Chapitre 24 (partie 1):

« Tu n'arriveras jamais à me briser. »

Fergon ne comptait plus les fois où il avait entendu cette affirmation.

Et à chaque fois, il donnait tort à la personne, réussissant à lui arracher un cri de douleur, réussissant, par la torture, à faire de la personne l'ombre d'elle même.

La chose, pour tout Démon, était très satisfaisante.

Mais c'était bien la première fois qu'il se retrouvait dans une situation similaire, et qu'il doutait de ses capacités à avoir ce résultat si jubilatoire.

Et le pire restait peut-être que cette incertitude était causée par un simple sort de dissimulation.

En lâchant un énième soupire, Fergon laissa ses parchemins de côté et s'enfonça dans sa chaise.

Pourtant, tout avait bien commencé. Il s'était attendu à de la résistance, et ne s'était donc pas étonné de ne pas avancer les premiers jours. Mais à présent, une semaine après, sa maigre progression était décourageante ; risible.

Il avançait, et il sentait qu'il était à deux doigts de résoudre le problème et de défaire le sort. Mais à chaque fois qu'il pensait être sur le point de réussir, il rencontrait de nouvelles difficultés.

Le sort était insaisissable.

Il jeta un regard épuisé sur ses papiers. Des runes, toutes plus complexes les unes que les autres, avec des formes curvilignes et géométriques, s'étalaient sous ses yeux. A elles seules, elles représentaient des sorts de hauts niveaux.

Et face à ce sort de dissimulation, elles paraissaient incroyablement accessibles.

Seth était un génie. Fergon en serait presque jaloux.

Car Seth avait non seulement transformé un sort de premier niveau en un sort beaucoup plus complexe, mais il l'avait également fait avec une facilité déconcertante. Le Démon, après une semaine à l'étudier nuit et jour, connaissait le sort sous toutes ses coutures. Et la fluidité de la magie qui le composait, la perfection avec laquelle chaque parcelle se rencontrait, prouvait le talent de Seth.

Fergon l'imaginait très bien le lancer d'un vif mouvement de la main.

« Ou peut-être même qu'une seule pensée aura suffi... », marmonna-t-il.

Oui, Fergon en serait presque jaloux. Mais ce n'était pas vraiment son genre. Non, au contraire, il éprouvait de l'admiration pour Seth. Un tel génie, à défaut d'être envié, ne pouvait qu'être loué.

Le Démon brûlait d'envie de le rencontrer. L'entrevue serait certainement fascinante et riche en enseignements.

Mais en attendant, Fergon restait toujours autant démuni face au sort du mystérieux Magicien. Et vu l'importance du rôle de ce dernier dans le plan pour prendre Quantamoniam, le Draconiaque aurait préféré que Seth soit un Magicien moins talentueux.

Fergon était, à ce jour, dans une impasse. Il avait préféré garder cette information pour lui, ne voulant pas préoccuper les autres, mais actuellement, il ne se voyait pas défaire le sort avant...un long moment.

Pas avant deux semaines en tout cas.

De nouveau, il soupira.

Une date pour l'assaut avait été proposée, la veille.

Le jour du couronnement, qui aurait lieu dans une quinzaine de jours.

Et Fergon comprenait parfaitement les raisons derrière un tel choix : prendre Quantamoniam le jour du sacre serait symbolique, en plus de stratégique.

Cependant, Fergon doutait que l'attaque puisse avoir lieu ce jour là.

Trop de problèmes restaient à résoudre.

Car le Passage n'était que la partie visible de l'iceberg.

La Tour, tout d'abord. Où loger leur armée, ensuite.

Il retint un grognement de frustration.

La localisation de leur troupe. Encore une complication de plus.

L'idée était là. C'était plutôt au niveau du comment que l'affaire coinçait.

Il était prévu de cacher l'armée, jusqu'au jour de l'assaut, dans les Souterrains.

N'y tenant plus, Fergon laissa échapper un rire tremblant.

Non vraiment, l'idée était excellente, mais il lui paraissait impossible de réussir à convaincre les habitants des Souterrains d'une telle cohabitation, même si Yls garantissait le contraire.

Mais après tout, ils avaient encore du temps... Deux minuscules semaines, voyons, la chose était faisable.

Secouant la tête, il attrapa l'un de ses parchemins, sachant pertinemment que ce n'était pas là qu'il trouverait la solution à son problème. Après une semaine à essayer de le résoudre de cette façon, il était stupide de continuer à l'espérer.

Non, l'espoir, réel cette fois, venait d'ailleurs : Drakaïs. Fergon avait envoyé un mot à Drakayn, requérant la présence de la Draconique, et attendait désormais leur arrivée. La jeune femme disait ne rien connaître au domaine de la magie, mais ses actions, jusqu'à présent, donnaient une toute autre réponse.

L'écho d'une conversation, lointaine, le tira de ses réflexions.

Un sourire soulagé se dessina sur ses lèvres. Enfin, les voilà.

Il se tourna vers le tunnel, percevant avec plus d'acuité leur progression, au fur à mesure que les secondes s'écoulaient.

Il fronça les sourcils, amusé.

Leur discussion semblait animée. Une dispute ? Il ricana. Qu'avait encore fait Drakayn ? A croire que son ami n'avait toujours pas compris comment fonctionnait la Draconique. Ou peut-être faisait-il exprès de la pousser à bout. Qu'avait-il dit, déjà ? Ah, oui, cela lui revenait : «Énervée, elle est d'une beauté époustouflante. » Fergon renifla bruyamment, avec moquerie.

Drakayn était complètement sous le charme de la jeune fille.

Désormais, il pouvait saisir quelques mots. « Anas », « enfant », « honteux » « acteur », « Vampire », lui parvinrent.

Fergon pouvait comprendre les premiers mots, mais... « acteur » et « Vampire » ?

Il fronça les sourcils, les deux silhouettes des deux dragons se dessinant plus nettement au loin. A présent, la conversation lui parvenait très clairement.

Et il s'agissait bien d'une dispute.

« Je me fiche de tes raisons, Drakayn ! cria Drakaïs. Tu n'avais pas à torturer un enfant ! Un enfant !

-Oh, je t'en prie ! Il a peut-être tout d'un enfant, mais ne t'y fie pas, il est loin d'être aussi innocent qu'il le prétend ! rétorqua avec agacement le Draconiaque. Et tu as entendu ce que j'ai dit, au moins ? Son âme est suspecte, Drakaïs ! Elle crie « Vampire » ! Ne va pas me dire que ce n'est pas louche !

-Oh, je t'avais très bien entendu la première fois, ne t'inquiète pas ! siffla la Draconique, sa voix devenant aigue sous le coup de la rage. Et c'est l'une des raisons de ma colère : tu as fouillé son âme !

-Pardon ? fit le Démon, en riant avec incrédulité. C'est tout ce que tu as retenu ? Ma Plongée ? Drakaïs ! Vampire !" Il leva les bras au ciel. "Par les Six, Vampire ! Suis-je le seul à avoir un semblant de raison entre nous deux ?

-Amusant que tu le présentes de cette façon, j'allais te dire exactement la même chose ! », lâcha sèchement Drakaïs.

Cette fois, Fergon pouvait parfaitement voir l'air courroucé de Drakaïs et celui agacé de Drakayn.

« Et l'assaut... maugréa la jeune fille. Cette histoire est complètement folle. Nous ne serons jamais prêts à temps.

-Oh, tu ne vas pas recommencer ! lança avec un soupir Drakayn. Je t'ai déjà expliqué que c'était un projet ! Rien n'est encore certain !

-Tu dis ça, mais regarde tous les préparatifs que vous faites. Vous l'envisagez suffisamment pour les entreprendre. Alors que le Passage n'est même pas ouvert et que le problème de la Tour reste à résoudre. Sans parler de cette idée farfelue de loger l'armée dans les Souterrains. C'est du grand n'importe quoi !

-Et nous travaillons activement sur la question, donc cesse de faire ta rabat-joie !

-Ma rabat-joie ? répéta la Draconique, consternée.

-Exactement.

-La rabat-joie, elle va te_ »

Fergon choisit ce moment pour se racler la gorge, signifiant alors sa présence.

Les deux dragons eurent au moins le tact d'avoir l'air gênés de se faire surprendre dans une de leur dispute. Enfin, en partant du principe que le haussement de sourcils de Drakayn était un air gêné...

« Pardon pour ça, Fergon... », s'excusa Drakaïs, les joues rouges sous le coup de l'embarras.

Fergon balaya ses excuses de la main.

« Tu es là, c'est tout ce qui compte.

-Et moi, je vais vous laisser. », marmonna Drakayn en étouffant un bâillement.

Fergon vit parfaitement le regret traverser l'expression de la Draconique. Il cacha un sourire. Pas si pressée de le voir partir, et cela, malgré ce petit accrochage, n'est-ce pas ?

« Tu ne restes pas ? » demanda Drakaïs, de la déception dans la voix.

Le Démon passa un bras autour des épaules de la Draconique, qui ne se dégagea pas.

« Voyons, tu as réussi à survivre une semaine sans moi, je suis sûre que tu pourras tenir encore quelques heures ! », la taquina-t-il.

La jeune fille roula ses yeux, un sourire amusé sur les lèvres, avant de s'écarter pour rejoindre Fergon.

« Oublie ce que je viens de dire, je me rends compte que cette semaine sans toi a été l'une des plus tranquilles depuis des mois ! »

Les deux Draconiaques échangèrent un regard, rempli de sous-entendus.

« Oh, tu me blesses ma chère ! feigna Drakayn, la main au cœur. Moi qui étais persuadé de t'avoir manqué !

-Dans tes rêves ! », rit Drakaïs, ses yeux pétillant d'humour.

Fergon la joignit dans son rire. Drakaïs et Drakayn savaient être divertissants. Leur complicité, attachante, offrait une véritable bouffée de fraîcheur.

« Tu me feras le plaisir de la ramener à la guilde une fois que tu en auras fini avec elle, d'accord Fer' ? » lui demanda Drakayn, déjà tourné vers le tunnel et prêt à partir.

Fergon laissa un large sourire illuminer son visage à l'entente de son surnom, avant de jeter un regard interrogateur à la Draconique.

« Plus d'auberge pour moi et Sin ! Nous sommes assignés à la guilde ; nouvelle base le temps de l'attaque. » expliqua-t-elle.

Fergon lâcha un « Oh » silencieux, avant de répondre à l'affirmative à son ami. Et déjà, le dos de l'autre Démon s'enfonçait dans l'obscurité du tunnel, sa main levée en l'air en signe d'au-revoir.

« Et ne crois pas que tu es tiré d'affaire quant à Anas ! » le prévint une dernière fois Drakaïs, les mains en porte voix.

Fergon et elle entendirent parfaitement le reniflement amusé de Drakayn, avant de le voir disparaître totalement dans l'ombre.

Secouant la tête, Drakaïs s'étira avant de lâcher un retentissant bâillement.

« Je connais quelqu'un qui ne dort pas assez... », fit Fergon en lui jetant un regard amusé.

Elle haussa les épaules.

« Tu serais dans le même état que moi si tu suivais l'entraînement d'une Dragonne tyrannique ! », rétorqua-t-elle en baillant de nouveau.

Pour toute réponse, le Draconiaque rit doucement.

Lâchant un soupir, Drakaïs jeta un coup d'œil paresseux aux alentours, la boule au ventre.

Le Draconiaque était assis sur une chaise, une longue table remplie de paperasses devant lui. Un matelas gisait dans un coin, et au vu de ses draps parfaits et des cernes sous les yeux de Fergon, il ne devait pas être utilisé souvent. Quelques bougies traînaient de ci-de-là par terre, éclairant maladroitement l'endroit et projetant leur ombres dansantes sur les parois de pierre.

Et avec un long frisson, Drakaïs ne pût que constater un point : la cavité, même avec ce campement précaire, était toujours la même.

Des gouttes d'eau tombaient au sol, résonnant avec clarté dans la cave. Mais sinon, rien : le silence régnait. Et Drakaïs le trouvait toujours aussi angoissant et étouffant.

Son instinct lui criait de fuir à toutes jambes et une crainte sans nom lui compressait le cœur. C'était comme avec la Traversé du Hurleur. Même si sa logique lui chuchotait avec patience et calme qu'elle n'avait rien à craindre, ses tripes, elles, lui hurlaient avec urgence de quitter ce satané endroit le plus vite possible. Cette impression sinistre ne la quittait pas, et même une semaine après sa première présence en ces lieux, Drakaïs y était toujours aussi mal à l'aise.

En inspirant une grande bouffée d'air frais, elle se força à penser à autre chose pour tromper sa peur. Car c'était bien de la peur qu'elle ressentait à cet instant ; cette même peur que les enfants avaient dans le noir en s'imaginant mille terreurs nocturnes.

Elle croisa les yeux de Fergon, qui ne l'avaient pas quittée durant son observation, et y vit de la curiosité, mêlée à de la fascination.

« Qu'est-ce qu'il y a ? demanda-t-elle lentement, les sourcils froncés.

-Oh, rien, lâcha Fergon en souriant d'un air rassurant. Je m'interroge simplement sur ta mystérieuse colocataire. »

Prenant appui sur la table, Drakaïs lâcha un nouveau soupir.

« J'en déduis donc que tu n'as pas de nouvelles à ce sujet... », murmura-t-elle avec déception.

Le Draconiaque lui montra ses parchemins de la main.

« J'étais, hélas, occupé ailleurs.

-Rien d'étonnant, fit-elle avec un sourire. Je me doute que tu n'as pas dû avoir de temps pour penser à mon cas. »

Mais la Draconique en ressentait tout de même une pointe de regret.

Car Fergon avait examiné son âme, une semaine auparavant. Tout le monde avait jugé une Plongée nécessaire en apprenant l'existence de la Dragonne, même si Akhal et Idris avaient exprimé quelques réticences.

L'expérience avait été désagréable, même si elle n'avait pas été affreuse, et le Démon en avait tiré d'importantes informations. Enfin, d'importantes informations qui n'attendaient qu'à être examinées sous tous les sens ; interprétées.

La seule chose qu'il avait pu lui certifier était qu'il s'agissait d'un cas de possession. Différente de celle propre aux Démons, mais partageant tout de même quelques similitudes avec cette dernière.

Rien de plus.

Et Drakaïs se doutait bien que c'était réellement par manque de temps que Fergon n'avait pas pu s'y pencher dessus. Son vif intérêt, ainsi que sa curiosité presque enfantine quant à la Dragonne, en était la principale preuve.

« Non, mais j'espérais tout de même avoir le temps de pouvoir m'y intéresser." Il se massa l'arrête du nez. "Ce sort est juste plus coriace que prévu... », maugréa-t-il avec fatigue.

Drakaïs l'examina attentivement. Il avait mauvaise mine. En plus des cernes, son épuisement se voyait sur son teint et ses yeux, injectés de sang.

« Et tu espères que ma présence y changera quelque chose ? »

Elle en doutait sérieusement. Elle n'y connaissait rien, et mis à part lui faire perdre son temps, elle doutait que la situation évolue.

Fergon se coula dans son siège, un mince sourire sur les lèvres.

« Plutôt, oui.

-Je ne comprends pas pourquoi tu penses ça. », soupira-t-elle.

Le torse du Draconique tressauta sous son rire.

« Pourtant, cela me semble logique. »

Elle lui jeta un regard insistant, pour qu'il développe sa pensée.

« Tout d'abord, c'est toi qui a découvert le Passage. Ensuite, il y a les petits phénomènes qui se déroulent lorsque tu y es à proximité et ils ont titillé mon intérêt. Puis, il y a le fait que tu sembles connaître celui qui a fait le Passage. Et enfin, je suis sûr que tu es la seule personne présente qui puisse l'ouvrir.», énuméra-t-il sur ses doigts en regardant Drakaïs, attendant que ses arguments fassent écho.

La certitude que contenaient les yeux de Fergon la fit se trémousser sur elle-même, embarrassée.

« Je ne sais pas, Fergon... Je ne suis pas si incroyable que ça, tu sais... », murmura-t-elle en l'observant, la bouche pincée.

Il haussa un sourcil, dubitatif.

« C'est vrai. Ce n'est pas comme si tu avais des visions, qu'une Dragonne résidait dans ton esprit et que tu étais dotée d'un don inné en Magie ! la taquina-t-il avec ironie. Non, tu as raison, tu es une personne tout à fait normale. »

Sur ce, attrapant quelques parchemins, il se remit dans ses travaux.

Drakaïs soupira. Vu sous cette angle-là, il n'avait pas tort. Mais il n'avait pas complètement raison non plus.

Et alors qu'elle s'apprêtait à lui faire part une nouvelle fois de ses réserves, un bruit attira son attention. Trop occupé par ses papiers, Fergon ne l'avait pas entendu, mais elle, si.

C'était léger, lointain. Elle dû se concentrer pour le percevoir parfaitement.

Des pas.

Elle se crispa et fronça les sourcils.

Et ils n'attendaient personne.

Drakaïs appela Fergon, qui leva la tête vers elle, les sourcils légèrement froncés. D'un signe de la main, elle lui indiqua que quelqu'un venait.

Il jeta un bref coup d'œil vers le tunnel, l'air sévère. Se levant silencieusement, un doigt sur les lèvres, il se plaça à l'entrée, dos contre la paroi. D'un mouvement de la tête, il lui ordonna de faire de même.

Il ne fallait pas se fier à son ouï pour savoir si la personne était seule ou pas. L'écho rendait la chose trop difficile. Cependant, ils pouvaient utiliser les vibrations venant du sol. Drakaïs s'était rendue experte dans le phénomène et fut la première à lever un doigt vers Fergon, qui hocha la tête, la main à l'épée.

Ils avaient bien affaire à un unique visiteur. Un stress en moins.

Les pas se firent plus distincts, signe que la personne se rapprochait. En tendant l'oreille, Drakaïs se rendit compte qu'ils étaient d'une allure plutôt rapide et légère, comme si l'inconnu trottinait.

Quoi ?

Elle fronça les sourcils, et échangea un regard avec Fergon, qui affichait le même air d'incompréhension.

Décontenancée, elle plaça sa main sur sa dague, son métal froid la ramenant à ses esprits. Du nerf. Pas le temps de se laisser surprendre.

Les minutes s'écoulèrent.

Le visiteur se rapprocha.

Et Drakaïs et Fergon attendirent, le corps plus tendu que jamais, les nerfs à vifs, prêt à tout instant à entrer en action.

Et enfin, après ce qui sembla une éternité, l'intrus apparut sous leurs yeux.

A sa vue, Drakaïs laissa échapper un rire soulagé. Fergon, lui secoua simplement la tête avec humour.

Il ne s'agissait que d'Anas.

L'enfant les observait, un sourcil haussé.

« S'attendiez à une attaque ou quoi ? demanda Anas.

-Si tu savais la peur que tu nous as faite ! fit Drakaïs entre deux éclats.

-Peur n'est pas le mot, mais disons que nous nous sommes attendus à tout, sauf un enfant... », nota Fergon en reprenant sa place.

Drakaïs mit un moment avant de se calmer. Elle se rapprocha d'Anas et passa une main affectueuse dans ses cheveux. Elle l'interrogea, la voix chaleureuse :

-Qu'est-ce que tu fais là, Anas ?

Le petit des Souterrains leva ses yeux vers elle. Et elle fut frappée par la maturité et le sérieux qu'elle y vit. Les mots de Drakayn lui revinrent à l'esprit : « Il a tout d'un enfant, mais ne t'y fie pas, il est loin d'être aussi innocent qu'il le prétend ! »

Peut-être disait-il la vérité.

En tout cas, elle sentit l'horreur l'envahir en imaginant les causes d'un tel regard pour un tel âge.

Il devait avoir vécu des choses terrifiantes.

« Inviat m'envoie, annonça Anas de sa petit voix. Il vient prendre de vos nouvelles. »

Drakaïs laissa voir sa surprise. Elle aurait pensé que le Vampire ferait profil bas.

Derrière elle, elle entendit Fergon bouger sa chaise, avant qu'il ne prenne la parole, le ton froid :

« Oh ? Pourquoi ne prend-il pas la peine de venir par lui-même, s'il est si intéressé ? »

L'enfant haussa les épaules.

« J'sais pas. J'lui demande pas d'comptes. Il me dit ce que j'ai à faire, je suis. C'est pas mon rôle d'ouvrir ma gueule sur l'sujet.»

Drakaïs prit une inspiration tremblante. Pas étonnant qu'il ait un regard pareil, avec un tel discours.

« Oh, comme c'est pratique, marmonna le Draconiaque. Tu n'as qu'à dire à Inviat que s'il est si curieux, il est libre de venir observer l'avancée par lui-même. », siffla-t-il.

Anas se déplaça distraitement dans la cavité, observant les alentours, les mains croisées derrière son dos.

« Ça n'avance pas vraiment, hein ? », lâcha-t-il en leur faisant face.

Fergon se contenta d'un long soupir et Drakaïs d'un petit sourire pincée.

« In' avait prévu le coup, vous savez, continua Anas, en se tournant vers la Draconique. Il dit qu'tu dois juste faire fonctionner ta cervelle. Qu'la solution est juste devant ton nez. »

En grinçant des dents, la jeune fille s'enjoignit au calme. C'était bien du genre d'Inviat, de sortir des remarques pareilles.

Non, vraiment, à croire que tout le monde s'accordait pour dire que tout reposait sur ses épaules, qu'elle était la seule à pouvoir régler le problème, que la chose était évidente.

Mais elle ne l'était pas !

« Sauf que je ne vois pas ! », explosa-t-elle soudainement, se mettant à arpenter la cavité sous les yeux inquiets des deux autres.

Le Passage était un point primordial dans le plan pour prendre la cité. Et si Fergon n'arrivait pas à l'ouvrir à temps... Elle grogna. Pourquoi se mettre un ultimatum ? Le couronnement avait beau être symbolique, l'action serait tout aussi spectaculaire un jour différent ! Ils ne faisaient que se mettre des bâtons dans les roues avec ces complications !

Et ils attendaient d'elle la solution miracle. Que tout s''arrange d'un claquement de doigts.

Mais rien n'était aussi simple.

Le Passage et le sort qui le camouflait avaient été créés par Seth. Seth, un Magicien de talent. En quoi, elle, petite débutante qui n'était même pas passé à la pratique, pouvait-elle faire le poids face à un géant pareil ?

Non, décidément, elle se sentait étouffer. Cette cavité, dans laquelle tout résonnait, qui semblait se refermer sur elle, la piégeant entre ses murs mortels...

C'était trop.

« Saloperie de Magie ! », hurla-t-elle en frappant la paroi de son poing, à bout de nerf.

Et sous la pique de douleur, la révélation éclata dans son esprit.

Oh.

Elle se serait baffée.

« Sous son nez », en effet.

Elle se mit à rire avec hystérie, le soulagement agissant comme une drogue, libératrice.

Elle s'avança vers Anas et le prit dans ses bras en le faisant tournoyer dans les airs.

« La solution était devant moi depuis le début ! La Magie ! C'est de la Magie ! », s'exclama-t-elle en riant.

Elle posa délicatement au sol Anas, qui l'examinait suspicieusement, déboussolé.

« Drakaïs ? », demanda Fergon, avec confusion.

Elle se tourna vers le Draconiaque. L'inquiétude accentuait ses cernes et son teint maladif. Il paraissait perdu. Cela la fit rire davantage , ce qui amplifia les craintes du Démon.

« Tu vas bien ? fit Fergon en faisant un pas vers elle.

-Bien ? Evidement ! Je n'ai jamais été aussi bien qu'à cet instant ! », lui répondit-elle en souriant joyeusement.

Anas grimaça, montrant qu'il en doutait sérieusement. Elle gloussa à cette vue et lui tapota gentiment la tête.

Mais il était temps de reprendre son calme. Elle devait leur expliquer ce qu'elle avait compris.

« Tu avais raison, Fergon. Je suis la seule à pouvoir ouvrir le Passage. Du moins, je suis la seule à pouvoir le faire avant l'assaut. Nul doute qu'avec le temps nécessaire, tu en serais plus que capable. », commença-t-elle en revenant face à la paroi.

Une fois devant celle-ci, elle se concentra sur la pierre.

« C'est un sort de camouflage, Fergon. D'une rare puissance, certes. Mais cela reste de la Magie. », continua-t-elle en posant une main sur la roche, qui, elle le savait, était fausse.

Sa froideur aurait trompée toute personne. Mais pas elle. Car même si elle était gelée, Drakaïs, elle, la trouvait à la fois incroyablement chaude.

« Et la Magie, moi... ».

Désormais, ce n'était plus de la pierre qu'elle voyait, mais une membrane d'un bleu familier aux reflets noirs comme la nuit. Elle était hypnotisée par cette vue, ce contact et cette attraction qu'elle ressentait.

« ... je l'absorbe. », termina-t-elle d'une voix de velours.

Alors, elle fit comme avec le Chasseur. La Magie du sort se décomposa en filaments qu'elle semblait attirer. Et elle les mangea. Ou plutôt s'en empara. Elle fut traversée par la même sensation que la dernière fois : celle d'un grand bien être et la satisfaction de se sentir comme repue.

Un délice.

Le ronronnement satisfait de la Dragonne résonna dans son esprit.

« Sa Magie est toujours aussi succulente. », commenta-t-elle simplement.

Sachant parfaitement qu'elle n'aurait aucune réponse, Drakaïs ne l'interrogea pas sur la signification de ses paroles.

Drakaïs avait fermé les yeux durant son « repas » et lorsqu'elle les ouvrit, elle ne trouva pas de pierre ou de membrane translucide devant elle, mais un chemin dans la roche. Gigantesque. Sombre. Intimidant. Une brise légère secoua délicatement ses cheveux.

Le Passage était ouvert.

Drakaïs se sentait un peu pâteuse et engourdie.

Un peu euphorique aussi.

Elle se retourna vers Fergon et Anas d'un mouvement rapide. Elle fut alors prise d'un vertige et eut du mal à garder son équilibre. Un gloussement niais lui échappa.

Un gloussement ?

Elle fronça les sourcils et leva la tête pour tenter d'apercevoir Fergon et Anas. De nouveau le monde sembla tanguer et cette fois, elle finit les fesses au sol. Fergon fut en un clin d'œil à ses côtés, la soutenant doucement. Avant qu'il ne prenne la parole, elle s'exclama :

-Je suis tombée !

Puis, elle partit dans un fou rire immense, plus puissant que le dernier. Elle n'arrivait pas à s'arrêter.

« Drakaïs ? »

Fergon l'étudiait, inquiet, et lui posa la main sur le front. Elle se dégagea en ricanant et tenta de se relever.

Mauvaise idée.

Elle aurait certainement terminé de nouveau au sol si le bras du Démon ne l'avait pas retenu. Elle rigola bêtement, d'un rire hystérique.

« Oups ! », lâcha-t-elle en souriant stupidement.

Elle voulu faire quelque pas mais la poigne ferme du Draconiaque l'arrêta net. Elle afficha un air boudeur.

« Tu agis étrangement... Ça va ? », lui demanda-t-il avec préoccupation, les sourcils froncés.

Pour toute réponse, elle hoqueta. Et cela la fit pouffer.

Les yeux de Fergon s'agrandirent de surprise et d'amusement.

« Est-ce que tu es soûles ? », souffla-t-il, la compréhension illuminant son visage.

Drakaïs le fixa un moment, hagarde, sans vraiment comprendre le sens de ses paroles.

« Mais non ! s'exclama-t-elle enfin en hoquetant de nouveau, provoquant alors un autre éclat chez elle.

Elle se comportait comme une enfant en bas âge, qui réagissait excessivement pour un rien.

La Draconique se tut soudainement pour réfléchir. Action plutôt difficile avec son esprit aussi embrumé.

Etait-elle soûle ?

Elle en montrait toutes les caractéristiques.

Elle se tourna vers Fergon et l'observa d'un air penaud.

« En fait, oui. »

Cette fois, ce fut au tour de Fergon de rire.

« Allez, vient, lui conseilla-t-il en la prenant délicatement. Quelque chose me dit qu'avec ton état, on ferait mieux de rentrer à la guilde.

-Hum... acquiesça-t-elle en clignant plusieurs fois des yeux.

-Tu vas pouvoir marcher ? »

Elle fit quelques pas et trébucha. Fergon stoppa sa chute.

« Je prends ça pour un non... », fit-il en rigolant.

Il s'accroupit devant elle et lui montra son dos. Elle le fixa confusément pendant longtemps sans avoir de réelles réactions.

« Alors qu'attends-tu ? », la réveilla Fergon, une teinte d'humours dans la voix. Nul doute qu'il devait sourire à cet instant.

Comprenant finalement qu'il voulait qu'elle grimpe sur son dos, elle s'exécuta. Le Draconique se leva brutalement, lui arrachant un petit cri aigu.

« J'ai hâte de voir la réaction de Drakayn lorsqu'il te verra dans cet état... », souffla Fergon en s'avançant dans le couloir noir.

Drakaïs lui répondit par un hoquet strident.

Anas était resté en arrière tandis que les deux Dragons s'éloignaient.

Il se posa sur le sol et contempla d'un regard vide le Passage pendant un long moment.

S'il le voulait, il pouvait l'emprunter et quitter ce trou à rat pour toujours. Comme cela, en quelques pas. Laisser cet enfer derrière lui. Laisser cette vie de labeur. Laisser cette torture.

Juste partir et ne plus se soucier de rien.

Mais il ne le ferait pas.

Parce qu'au bout de ce chemin se trouvait l'inconnu. Et même si l'inconnu avait un aspect fascinant et mystérieux, il possédait également un côté terrifiant. Et pour le moment, ces deux parties ne se départageaient pas en lui, l'empêchant alors de faire quoique se soit.

Et puis, s'il partait, que deviendrait-il ? Que ferait-il ? Il n'en savait rien.

Et peut-être qu'au fond de lui, il n'était pas encore prêt à laisser les horreurs de sa vie en arrière.

En réalité, il savait qu'elles le suivraient toute sa vie.

Un corps nu d'enfant, recouvert d'ecchymoses lui vint à l'esprit. Et ce fut avec toute sa volonté qu'il refoula le souvenir, la nausée lui nouant l'estomac.

« Eh bien, eh bien. Ma petite souris doit être bien accaparée pour ne pas m'avoir vu approcher ! »

L'enfant fit volte face, un grand sourire apparaissant sur ses lèvres. Inviat se trouvait juste derrière lui et avait lui aussi ses yeux posés sur le Passage.

« In' ! », l'accueillit Anas.

Le Vampire sourit face à ce surnom que le petit lui avait donné. Juste retour des choses lorsque l'on savait que lui-même l'appelait « petite souris » depuis qu'ils étaient ensemble. C'était une appellation qui était restée depuis leur première rencontre, deux semaines plus tôt.

« Je vois que notre Drakaïs à ouvert le Passage. », nota Inviat d'un air absent.

Anas hocha simplement la tête.

« Et maintenant, on fait quoi ? », demanda l'enfant des Souterrains en examinant l'homme qui avait promis de le sortir de cet enfer.

Inviat mit du temps avant de répondre, appréciant le silence de la cavité formée par Seth. Lorsqu'il se décida à le faire, il posa son regard vert sur Anas, un sourire fourbe sur les lèvres.

« Maintenant, on attend. »

Note: Bonsoir à tous ! Je vais être rapide (mon lit m'appelle), mais voilà la première partie du chapitre 24 !

Enfin, le Passage est ouvert ! Yeepee !

Je lâche quelques infos entre temps, à vous d'en faire ce que vous voulez ;) !

Qu'avez vous pensé du passage avec Fergon ? Du retour de Drakaïs et Drakayn ? De la réaction de Drakaïs après l'absorption du sort ?

Et puis, un petit passage sur Anas ! Qu'est-ce que ça vous inspire ?

Sur ce, je pars me coucher après avoir reposté la partie 2 !

J'espère que cette partie vous aura plu, gros bisous !

Ps: la fatigue fait des miracle sur la longueur des notes !

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