Chapitre 20 (partie 1):
Drakayn et Drakaïs avaient mis un long moment pour revenir sur leurs pas et un peu plus encore pour revenir à un endroit qu'ils connaissaient.
Ils avaient peu parlé durant le retour. Il semblait qu'ils avaient tous deux besoin de repos après cette longue journée mouvementée. Il tardait au deux dragons de rentrer pour pouvoir se jeter dans leurs lits respectifs. Alors, quand ils avaient fini par reconnaître les lieux, ils n'avaient pu se retenir de soupirer de soulagement. Pourtant, il leur restait encore à remonter à la surface.
Il devait être très tard, car il y avait très peu de personnes dans les rues et les rares qu'ils croisaient, dormaient, ou étaient complètement ivres. Quelques établissements des Souterrains fermaient boutiques, mais c'étaient les derniers. Désormais, ils n'avaient plus que les quelques lueurs venant des lampadaires pour les guider dans l'obscurité.
Peut-être était-ce à cause des nombreuses ombres qui les entouraient ou encore à cause de l'ambiance dans laquelle ils se trouvaient, mais Drakaïs ne se sentait pas du tout à l'aise et s'était rapprochée de Drakayn, comme pour y trouver protection. Elle jetait des coups d'œil rapides en arrière et dans les ruelles devant lesquelles ils passaient, et essayait tant bien que mal de se rassurer. En vain. Elle ne se l'expliquait pas, des frissons la parcouraient et son instinct lui soufflait que quelque chose n'allait pas. Alors, elle s'obstinait à chercher dans les ténèbres la cause de son anxiété. Elle ne voyait rien. Elle n'entendait rien. Et c'était là le problème : tout était trop calme. Même à une heure pareille et dans un tel endroit, un silence comme celui-ci était étrange et n'avait pas sa place.
Remarquant son attitude, le Démon la prit par la taille et la tint contre lui. Elle était trop mal à l'aise pour être embarrassée ou pour protester. Elle s'appuya davantage contre lui pour y trouver du réconfort. Mais elle y trouva tout le contraire: Drakayn était tendu. Elle pouvait sentir ses muscles crispés et lorsqu'elle leva la tête pour examiner son visage, elle y trouva un air aussi préoccupé que le sien. Ce n'était donc pas qu'une impression. Quelque chose clochait réellement.
« Qu'est-ce qu'il se passe ? chuchota-t-elle.
-On est suivis, murmura-t-il.
-Par qui ? »
Drakayn ne lui répondit pas, mais il accéléra. Il allait désormais si vite qu'elle avait du mal à le suivre. Il en vint presque à la soulever pour qu'elle aille à son allure.
Ils avancèrent ainsi pendant un instant. La peur de Drakaïs augmentait au fur et à mesure qu'ils continuaient de marcher. Elle se retournait toujours autant et cette fois, elle réussit à voir des formes mouvantes dans l'ombre, qui les suivaient. Ils y voyaient de moins en moins clair. La lumière des lampadaires vacillait sur leur passage. Soudain, Drakayn s'arrêta brutalement et jura. Des ombres se mouvaient sur les murs, devant lui. Il fit volte face et s'engouffra dans la ruelle qui se trouvait juste à côté.
La lumière des lampadaires faiblissait de plus en plus et cela ne fit qu'augmenter la panique chez la jeune fille.
« Dis-moi ce qu'il se passe. »
Elle s'agrippait au Démon et enfonçait ses ongles dans sa chair.
« Je te l'ai dit : on est suivi.
-Mais par qui ?
-Je ne sais pas... Enfin, si, mais j'espère me tromper. »
Elle voulut l'interroger encore, dans le but de tromper sa peur, mais les lumières s'éteignirent complètement, les plongeant alors dans le noir total.
Elle entendit Drakayn jurer et cette fois, elle crut vraiment qu'elle allait craquer. Elle se sentait oppressée, chassée et aussi, exténuée. Comme une proie. Ce fut cette idée qui la requinqua. Hors de question d'accepter d'être qualifiée de proie. S'il devait y avoir des chasseurs, ce serait eux et pas ceux qui les suivaient.
Le Démon et elle s'étaient immobilisés. Elle l'entendit dégainer sa lame et avec la sienne, plusieurs autres à proximité. Combien étaient-ils ? Elle tenta de les flairer et de les sentir grâce aux vibrations qui lui parvenaient du sol.
« Ils sont dix, fit-elle au Démon.
-Et sans doute une autre dizaine sur les toits. Sors ton épée, partenaire. Cette fois, il y aura des morts. »
A ces mots, un frisson la traversa.
« Et ce ne sera pas de notre côté », affirma-t-elle lugubrement.
Elle ne le vit pas, mais elle savait que le Draconiaque l'approuvait.
Elle sortit sa lame à son tour et songea avec un certain détachement que la discrétion n'était décidément pas leur fort.
Alors, le combat commença. Drakaïs sentit un déplacement dans l'air et eut tout juste le temps de parer l'attaque. A peine eut-elle repoussé son premier adversaire qu'un second vint le remplacer. Elle esquiva son coup et lui infligea une blessure au flanc qui le fit grogner de douleur. Quant à Drakayn, elle le sentait près d'elle. Il s'agitait dans tout les sens, feintant, parant, frappant et infligeant des blessures douloureuses à ceux qui avaient la malchance d'être contre lui. Elle était sûre qu'aucun de ses mouvements n'était inutile et ne pouvait s'empêcher, dans un tel moment, de l'admirer. Même avec un bras cassé, il restait terriblement dangereux.
Les coups que Drakaïs recevait se faisaient plus durs et plus fourbes. Elle avait du mal à tous les contenir et avait désormais quelques zébrures sur les bras. Mais ses assaillants avaient reçu de bien plus sérieuses blessures de sa part. Elle entendit un râle à côté d'elle, puis un second qui le suivit de prés. C'était Drakayn. Il venait de tuer deux de ses adversaires et en avait mis d'autres, tout comme elle, hors d'état de nuire.
Combien en restait-il ? Elle ne savait pas. Ils semblaient venir de tous les côtés. Dès que l'un d'entre eux tombait, un autre prenait aussitôt sa place.
Leurs yeux s'étaient maintenant accoutumés à l'obscurité. Elle distinguait plus nettement les formes et se débrouillait donc mieux dans son combat. Elle fit un pas sur le côté et plongea sa lame dans le ventre de l'attaquant, qui s'écroula par terre. A côté, Drakayn en affrontait deux en même temps. Le combat était rendu difficile pour tous à cause de la minceur de la ruelle. Mais cela jouait plutôt en faveur des deux dragons : leurs ennemis ne pouvaient pas tous être dans celle-ci.
Puis, ce fut le calme. Les autres reculèrent pour reprendre leur force. Drakaïs s'appuya contre le dos de Drakayn qui tout comme elle, avait le souffle court. Les corps s'accumulaient dans la maigre ruelle et l'odeur du sang régnait dans l'air.
« Ça va ? lui fit Drakayn entre deux inspirations.
-Je me débrouille, grimaça-t-elle.
-Ne prenons pas de risque.», souffla-t-il doucement.
Elle comprit immédiatement ce qu'il voulait dire par là. D'un commun accord, ils avaient décidé qu'ils ne se transformeraient pas. Il ne fallait pas prendre le risque de révéler ce qu'ils étaient. Trop de choses étaient en jeu.
Drakaïs examina leurs attaquants. Ils avaient tous le visage couverts et des vêtements sombres. A cet instant précis, ils étaient quatre dans la ruelle : deux en face d'elle et deux en face de Drakayn. Elle leva les yeux. Elle pouvait en compter au moins huit sur les toits. Et le même nombre gisait au sol. A cette vue, Drakaïs eut un sourire carnassier.
« Combien encore vont devoir mourir pour que vous compreniez que votre meilleure chance de survie est la fuite ? », leur jeta la Draconique.
Elle s'était surprise elle-même en parlant. Les autres ne lui répondirent pas.
« Tu perds ton temps. Ils ne réagiront pas, ricana Drakayn.
-Comment peux-tu en être si sûr ? », rétorqua la jeune fille.
Le Démon n'eut pas le temps de lui répondre. Le combat reprenait, plus violent qu'avant. Leurs assaillants semblaient comme ragaillardis. En fait, Drakaïs était épuisée et il devait en être de même pour Drakayn. Ils avaient déjà passé une journée éreintante et n'étaient donc pas dans les meilleures conditions, surtout Drakayn, pour un tel affrontement.
Les parades de la jeune fille s'affaiblissaient et désormais, elle n'arrivait plus à placer une seule attaque. Ses forces semblaient l'abandonner. Elle songeait avec amertume qu'elle serait sans doute obligée de se transformer. Du côté de Drakayn, le combat semblait plus compliqué encore. Pourtant, malgré ses blessures et les deux hommes qu'il combattait, ses coups étaient toujours aussi efficaces. Il décapita l'un des de ses agresseurs, qui fut immédiatement remplacé. Le combat semblait sans fin et le Démon sentait bien que les forces de Drakaïs s'amenuisaient. Il se décida à combattre plus férocement. Il donna un puissant coup de pied dans le ventre d'un des deux hommes en face de lui et avec son épée, empala l'autre. Il acheva celui qui vomissait ses tripes d'un coup en plein cœur. Il fit alors volte face, se plaçant à côté de la Draconique. La présence du Démon lui redonna des forces et ce furent tous les deux qu'ils affrontèrent les deux assaillants. Ils furent sans pitié, surtout Drakayn, qui se sentait invincible dans ces moments et qui n'hésitait pas à se montrer terrifiant. A cet instant, il était l'exemple même du Démon sanguinaire des histoires racontées aux enfants pour les effrayer. Il avait un rictus mauvais sur le visage et semblait prendre un malin plaisir à se battre. Quant à Drakaïs, elle était effrayante de calme. Ensemble, ils formaient la paire parfaite. La Draconique, avec le Draconiaque, était comme une nouvelle personne. Elle frappait avec plus de célérité, esquivait avec plus de grâce. C'était la finalité de leur entrainement et le résultat était plus qu'appréciable. Tout les deux, ils avaient l'air de danser, accomplissant une valse mortelle pour leurs ennemis. Les deux premiers attaquants qu'ils avaient affrontés ainsi avaient laissé leur place à d'autres depuis longtemps.
Combien en avaient-ils eu, de cette manière là ? Ils ne savaient pas.
Combien en restait-il ? Ils étaient incapables de le dire.
Enfin, après avoir transpercé de leurs épées le dernier homme qui leur faisait face, personne ne vint le remplacer. Drakaïs laissa échapper un soupir de soulagement et s'appuya contre Drakayn. Tous n'étaient pas morts. Des gémissements de douleurs s'élevaient un peu partout autour d'eux. Drakaïs avait les paupières lourdes et se sentit partir dans cet état pâteux qui précède le sommeil. D'un coup de coude dans les côtes, Drakayn lui fit comprendre que ce n'était pas encore terminé. Elle leva la tête. Il en restait encore deux, sur les toits, mais iols semblaient ne pas vouloir bouger.
Drakaïs se redressa. Elle ne sentait plus son corps et y voyait là le signe de courbatures à venir. Elle était exténuée et espérait être de taille pour un dernier combat.
Mais soudainement, un des hommes les applaudit chaudement. Puis, d'un mouvement fluide, il les rejoignit au sol.
«Tu n'as pas changé, Henkiel. », lâcha-il simplement, avec de l'amusement.
Drakayn s'était figé face à l'utilisation du nom qu'il utilisait pour passer inaperçu. Ce qu'il avait craint arrivait. Son passé le rattrapait. Et cette voix...
« Je me doutais que ça devait être toi, Firma. Mais j'espérais me tromper. J'aurais préféré ne plus croiser ta sale gueule. », fit le Démon en se plaçant naturellement devant Drakaïs.
Le dénommé Firma rigola doucement.
« Si tu ne voulais plus me voir, Henkiel, il ne fallait pas revenir. »
Un léger bruit leur apprit que l'autre homme venait de descendre également.
« Ils en ont tué onze et bientôt treize, souffla le nouveau venu d'un ton détaché.
-Enzo, évidemment.», chuchota Drakayn en se mettant en garde.
Le dénommé Enzo hocha la tête en signe de salut.
« Eh bien, que me vaut cette charmante rencontre ? s'enquerra Drakayn d'un ton peu amical.
-N'essaye pas de faire de l'humour, Henkiel. C'est le Maître qui nous envoie. Il veut te parler, déclara Enzo en s'agenouillant au sol pour relever sans ménagement un des blessés.
-Oh mais je n'essaye pas de faire de l'humour... », susurra Drakayn.
En effet, il était calme et sérieux. Drakaïs, elle, ne disait rien. Elle savait que cette fois, la chose ne la concernait pas.
« Que me veut votre maître ? lâcha finalement Drakayn.
-Te voir, évidemment ! Comprends-le, ton départ était si précipité... Nous avons tous était surpris. Alors, avoue que ton retour nous force à nous poser quelques questions...», fit Firma en s'avançant d'un pas.
Drakayn lui jeta un regard haineux et Firma s'arrêta. Il était désormais si proche que Drakaïs pouvait l'examiner sans difficulté, même dans une telle obscurité. Il avait lui aussi le visage couvert, mais son masque et la capuche qu'il portait étaient de plus haute facture que les autres. Elle le voyait aux ornements cousus sur le tissu. Les maigres mèches de cheveux qui dépassaient sur son visage semblaient d'une couleur foncée. Du rouge ? Mais avec si peu de luminosité, elle n'était sûr de rien. Ses yeux, quant à eux, étaient rouges vifs et luisaient dans le noir d'une lumière éclatante et inquiétante.
Un Démon, devina la Draconique.
« Et si je ne veux pas ? jeta Drakayn d'un ton acerbe.
-Ah, si tu ne veux pas... jeta l'autre Démon en plissant les yeux.
-On ne te laisse pas le choix, Henkiel. Le maître a été très clair sur ce sujet. Ne nous force pas à te combattre, ce serait stupide. Tu es blessé et la fille qui t'accompagne est épuisée. Je suis sûr qu'elle ne tiendrait pas face à nous, conseilla Enzo sans même les regarder.
-Vous serez surpris de ce que je suis capable d'accomplir dans mes derniers retranchements.», siffla la principale intéressée.
Cette fois, Enzo les observa. Firma, lui, éclata de rire.
« Eh bien ! Ta compagne a du répondant ! Vous faites bien la paire tous les deux ! ricana Firma en faisant les cents pas.
-Qui es-tu ? », demanda Enzo à Drakaïs en la scrutant intensément.
D'un geste, Drakayn enjoignit la jeune fille au silence.
« Si je viens, pouvez-vous garantir que vous me laisserez repartir après ? », demanda le Draconiaque.
Drakaïs sursauta. Et au vu des yeux écarquillés des deux autres hommes, ils étaient tout aussi surpris qu'elle. De la part de Drakayn, une telle réaction était inhabituelle. Mais le Draconiaque savait qu'Enzo avait raison. Drakaïs n'était plus vraiment en mesure de se battre. Et quant à lui... Certes, il pourrait les battre au prix de nombreuses blessures de plus ou moins grave importance, mais pas dans son état actuel. De plus, Firma était tout à fait le genre de type à prendre un otage.
Drakayn jeta un bref coup d'œil à Enzo. C'était lui le plus dangereux. Il était non seulement très fort, mais également incroyablement intelligent. Leurs regards se croisèrent et ils se jaugèrent silencieusement du regard. A coup sûr, Enzo aussi avait envisagé toutes les solutions possibles. Drakayn reporta son attention sur Firma. Non, il ne fallait pas combattre. Il valait mieux aller voir ce que le Maître lui voulait et aviser ensuite. Et dans le pire des cas, il combattrait.
« Eh bien, serais-tu devenu raisonnable durant toutes ces années ? plaisanta Firma.
-Raisonnable ? Non. Prudent ? Oui.», rétorqua Drakayn en le dépassant.
Il avait rengainé son épée, leur signifiant que le combat était terminé. Puis, il se tourna vers Drakaïs :
-Rentre.
La Draconique lui fit face avec colère.
« Si tu crois que je vais te laisser seul avec eux..."Elle désigna Firma et Enzo du menton." ...tu te trompes ! siffla-t-elle.
-Allons... il rigola. Ton inquiétude me touche, mais elle n'a pas lieu d'être. »
La Draconique rougit légèrement de colère et d'embarras.
« T'inquiéter pour toi ? Je m'inquiète surtout pour ce que tu pourrais faire ! »
Les deux autres hommes observaient la scène, Enzo avec un air détaché et Firma avec amusement.
« Rentre. S'il te plait. Je m'occupe de cette affaire. »
A nouveau Drakaïs laissa voir sa surprise. Tout dans l'attitude du Draconiaque laissait voir qu'il voulait qu'elle parte. Lorsqu'elle comprit pourquoi, la fureur la gagna. Elle ne serait qu'un poids pour lui, voilà ce qu'il devait penser.
« Non, je ne partirai pas. »
Elle se fichait de savoir qu'elle se comportait comme une enfant gâtée et bornée. Elle ne le laisserait pas seule. Elle avait mis toute sa détermination dans ses mots et Drakayn comprit qu'il avait perdu. Rien ne pourrait la faire changer d'avis. Il soupira.
« Soit. Je me doutais bien que tu agirais de cette façon. »
Drakayn et Drakaïs s'examinèrent pendant un instant, comme s'ils étaient seuls dans la ruelle.
« Bon, bon. C'est bien beau tout ça, mais nous avons des ordres, les interrompit Firma en baillant.
-Alors allons-y, ricana Drakayn avec dédain. Ce n'est pas comme si je connaissais le chemin ! »
Et prenant Drakaïs par le bras, il l'entraîna à sa suite sans même attendre les deux hommes.
« Tu as encore gagné en arrogance.», constata simplement Enzo tandis qu'ils le dépassaient.
Drakayn ne répondit rien, mais afficha son fameux petit sourire en coin.
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