fais ce qui me plaît", oui, j'avais remarqué.", rétorqua-t-il méchamment, sa voix toujours aussi sibérienne.
Il récolta cette fois des bafouillements et un visage en colère.
Mais elle ne pouvait pas être en colère. Elle n'en avait pas le droit. Pas après ce qu'elle avait failli lui infliger.
"Ne_"
Il fit un pas vers elle.
"_t'approche_"
Il lui prit les épaules.
"_plus jamais_"
Il serra, et il aperçut l'alarme, même pas pour elle mais pour lui, présente dans son regard.
"_de lui."
Il ne reconnaissait plus sa propre voix à présent, un mélange de grognements et de sifflements haineux. Mais elle devait comprendre. Et elle dut saisir quelque chose dans son attitude, car elle demanda, d'une toute petite voix, presque un murmure:
-Pourquoi ?
"Pourquoi ?" Elle demandait pourquoi ? Un flot d'images traversa son esprit. Le sang, les larmes, les hurlements, la rage, et la haine.
"Parce que c'est le Diable.", lâcha-t-il comme explication.
Cela aurait suffi pour n'importe qui. Mais Drakaïs n'était pas n'importe qui. Il oubliait parfois à quel point elle ne savait rien. Ou peut-être pire: elle savait. Elle savait et agissait tout de même, en connaissance de cause.
Mais était-ce vraiment le cas pour cette fois ? Avait-elle réellement eu conscience de ce qu'elle aurait pu lui faire à lui ?
"Drakayn..." Elle se dégagea doucement et elle lui prit les mains, sa colère oubliée. "Pourquoi ?"
Négligent. Oui, il avait été négligent. Inconscient même, plus qu'elle. Il s'était attaché. Et il l'avait laissée dans le noir sur un point primordial. Elle n'était pas Fergon. Elle ignorait ce que le Diable représentait pour lui.
Il baissa le regard sur leurs mains jointes, les sourcils froncés. Il aurait dû couper les ponts tant qu'il en était encore temps. Il avait été si négligent... Désormais, c'était trop tard: le Diable avait vu Drakaïs, et surtout, il avait vu quelle importance il lui accordait. Et maintenant, pour la protéger, pour qu'elle comprenne pourquoi elle ne devait plus s'approcher du monstre, Drakayn devait lui révéler toute l'histoire. L'histoire de sa vie déchirée, l'histoire qui se cachait derrière sa vengeance, l'histoire de sa haine et de sa future mort.
Avec un rire tremblant, il se libéra et prit en coupe le visage de Drakaïs, le rubis rencontrant l'émeraude. Pauvre petite Drakaïs... Un sourire amer apparut sur ses lèvres. Cette pauvre imbécile qui ignorait encore dans quel enfer elle avait mis les pieds en se comptant parmi ses amis.
"Laisse-moi te montrer."
Et il Plongea.
Un combat entre deux Démons. L'un trapu et les crocs imbibés d'écarlate, l'autre élancé et les griffes dégoulinantes de pourpre. Leurs corps striés de blessures vermeilles, leurs souffles visibles devant leurs bouches entrouvertes et leurs grognements bestiaux remplis de fureur.
Et de toute part, un ricanement enfantin, plein de joie et de satisfaction.
Un cris agacé brise la scène, stoppant les deux Démons dans leur affrontement en même temps que le rire, coupé abruptement par cette interruption.
Un sentiment de crainte tenu, immédiatement envolé pour laisser place à un bonheur intense en sentant une large main ébouriffer ses cheveux.
Et cette voix, tendre et sévère à la fois...
"Mon petit diablotin..."
Son père à cheval, de retour d'une expédition, accompagné d'un inconnu. Le soulagement de le revoir enfin, mêlé à la curiosité de savoir qui est le mystérieux bonhomme à ses côtés. Le sourire crispé que ce dernier lui offre lorsque que son père le présente:
-Ton souverain, Drakayn. Mais surtout, ton parrain: Naï'Seck Abaddon.
Petit rire de la part de l'homme. Admiration et respect, pour son père comme pour son Roi.
"Apelle moi 'tonton' ou par d'autres substituts du même genre, Drakayn, et rien d'autre. Ton père s'obstine à m'appeler "Sa Majesté", mais j'espère bien que tu ne suivras pas ses pas sur ce point."
Au cas ou, ce sera "mon oncle".
Le regard de sa mère au loin, couvert d'une inquiétude sans nom. Et la confusion quant à savoir pourquoi elle a toujours ce regard lorsque son oncle est là. Les murmures qui le suivent partout où il va, au point qu'il ne peut plus les ignorer.
"...son fils...Diable..."
Un froncement de sourcil et un mauvais tour suffisent pour les taire.
Mais le doute est là.
"Pourquoi ma peau est de cette couleur ?"
L'angoisse dans les yeux de sa mère, le calme dans ceux de son père.
Pour la première fois de la part de ce dernier, le mensonge:
- Tu es mon fils, Drakayn. C'est tout ce qui compte, quoiqu'on te dise à l'avenir.
Cela fait longtemps maintenant, qu'il a remarqué que la peau de son oncle est brune, d'une teinte similaire à la sienne.
Il a une réponse claire et honnête lors de sa Cérémonie du Feu.
Son oncle a même fait le déplacement, comme une grande partie de la Cour Infernale.
Il ignore le sentiment de stress qui serre son cœur.
Mais à la fin, il ne peut que regarder ses mains en silence, tout en essayant de garder pour lui ses larmes de fureur.
Les Flammes qu'il a reçues ne sont pas celles de la famille O'Yax.
"Tu n'es pas mon père, tonton."
Il sait qu'il a fait une erreur en voyant la lueur, cette lueur pleine d'affection, mourir dans les yeux de son oncle à cette phrase. Mais il ne la regrette pas.
"Et tu ne le seras jamais. Papa reste mon père, et tu restes mon oncle."
Il entend l'inspiration choquée de sa mère dans son dos, pleine de sanglots étouffés, et se focalise sur la main de son père posée sur son épaule. Il n'ose pas se retourner.
Son oncle l'examine fixement un instant, puis il voit son regard passer derrière lui. Il a un frisson en apercevant une rage sans nom dans ses yeux pourpres.
"Nous verrons ça, Drakayn. Nous verrons ça."
Il n'a plus vu son oncle pendant six mois.
"Alors c'est toi Drakayn ?"
Il voit Fergon se crisper à ses côtés, mais lui, il fait face à la nouvelle venue avec son arrogance habituelle.
"Qui le demande ?"
Elle est blonde, beaucoup plus vieille que lui, et dangereuse. Familière aussi. Il l'a déjà aperçue: une des ombres de son oncle.
"Bael' Dun Crisis."
Aucune réaction de sa part. Elle le regarde alors comme si le nom était censé lui dire quelque chose. Peut-être qu'il aurait dû prêter plus attention aux cours de Crâne d'Œuf...
Elle a un sourire froid et hautain, son regard brillant d'une frustration et d'une colère qu'il ne comprend pas. Un murmure lui échappe, et il sent qu'il n'aurait pas dû l'entendre:"Alors c'est ça, son favori ?"
Puis plus haut, alors qu'elle s'avance vers lui d'une démarche légère:
- Je suis ta sœur, gamin.
Il sent le danger, mais il sent surtout qu'elle le déteste. Cependant, même à travers la tension qui monte, sa réponse est automatique.
"Je n'ai pas de sœur."
Elle s'arrête aussitôt, troublée. Elle reprend vite ses esprits.
"Soit, demi-sœur."
Là encore, c'est un reflexe:
-Je n'ai pas de demi sœur non plus.
Il n'a pas pu s'empêcher d'être moqueur sur les derniers mots. Mais il n'a pas commis d'erreur cette fois. Le sourire soulagé de Crisis le prouve bien assez.
"C'est dommage, Drakayn. Tu es bien le seul de ma fratrie que j'aimerais avoir comme frère."
Le Lac des Millions de Tourments a quelque chose de fascinant. Un lac de lave, toujours en mouvement, animé par des bouillonnements et des explosions brillantes.
Il n'est pas du genre à la contemplation, mais ce paysage ne le laisse pas insensible.
"J'ai entendu dire que tu avais du mal en torture."
Il soupire et jette un coup d'œil à son père, qui est immergé dans l'observation du lac en fusion.
"Bof, disons que je trouve les techniques de Crâne d'Œuf nulles à chier."
Le masque de calme de son père se fracasse pour laisser passer un sourire.
"Entre nous, je suis d'accord. Havil est un très bon instructeur_
- Il est complétement pourri, papa.
-_ mais ses techniques de torture sont loin d'être...créatives."
Il a un reniflement de dédain.
"Elles sont nulles, oui !"
Petit silence de la part de son père.
"...certes, elles sont "nulles". " Son père a craché le mot avec une grimace et il ricane en voyant sa tête. "Là où je veux en venir, petit malin, c'est que je crois qu'il est grand temps que je t'enseigne les miennes."
Il a la gorge nouée tout à coup.
"Alors ?"
Il retrouve la parole et il s'exclame d'un grand "Oui !". Cette fois, c'est à son père d'être amusé.
"Par contre, je serai intransigeant. Ne vient pas te plaindre par la suite et j'attends de toi la perfection, rien de moins."
Mais il est trop excité pour s'inquiéter de décevoir les attentes de son père.
"Montre-moi !", lui demande-t-il, en tressautant presque sur place.
Son père soupire.
"Tout de suite ?" Hochements frénétiques de la tête de sa part. "Par le Cul du Diable, je sens que je vais regretter ma proposition..."
Un mensonge, et ils le savent tous deux.
"Il est mort, je suis désolé Drakayn... On ne peux plus rien faire."
Il ne veut pas y croire au début.
"Drakayn..."
Ses mains et ses genoux sont couverts de sang. Il essaye d'ignorer la sensation humide contre sa peau et encore plus la vue qui lui fait face.
"Drakayn."
Un visage pâle, un corps entouré d'une flaque pourpre, une épée écarlate des mètres plus loin. Il veut se convaincre que ce n'est pas son père, car son père est puissant, invincible, qu'il s'en est toujours sorti par le passé, que même son oncle n'a jamais réussi à le battre, que_
"Drakayn , él_!"
Il se retourne et frappe Fergon en plein figure. Et il hurle, hurle, hurle, hurle jusqu'à en avoir mal à la gorge:
-Tu mens !
Mais il sait très bien qu'à cet instant, c'est lui le menteur.
Il a le regard vide en observant les flammes qui s'élèvent devant lui. Elles dansent et chantent, mais il n'y trouve aucun plaisir. Il ne voit que le corps de son père dans ce brasier funeste, et il a le sentiment qu'il ne pourra plus fixer un feu sans se rappeler cet instant.
Sa mère le tient dans ses bras et comme lui, elle ne pleure pas. Mais contrairement à lui, elle n'est pas vide: ses doigts serrent ses épaules et ses yeux sont allumés d'un brasier différent de celui qui lui fait face.
Son père a été assassiné. Ils ont trouvé une vingtaine de coups de couteau dans son dos. Le dernier, celui qui l'a mis à genoux, lui a été porté au cœur.
"Je le vengerai."
Sa mère le tient un peu plus contre elle à ces mots.
"Je le vengerai, maman. Je le jure sur le Mal en personne, sur mon âme et sur notre nom."
Les doigts de sa mère sont devenues des griffes acérées qui lui percent la peau. Mais il ne sent plus la douleur.
"Tu ne feras rien, Drakayn."
Parce qu'il est vide en cet instant, et qu'il le sera encore pendant longtemps, il ne la contrarie pas davantage.
"Non, il ne fera rien Idras, car je me chargerai des coupables avant lui."
Les paroles de son oncle à ses côtés sont pleines de résolution et de rage. Il se détend, car il n'y a aucun mensonge dans sa promesse. Pourtant, au fond de lui, il espère que son oncle échouera.
Il veut que cette vengeance soit sienne.
Les responsables ont été trouvés.
Et avec leur capture, la cause de l'assassinat de son père est révélée: il s'était fait de nombreux ennemis et ils n'avaient pas supporté qu'il porte dans sa famille le bâtard du Diable, son favori qui plus est.
Ils ont été condamnés à une torture éternelle. Tourmentés jusqu'à leurs limites puis emprisonnés jusqu'à ce qu'ils s'en remettent. Et le supplice reprenait: une boucle sans fin.
Il aurait dû trouver la nouvelle satisfaisante.
Mais il retient juste que c'est de sa faute.
Il croit qu'il va étriper sa mère.
Quelque chose cloche. Un air fou dans son regard. Une lumière toujours allumée dans sa chambre. Des escapades et des rendez-vous avec des inconnus. Et elle l'évite.
Il veut lui parler, mais elle l'ignore, trouve une excuse et s'échappe.
Un jour, son oncle leur rend visite. Lui et sa mère ont une longue discussion. Son oncle repart.
Il pense que sa mère va mieux. De la raison dans son regard. De l'obscurité dans sa chambre. Elle ne sort plus ni n'a de rendez-vous avec des inconnus. Et elle le couve d'attention.
Il se rend vite compte que tout ne va pas mieux, mais que tout est pire: un responsable est toujours en liberté.
Il ne se sent plus vide.
Il se plonge à fond dans ses études: escrimes, arts martiaux, torture... Tout y passe.
Il croyait détester Fergon, ce Draconiaque envoyé par son oncle pour lui apprendre l'art de l'épée et celui de la magie. Maintenant, il se rend compte qu'il est son plus proche allié, qu'il peut presque le considérer comme un frère.
Il se sent rempli de haine, de rage et de culpabilité.
Il a enfin un objectif.
Sa mère sait qui est le responsable qui a échappé à son oncle. Elle le sait mais elle ne fait rien. Elle ne veut même pas lui dire qui il est.
Dans une dispute colossale sur le sujet, il la traite de lâche, la supplie, l'incrimine, pleure de rage et de désespoir, ne comprend pas pourquoi elle ne cherche pas à venger son père, ne comprend pas pourquoi elle ne cherche même pas à se justifier ou à se défendre.
Elle garde le silence.
Il se risque à un dernier recours pour la faire réagir, la haine teintant chacun de ses mots:
-Est-ce que tu crois que papa est mort à cause de moi ?
Elle reste muette, mais elle ne peut pas être plus éloquente.
Leur relation n'a plus jamais été la même.
"Tu sais que tu es le bienvenu au palais Drakayn."
Il l'ignore et continue de s'exercer à l'Effacement.
"Maintenant que Messyn n'est plus là, je_
-..."ne serai toujours pas ton père.""
Son oncle l'examine un long moment. Avec un soupir, il se tourne vers lui, laissant pour le moment de côté l'Effacement.
"Je n'avais qu'un père et il est mort, tonton. Je m'appelle Drakayn Menbriel O'Yax et je ne serai jamais Naï'Seck Drakayn. Compris ?"
Son oncle se contente de rire et de lui ébouriffer les cheveux. Il se laisse faire, mais son cœur se sert en se rendant compte que c'était un geste entre lui et son père. Il se sent presque coupable de le partager avec son oncle, et il se jure que la prochaine fois, il esquivera sa main.
Une fois qu'il se sait prêt, des années après, il abandonne tout derrière lui et grâce à Crisis, il réussit à pénétrer dans la cellule de l'instigateur de l'assassinat de son père.
C'est un homme qui a une tête de rat et le regard d'un serpent: Grint Vil' Tertre. Son corps est squelettique, recouvert de cicatrices et de multiples plaies plus ou moins anciennes. Sa poitrine se soulève mais son regard est éteint. Grint Vil'Tertre est mort, la loque qui gît devant lui une coquille sans âme.
Il ne s'en inquiète pas, car il n'a pas besoin de Grint Vil'Tertre en vie pour obtenir de lui ce qu'il recherche. Il plante ses yeux dans les siens, et il Plonge. Il Plonge profond, à une profondeur qu'il n'a jamais atteinte car trop dangereuse. Et enfoui dans l'esprit de Grint Vil'Tertre, là où personne avant lui n'a cherché de réponse, il obtient ce qu'il veut.
Ancenne Detroi.
Il quitte la prison en laissant un Grint Vil'Tertre au stade de légume. Et il réfléchit déjà à un moyen de se rendre incognito à Quantamoniam pour y intégrer la célèbre Guilde des Mercenaires Sanglants.
Il se fait appeler Henkiel et devient mercenaire. Au bout de cinq ans, il s'est forgé une solide réputation et va à Quantamoniam, l'épée de son père à sa ceinture. C'est le seul objet reconnaissable qu'il s'est autorisé à prendre, car il ne tuera pas Ancenne Detroi avec une autre arme.
Il lui faut quelques mois seulement pour être reçu à la guilde. Il passe les premières épreuves avec brio, devient aspirant assassin, rencontre certains membres avec qui il sympathise, subit un entrainement monstrueux et évite le plus possible d'entrer dans le radar d'Yls Desombre.
Mais toujours aucune trace d'Ancenne Detroi.
Ancenne Detroi était en mission, voilà la raison de son absence. Il ignore comment, mais il arrive à contenir son envie de meurtre et le salut avec le respect qu'il est censé lui devoir. C'est un Empathaire aux cheveux bruns, réputé pour être le meilleur de la guilde.
Il aimerait maudire Yls et l'égorger sur place lorsqu'il lui apprend qu'Ancenne Détroit sera son mentor.
"Tu es un bon élément, Henkiel."
En sueur, les muscles douloureux et son cul au sol, il foudroie du regard Ancenne.
"Un bon élément, oui, mais pas encore assez fort pour me porter un coup. Alors lève-toi et recommence ce mouvement, avec plus de rapidité et plus de force. Et cette fois, peut-être que tu arriveras à me frapper."
Il entend Firma rire dans son dos et il perçoit nettement le soupir de Merabelle. Il tient en laisse sa haine et sa fureur. Il s'exécute, donnant tout dans ce foutu mouvement. Ancenne le bloque de nouveau. Mais avec un rictus, il prend par surprise l'Empathaire et lui envoie un coup de pied dans le ventre.
Firma siffle d'admiration et Ancenne recule, une grimace de douleur sur son visage et son corps plié en deux. Mais ses yeux sont amusés.
"Pas mal, Henkiel, pas mal... Mais..."
Ancenne fait un mouvement circulaire du doigt et le sol se met à bondir follement sous ses pieds. Il jure, il a du mal à garder l'équilibre et ne voit donc pas arriver le poing de l'Empathaire.
Une nouvelle fois, il termine au sol, avec un nez brisé en bonus.
"...garde toujours ton attention sur ton adversaire. Enzo, vient le soigner !"
Finalement, il veut remercier Yls de lui avoir attribuer Ancenne comme mentor: il n'y a pas de meilleur moyen pour apprendre comment tuer un homme.
"Henkiel...Tu peux me dire pourquoi tu as cette épée en ta possession ?"
Il se fige. Ancenne a son arme entre ses mains et l'examine avec une expression qu'il n'arrive pas à lire. Peur ? Colère ? Trahison ? Compréhension ? Tristesse ? Déception ?
Ils sont seuls à seuls, en mission. Il est membre officiel depuis dix ans à présent. Pendant dix ans, il a attendu ce moment. Pendant dix ans, il a laissé de côté sa vengeance, toujours présente dans son esprit d'une manière ou d'une autre. Pendant dix ans, sa haine et sa rage n'ont fait que grossir, jusqu'à devenir les seules émotions qu'il soit capable de ressentir sans feinte.
"C'était l'épée de mon père."
Ancenne a un sourire brisé.
"Je vois."
L'Empathaire se tourne vers lui et il lui lance son épée pour ensuite dégainer la sienne. Il la rattrape d'un geste sûr; cela fait cinq mois qu'il se sent prêt à affronter Ancenne. Le meurtre entre membre étant prohibé, il attendait juste l'occasion d'être envoyé en mission avec lui.
Mais il n'est pas stupide. Il sait qu'il a de grandes chances de mourir.
Et il s'en fiche.
La culpabilité le ronge et il se dit qu'en dehors de sa vengeance, il ne possède aucune raison de vivre.
Il n'est pas mort.
Ancenne Detroi non plus.
L'Empathaire est étendu face à terre, un de ses bras arraché et sa colonne vertébrale brisée.
"Je t'ai...bien...formé...Drakayn."
Ancenne a un petit rire, tremblant et gluant.
"J'avais...oublié que...le fils...O'Yax...était un...putain de...Draconiaque."
Il crache une gerbe de sang au sol et s'avance vers l'assassin en boitant, une main à son épaule déboitée pour la remettre en place d'un geste sûr.
"J'aurais...jamais dû...accepter...ce putain...de job...même pour...tout l'or...du monde."
Non, il n'aurait jamais dû. Il se plante devant lui et il s'accroupit.
"C'était qui, Ancenne ? T'es celui qui a approché Grint Vil'Tertre, celui qui lui a monté la tête pour tuer mon père, celui qui lui a donné un plan et des alliés pour le faire, celui qui lui a planté une dague dans le cœur une fois qu'il était suffisamment affaibli: mais ce n'est pas toi qui est à la tête de tout ça. T'es comme eux au final: un pion. Alors c'était qui bordel ?"
Ancenne a bougé la tête pour l'observer, un sourire amer sur ses lèvres.
"Même si...je vais...crever...crois pas...que je vais...balancer mon...commanditaire..."
Un filet de fureur lui échappe et il relève la tête d'Ancenne en lui tirant les cheveux, prêt à lui mettre une droite. Mais il s'arrête à temps: tout ce que veut l'Empathaire, c'est qu'il le bute et qu'il prenne le nom de son employeur avec lui dans la tombe.
"Tu l'as dis toi même: tu vas crever. Qu'est-ce qui t'empêche de me dire qui c'est ?"
Ancenne lui jette un regard désabusé.
"Y a...des choses....pire que...la mort...p'tit con."
Il se rappelle du Lac des Millions de Tourments et avec un sourire féroce, il met sa main sur la tête d'Ancenne.
"T'as raison: il y a des choses pires que le mort."
La réponse lui est soufflée au creux de l'oreille, dans une voix râpeuse et détruite.
"Diable."
Il ne peut pas décrire ce qui s'empare de lui à ce moment. Ce sont des émotions trop brutes, qui dépassent les mots. Haine, rage, trahison, dégout, désespoir: des mots trop faibles pour en parler.
Il a envie de détruire les six mondes, de remuer ciel et terre pour trouver une réponse différente, d'effacer son existence et de trouver un châtiment pire qu'une torture éternelle. Il veut mourir pour mettre fin à ce gouffre qui l'avale petit à petit et vivre pour voir le Diable détruit à ses pieds.
Il comprend tout à présent. Pourquoi le Diable a tué l'homme qui était son meilleur ami, le silence de sa mère et la désolation dans son regard quand elle l'observe: c'est lui.
Le vrai coupable, c'est lui.
Plus que toute autre chose, il mène sa vengeance contre lui-même.
Une détonation secoua l'air et le sol, séparant brutalement les deux Dragons. Drakayn cracha un juron et secoua sa tête pour revenir correctement à ses esprits. Voilà ce que c'était que de partager des souvenirs ancrés dans l'âme : cela mettait la tête en vrac et le cœur en miettes.
"Drakayn, tu_, commença Drakaïs, la voix émue.
-Plus tard."
Il entendit son soupir irrité, mais son attention fraîchement retrouvée se concentrait vers le ciel. Et il n'avait vraiment pas envie de voir l'expression de la Draconique. Réveiller ses vieux démons ravivait de vieilles blessures, et il regrettait déjà de ne pas tout simplement lui avoir raconté son foutu passé de merde.
Mais il y aurait alors toujours eu le risque qu'elle ne comprenne pas.
Plus tard, petit con: il réfléchirait à ça plus tard !
"Qu'est-ce qu'il se passe ?", lui demanda plutôt Drakaïs.
Il l'aurait embrassée pour sa compréhension s'il n'était pas aussi contrarié.
"On nous attaque. Ou plutôt, on s'apprête à nous attaquer."
Il reconnaissait ses fissures qui zébraient le ciel et ce grondement qui bourdonnait dans l'air.
Des portails.
Note: ....................................hey ? Oh purée, mais ce chapitre est long ! *cri de panique* Ce n'était pas prévu que ce soit aussi long ! Olalala ! C'est à cause du passé de Drakayn ça ! ARG !
*se calme*
Pour expliquer plus calmement... Le passé de Drakayn est long. Purée, cette partie est énorme o_O ! Je pensais que ça serait plus court, mais si j'avais développé moins... Beurk. Chaque scène est trèèèès importante, je ne pouvais pas en enlever une, non. J'aurais pas été satisfaite. Vous avez là un aperçu de son passé (avec beaucoup d'ellipses); un aperçu de ce que serait un livre sur lui si je me décidais un jour à lui en donner un (c'est pas près d'arriver lol).
Et j'espère vraiment, mais alors vraiment, que vous me donnerez votre avis là-dessus. Parce que j'avais envie de vous expliquer son passé depuis que Drakayn est apparu :D !!!!! Alors ????? Ca vous a plus ???? Des pensées sur le père de Drakayn ??? Sur Crisis ??? Sur Abaddon ???? Sur Idras ???? Sur Ancenne ??? Sur Drakayn ???? (pas trop de Fergon car j'ai coupé des scènes avec lui, snif snif ;_;) Vous avez été touché ???? Parce que perso, je l'étais en l'écrivant !
La première partie avec Drakaïs est un peu plus mineure... Mais essentielle aussi. Un avis dessus ?
J'espère tellement avoir vos avis sur ce chapitre ! J'attendais depuis si longtemps de l'écrire, et voir vos réactions dessus seraient le top du top (je retourne mendier des commentaires, mais j'ai vraiment besoin d'avis sur ce passage de l'histoire, car si je me suis chiée, je ne veux absolument pas me louper pour la réécriture X") !)!
Et puis la fin, évidemment ! Les portails ! Plus que deux chapitres (je dis chapitre mais en réalité, mes constructions de chapitres, c'est du grand n'importe quoi sur cette fin de livre XD !), donc c'est la bataille finale de ce tome ! Une pensée là-dessus :3 ?
La musique présente en haut de chapitre est celle que j'ai écouté en boucle lors de l'écriture de ce chapitre... Je la mets pour le plaisir et pour ceux qui seraient curieux, walla.
Merci à ceux qui ont voté et/ou commenté:
Je vous aime mais à un point <3 !
A très vite !
PS1:Loooongue note pour long chapitre ;_; !
Ps2: C'est bourré de fautes, j'en suis sûre :") (peu de relecture et groooosse fatigue, ça joue beaucoup)! Désolé pour ça, je me relirai demain et je corrigerai ça !
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