Chapitre 23 (partie 2):
Avec de longues enjambées, sans un regard pour les passants qu'il poussait sur son passage, Drakayn fondait sur sa proie.
Un enfant chétif aux cheveux bruns et aux yeux noisettes.
Anas.
Une semaine qu'il le cherchait pour lui poser quelques questions.
Une semaine qu'il lui échappait, par un malheureux coup du sort.
Ah !
Elle était bien bonne !
Ce petit emmerdeur lui avait échappé trop longtemps pour croire à une excuse aussi frivole.
Après des heures à le pister, Drakayn s'était presque résigné à prendre son mal en patience.
Mais ce jour-là, la chance, enfin, lui avait souri.
Aucune trace du petit, rien, pas le moindre murmure sur son passage ou sa localisation, et le voilà qui apparaissait sous ses yeux, alors que le Draconiaque était sur le point de rendre visite à Drakaïs.
A croire que c'était quand on le voulait le moins que ce que l'on souhaitait le plus se produisait.
Lorsqu'il était tombé sur lui, il venait de sortir de la guilde et échangeait quelques paroles avec Firma.
Et là, entre les passants crasseux des Souterrains, Drakayn l'avait aperçu.
Le gosse marchait.
Paisiblement de surcroît.
Comme s'il le narguait.
Et sans même y réfléchir, Drakayn s'était élancé à sa poursuite, Firma sur ses talons.
Et désormais, ils étaient sur le point de le rattraper et ne le quittaient plus des yeux.
Brutalement, leur cible s'arrêta à une dizaine de mètres d'eux. Avec une lenteur languissante, Anas se tourna vers eux et croisa leur regard. Un étrange sourire, provocateur, prit forme sur ses minces lèvres rosée. Puis il fit volte face et disparut dans une ruelle sombre.
Ainsi, ils étaient repérés...
« Je vais lui couper la route. », le prévint Firma avant de s'éclipser et de monter, en des gestes vifs, sur les baraques qui bornaient les rues et les ruelles.
Drakayn, quant à lui, accéléra le pas et s'engouffra à la suite du gosse.
La chasse était sur le point de se terminer. Et c'était toujours jouissif de voir la panique s'installer dans les yeux de la victime, lorsqu'elle comprenait que c'était fini, qu'elle était prise au piège.
Lorsqu'il déboula dans la ruelle, cependant, il fut pris au dépourvu.
Devant lui, assis sur des débris d'une manière nonchalante, son menton entre ses mains menues, se trouvait Anas.
Et à l'autre bout de la ruelle, accroupi au sol et semblant se relever après son saut, Firma avait un air surpris, le même que Drakayn, plaqué sur son visage.
Le bambin était loin d'avoir la réaction paniquée que Drakayn lui avait connu il y a deux semaines, lors de leur première rencontre dans des circonstances similaires.
Non, Anas semblait complètement désintéressé, sa bouille enfantine figée en un masque imperturbable.
La chose, même pour les deux Démons, était un brin troublante.
« Ça vous arrive souvent d'pièger les mômes dans les ruelles sombres ? », demanda l'enfant d'une voix stable, en fixant tour à tour, d'un regard terne, les deux hommes.
Reprenant contenance, le Draconiaque laissa échapper un léger rire.
Il savait bien que c'était un gosse anormal, comme tout ceux des Souterrains, mais Anas était tout de même différent des autres petits qui croupissaient ici.
L'instinct de Drakayn le lui avait pourtant soufflé : méfie-toi de ce mioche. Et le Draconiaque avait, bêtement, préféré se reposer sur ses acquis.
Grand bien lui en coûte.
« Seulement avec toi, Anas. », lui répondit finalement Drakayn.
Enfin, sa réplique arracha au petit une réaction : un froncement de sourcils comique.
« J'suis un grand chanceux alors, rétorqua-t-il avec sarcasme.
-Je dirais que c'est plutôt le contraire, fit Firma, ses yeux dorés, inquisiteurs et suspicieux, braqués sur le môme.
-Vous m'voulez quoi ? »
Les deux Démons échangèrent un regard. Ils avaient pour habitude de poser les questions, pas le contraire.
« Dis-nous ce que tu sais sur Inviat, exigea Drakayn.
-Et si j'refuse ? »
Le fou rire de l'assassin empêcha le Draconiaque de répondre.
« Je pense que tu n'as pas vraiment le choix mon pitchounet. », ricana Firma, une douceur écœurante teintant ses paroles.
Et pour appuyer ses mots, il fit un pas, froid et menaçant ; calculé, vers lui. Il n'en fallut pas plus pour déclencher de nouvelles réactions sur leur cible: corps tendu et grimace peinée.
« Dis-nous ce que tu sais sur Inviat. », répéta Drakayn, plus ténébreux que jamais.
Silence.
Nouveau pas, gracieux et lent, de la part de Firma.
« Anas, dis-nous ce que tu sais sur Inviat. »
Cette fois, le Draconiaque perçut clairement l'inspiration saccadée prise par le bambin. Mais pas de paroles intelligibles.
D'un geste vif et mesuré, Firma fit apparaître une fine lame entre ses doigts habiles.
« Dernier avertissement, Anas : dis-nous ce que tu sais sur Inviat. », le prévint Drakayn, son ordre résonnant comme un fouet dans la ruelle.
Après un silence, Firma s'avança brutalement vers le gosse, comme prêt à lui fondre dessus.
« J'sais rien sur lui ! cria le gamin, les traits ravagés par la rage. Rien ! J'l'ai rencontré en essayant d'lui faire les poches ! Mais il m'a rien dit sur lui, rien ! Alors vous pouvez m'tailladez comme vous voulez, mais vous apprendrez rien de plus! Car j'sais rien ! »
Drakayn l'examina attentivement avant de poser sa prochaine question :
-Où est-il ?
-J'sais pas ! C'est lui qui m'trouve, pas le contraire !
Le Draconiaque fronça les sourcils.
Il mentait.
Le gosse était doué, c'était certain. Il l'aurait presque berné, avec ses larges yeux innocents et son air terrifié. Dommage que Drakayn sache une chose que visiblement, le gamin ignorait.
« Dans ce cas, comment expliques-tu qu'il nous ait renvoyé à toi pour le contacter ? », siffla le Draconiaque.
Comme un animal prit au piège, le mioche se figea et prit une expression surveillée.
« J'avais oublié ce détail, marmonna Anas avec ennui.
-Quel dommage. »
Ils se fixèrent du regard un long moment, se jaugeant avec attention.
« Plus de fausses larmes ? le provoqua Drakayn.
-Qu'est-ce qui t'dit qu'elles étaient fausses ? rétorqua Anas, ses bras menus croisés sur son torse.
-Le fait que tu ne pleures pas à cet instant. »
Les lèvres du mioche tremblotèrent imperceptiblement, avant qu'un sanglot n'éclate dans sa gorge, des larmes coulant sur ses joues crades.
L'instant d'après, il cessa ses pleurs, les sillons de ses larmes toujours présents sur son visage.
« Satisfait ? », lâcha Anas d'une voix atone.
Firma étouffa un rire, qu'il camoufla par un raclement de gorge. Drakayn se contenta de lui jeter un regard insistant. Firma reprit son calme.
« Pourquoi es-tu là, Anas ? siffla Drakayn.
-J'aurais une raison d'être ici ?
-Ne joue pas au plus malin avec moi. Une semaine que je te cherche. Une semaine que tu m'échappes. Et tout à coup, tu apparais comme par magie sous mon nez, au moment où je t'attends le moins. Un peu gros comme coïncidence, non ?
-In' m'avait dit que tu d'vinerais qu'ça cachait queq'chose. »
In' ?
« Inviat ?
-Qui d'autre ? »
De nouveau, Drakayn laissa planer un silence rempli de tension.
« Où est-il, Anas ? Et que sais-tu de lui ?
-J'ai pas menti à c'sujet : j'sais rien sur lui. Sinon, on s'rencontre au mémorial. Y a pas d'heure précise. J'attends et il s'pointe quand il veut. J'sais pas où est sa planque. Bonne chance pour en tirer queq'chose. »
Drakayn laissa échapper un grognement.
« Pourquoi es-tu là ? »
Anas pencha sa tête sur le côté, vraisemblablement en pleine réflexion.
« Vous manquez de discrétion. », fit-il finalement de sa voix claire.
Quoi ?
« Vous enquêtez sur lui, continua-t-il. Il veut s'faire oublier. Et vous, vous fouinez dans ses affaires, vous remuez de vieilles histoires et attirez l'attention sur lui. Il veut pas d'ça. »
Drakayn était sans voix.
Ainsi, Inviat leur envoyait son mioche pour leur dire d'arrêter de faire des recherches sur lui ?
Ce sale Vampire avait soit un culot monstrueux, soit des envies de suicide.
« Et toi dans tout ça ? », prit le relais Firma, voyant que Drakayn n'était pas prêt de s'en charger.
Anas haussa les épaules.
« Ça paie bien. »
Oh, le sale petit con.
« Tu mens. Encore. », siffla Drakayn, son tempérament mis à vif par cette discussion.
Firma fit passer entre ses mains sa dague, un voile sombre passant brièvement sur son visage.
« On ne t'a jamais appris qu'il ne fallait pas mentir à des Démons, p'tit loup ? », ronronna avec malice l'assassin.
Le visage d'Anas était désormais légèrement pâle.
« Pas vr_ »
Un déplacement d'air suivi d'un craquement l'empêcha de finir sa phrase.
Les yeux écarquillés, Anas jeta un coup d'œil derrière lui.
A même pas quelques centimètres de sa tête, la dague de Firma était solidement plantée dans le mur en bois de la ruelle.
« La prochaine fois, fit Firma en reprenant une nouvelle lame entre ses doigts, ce sera dans l'un de tes pieds ou l'une de tes épaules. »
Le gosse laissa échapper une expiration tremblante.
« Vous en v'nez là alors ? Vous avez pas honte d'menacer un enfant ? », murmura Anas, plus pâle que jamais.
Firma rit doucement tandis que Drakayn lâcha un reniflement dédaigneux.
« Tu as peut-être le corps d'un enfant, Anas... », commença Drakayn en s'approchant du mioche.
Le Draconiaque s'arrêta devant lui et se mit à sa hauteur. Anas, tendu, l'observait, sur ses gardes.
« ...mais ici, continua-t-il en tapotant de son doigt le front du gamin, c'est tout le contraire. Tes yeux sont bien trop matures pour ton âge. Donc épargne-nous ton numéro de pauvre enfant innocent, ça ne prend plus. »
Anas fronça les sourcil et prit une expression haineuse.
« J'ai vraiment huit ans, vous savez ?
-Oh, je sais. Ça n'empêche que tu n'es plus un enfant. Alors pourquoi continuer à te traiter comme tel ? »
Un éclair de douleur traversa l'expression d'Anas, avant d'être remplacé par la fureur et la frustration.
« C'est pas d'ma faute, d'accord ? J'ai pas demandé à être comme ça ! J'ai pas demandé à naître ici ! Et j'ai certainement pas demandé à être jugé par des connards comm' vous ! vociféra-t-il, les poings serrés.
-Certes, lui accorda Drakayn, mais ça ne répond toujours pas à notre question : qu'y gagnes-tu là-dedans, Anas ?
-Pourquoi ça vous intéresse autant ? J'suis pas censé être qu'un sale gosse puant des Souterrains ?
-Je pensais pourtant que nous étions d'accord pour dire que tu n'étais plus un enfant... se moqua Drakayn.
-Et c'est triste de s'accorder si peu de valeur, rajouta Firma, les yeux pétillants d'humour.
-De plus, finit le Draconiaque, on commence à en avoir marre de se répéter. Donc, si tu ne veux pas que mon ami ici présent joue de nouveau au lanceur de couteaux, je te conseille de nous répondre. »
Anas passa son regard d'un homme à l'autre, les lèvres pincées en une grimace frustrée.
« Vous pouvez pas m'faire d'mal. In' me vengerait. »
Drakayn tilta sa tête sur le côté.
Le petit ne mentait pas cette fois-ci.
Il était bien sous la protection d'Inviat.
Mais pourquoi donc un homme comme le Vampire prendrait-il la peine de faire une chose pareille ?
Car Drakayn avait beau examiner la situation sous tous les angles possibles, il ne voyait vraiment pas de raisons à un tel acte.
Générosité ? Pitié ? Accommodement ? Compassion ? Hasard ?
Ou bien y avait-il une raison précise, bien plus importante, derrière ce mystère ?
« Qui es-tu exactement, Anas ? », demanda Drakayn dans un souffle, l'expression songeuse.
Le petit leva ses yeux noisettes vers ceux du Démon. Il y avait quelque chose dans ce regard. Quelque chose que le Draconiaque ne parvenait pas à saisir.
« J'suis personne. », chuchota Anas.
Et c'était la vérité.
Du moins, le croyait-il.
Tenant toujours son regard, Drakayn prit le menton du gosse de sa main, lui arrachant un hoquet de surprise.
Et sans plus de cérémonie, il Plongea.
Lire l'âme était une capacité réservée aux Démons.
Certains considéraient l'acte comme artistique. D'autres comme une violation abjecte. En réalité, c'était un mélange harmonieux des deux.
L'âme, ce qui était le plus précieux chez un être, possédait une beauté éthérique et onirique ; indescriptible.
En Plongeant, les Démons se retrouvaient assaillis de toute part par cette somptuosité écrasante. Mais l'âme, en plus de sa splendeur, recelait de secrets inconscients.
C'était là que ce trouvait l'essence d'un être.
Parfois, en des souvenirs immémoriaux et transcendants. Ou encore, en des émotions inoubliables et étouffantes.
Mais le plus souvent, il s'agissait d'impressions fugaces. D'images abstraites sans queue ni tête. De sensations inatteignables et lointaines.
Ce fut le cas pour Anas.
Plonger dans l'âme requérait de faire appel aux cinq sens.
L'ouïe d'abord.
Un cri strident et continu, ponctué par des sanglots. Les pleurs d'un nouveau-né.
La vue, ensuite.
L'âme d'Anas était grise, et tendait davantage vers le noir que vers le blanc.
Rien de surprenant. Il était déjà acquis que le mioche avait perdu toute innocence.
Puis, l'odorat.
Une odeur suffocante, métallique et puante. Du sang.
Vint le tour du toucher.
Visqueux et liquide ; poisseux. Du sang, de nouveau ?
Enfin, le goût.
Salé, un arrière-goût amer et de fer. Encore, du sang.
Il revint à l'ouï.
Toujours le même cri.
La vue.
Rouge.
Du sang.
Partout : du sang.
Il était temps de dégager de là.
En inspirant lentement, Drakayn cligna plusieurs fois des yeux avant de briser le contact visuel avec Anas.
Le gosse s'écarta brutalement, l'horreur transformant sa bouille enfantine en un masque absurde.
« T'avais pas l'droit ! », hurla-t-il en se jetant sur ses pieds et en s'enfuyant.
Firma fit un signe pour le stopper, mais d'un geste brusque de la main, Drakayn l'en empêcha.
Il avait eu ce qu'il voulait. Libre au mioche de partir. A présent, il fallait juste que le Draconiaque reprenne contenance.
« Tu as Plongé profond, je me trompe ? », fit Firma en l'examinant attentivement, de l'inquiétude dans le regard.
Drakayn se contenta d'hocher la tête, son attention toujours fixée là où avait disparu Anas.
« Et tu as appris quelque chose ? continua Firma en délogeant sa dague et en la replaçant à sa ceinture.
-Non, répondit-il, la voix rauque. Rien de concluant. »
Firma, soupira, pas dupe.
« J'espère que tu as de bonnes raisons pour me mentir.
-Je ne mens pas vraiment, insista Drakayn. C'était trop flou pour en tirer quelque chose. »
L'assassin le contempla un long moment.
« Si tu le dis, marmonna-t-il en haussant les épaules d'un air désintéressé. Et tu comptes toujours rejoindre Drakaïs ? »
Le Draconiaque opina de la tête.
« Alors à plus tard. », la salua Firma en quittant la ruelle.
Le Draconiaque, enfin seul, s'autorisa un moment de faiblesse.
Il glissa au sol, un long soupir tremblant quittant ses lèvres.
Il n'avait pas Plongé si profondément depuis longtemps. Même pour Drakaïs. Mais chez Anas...
Chez Anas, son essence était ancrée aux fins fonds de son âme.
Et quelle essence !
Cela n'avait vraiment pas de sens.
Comme d'habitude.
Mais il avait pu en tirer quelque chose, malgré ce qu'il avait affirmé à Firma.
« Vampire. », murmura-t-il en ricana doucement.
Avec tout ce sang, c'était la seule conclusion possible : l'âme d'Anas semblait hurler "Sangsues !"
Non, vraiment, la chose n'avait aucun sens.
Et quand une chose n'avait pas de sens...
Drakayn sourit.
...il suffisait juste de lui en donner.
Note: Je vous avez dit que je serai très bientôt de retour :D ! Bon, ben, ce chapitre est parti pour être loooong ! Il reste deux parties (la troisième sera beaucoup plus courte). J'hésite même à diviser ce chapitre en deux et couper là pour commencer un nouveau chapitre.
Bon.
Plus j'y pense, plus je me dis que c'est logique.
Vous me dites ce que vous en pensez dans les commentaires x") ?
Pour revenir à cette partie ! A l'origine, celle-ci n'était pas dans le chapitre original. Mais bon, réécriture, donc autant changer quelques petits trucs :) !
Et donc... Anas.
Yup.
Pas si inutile que ça, hein ? *fait danser ses sourcils* Je vous avez prévenu eh eh ! *toussote* Mais bref !
J'espère que ce chapitre vous aura plu :D ! Surtout que vous retrouvez Drakayn (il vous avez pas trop manqué ? ....Non ? Moi non plus ! Mais: chuuuut ! S'il nous entend, on va prendre cher XD !)et Firma !
Allez, je vous fait de gros bisous et je vous dis à bientôt pour la partie 3 ou un nouveau chapitre :D !
Ps: Hum... *mesure sa note* On retrouve une taille stable.
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