Chapitre 25:


Céleste ne s'habituerait jamais à la peur qu'elle croisait dans les yeux de certains de ses pairs.

La haine, la suspicion, le dédain, la fascination, l'admiration ; certes, elle pouvait comprendre, s'y faire.

Mais la peur ?

Non. Depuis des années, elle se demandait ce qui avait bien pu provoquer l'apparition d'une telle émotion. Et jusqu'à présent, elle faisait choux blanc.

La peur, viscérale, que ressentait la plupart des gens à l'encontre des Draconiques était un sujet qui ne cessait de l'interloquer.

Céleste, avec tous les documents et ouvrages présents à l'Alliance, avait eu l'occasion de se pencher sur les raisons et les origines d'une telle réaction.

Des attaques, des massacres ; des crimes, qui remontaient à la naissance de son peuple.

Et au vu de ses lectures, des descriptions de ces événements, sanglants et particulièrement horrifiants, il ne lui était pas difficile d'imaginer d'où venait cette terreur.

Non, elle pouvait parfaitement saisir les raisons de leur sombre réputation.

Cependant, elle avait plus de mal à identifier clairement les individus à l'origine de ces actes abjects.

Aucun nom dans les archives.

Rien, si ce n'était « Draconiques ».

Comme un tampon pressé sur les feuilles d'administration, le nom de leur peuple barrait chaque rapport, chaque récit, chaque témoignage.

Pas plus.

« Soit les employés de l'époque étaient des incapables », pensa Céleste avec amertume, les dents serrées. « ...soit il se cache quelque chose derrière cette affaire. »

Et elle penchait plus vers la seconde alternative.

Ses talons claquant sur les dalles du couloir immaculé qu'elle traversait, les arches fines et incrustées de mosaïques lui servant de voûte céleste en cette soirée d'automne, la Draconique ignora les regards mauvais que les autres lui jetaient sur son passage.

Des siècles après ces crimes, l'image de monstre sanguinaire collait toujours à la peau de son espèce.

Mais plus que la peur, c'était désormais le dégoût qui surgissait dans le cœur des gens.

De monstres sanguinaires, ils étaient passés à créatures grotesques : à des abominations.

Ravalant un reniflement de dédain, Céleste accéléra le pas.

Après tout, elle était attendue. Et il était hors de question qu'elle salisse la réputation de sa famille, déjà suffisamment dégradée, en se faisant remarquer par son retard.

Des dossiers à la main, avec de grandes enjambées, Céleste quitta le couloir, traversant alors brièvement les jardins, ignorant avec une froideur noble la beauté des lieux pour s'engouffrer dans l'amphithéâtre.

Haut d'une cinquantaine de mètres, le toit en coupole, le drapeau de l'Alliance serti de son éclipse flottant à son sommet, des statues de grands héros à chaque entrée ; le bâtiment s'imposait par sa splendeur majestueuse. Et si de l'extérieur, l'amphithéâtre paraissait froid et austère, à l'intérieur, l'impression était toute autre. Les murs, couverts de peintures et de tapisseries, accueillaient comme de vieux amis les visiteurs, tandis qu'installés en cercle, les rangs se fermaient sur une audience au sol de marbre. Juste devant, faisant face à toute la foule, se trouvait l'estrade, où siégeaient les trois membres les plus éminents de l'Alliance. Et même si le public trônait en hauteur par rapport à ceux qui s'avançaient au centre pour parlementer, il en ressortait une vive sensation de chaleur et de bienveillance. L'intimidation, en temps normaux, n'avait pas sa place ici.

C'était davantage réservé au Tribunal.

Et Céleste, avec un petit sourire, qu'elle cacha vite, songea que c'étaient pour ces raisons qu'elle aimait à ce point l'amphithéâtre. Car il était l'incarnation même de l'Alliance : d'une apparence sévère de premier abord, mais en réalité incroyablement chaleureux lorsque l'on s'y intéressait en profondeur.

« Céleste ! », fusa un appel, qu'elle perçut malgré le brouhaha continu provoqué par les membres de l'Assemblée.

Le silence ce fit dans la salle, et toute l'attention fut sur elle.

D'un mouvement vif, l'apostrophée se tourna vers l'interpellateur,  remplaçant son expression par un masque de fer.

Au loin, agitant ses bras en tout sens, se trouvait Thes, un énorme sourire plaqué sur ses lèvres.

D'une démarche fluide, elle s'avança vers lui, les sourcils froncés, les conversations reprenant cours. Son collègue était toujours aussi discret.

« Je t'ai gardé une place », lui apprit-il en lui montrant un siège à ses côtés, ce même sourire barbouillant toujours son visage.

D'un hochement de la tête sec, elle le remercia et s'assit, ouvrant devant elle ses dossiers pour les observer une dernière fois.

A ses côtés, Thes s'agitait dans son siège ; ses mains pianotaient sur la table et ses pieds tapotaient frénétiquement la moquette pourpre de la salle. Du coin de l'œil, elle l'observa. Caché derrière ses lunettes noires et ses mèches de cheveux tout aussi sombres, son regard bleu énigmatique tressautait d'une personne à l'autre, analysant avec minutie tout ce qui passait devant ses yeux.

Thes était en forme ce soir là.

« Tu as une idées sur leur verdict ? lui lança-t-il sans se tourner vers elle, de l'excitation dans la voix.

-Et toi ? », préféra-t-elle répondre, refermant une bonne fois pour toute ses dossiers : avec Thes dans cet état, elle pouvait laisser tomber l'idée de peaufiner ses arguments.

Cette fois, il se tourna vers elle, une lueur ravie allumant son regard pan.

« Je n'en sais rien ! s'exclama-t-il avec joie. Et c'est ça qui est passionnant ! C'est la première fois que l'on se retrouve dans une telle situation !

-Pas vraiment, rétorqua-t-elle en s'adossant. Rien qu'avec les guerres Angelo-démoniques, par exemple...

- Oh, voyons, tu sais très bien ce que je veux dire ! Ici, il s'agit de l'Empire ! Et tu sais que l'implication de l'Alliance dans cette guerre pourrait changer l'ampleur du conflit !

-Je le sais parfaitement, crois-moi, fit-t-elle sèchement.

- Oui, bon, murmura Thes en se passant une main nerveuse dans le cou. Ecoute, je sais bien que pour toi, leur réponse est très importante, mais dis-toi que tu peux changer les choses. C'est de toi que vient la proposition, c'est toi qui va défendre l'idée de ton camp, et tu es brillante. Tout va bien se passer. Donc...détend-toi, tu veux bien ? », lui conseilla-t-il, l'expression chaleureuse et la main sur son bras.

Avec un long soupir, elle se décida à l'écouter. Il avait raison. Ce n'était avec cette attitude qu'elle allait rallier à sa cause les trois Grandes Voix.

Soudainement, le silence se fit dans la salle ; un silence rempli de respect. Les nerfs plus tendus que jamais, Céleste se redressa, son attention rivée sur l'estrade, sur les trois sièges aux allures de trônes, qui attendaient patiemment leurs occupants.

Et dans un coin, arrivant avec cérémonie, ils arrivaient.

Les trois Grandes Voix.

Crystal, la Voix Blanche, ouvrait la marche.

Céleste sentit un sourire émerveillé fendre son visage. Mais cette fois-ci, elle ne chercha pas à le dissimuler.

La Dragonne Ancestrale, sous sa forme humanoïde, se tenait comme une reine ; droite et altière. Céleste ne se lasserait jamais de voir sa supérieure, si délicate et noble. Tout en elle respirait la douceur, la gentillesse et la patience ; l'incarnation même des principes de l'Immaculée, qui prônait Justice, Raison, et Tolérance.

Ses longs cheveux de neige, qui semblaient doux comme la soie la plus raffinée, coulaient dans son dos, tels une traine de mariée. Surmonté d'un large front, son fin visage de nacre, aux pommettes anguleuses et rosées, était empreint de chaleur, un léger sourire sur ses lèvres de corail. Ses yeux, eux, tels deux rubis, laissaient entrevoir sa sagesse et sa bonté. Enveloppée dans une longue robe lactescente la tenant à la taille, et d'un large manteau de crème dans lequel elle semblait flotter, la Dragonne Ancestrale ressemblait à une apparition onirique. Et sa démarche, aérienne, ajoutait un effet magique à son avancée, qui tenait tous les membres de la salle en haleine.

Oui, tout chez la Voix Blanche inspirait ce sentiment léger d'amour et d'allégresse ; de paix.

Au contraire de Satan Du Trisix, la Voix Noire, qui la suivait.

Il s'avançait sans bruit, le pas pourtant brutal, d'un mouvement saccadé et tendu qui roulait ses muscles ; mais pas par nervosité : par agacement. Les mains croisées dans le dos, la posture froide et la tête haute, le Démon des Premiers Feux imposait sur la salle son aura de puissance, étouffante et violente. Comme Crystal, il était la figure parfaite de sa caste, l'Obscurité, domaine du Silence, de la Vérité et du Triomphe.

D'allure austère, les cheveux de jais coupés court et rasés sur les côtés, un visage dur et fermé, marqué par des rides amenés par le travail et non par la vieillesse, un bouc finement taillé, la Voix Noire provoquait à chaque arrivée une vague de frisson. Mais c'était son regard écarlate, qu'il dardait sur les foules et qui fouillait l'âme, qui terrifiait réellement. C'était un regard mort, dans lequel se lisait l'ennui et parfois, malice et cruauté. Passé maître dans la possession, ses hôtes étaient indénombrables et sa réelle apparence restait inconnue, et ce, malgré les multiples rumeurs qui trainaient sur le sujet. Habillé d'un costard à la cravate pourpre, une longue épée de ténèbres battant son flanc droit, Satan Du Trisix était sans aucun doute la plus effroyable des trois Grandes Voix de l'Alliance.

Céleste se demandait encore les raisons qui avaient pu pousser ce Démon, Grand Prince des Enfers, à renier sa place de choix dans son monde afin de combattre pour la Paix, la Liberté, et la Fraternité.

La dernière des trois Grandes Voix, elle, ne faisait pas l'objet de tant de polémiques.

Kim Du-Petit-Tronc, la Voix Grise, trottait derrière les deux autres, ses deux glaives à ses côtés, le rythme vif et tressautant. Il ne fallait pas se fier à son allure chétive et plutôt attendrissante ; même en tant que Lutin, il restait redoutable et symbolisait avec perfection l'Argenté, maison de l'Honneur, de la Force et de la Loyauté.

Frôlant de vingt centimètres le mètre pile, le Lutin possédait une frimousse ovale caractéristique de son peuple : un nez long et fin, en trompette, des yeux émeraudes en amande, et une chevelure rousse, indomptable. Ses oreilles, rehaussées et pointues, étaient harmonieusement courbées et disparaissaient dans des mèches folles. Les lèvres pincées en une moue concentrée, habillé de sa tunique de lin teintée de brume, il suivait les deux autres Grandes Voix au pas de course, refusant d'être laissé en arrière. Un vrai petit être rempli de détermination, et surtout : têtu comme la pire des mules. C'était également une vraie boule d'énergie, réputée infreinable lors des combats.

Céleste jeta un coup d'œil à Thes, s'arrêtant avec humours sur son uniforme gris, en contraste avec le sien, laiteux. A chaque fois qu'elle voyait la Voix Grise, elle était frappée par la ressemblance d'esprit entre les deux membres de l'Argenté. A croire qu'il s'agissait de l'une de leur caractéristique.

Les trois Grandes Voix avaient désormais pris place sur leurs sièges, posant leurs attentions sur l'Assemblée.

« Paix, Liberté, Fraternité, nous déclarons la neuvième Assemblée de l'année ouverte, déclara Crystal, sa voix claire brisant le silence.

-Paix, Liberté, Fraternité ! lui répondirent en cœur la foule, ainsi que les deux autres Grandes Voix.

-Nous ouvrons aujourd'hui le débat sur notre position quant au conflit à venir entre l'Empire et les Draconique... Où sont donc ces foutus papiers... », maugréa plus doucement le Lutin, en tressautant sur son siège, et en semblant fouiller sa table avec agacement.

Satan Du Trisix, avec un soupir, lui montra d'un tapement du doigt sur la table les documents recherchés.

« Ah ah ! s'exclama Kim avant de se racler la gorge avec embarras. Merci mon ami... Je disais donc : nous débattrons et entendrons les arguments des deux camps ; ceux prônant la participation aux combats, et ceux prônant la neutralité armée. Ainsi... −Il plissa ses yeux et renifla, son nez dans les papiers.− ...j'appelle à nous rejoindre Céleste Menbriel de l'Immaculée et Abrahax Zaldir de l'Argenté. »

En inspirant longuement, les mains crispées sur ses dossiers, Céleste se leva, apercevant le sourire encourageant de Thes avant de s'avancer vers le centre, vers ce que les membres de l'Alliance nommaient avec affection « la Fosse ».

Elle ignora les regards sur elle le long de sa descente. A ce moment précis, elle devait faire abstraction des autres. Même si les voix de l'Assemblée comptaient, les plus importantes à gagner restaient celles des chefs des trois castes. La tête redressée avec confiance et fierté, elle posa ses pieds sur le sol marbré de la Fosse, enfouissant sa nervosité au plus profond d'elle-même.

Elle adressa un hochement de tête rempli de respect aux trois Grandes Voix, et un plus sec à Abrahax. Son concurrent, une Fée de la Nuit aigrie par la vie et connue pour sa langue dure, lui répondit de la même manière.

« Si je ne me trompe pas, le camp de la jeune Céleste est appuyé par l'Immaculée, ainsi qu'une partie de l'Obscurité, tandis que celui d'Abrahax est soutenu par l'Argenté... », déclara Satan, en fixant tour à tour les deux nommés.

Retenant un frisson, Céleste répondit à l'affirmative.

« Eh bien, commencez donc. », marmonna-t-il, les mains croisées devant son visage.

Se tournant face à Crystal, qui lui offrit un petit sourire, Céleste prit une légère inspiration, avant de faire volte face, ouvrant d'un même mouvement son dossier, marchant dans la Fosse, comme un lion en cage prêt à livrer un combat.

A cet instant, avec ses cheveux bruns bouclés ramenés en une forte queue de cheval, ses yeux bruns, déterminés et durs, ses lèvres carmins serrées, sa poitrine gonflée en avant et sa tête haute, elle savait que c'était là que se jouait le destin de son peuple.

« Que le spectacle commence... », pensa-t-elle, l'envie de vaincre faisant pulser son cœur.

« La guerre est à nos portes, commença-t-elle en laissant planer son regard sur les rangs face à elle. Ce n'est pas la première fois que nous nous trouvons dans une situation pareille, et ce ne sera pas la dernière. »

Elle s'arrêta soudainement, rivant son attention sur les trois Grandes Voix, avant de prononcer avec émotion :

-Paix, Liberté, Fraternité : notre devise.

Elle reprit son chemin, l'écho de ses talons résonnant dans la salle.

« Rejoindre le combat, dans ce cas bien particulier, ce n'est pas faire la Paix. Ce n'est pas faire les louanges de la Liberté. Et ce n'est certainement pas faire acte de Fraternité. L'Alliance est née pour rallier les peuples à sa cause, pour unir les mondes en une idée folle, une idée qui nous anime tous ici ; celle de l'harmonie. »

Elle aperçut brièvement le visage de Thes, radieux, ses deux pouces en l'air, et elle eut du mal à retenir un sourire de fleurir sur ses lèvres.

« Nous ignorons encore bien trop d'informations pour pouvoir nous lancer avec certitude dans le combats. Que ce soit pour joindre le camp des Draconiques, ou même celui de l'Empire, nous ne pouvons pas dire avec exactitude si c'est joindre le camp des justes. »

Vivement, elle se tourna vers la foule, l'expression gardée, une page de son dossier brandie à la vue de tous.

« Je sais que beaucoup d'entre vous voient dans les Draconiques un peuple de monstres, d'abominations, alors que l'Empire représente l'ordre et l'équité. Tout penche dans cette direction. Archives du passé, récits du présent, conjectures sur le futur... Mais trois individus, jadis, trois rêveurs, on dit, ce fameux jour où notre organisation est née : « Il faut oublier le passé, faire fi du présent, et ignorer le futur. » Et cette réplique est rentrée dans l'Histoire pour une raison. »

Elle se tourna vers l'estrade, et tout en continuant à parler, posa la feuille en question, la charte de l'Alliance, devant les trois Grandes Voix.

« Il faut croire en l'incroyable, imaginer l'inimaginable, espérer dans l'inespérable ; faire le pari fou, à l'origine de nos convictions actuelles, que les apparences se jouent de nous et qu'au-delà des limites de nos croyances, la Vérité, unique voie vers l'harmonie, existe. »

Elle laissa planer un court silence, appréciant la réflexion qu'elle apercevait sur la plupart des visages.

« Mais nous ne sommes pas réunis ici pour discuter de cela, lança-t-elle en faisant demi-tour. Pas vraiment en tout cas. Je suis ici, devant vous, pour vous convaincre que faire le choix de la neutralité armée, c'est le devoir de notre organisation, martela-t-elle avec sa main, qui fendait l'air vivement. Dans ce conflit, notre armée ne serait pas bénéfique à la cause, non, au contraire. Il nous faut jouer avec finesse, envoyer nos négociateurs les plus doués, utiliser nos talents d'orateur, d'observation ; il nous faut être rusés. La solution est-elle de prendre le rôle du boucher ? Est-elle de partir comme des héros sur le champ de bataille, laissant nos arrières sans protection ? Est-ce là faire honneur à notre réputation ? »

Un mouvement de tête négatif secoua la foule.

« Evidemment, rétorqua-t-elle en s'arrêtant, faisant claquer ses talons une dernière fois, les mains derrière le dos. Il nous faut enquêter, chez les deux camps. Etre les ambassadeurs et la voix de la raison. La réconciliation est possible, le conflit peut être évité. Mais uniquement en utilisant les bonnes cartes. Pas avec une attitude de brute sans cervelle. Frappons avec douceur, pas avec violence. Utilisons notre voix, pas notre épée. Cherchons à faire la paix, pas la guerre. »

D'une pirouette gracieuse, elle pivota vers l'estrade, examinant rapidement les expressions des trois Grandes Voix.

Crystal cachait un sourire derrière ses mains, mais ses yeux, brillant d'une douce chaleur, laissaient voir son avis.

Satan Du Trisix, lui, était plus indéchiffrable que jamais.

Et Kim Du Petit Tronc, les sourcils froncés, semblait en pleine réflexion, partagé.

Céleste sentit la satisfaction la gagner. Objectif atteint.

« Et ce sont sur ces derniers mots que je termine mon plaidoyer, vos Grandeurs. », conclut-elle, la voix rauque.

Désormais, c'était au tour de la Fée de la Nuit.

« De bien jolis mots, Mademoiselle Menbriel, la félicita Abrahax, en l'applaudissant, avec sarcasmes. Cependant, je dois avouer qu'ils me laissent un léger goût amer dans la bouche... souffla-t-il en s'avançant au centre de la Fosse. »

Tendue, Céleste se plaça sous l'emplacement de Crystal, cherchant du réconfort face aux récriminations et aux accusations qui, elle le savait, ne tarderaient pas à tomber.

« Car avouez que toutes vos belles paroles, lorsque l'on sait votre identité, paraissent empreintes d'hypocrisie. »

Céleste, les dents serrées, accusa le coup, tandis qu'un léger murmure traversait les rangs de l'Assemblée.

D'un long raclement de gorge agacé, la Voix Noire ramena le calme.

« Voyez-vous, continua la Fée de la Nuit, en tant que fille d'Idris Menbriel, qui, si je ne me trompe pas, est le chef des Draconiques, je ne peux m'empêcher de voir derrière votre demande un appui envers la quête de votre père. Est-ce vraiment la paix que vous recherchez, Mademoiselle Menbriel ? »

Un lourd soupir résonna dans la salle. Avec surprise, Céleste jeta un coup d'œil à la Voix Noire, qui lançait sur sa montre des regards appuyés.

« Il me semble qu'il pourrait être dit de même pour vous, Abrahax. En tant que Fée de la Nuit, votre demande quant à joindre le combat est tout aussi ambiguë. N'oubliez pas que nous ne sommes pas au Tribunal, votre petit réquisitoire n'a pas sa place ici. Alors au lieu de nous faire perdre notre temps, venez-en aux faits. », siffla Satan, le ton sec.

Il y eut un flottement dans l'air, dans lequel Céleste perçut tout le choc de la salle. Même les deux autres Grandes Voix portaient sur leur collègue une expression étonnée.

Ce n'était pas du genre de Satan de prendre ainsi la parole. A croire qu'il devait vraiment être dans une humeur noire.

Loin d'être décontenancé, l'Argenté reprit la parole, plus sûr qu'auparavant :

-Vous avez raison, votre Grandeur, je vous prie de m'excuser.

- Peut-être serez vous pardonné si vous arrêtez de me faire perdre mon temps, ricana avec froideur Satan.

La foule prit une inspiration collective.

Les yeux écarquillés, Céleste se retenait tant bien que mal de frissonner. La Voix Grise ne sembla pas partager sa peur : son éclat de rire resta longtemps suspendu dans l'amphithéâtre.

Satan, quant à lui, continuait de marmonner sur la perte de son précieux temps.

Non, vraiment, la Voix Noire était de bien mauvaise humeur.

Mais ce n'était pas la Draconique qui allait s'en plaindre.

« Reprenez donc, Abrahax. », l'encouragea avec amusement la Voix Blanche, une fois le calme revenu.

Même la Fée de la Nuit, loin de se formaliser de l'attitude impolie de Satan, souriait légèrement.

En contraste avec le froid qu'avait jeté le Démon, le rire du Lutin redonnait joie au reste de la foule.

« Nous avons déjà vu par le passé ce que l'inaction sur le front nous coûtait, repris Abrahax, la voix plus chaleureuse ; des morts inutiles. A perdre du temps...pardonnez moi l'expression vos Grandeurs, rit-il en se tournant à demie vers l'estrade, provoquant de nouveau quelques rires et un grognement mécontent du côté des trois Grandes Voix. Je disais donc, à perdre du temps à s'affairer sans succès du côté des négociations, notamment lors des nombreuses guerres Angelo-démoniques, les victimes ont été bien plus nombreuses que lorsque nos forces ont rejoint le combat. En concentrant nos rangs sur les combats, nous épargnerons la vie de milliers d'individus, dans tous les camps. »

Il pivota vers Céleste, plantant ses yeux pourpres dans les siens.

« Et en agissant avec stratégie, non pas comme des bouchers qui frappent sur tout ce qui bouge, mais avec finesse et intelligence, nous mettrions fin à ce conflit stupide sans faire couler de sang inutile. Nous pourrions même éviter l'extermination totale des Draconiques. »

Il montra de nouveau son dos à Céleste, son attention cette fois tournée vers les rangs. Céleste sentit la frustration l'envahir en apercevant le mouvement de tête acquiesçant de la foule.

« Car c'est cela aussi, ramener l'harmonie. Agir sur le terrain. Avec notre importance et nos responsabilités, il nous faut nous salir les mains, même si nous devons pour cela faire quelques sacrifices. Un mal pour un bien. Si nous laissons ce conflit déborder_

-Par « un mal pour un bien », entendez-vous l'annihilation des Draconiques en échange de la paix ? l'interrompit au loin Thes, qui s'était levé brutalement, les mains plaquées sur sa table.

- Thes ! le prévint Kim, horrifié. Assied-toi tout de suite et tais-toi ! Si tu voulais parler, tu n'avais qu'à_

-Non, votre Grandeur. Je ne me tairai pas, déclara Thes, méconnaissable par le calme dont il irradiait. Même si ce n'est pas le sujet aujourd'hui, je pense que nous sommes tous d'accords pour dire que nous ne pouvons pas discuter convenablement de la question, si nous ne réglons pas une bonne fois pour toute un point crucial : la place des Draconiques.

-Tout ce que je vois, c'est qu'un sombre imbécile nous fait perdre une nouvelle fois notre temps, jeta la Voix Noire, qui n'avait d'yeux que pour Thes, qui ne tressaillit pas sous son attention.

- Tout ce que je vois, c'est cette sombre mascarade, qui nous fait perdre notre temps, à vous comme à moi. », rétorqua Thes, la voix atone.

Céleste, comme tous les membres de la salle, retint son souffle.

Mais que faisait donc Thes ? Ce n'était pas du tout son genre d'agir de cette manière !

« Depuis des siècles, nous laissons le massacre des Draconiques continuer. En quoi est-ce juste ? Paix ? Ah ! s'exclama-t-il en riant avec ironie. Je ne vois que Chaos ! – Des cris indignés fusèrent de toute part.− Liberté ? Ne me faites pas rire ! Vivre caché et avoir constamment peur pour sa vie, est-ce cela, la liberté ? Et le pire...Fraternité ! cracha-t-il avec acidité. C'est une bien piètre imposture que nous offrons au monde ! Un génocide, voilà ce que nous laissons commettre sous nos yeux ! »

A ce stade, le silence s'était fait dans la salle. Tous étaient trop choqués pour réagir, même les trois Grandes Voix.

Céleste, elle, dévisageait son ami.

Même si elle était horrifiée par son manque de respect au règlement, son cœur, lui, battait pour ses paroles.

« La voici, votre Vérité, souffla-t-il en se rasseyant. La voilà, l'Alliance, telle qu'elle est réellement : un simulacre. Si nous choisissons de prendre part aux combats, nous choisissons par la même occasion d'éliminer une bonne fois pour toute les Draconiques. Ne cachons pas ce vote derrière cette belle façade de paix ; nous savons tous ce qu'il en est en réalité. Car ce n'est pas derrière les Draconiques que nous nous rangerons. Avec les preuves les incriminant, qui le ferait ? Non, c'est l'Empire que nous suivrions. Et dans cette guerre, il entend bien effacer l'existence des Draconiques. Il n'est pas question de neutralité armée ou de joindre nos forces. La vraie question est la suivante : prendrons-nous part à ce massacre ? »

Avec sa peau pâle, ses cheveux d'ébènes, ses yeux pans, caché derrière ses lunettes, Thes hypnotisait la foule. Céleste ne l'avait jamais vu aussi charismatique.

Et aussi brusquement que ce Thes éloquent était apparu, le Thes tout penaud et embarrassé refit surface, et essaya d'ignorer le regard de la foule braqué sur lui, en nettoyant vainement ses verres, les doigts tremblants.

« Je crois qu'un vote serait la meilleure des réponses. », annonça Crystal avec émotion.

Céleste se tourna vers l'estrade.

Avait-elle bien entendu ?

« Mais je n'avais pas fini, se plaignit sans réelles convictions Abrahax, avec lassitude.

-Et le débat... »,ajouta Céleste, dépassée par les événements.

Satan soupira de nouveau, se coulant dans sa chaise et posant par la même occasion ses pieds sur la table.

« Un vote, donc. Soit, passons ces dialogues inutiles, accepta le Démon, l'ennui brouillant sa voix.

-Humpf ! », renifla le Lutin, les bras croisés sur sa poitrine et le nez froncé.

Le choc tenait le reste de la salle. Perdue, Céleste tenta de trouver Thes.

Là, se faisant tout petit dans son siège, le visage enfoui dans ses bras et les oreilles rouges d'embarras, le Thes d'à présent n'avait vraiment plus rien à voir avec le Thes si sûr de lui d'il y a quelques instants.

Ce petit imbécile...

Elle ne savait pas si elle voulait le gifler ou l'embrasser.

L'issue du vote en déciderait.

« Que ceux souhaitant prendre part aux combats lèvent la main ! », appela Crystal.

Quelques dizaines de mains, parmi les centaines, fendirent l'air.

Abrahax, les dents serrées et le regard rivé au sol, était resté immobile.

« Bien, continua la Voix Blanche. Même si nous nous doutons déjà de la réponse...Que ceux souhaitant la neutralité armée lèvent la main ! »

Comme une vague puissante, le reste des mains fila vers le plafond.

Céleste, le cœur battant et le sourire jusqu'aux yeux, grava cette vue dans son esprit.

Face à elle, des visages sûrs d'eux, déterminés, justes.

Abrahax, tendu et l'expression dure.

Thes, ayant un peu repris contenance, qui lui articulait un « Je te l'avais bien dit ! ».

Derrière elle, les trois Grandes Voix, unanimes, répondaient à l'affirmative également.

Crystal, avec grâce et un sourire pour la Draconique.

Satan Du Trisix, mollement, étouffant un bâillement de son autre main.

Et enfin, Kim-Du-Petit-Tronc, debout sur la table, son épée brandie en l'air.

« Nous déclarons cette neuvième Assemblée terminée. La majorité l'emporte : l'Alliance ne prendra pas part aux combats. La séance est levée. »

Paix, Liberté, Fraternité.

Et en fondant dans les bras de Thes, Céleste se répéta la devise comme une prière.

Thes avait eu tort après tout...

Elle se permit quelques larmes de joie.

...l'Alliance n'était pas un simulacre.

Note: Hey à tous :D ! Ça commençait à faire un petit bout de temps, alors voilà un petit chapitre :) ! Il est court pour une raison: mieux valait ne pas faire plus long (je n'étais pas en manque d'inspiration, mais il fallait que je m'arrête, on n'aurait jamais fini sinon XD !).

J'introduis donc une organisation primordiale dans mon récit: l'Alliance. Je me demande pourquoi je ne l'ai pas fait plus tôt, car son rôle important était prévu dans ce tome... *hausse les épaules* En tout cas, dans la réécriture, elle fera son apparition plus tôt, et vous aurez l'occasion de la voir davantage :) !

Et l'introduction de Céleste, la fille d'Idris ! Ah, j'attendais d'écrire sur elle, je vous dis pas ! J'espère qu'elle vous à plu, même si on s'attarde plus sur l'Alliance ici ;) ! Vous aurez d'autres occasions pour la voir, pas d'inquiétude :p !

Chose promise, chose due: passons à mes explications quant à ma disparition de cet automne ! Je vais faire bref et ne pas m'étendre sur ma vie privée, mais j'ai fait une déprime. Plusieurs petites choses ont fait que je n'étais vraiment pas au mieux de ma forme, moralement parlant. Problèmes de famille, contre coup de la perte d'un proche, ras le bol du lycée, préoccupations avec des amies: tout s'est mélangé pour faire un sac à merde qui m'étouffait.

Et je n'avais pas la tête à écrire ou à trainer sur Wattpad.

J'aurais dû vous prévenir, je m'excuse donc de mon attitude.

Si ça devait arriver de nouveau, je vous ferais signe :p !

Enfin, j'aimerais vous conseiller d'aller voir une histoire que j'apprécie énormément: Le trône du Northwarden, de Sword_of_Shadow :) ! Pour tous les amoureux de fantasy à la Game Of Throne, je vous encourage à allé jeter un coup d'œil sur cette histoire: vous ne le regretterez pas !

J'espère que ce chapitre vous aura plu, n'hésitez pas à me faire part de vos impressions :) !

Sur ce, je vous laisse !

A la prochaine :D !

Ps: Hum...j'ai fait mieux niveau longueur XD !

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