Chapitre 2:
Elle observait le ciel à travers le feuillage de l'arbre. Sa sœur et elle n'entendaient que les cigales autour d'elles. Le soleil commençait déjà à se coucher, colorant le ciel d'un orange délicat. Elle jeta un regard à sa sœur ainée. Celle-ci le lui rendit en souriant.
« On rentre, Drakaïs? Ou alors tu préfères faire attendre maman encore un peu ? », lui demanda-t-elle, taquine.
La plus jeune hocha simplement la tête, un grand sourire sur le visage.
« Chippie, va ! s'esclaffa l'ainée en l'empoignant gentiment.
- Ce n'est pas du tout ce que tu penses, se renfrogna sa sœur, bougonne. C'est juste que nous n'avons pas fait ce que maman nous a demandé ...
-D'accord, d'accord ! J'ai compris ! »
Elle souleva Drakaïs, qui laissa échapper un petit cri de surprise alors qu'elle que ses jambes battaient l'air.
« Drags ! couina-t-elle. Qu'est-ce que tu fais ?
- Alors ? Qu'est-ce que tu attends pour les cueillir ? Dépêche-toi ! », la pressa-t-elle en retour, tout en lui montrant d'un hochement de tête les fruits juteux qui se trouvaient dans l'arbre.
La plus jeune se hissa vers les fruits convoités, mais elle était encore trop loin pour pouvoir les atteindre.
« C'est encore trop haut ! Laisse-moi descendre, je vais grimper ! », décreta-t-elle avec détermination.
Drags mit un genou à terre et Drakaïs sauta lestement au sol.
« Tu ne préfères pas plutôt voler ? Ce serait plus simple ... », lui proposa Drags.
Drakaïs secoua sa tête négativement.
« Maman a dit qu'on n'avait pas le droit de les utiliser », murmura-t-elle doucement.
Drags haussa un sourcil. Les bras croisés, elle la regardait avec tendresse.
« Et c'est toi qui dis ça ? Depuis quand est-ce que tu suis les ordres de maman toi ? ricana sa sœur en lui ébouriffant les cheveux. Bon qu'est-ce que t'attends ? »
Drakaïs ne se le fit pas redire deux fois : elle grimpa agilement jusqu'aux fruits. Elle en cueillit une vingtaine et les laissa tomber par terre un par un. En bas, sa sœur s'empressait de les rattraper avant qu'ils ne s'écrasent au sol. Tout en les laissant tomber, Drakaïs ne put s'empêcher de penser aux gâteaux et autres sucreries que leur mère ferait avec les fruits qu'elles allaient ramener à la maison. Elle en salivait à l'avance. Il lui semblait déjà sentir l'odeur et le goût succulent de ces gâteries.
La voix de sa sœur la tira de ses rêveries :
« Tu descends ? »
Elle se pencha en avant et se retrouva la tête en bas. Elle traversa le feuillage, et vit le visage surpris de Drags, les bras remplis de fruits.
« Eh bien ... Qu'est-ce que tu fais encore ? soupira celle-ci.
- Vas-y la première ! Je te rejoins plus tard ! Je veux voir le coucher du soleil du haut de l'arbre ! lui répondit-elle d'un ton enjoué.
- Franchement ... marmonna sa sœur en secouant la tête. D'accord ! Mais fais attention à ne pas tomber, sinon, c'est moi qui vais tout prendre à ta place ! », finit-elle en lui jetant un regard faussement sévère.
Drakaïs attendit que sa sœur ait disparu derrière la colline avant de remonter.
L'odeur sucrée des fruits qui l'entourait flattait son odorat. Elle inspira à fond, gravant cette odeur à jamais dans son esprit. Une fois au sommet de l'arbre, Drakaïs s'émerveilla du panorama magnifique qui s'offrait à elle.
La plaine s'étendait plus loin qu'elle ne le pensait. Où qu'elle regarde, elle n'en voyait pas la fin. Les hautes herbes étaient battues par le vent et le ciel avait désormais pris une teinte cramoisie. Ses cheveux roux dansaient sur le rythme de la douce et chaude brise estivale. Du haut de son perchoir, elle pouvait même voir le village et leur maison, à l'écart des autres. Leur mère avait jugé plus prudent pour eux de ne pas vivre avec les humains.
Leur mère leur disait toujours que s'ils apprenaient ce qu'elles étaient réellement, ils les tueraient. Drakaïs avait du mal à comprendre pourquoi ... C'était pour cela que sa sœur et elle n'avaient pas le droit de voler, de se transformer, de parler aux reptiles, ou de se servir de tout autre pouvoir qui leur était propre. Un jour, parce que Drakaïs n'avait pas suivi les règles, et qu'elle avait montré ses crocs, ils avaient été obligés de quitter leur précédent village. Elle se souvenait encore des regards remplis de dégout que les villageois lui avaient lancés.
Soudain, du mouvement attira son attention près de sa maison. Elle se dressa et se figea quand elle vit les villageois.
Armés, ils entouraient la bâtisse.
Drakaïs descendit en vitesse, et s'égratigna légèrement les bras et les jambes à cause des branches. Une fois en bas, elle se précipita chez elle.
Elle avait vraiment un très mauvais pressentiment. Les larmes se mirent à couler sur ses joues roses. Sa gorge était secouée par des sanglots qui devenaient de plus en plus violents au fur et à mesure qu'elle se rapprochait de sa maison.
Une odeur de brûlé lui parvint, et elle accéléra jusqu'à ce que ses poumons soient en feu.
Quand elle arriva en haut de la colline, elle fit face à un horrible tableau.
Des flammes s'élevaient de sa maison. Les villageois encadraient la demeure et criaient des insultes à sa mère qui se trouvait par terre, tenant contre elle Drags blessée, les fruits éparpillés autour d'elles. Même de là où elle était, Drakaïs vit que le visage si heureux et délicat de sa mère reflétait une haine indescriptible.
Drakaïs avait l'impression que le temps s'était arrêté.
Pourquoi ?
Pourquoi eux ?
Qu'avaient-elles fait pour que cela se produise ?
Était-ce parce que, comme pour la dernière fois, ils avaient découvert ce qu'elles étaient réellement ?
Non ... Ce n'était pas possible...Rien que pour cela ?
Elle ne comprenait pas.
Le temps reprit son cours lorsqu'elle vit un des hommes lever son arme contre sa mère.
Drakaïs hurla alors comme elle ne l'avait jamais fait et tous les regards se braquèrent sur elle.
Sa mère lui cria quelque chose en faisant de grands gestes pour l'éloigner. Mais elle n'en tint pas compte et dévoila ses griffes et ses crocs.
Elle était comme isolée du monde. Les seules choses qu'elle voyait étaient les larmes de sa mère, et le corps ensanglanté de sa sœur.
Avec sa maison qui brûlait, c'était aussi sa vie qui partait en fumée.
∞
Drakaïs reprit conscience peu à peu, en battant des paupières, désorientée. Elle était encore dans un état comateux. Mais même à travers sa confusion, elle réalisait qu'elle avait rêvé. Encore. Après des années sans qu'ils ne viennent hanter ses nuits, ils revenaient d'un coup, plus vivants que jamais.
Cette fois, elle garda les yeux grand ouverts. A travers sa vision légèrement opaque, elle observa qu'elle se trouvait dans une tente spacieuse et écarlate. En se frottant les yeux, elle nota sans réelle attention que le lit dans lequel elle reposait était bougrement confortable. La lumière provenait de longues bougies posées sur les quelques meubles qui se trouvaient dans la tente. Les ombres étaient projetées sur les pans de celle-ci, et de nombreuses personnes s'affairaient à l'extérieur. A côté d'elle, elle remarqua qu'une armure vermeille se dressait en attente d'un combat. De haute facture, la gueule d'un dragon noire crachant du feu avait été gravée sur son plastron.
Elle se passa une main tremblante sur son visage, décidant d'arrêter là ses observations. Ainsi, le Démon ne l'avait pas tuée ... Pourquoi l'avait-il laissée en vie ? Et qu'est-ce que cela pouvait bien signifier ? Une pensée traversa son esprit: il y a pire que la mort. Peut-être qu'il n'en avait pas fini avec elle. C'était bien du genre des Démons; ils adoraient jouer avec leurs victimes... Elle se redressa sur ses coudes et grimaça en sentant la faiblesse de ses muscles. Elle était dans un sale état. Pas sûr qu'elle réussisse à s'échapper. Mais elle allait, non, devait, essayer. Et s'il le fallait, mourir en le faisant. Elle ne serait pas le jouet de Démons.
Sa décision prise, elle balança ses jambes hors du lit.
"Je ne ferais pas ça, si j'étais toi."
Elle se figea et se tourna vers l'entrée de la tente. Le Draconiaque qui l'avait attaquée lui barrait la sortie, la main sur l'un des pans de la tente tandis qu'il l'examinait avec amusement. Les yeux de Drakaïs se focalisèrent sur l'autre main du Démon, qui tenait l'épée de la Draconique.
L'instinct de survie prit le contrôle de son corps. Elle posa pieds à terre, eut un bref échange de regard avec le Démon, puis se rua sur lui...
"Non, ne..."
...pour s'écrouler aussitôt.
"...fait pas ça.", termina le Draconiaque avant de soupirer lourdement.
Drakaïs grogna et tenta de se relever. En vain. Ses jambes s'étaient transformées en coton. Nouveau soupir de la part du Démon.
"Attend, laisse-moi juste... marmonna-t-il en s'approchant d'elle.
-Ne m'approche pas !", lui hurla-t-elle en le foudroyant du regard.
Il l'ignora et dès qu'il fut près d'elle, il fit un geste pour l'aider à se relever. Toutes griffes dehors, elle envoya balader sa main en lui tailladant la peau, les crocs à l'air.
"Ne me touche pas !", siffla-t-elle.
"Eh bien, c'était complétement gratuit.", lâcha-t-il impassible, les yeux rivées sur les balafres qui déchiraient à présent sa main. Son attention revint très vite sur elle et un sourire féroce fleurit sur ses lèvres. "Si tu y tiens tant, on aura un deuxième tour quand tu seras en état."
Et avec une vivacité qui choqua Drakaïs, il lui attrapa l'avant bras et la releva. Elle chancela un instant, puis, réalisant ce qui venait d'arriver, s'écarta brusquement du Draconiaque, un grognement ronronnant dans sa gorge. Mais une douleur aigüe lui traversa le ventre et la plia en deux. A travers la douleur suffocante, elle sentit à peine la touche du Démon, qui la poussa vers le lit, où elle s'assit le souffle coupé.
"Je t'ai quasiment étripé.", expliqua-t-il en lui soulevant la chemise.
Elle n'eut pas la force, ni la volonté de s'en offusquer, complétement sonnée par les pointes de souffrances qui attaquaient ses tripes. Il observa un temps son ventre et elle remarqua qu'il avait été bandé, tout comme ses autres blessures. Il laissa retomber le vêtement et rencontra son regard voilé par la douleur, mais toujours aussi furibond. Cette vue agrandit son rictus.
" Tu as de la chance: malgré toutes tes gesticulations, la plaie ne s'est pas rouverte. Tu as aussi perdu beaucoup de sang; t'as failli en crever. Donc, aussi amusant que ça le soit, si tu ne veux pas revivre l'expérience d'hier soir, je te conseille d'arrêter d'essayer de me déchiqueter."
Et avant même qu'elle n'ait le temps de bien comprendre ce qu'il venait de se passer, il lui jeta son épée, qu'elle attrapa par reflexe, et il recula d'un pas, les bras croisés sur son torse. S'ensuivit un long et silencieux échange de regard.
"Pourquoi ?", demanda-t-elle finalement, les sourcils froncés alors qu'elle passait un doigt attentif sur la lame d'acier. Le Démon suivait le mouvement, l'air amusé.
Elle n'arrivait pas à comprendre la situation.
Et alors que le Démon ouvrait la bouche pour lui répondre, ce fut une nouvelle voix, féminine, qui répondit à sa question, en grommelant:
-Car ce petit con a fait une connerie et qu'il faut nettoyer après lui.
Le Draconiaque eut un reniflement de dédain et roula ses yeux pourpres. Mais Drakaïs ne l'observait plus: toute son attention était rivée sur la nouvelle venue. Une femme d'âge mur à la peau pâle et aux cheveux d'ébènes, relevés en un chignon sévère. Une Draconiaque elle aussi, si elle devait se fier à ses pupilles en fente sur fond vermeil. Drakaïs se crispa: était-elle tombée dans un de leur nid ?
"Oh, la ferme. Comment j'étais censé savoir qu'elle était des nôtres ?", rétorqua le Démon. Il la montra de la main, agacé. "Elle ne portait pas d'uniforme et elle n'était pas sous sa forme reptilienne. J'ai juste suivi tes ordres: j'ai vu une menace, je l'ai éliminé.
-Mais ce n'était pas une menace, Drakayn ! rugit l'autre Démone, qui sembla oublier la présence de la Draconique pour passer un savon à l'autre Draconiaque. Nous n'avions vraiment pas besoin de ça ! Comme si la situation avec Idris n'était pas assez compliquée comme ça !
-Je n'aurais pas dû l'attaquer, j'ai merdé, très bien ! siffla le dénommée Drakayn, tendu et visiblement tout aussi furieux que la femme. Mais par les Six, Idras, ne repartons pas là-dessus. La discussion d'hier m'a suffit."
Les deux Draconiaques s'observèrent sévèrement. L'atmosphère s'alourdit de menaces. Ils s'étudiaient avec tant d'agressivité que la Draconique n'aurait pas été surprise de les voir se jeter l'un sur l'autre pour s'étriper.
« Que me voulez-vous exactement ? », les interrompit-t-elle faiblement.
Ils reportèrent leur attention sur elle.
« Eh bien, si vous n'y voyez pas d'inconvénient, jeune fille, nous voudrions que vous ne fassiez pas part de l'incident qui s'est produit avec Drakayn...", reprit Idras soudain calme et posée, non sans jeter un ultime regard noir à ce dernier."... à votre chef, et en échange, il ne vous arrivera rien de malencontreux ... »
Mais de quoi parlait-elle ? Quel chef ?
A côté d'elle, le dénommé Drakayn siffla méchamment.
« J'aurais très bien pu la tuer, mais je ne l'ai pas fait. Non, je l'ai amené ici, je l'ai soignée, je suis allée t'en parler, et toi, tu oses la menacer, ici, devant moi ? »
Et voila que les deux Draconiaque se dévisageaient de nouveau froidement, la même atmosphère oppressante autour d'eux.
« Tu oserais ... », grogna Idras, indignée.
Drakayn ricana méchamment.
« N'oublie pas ta place ! rugit-elle de fureur.
- Et toi, n'oublie pas qui je suis ! »
Drakayn semblait réellement au bord du déchainement cette fois-ci. Il serrait si fort ses poings que ses ongles perçaient ses paumes, faisant couler du sang sur le sol.
Drakaïs fronça les sourcils, les lèvres pincées.
« Pouvez-vous réellement m'expliquer ce que vous attendez de moi ? », demanda la Draconique, une pointe d'exaspération dans la voix.
Idras la regarda avec ennui.
« Je croyais pourtant avoir été claire sur ce sujet ... », lui répondit-t-elle de la même manière qu'elle.
Drakayn lança alors avec colère :
- Encore une parole de ce genre et tu auras affaire à moi !
La Démone lui jeta un regard furibond, puis comme par enchantement, un sourire vint se dessiner sur son visage et elle reporta son attention sur Drakaïs. Ce changement soudain d'attitude laissa cette dernière pantoise.
« Vous semblez réellement ne pas comprendre ce que vous faites ici ... lui dit la Draconiaque d'un ton plus doux.
- Effectivement ... lui répondit Drakaïs sur ses gardes. Plus exactement, je ne comprends pas vraiment pourquoi je suis encore en vie. »
Idras haussa un sourcil.
« Hum ... Et bien, je pense que c'est à Drakayn qu'il faut le demander ... Mais n'espérez pas une réponse des plus claires. Je suis pratiquement sûre qu'il vous a gardée en vie uniquement pour des raisons que vous ne comprendriez pas ... »
Drakayn s'était retourné, les bras croisés, et semblait méditer. La femme étudiait Drakaïs avec intérêt, attendant manifestement quelque chose d'elle.
Drakaïs toussota, brisant ainsi le silence qui s'était installé.
« Que vouliez-vous dire par « chef », tout à l'heure ?
- Je parlais d'Idris, votre patriarche, évidement. Vous n'êtes pas sans savoir que nos deux espèces ne s'entendent pas très ... bien. Et disons que ce serait malheureux que nos rapports, déjà, je le répète, assez mauvais, n'empirent à cause de cette regrettable affaire ... C'est pour cela que je vous demande de ne pas parler de cette mésaventure à votre patriarche, s'expliqua Idras.
- Hum ... Je vois ... marmonna Drakaïs en mémorisant ces maigres informations.
- Nous sommes donc d'accords. Bien ! Tout est réglé ! Je suis soulagée que vous coopériez et de ne pas avoir eu à utiliser la manière forte. Sur ce, je vous laisse. Remettez-vous bien de vos blessures ! », déclara la Démone en lançant un ultime regard froid à Drakayn.
Drakaïs la laissa partir avec un inexplicable sentiment de soulagement. Elle reposa sa tête sur le confortable coussin et laissa son esprit vagabonder.
Au vu de toutes les horribles histoires qu'elle avait entendu sur les Draconiaques, elle avait imaginé pire... Certes, elle avait frôlé la mort, et on l'avait menacée, mais elle s'en tirait finalement assez bien. Lentement, elle se détendit. Elle inspira. Cela faisait longtemps qu'elle n'avait pas été dans un lit ... Un vrai lit ! Cela devait remonter à une douzaine d'années, lorsqu'elle était encore avec Drags et sa mère.
Elle repensa aux deux rêves qu'elle avait faits. En fait, plus que des rêves, c'étaient des souvenirs. Un passé qu'elle avait enfouit au plus profond d'elle-même, pour son propre bien. Des souvenirs douloureux, qui lui provoquaient un vide immense. Elle détestait y repenser, et voilà qu'ils semblaient s'imposer à chaque fois qu'elle était inconsciente ! Par les Six ! Qu'est-ce que cela pouvait bien signifier ? Allait-elle être rattrapée par son passé ?
Et alors qu'elle réfléchissait sérieusement à ce sujet, l'étrange sensation d'être observée la tira de ses pensées. En effet, Drakayn, accoudé sur le lit, la contemplait avec la plus grande attention. Il était lui aussi, semblait-il, plongé dans ses pensées.
Elle se traita de tous les noms. Pourquoi ne l'avait-elle pas remarqué plus tôt ? De plus, ce n'était pas la première fois qu'il la surprenait ainsi. Comment faisait-il donc ?
Elle en profita pour l'étudier à la dérobé.
Il avait les cheveux mi-longs, d'un brun presque noir. Ses yeux étaient rouges comme le sang, avec des reflets plus clairs. Ses oreilles, comme pour tout type de démon, étaient pointues. Il avait le teint hâlé, et certains motifs noirs, des runes, étaient tatoués sur ses deux mains. Ils étaient tous différents et étaient de formes linéaires, courbées à quelques endroits. Et alors que Drakaïs s'interrogeait sur leur signification, son sujet de réflexion prit la parole :
- D'où venais tes autres blessures ?
Drakaïs sursauta légèrement.
Elle se rehaussa et entoura ses jambes de ses bras.
Il attendait manifestement une réponse. Une réponse qu'elle n'avait absolument pas envie de donner. Pourquoi devrait-elle le lui dire ? Il avait tout de même failli la tuer ! Elle fronça les sourcils. Peut-être la situation aurait-elle été différente si elle ne l'avait pas attaquée en retour. Peut-être pas. Elle était avec des Draconiaque, peut-être dans l'un de leur nid, et maintenant qu'elle y réfléchissait, elle ne savait toujours pas qu'elle était exactement la situation, notamment avec ce fameux Idris, soi-disant Patriarche dont elle n'avait jamais entendu parler. Elle jeta un regard soupçonneux au Draconiaque. Il était calme, toujours dans la même position. Mensonge ou non ? Silence ou non ? Elle fit rapidement le poids du pour et du contre. Elle soupira. Qu'est-ce qu'il pouvait lui arriver de pire ?
"On m'a attaqué.", révéla-t-elle simplement, d'un ton sec.
Le regard de Drakayn s'alluma d'une lueur vive d'intérêt.
"Il y avait un homme en noir à l'orée des bois, lui apprit-il. Je l'ai aperçu juste après t'avoir..." Il lui jeta un regard éloquent. Elle passa une main sur son ventre et grimaça. "Enfin, tu vois. "Oh, elle voyait parfaitement, oui. " Adossé contre un arbre, un sale sourire sur les lèvres... Ca m'a intrigué sur le moment, mais le temps que je te ramasse, et il s'était envolé."
Elle réagit en entendant ces mots.
« Un homme en noir ? », l'interrogea-t-elle doucement.
Il hocha la tête.
« Un homme de haute taille, le teint pâle, cheveux noirs et yeux bleus ? », insista-t-elle.
Elle frissonna et se recouvrit un peu plus avec la couverture rouge. Décidemment, ses blessures l'avaient laissée plus affaiblie qu'elle ne le pensait...
« C'est ça, lui répondit-il simplement. Celui qui t'a attaqué ? »
Encore une question. Elle s'emmitoufla davantage en s'apercevant qu'elle frissonnait toujours. Elle hocha finalement la tête.
"Tu sais ce qu'il te voulait ?
-Pas vraiment ... Au début, il était tombé dans un de mes pièges, et comme j'ai cru que c'était un Humain, j'ai voulu m'en débarrasser, et c'est là qu'il_ »
Drakayn lui coupa la parole.
« Si tu as voulu l'éliminer, cela fait une assez bonne raison pour vouloir te tuer en retour », déclara-t-il narquoisement.
Elle lui lança un regard noir qu'il ignora.
« Et c'est là qu'il s'est libéré, continua-t-elle. Mais à ce moment-là, il ne semblait pas enclin à me tuer. Au contraire, il m'a demandé de venir avec lui. Il avait l'air d'avoir une idée précise en tête... C'est là que je me suis rendue compte qu'il n'était pas humain. Puis, lorsque j'ai tenté de m'enfuir, il m'a poursuivie et m'a attaqué plusieurs fois. Mais sans me causer des blessures sérieuses." Elle crut bon de préciser. "J'étais transformée à ce moment-là."
Les sourcils froncés, il réfléchissait à ce qu'elle venait de lui apprendre. Finalement au bout d'un moment, il fit tout bas :
-Tu as dit qu'il avait une idée précise en tête et qu'il t'avait proposé de venir avec lui ? Tu ne penses pas qu'il voulait te mener à un endroit particulier ?
Drakaïs s'arrêta soudainement. Il avait raison. Comment cela se faisait-il qu'elle ne l'ai pas deviné plus tôt? Tout concordait ! Il l'avait menée ici comme du bétail ! Cela expliquait pourquoi il n'avait pas continué à la suivre une fois qu'elle était arrivée au camp ! L'amener-là était son but depuis le début ! Mais la véritable question était de savoir pourquoi.
Drakayn semblait être arrivé à la même conclusion.
Il s'apprêtait à dire quelque chose, quand soudain, un Draconique d'environ le même âge qu'Idras entra dans la tente. De haute carrure, il avait les cheveux châtains foncés attaché en queue de cheval.
Il s'avança, furieux, vers eux. Son attention était rivée sur Drakaïs. A son approche Drakayn se leva, et adopta une posture défensive. Le Draconique lui lança un rapide coup d'œil, et lui fit signe de s'écarter d'un geste exaspéré. Drakayn s'exécuta, non sans un petit sifflement de rage que l'autre ignora complètement. Il posa alors un regard chargé d'inquiétude sur Drakaïs.
Très vite, d'autres personnes entrèrent dans la tente, armées jusqu'aux dents. C'était eux aussi des Draconiques, et leurs yeux de dragons brillaient de colère. Ils concentraient toute leur antipathie sur Drakayn, qui était lui aussi énervé face à cette intrusion.
« Que lui avez-vous fait ? », rugit le Draconique à la queue de cheval.
Drakayn ne semblait pas enclin à répondre et le toisa d'un air méprisant.
« Bonjour à toi aussi, mon oncle », déclara posément le Draconiaque.
Sa voix était calme, mais tout dans sa posture et son expression traduisait son état d'esprit : il était furieux.
Son oncle était un Draconique ? Décidément, Drakaïs n'y comprenait rien.
« J'attends.», dit le Draconique, la voix vibrante de rage.
Devant la mine toujours aussi renfrognée de Drakayn, il continua en désignant Drakaïs de la tête :
- Qu'est-ce que cela signifie ?
Ce fût Idras qui lui répondit :
- Et pourquoi ne lui demandes-tu pas toi-même la réponse, Idris ?
La Draconiaque réapparut aux côtés de Drakaïs, et lui sourit chaleureusement
« Idras, peux-tu m'expliquer tout ceci ?, s'exclama Idris avec colère.
- Comme je te l'ai dit, demande-lui toi-même ! », siffla-t-elle de rage, changeant encore une fois de caractère en un claquement de doigts.
Le Draconique se pencha vers Drakaïs :
- Que t'ont-ils fait ?
Et à Idras de s'exclamer avant qu'elle n'ait le temps de répondre :
- Oh Idris, je t'en prie ! Tes accusations sont absolument ridicules !
Qu'est-ce que tout cela pouvait bien signifier ?
« Elles ne sont pas ridicules tant que l'on ne les a pas démenties ! », vociféra-t-il.
Idras afficha un air outré.
« De plus, pourquoi avoir cherché à me cacher cet incident ?», cracha-t-il en montrant Drakaïs de la main.
« Parce que je savais pertinemment que tu allais réagir comme ça ! Tu ne m'aurais même pas laissé le temps de m'expliquer, ou alors tu aurais tout de suite crié au mensonge ! », hurla-t-elle.
Les Draconiques restés en arrière sortirent leurs épées de leurs fourreaux. Drakayn en fit de même, tout en sortant ses crocs. Cette fois, les deux camps allaient clairement se jeter l'un sur l'autre.
Mais avant qu'ils ne le fassent, Drakaïs décida qu'il était plus que temps qu'elle intervienne dans cette histoire.
« Il s'agit d'un immense malentendu !», s'écria-t-elle.
Drakayn, Idras et Idris reportèrent leur attention sur elle. Le Draconique ordonna d'un geste à ses hommes de ranger leurs armes. Il lui fit signe de continuer.
Elle s'éclaircit la voix et reprit :
- Ces jolies blessures que vous voyez là −Elle se dégagea des couvertures, souleva sa tunique et leur montra de la main.−, m'ont été infligées par une créature qui me poursuivait.
- Et pourquoi es-tu donc ici, et non dans l'une de nos tentes ?
-Premièrement, je viens d'arriver. Je ne savais donc absolument pas où se trouvait vos tentes. Deuxièmement, je me suis évanouie à cause de l'énorme quantité de sang que j'ai perdu. Je serais surement morte si Drakayn ne m'avais pas ramenée et soignée. J'étais justement en train de le remercier quand vous avez déboulé ici ! »
Un petit mensonge ne pouvait pas envenimer les choses, n'est-ce pas ?
« Il a fait ça ? Lui ? », fit Idris en dévisageant Drakayn d'un air froid.
Ce dernier lui rendit un sourire tout aussi glacé.
« Vous auriez pu le dire plus tôt, jeune fille, cela aurait évité bien des problèmes ... »
Idris jeta un coup d'œil à Idras.
« Je l'aurais fait, si cela avait été possible.», rétorqua Drakaïs.
Un des Draconique s'avança, et dit en persiflant :
« Surveille ton langage ! Tu d'adresses à ton patriarche !
-Mon patriarche ? »,
Elle avait mis dans cette exclamation toute sa rage. Il sursauta, ce qui la fit ricaner.
« Toi ..., vociféra-t-il.
- Cela suffi, Ganir !, le rabroua Idris.
- Mais votre Excellence, elle vous ... »
La manière dont « son excellence » le regarda, le fit taire.
« J'ai compris. »
Il recula, mais foudroya du regard Drakaïs, qui l'ignora complétement.
« Bien. Je crois que la question est réglée. Je la laisse entre vos mains pour le moment. N'oubliez pas que le moindre faux pas mettra fin à notre alliance. », les prévint Idris.
Il partit, sa suite derrière lui, et conclu en tenant le pan de la tente :
- Lorsque vous irez mieux, je souhaiterais m'entretenir avec vous, jeune fille.
Puis, il disparut. Idras le suivit à son tour, visiblement furieuse.
Drakaïs soupira de soulagement et s'essuya du revers de la main son visage couvert de sueur. Elle espérait que les ennuis étaient enfin terminés.
A ce moment précis, elle voulait juste tomber dans un sommeil réparateur. C'était sans compter sur Drakayn.
« Beau mensonge », approuva-t-il.
Un rapide coup d'œil lui apprit qu'il était debout, les bras croisés, et qu'il l'observait avec la même lueur d'intérêt qu'avant.
« Je ne sais toujours pas ton nom, constata-t-il.
- Drakaïs, répondit-elle sèchement à cette question cachée.
-Eh bien, Drakaïs, je sais que nous ne sommes pas partis sur les meilleures des bases... » Elle roula ses yeux. Non, sans blague ! "...mais j'espère que nous arriverons tout de même à dépasser cette merveilleuse première rencontre pour repartir du bon pied. Ah, et quand tu veux pour le deuxième tour.", fit-il en guise d'au revoir.
Elle l'épia à travers ses mèches de cheveux roux, et alors qu'il commençait à s'éloigner vers les ténèbres de la nuit, elle l'interpela :
- Pour quelle raison, deux peuples comme les nôtres, qui ne s'entendent absolument pas, se sont-ils alliés ?
Il s'immobilisa, et demanda au bout d'un instant :
- Tu ne le sais vraiment pas ?
Elle secoua la tête.
« La guerre », lâcha-t-il soudainement.
Elle frissonna face à ce mot qui pouvait exprimer tant de choses.
Et quand elle se retrouva seule dans la tente, les flammes des bougies s'éteignirent en même temps, la laissant dans une obscurité oppressante.
Elle regretta plus que jamais d'être seule.
Edit 01/01/2018: Bon, j'avais dis que je ne ferais pas de grosses modifications pour la suite, mais je pense que les six premiers chapitres, au moins, en auront besoin... Je ne voulais pas passer plus de temps sur cette version, mais en relisant les premiers chapitres pour y faire des corrections quant aux fautes, je n'arrive pas à m'empêcher d'y apporter des grosses modification x)... Faut dire que j'ai énormément de mal avec les premiers chapitres et qu'ils datent de 2013... Ca commence à faire !
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