Chapitre 18:
Les pas d'Akhal résonnaient dans le couloir, martelant d'un son clair le silence environnant. Il était seul : il avait laissé Achoura à l'auberge. Car l'invitation qu'il avait reçue précisait qu'il ne devait pas venir accompagné.
Au début, il avait accueilli cette information avec une sorte de soulagement : il avait estimé qu'Achoura serait une gêne pour ce rendez-vous. La Draconiaque avait bien tenté de protester, mais quand elle avait compris qu'elle aurait quelques heures de libre, sa réticence s'était transformée en joie. Alors, seulement à ce moment-là, il avait eu quelques regrets à la laisser trainer en ville.
Qui savait ce qu'elle pourrait faire, livrée à elle-même... Entendez par là : qui savait quelles conneries elle allait faire alors qu'elle n'avait pas un garde-fou pour la surveiller... Akhal soupira tandis que ces pensées le traversaient. Il espérait sincèrement que les nombreuses années d'expérience qu'elle avait derrière elle sauraient la retenir de faire la moindre bêtise... Mais est-ce que cela serait suffisant ? Il en doutait.
Et il fallait rajoutez à cela ce qui venait de se produire à l'auberge avec Drakayn et Drakaïs.
Cela faisait une heure qu'ils avaient disparus dans ce vortex. Une heure qu'Akhal se rongeait les sangs pour Drakaïs. Une heure qu'il cherchait à comprendre ce qui s'était passé là-bas. Une heure à les chercher. A la chercher. Car pour ce qui était de l'autre, il pouvait très bien mourir, cela ne lui ferait rien, à part lui apporter du soulagement.
Et voilà qu'Akhal devait aller à cette réunion. Il ne comprenait vraiment pas pourquoi il y était convié. Quoique, c'était surement à cause de son père...
Il avait reçu l'invitation le matin même. Elle venait du conseil de la ville, et lui demandait d'assister à une réunion « de la plus grande importance » où il « aurait tout lieu de donner son avis et de donner des nouvelles de son père ».
Oui, c'était bien cela. Son père. Evidement. C'était toujours de lui dont il était question.
Et il était en retard. De trente bonnes grosses minutes. Et il ne s'en sentait pas du tout gêné. Car ces trente minutes perdues à entendre des idiots déblatérer sur, il en était certain, le problème qu'était les Draconiques, il les avait prises pour chercher Drakaïs.
Alors, non, il ne regrettait pas.
Vraiment pas.
Et Drakaïs qui était seule quelque part...
Rectification : qui était seule avec Drakayn.
C'était presque pire.
Il avait dû se résoudre à s'arrêter, après une heure de recherche inutile, et il aurait bien continué pour pouvoir ne pas aller à cette foutu réunion. Mais Fergon avait fini par sortir la tête de ces manuscrits. Après quelques explications, le Démon avait fini par rire, lui conseillant d'aller à cette satanée réunion, lui disant que tout irait bien pour Drakaïs, puisqu'elle était avec Drakayn.
Par les six, Akhal, justement, ne comprenait pas en quoi c'était une bonne chose ! Même maintenant, la savoir avec lui, l'énervait profondément. Il avait bien vu la complicité qui existait entre les deux, avait bien compris ce qui naissait entre eux, mais, alors que les autres voyaient cela d'un bon œil, Akhal, au contraire, était horrifié par cette situation. Il ne laisserait jamais Drakaïs entre les mains d'un type pareil. Il ne le permettrait pas. Elle ne connaissait pas la vraie nature de Drakayn. Lui, si. Il avait côtoyé le personnage suffisamment longtemps pour le cerner. Au prix de blessures, mentales et physiques. Il le haïssait. Il le détestait tellement qu'il était pris d'une irrésistible envie de l'égorger à chaque fois qu'il le voyait.
Le Draconique soupira. Nous y voilà. Malgré son absence, Drakayn trouvait tout de même le moyen de l'énervait. Et cela fait ne faisait que l'exaspérer un peu plus.
C'était en quelque sorte lorsqu'il était près de Drakayn qu'Akhal révélait sa vraie nature, brisait cette image qu'on avait de lui. Et c'était là le pire. Car le Draconiaque arrivait à réduire à néant toutes ses années à se taire, à jouer le fils parfait. Oui, il y arrivait si facilement... Il suffisait qu'il se montre et c'était fini. Plus de silence, plus de calme, plus de sourire de convenance ; juste le chaos, juste la rage, juste la vérité.
Et seul les Six savaient à quel point il avait en aversion cela.
Akhal arrêta le cheminement de ses pensées, qui, il le savait, le mènerait à un point qu'il ne voulait pas atteindre. Pas encore, et certainement pas à un tel moment. Il était désormais devant la porte qui menait à la salle où se réunissait le conseil. Il s'arrêta juste devant, prenant une grande inspiration avant d'y pénétrer. Il toqua doucement et un « entrez ! » retentit juste après. Il poussa la porte.
« Ah ! C'est vous ! », l'accueillit une voix familière.
C'était Reyn Menbrac, le conseiller qu'il avait vu quelques jours plus tôt.
Akhal le salua d'un mouvement de la tête qu'il voulut sec au fond de lui, mais qu'il rendit chaleureux à contre cœur. Il n'avait pas oublié les paroles de ce type, mais il devait mettre de côté ses rancunes. Comme toujours.
Enfin, sauf quand il était en présence de Drakayn.
« Je m'excuse de mon retard. Des affaires m'ont retenues ailleurs, fit poliment le Draconique.
- Evidemment ! Nous nous excusons de prendre de votre temps ! s'exclama Reyn Menbrac avec un grand sourire.
- Reyn... Cesse de te comporter comme un imbécile ! », grogna une voix râpeuse.
C'était une vieille femme, une fée de la Nuit, qui, l'air sévère, jetait des regards furieux à l'autre conseiller.
Ilvia Frendz.
« Votre retard est excusé. Votre père est un grand homme et nous passerons donc outre cette impolitesse et ce manque de respect.», siffla-t-elle en foudroyant Akhal du regard.
Le Draconique retint une pique et afficha un de ses fameux sourires de convenance.
« Encore toutes mes excuses, insista-t-il en s'installant au siège que Reyn Menbrac lui montrait.
- Tss ! », lâcha juste la vieille en s'enfermant dans son silence mauvais.
Les autres conseillers− Ils étaient trois.− n'avaient pas réagi pendant ce court échange. C'était tous des hommes, gras, dans des costumes neufs, l'air en pleine forme ; des riches. C'était bien connu, le gouvernement de Quantamoniam était entièrement composé de personnes influentes : de grands marchands ou des seigneurs. Comme son père. Sauf que lui était un homme de guerre, d'honneur et digne de respect. Il ne se complaisait pas dans ses richesses et vivait simplement, sans abuser de son pouvoir et de ses moyens. Tandis que ces nobles, eux, n'était que des ordures qui laissaient mourir les gens en dessous de leur pieds. Et ils s'en fichaient complétement, car pour eux, les habitants des Souterrains n'étaient que des insectes. Des personnes tout à fait négligeables.
Comme les Draconiques.
Il y avait un Nain parmi eux. Il devait sûrement appartenir à une des lignées qui avait creusé la montagne alors qu'elle était encore rentable. Et il avait dû rester suffisamment riche, même après la fin du temps des mines. Ce qui expliquait sa place ici. Reyn Menbrac apprit à Akhal qu'il s'appelait Harn Abgrall.
Quelques temps après, Reyn Menbrac lui présentait les deux autres : Yls, un Nocturne, et Quillan Desfourneaux, un Humain. Yls était un homme qui semblait distingué et froid. C'était le seul des trois à ne pas être en surpoids. Ce n'était pas surprenant quand on savait à quelle espèce il appartenait... Il avait la peau livide, des yeux d'un noir de jais et des cheveux tout aussi sombre. Quant à l'Humain, le Draconique voyait bien, au vu des regards que les autres lui lançaient, qu'ils le méprisaient. Et pourquoi donc ? Parce que c'était un Humain.
Oui, les gens de son espèce n'étaient pas vraiment très bien vus non plus. Il fallait dire qu'ils n'avaient rien fait pour. Les Humains étaient toujours plus doués pour détruire que pour construire...et cela leur portait préjudice auprès des autres. Ce n'était guère étonnant.
Mais, certains étaient vus différemment, comme Akhal et son père.
Demetrio Saneur était un meneur. Un héros de guerre. Un symbole. Respecté de tous. Un homme que l'on pensait Humain. Et qui avait depuis longtemps dépassé ce statut. Avec beaucoup d'effort. Il avait dû passer à travers beaucoup de choses avant d'arriver à un tel stade.
Et Akhal, son fil, avait suivi le même chemin, en digne ainé, en digne successeur, en digne Saneur.
Tout cela pour dire que ce Quillan Desfourneaux devait être un sacré salopard s'il était méprisé par les membres du conseil, déjà eux-mêmes pourris jusqu'à la moelle.
Eh bien... Akhal se trouvait en très bonne compagnie, lui qui était le fier fils de son père et que toute raclure vivante écœurait profondément. Et le voilà qui se trouvait dans une salle qui en était remplie.
Par les Six, quelle joie suprême.
Akhal inspira un grand coup, retint un sifflement de mépris et afficha ce même sourire poli.
« Bien, maintenant que nous sommes tous réunis, nous allons pouvoir reprendre, lâcha sèchement la vieille Fée de la Nuit.
- Tout à fait ! approuva Quillan Desfourneaux en levant la tête.
- Je disais donc, avant que sire Akhal n'arrive, fit la vieille en lui jetant un regard agacé, que nous avions reçu des nouvelles de la capitale. La délégation Yuuzan est arrivée à Philadine et les préparatifs du couronnement ont commencé. D'ici deux à trois semaines, nous devrions avoir un nouveau peuple souverain. Quant au problème des Draconiques, le conseil de ne nous a toujours pas donné de directives à suivre. Enfin, notre ville n'est pas vraiment corrompue par ces choses, donc il n'y a pas matière à travailler là-dessus ! ricana-t-elle cruellement.
- On signale pourtant une Draconique dans les souterrains ! », fit remarquer le Nain d'un air dubitatif.
Ilvia Frendz eut un geste exaspéré de la main.
« Ce ne sont que les paroles d'un homme ! Il a dit lui-même qu'une Révélation n'avait pas marché !
- Certes, mais vous ne pouvez nier que toute sorte de choses pourrait se cacher dans ce trou à rat... rétorqua Harn Abgrall, en tripotant sa longue moustache.
- Bah ! Laissons ces gens pourrir dans leur immondice ! Il suffit qu'ils restent en bas ! s'exclama Quillan Desfourneaux en frappant la table de son poing.
- Cela me coûte de l'avouez, mais je suis d'accord avec l'Humain, renifla Reyn Menbrac en jetant un regard de mépris à ce dernier. Ne nous préoccupons pas de ces gens-là, sauf pour les affaires ! Ce serait perte de temps sinon ! »
Les autres, sauf le Nocturne et Akhal, eurent un ricanement dédaigneux à ces paroles.
« Ne pensez-vous pas que cette situation pourrait finir par se retourner contre vous ? Je veux dire par là, qu'il y a, dans les Souterrains, des gens qui meurent et qui s'échauffent... Entre une vie de misère et tenter de se rebeller, le choix est vite fait. Ce genre de personnes n'est pas à sous-estimer... », déclara Akhal d'un ton calme.
Les autres le regardèrent d'un air supérieur et amusé. Akhal eut presque envie de siffler de colère face à ces visages là. Ce qu'il avait dit était-il si ridicule ?
« Mon Seigneur, vous devez savoir que la situation est la même depuis des millénaires, et que les Souterrains ne se sont pas levés une seule fois contre nous. Pourquoi le feraient-ils maintenant ? », expliqua Reyn Menbrac en souriant à pleine dent.
« Peut-être parce que leur nerfs vont finir par craquer définitivement...», pensa amèrement le Draconique.
Mais il haussa simplement ses épaules.
« De plus, vous devez savoir qu'il existe dans les Souterrains quelques sombres organisations, qu'il nous est déjà arrivé d'utiliser... Comme la fameuse guilde des Mercenaires Sanglants, qui nous a plus d'une fois débarrassé de plusieurs problèmes. Les Souterrains sont remplis de ces institutions-là. Marché noir, assassins, prostitués, et d'autres encore, à qui nous, les gens d'au-dessus, rendons visite de temps à autres. Ils ont besoin de nous et nous avons besoin d'eux. Vous voyez bien qu'il existe un juste équilibre. Voilà pourquoi nous ne les craignons pas. Pourquoi détruiraient-ils leur seule source de revenus ? »
Akhal ne répliqua rien, mais afficha un air sombre. Cette ville était décidément pourrie jusqu'à la moelle... Quand les Draconiques seraient au pouvoir, il faudrait veiller à changer les choses ici... Une situation pareille ne pouvait plus durer.
« Soit. Mais je parlais des autres, expliqua finalement le Draconique.
- Ah ! Ce n'est rien. Ce n'est qu'une minorité et cela n'a guère d'importance. »
Akhal faillit étrangler le conseiller à ces mots.
Une « minorité » ?
On lui avait pourtant rapporté qu'ils étaient des dizaines de milliers, à mourir en bas !
« Vous êtes trop sensible, voyons ! A quoi bon vous torturer l'esprit pour ces gens-là ? Ils n'en valent pas la peine ! », ricana le Nain en se tapant le ventre.
En voilà encore un qu'il se ferait un plaisir de passer au fil de sa lame... Etait-ce possible de voir de telles raclures à la tête de Quantamoniam ? Il semblerait...
« Pourtant, j'ai entendu parler d'un homme... Les habitants des Souterrains l'appellent le Sauveur. Il aurait à plusieurs reprises instigué l'idée d'une révolte dans les esprits là bas. », observa Akhal.
Quelques membres du conseil éclatèrent de rire à ces paroles.
« Ce ne sont que des fadaises, Seigneur Akhal. Une légende, voyons ! Un tel individu n'existe pas ! Il n'y a pas de menaces.», rit Harn en secouant la tête.
Akhal se contenta de l'observer calmement. Ses informateurs lui disaient pourtant des choses bien différentes. Même si en effet, l'existence d'un tel homme n'avait pas été prouvée, il ne faisait aucun doute que dans les Souterrains, elle était certaine et représentait une véritable source d'espoir et de rébellion. Mais libre à eux de croire qu'ils ne couraient aucun danger.
« Passons ! siffla la vieille. Nous ne sommes pas réunis ici pour parler de ceci ! »
Les autres se turent.
Akhal l'avait déjà remarqué, mais il semblarait que ce soit Ilvia Frendz qui ait le plus d'influence ici...
« Nous avons reçu l'ordre de verser de l'argent à l'Empire dans le but de financer la guerre à venir, exposa-t-elle.
- Quelle stupidité ! s'exclama le Nain en se levant rageusement. Les Lézards ne méritent pas autant d'attention ! Pourquoi devrions-nous lever une armée contre eux ? Ils n'en valent pas la peine ! Regroupons les garnisons qui existent déjà et écrasons les une bonne fois pour toute !
- Calme-toi, Harn. Même si ce que tu dis est vrai, nous devons obéir. Avare comme tu es, je sais ce qu'il t'en coûte, mais le conseil impérial a été clair : nous devons payer la taxe. Et nous ne sommes pas les seuls dans ce cas-là, soupira Reyn.
- Par la barbe et le cul du Diable ! Je me fiche de cela ! Les autres peuvent bien payer ! Mais pourquoi devrais-je le faire ? Ces Lézards ne sont pas une réelle menace ! Il n'y a toujours pas eu d'agression de leur part contre l'Empire, et même si c'était le cas, les troupes impériales actuelles n'auraient aucun problème pour nous en débarrasser ! Alors pourquoi donc gaspiller tout cet argent ? », fulmina le Nain.
Il semblerait qu'Akhal soit également en présence d'imbéciles. Il ne put s'empêcher de rire stupidement devant eux.
« Eh bien, Seigneur Akhal, qui y-a-t-il de si amusant ? », demanda Ilvia Frendz en le foudroyant du regard.
Eux.
Voilà ce qu'il y avait de si amusant.
Akhal se décida à parler, mais il fut coupé par Yls, qui déclara d'une voix froide et calme :
- Vous êtes stupides, voilà ce qui est drôle. Et je suis bien d'accord avec lui. Ne savez-vous donc pas que ce n'est plus seulement les Draconiques qui marchent contre nous, mais les Draconiaques également ? Ces deux peuples, qui se massacraient mutuellement il y a peu, se sont alliés pour nous faire face. En outre, avec les Draconiaques, ce sont surement tous les Démons qui se mettent contre nous. Le danger est bien réel et il est à prendre sérieusement, bande d'imbéciles.
Depuis qu'Akhal était arrivé, c'était la première fois que le Nocturne s'exprimait. A son intervention, le Draconique avait remarqué que tous les autres l'avaient regardé avec respect... et crainte. Seule la vieille l'avait observé méchamment. Akhal ne tarda pas à comprendre qu'il existait une rivalité entre ces deux-là, pour remporter la main mise sur le conseil, et donc, sur Quantamoniam. Au fond de lui, le Draconique sourit perfidement. Il se demandait si cette lutte intestine lui serait profitable pour la prise de la ville...
« Nous le savons bien ! Mais cela reste des animaux ! », s'insurgea la Fée de la Nuit.
Le Nocturne secoua la tête.
« Si tu le crois, c'est que tu dois être encore plus stupide que je ne le pensais... chuchota Yls.
- Qu'as-tu dis ? s'écria la vieille, les traits déformés par la fureur.
- J'ai dit : tu es stupide. Et je le répèterai autant de fois qu'il le faudra pour que ça rentre dans ta sale caboche. Voilà pourquoi : les Draconiques, ainsi que les Draconiaques, sont les descendants des Dragons. Ces créatures majestueuses sont les plus dangereuses qui soient, si on oublie les Désastres. Alors, il ne faut pas sous-estimer un peuple originaire de ces bêtes-là. »
La Fée de la Nuit eut un reniflement dédaigneux.
« S'ils sont si forts que cela, pourquoi ne se sont-ils pas défendus avant ? »
Ce fut à ce moment qu'Akhal se décida à intervenir, d'un ton glacial :
-Peut-être parce que ce n'était jamais un combat loyal. Peut-être parce que vous vous mettiez toujours à plusieurs pour les massacrer. Peut-être parce que votre peur face à eux est tellement forte que vous en venez à agir lâchement.
Tous les yeux étaient rivés sur lui, surpris, choqués et indignés.
A force de se taire on finissait par ne plus pouvoir se retenir de le faire... Surtout quand on entendait des choses pareilles. Mais même si ses paroles étaient justes, le Draconique regrettait de les avoir laissé s'échapper.
« Voyons, que dites-vous là ? demanda bêtement Reyn Menbrac en clignant des yeux plusieurs fois.
- La vérité. », jeta-t-il, la voix plus assurée que jamais.
Par les Six ! A croire que cette foutue bouche ne voulait pas se taire ! Cette fois, les autres l'examinaient suspicieusement. Tous, sauf le Nocturne. Lui, Akhal pouvait lire autre chose dans son regard : de l'intérêt.
« Eh bien quoi ? Seriez-vous en train d'insinuez que vous êtes de leur côté ? Votre « sensiblerie » comme le dit Reyn, me parait tout autre chose... », susurra d'une voix dangereusement chaude Ilvia Frendz.
« Tu n'imagines même pas, vieille peau... », ricana-t-il avec acidité.
« Ah ? Vous devez avoir mal compris alors, déclara-t-il avec un sourire poli et froid : factice.
- Vraiment ? fit-elle narquoisement.
- Vraiment. »
« ...car tu n'as rien compris en réalité... », se dit-il pour lui-même.
« Humf ! Permettez-moi d'en douter ! Vous parlez des Lézards comme si vous aviez pitié d'eux ! Etes-vous avec ou contre nous, dans cette histoire ? Et quand est-il de votre père ? s'exclama Ilvia Frendz, le visage crispé par la colère.
- Vous n'avez pas à vous en faire pour cela. Quels que soit mes sentiments dans cette affaire, ma loyauté envers l'Empire est la plus forte. Il en est de même pour mon père. », expliqua-t-il en la regardant droit dans les yeux.
Et il ne mentait pas.
Pour lui, son peuple était les véritables successeurs, le véritable peuple souverain. Il agissait donc pour l'Empire, et ses paroles n'étaient alors en rien un mensonge.
Mais ces gens-là ne pouvaient pas savoir le fond de sa pensée.
« Ce que vous prenez pour de la trahison, reprit Akhal, le ton légèrement condescendant, est seulement la valeur qu'est l'honneur. Mais évidemment, ceci vous est inconnu et vous m'avez mal compris. », finit-il, un sourire froid sur les lèvres.
Les autres rougirent d'embarras, sauf Yls, qui continuait de le regarder intensément.
« Nous n'avons jamais douté de vous, Seigneur Akhal. Faites-le savoir à votre père. Nous nous excusons également de vous avoir manqué de respect, de quelques manières que ce soient.», bégaya Reyn Menbrac en inclinant la tête.
Akhal balaya d'un geste ces excuses :
- Ne vous inquiétez pas. Ce n'est rien.
- Exactement ! Nous ne vous devons d'ailleurs aucunes excuses ! s'écria la Fée de la Nuit.
- Ilvia ! s'indigna Reyn Menbrac en se levant. Cette fois, tu vas trop loin !
- Tais-toi ! Tu te prosternes devant ce jeune blanc bec comme si c'était ton maître ! Qui crois-tu qu'il est ? Je me fiche de l'identité de son père ! Pour moi, ce n'est qu'un jeune irrespectueux qui se croit important parce que son père l'est ! vociféra-t-elle, les traits déformés par la fureur.
- Ilvia ! hurla de nouveau l'autre conseiller. Pauvre imbécile, surveille tes paroles ! J'essaye de t'éviter des ennuis, vieille carne !
Reyn Menbrac était rouge de colère et de grosses gouttes de sueurs dégoulinaient sur son front. Il se tourna encore une fois vers Akhal :
- Je vous supplie d'oublier ces paroles, Seigneur Akhal. N'en faites pas part à votre père, par pitié...
- Et tu le supplies ! s'exclama la Fée de la Nuit, en levant les yeux au ciel.
Quant aux autres conseillers, ils observaient la scène d'un air détaché, comme si un tel spectacle était habituel. Et Akhal adoptait un air scandalisé, qui selon-lui, collait bien à la situation.
« Allons, allons, ne nous échauffons pas, tenta de les apaiser Quillian Desfourneaux.
- Oui, ne nous échauffons pas, intervint Yls avec un sourire cynique.
La Fée de la Nuit s'apprêtait à répliquer une nouvelle fois, mais Akhal la coupa dans son élan :
- Nous perdons du temps.
Et il lui fallut toute sa maîtrise de soi pour ajouter, d'une voix calme :
- Je m'excuse si je vous ai, encore une fois, paru impoli, mais je suis, comme mon père, dévoué corps et âme à l'Empire. Vous n'avez aucun souci à vous faire sur ce sujet. Maintenant, si vous le voulez bien, continuons cette réunion et ne nous attardons pas sur ces éléments inutiles.
La vieille femme le regarda encore un moment, puis elle hocha sèchement de la tête.
« Pour reprendre cette réunion correctement... fit Yls en croisant ses mains devant lui, Pouvez- vous nous donner la raison de votre venu ici ?
- Pour le plaisir, répondit Akhal par automatisme.
- Oui, c'est ce que nous a également dit Reyn, mais, permettez-moi d'en doutez... N'y voyez là aucune accusation ! Mais je ne peux m'empêcher de penser que c'est votre père qui vous a envoyé ici... », déclara le Nocturne en s'adossant sur son siège.
Il insistait, celui-ci...
« Je vous assure que c'est seulement pour le plaisir que je suis venu. Je me suis dit, et mon père aussi, que cela me ferait du bien de décompresser un peu avant les combats à venir ; car ils viendront. »
Yls hocha simplement la tête, mais ses yeux pétillaient d'amusement. Akhal sentit un petit frisson le parcourir à ce contact visuel et préféra tourner son attention vers les autres conseillers.
« C'est donc bien la guerre ? comprit réellement le Nain, l'air abasourdi.
- Oui, acquiesça Akhal, en gardant pour lui l'agacement qu'il ressentait.
- Eh bien ! On dirait que je vais être obligés de payer ! bougonna Harn en enfonçant son menton dans sa main.
- On va tous devoir payer, Harn, gromela Quillan Desfourneaux en lui jetant un coup d'œil énervé.
- C'est mieux que d'être requis au combat... non ? », argua Reyn Menbrac.
Un silence pesant lui répondit.
« Ce sera vite réglé en tout cas ! s'exclama tout d'un coup Harn Abgrall, en frappant vivement son ventre.
- Il faut l'espérer, rajouta Reyn Menbrac, en hochant la tête.
- Qu'en pensez-vous ?, demanda l'Humain à Akhal, de la curiosité dans la voix.
- Je pense que ce sera plus dur que ce que tout le monde pense, lâcha simplement le Draconique.
- Ah oui ? Vous êtes sûr ? », s'interloqua Quillian.
Le Draconique haussa des épaules.
« Je ne suis sûr de rien, c'est un pressentiment.
- Tss... Un pressentiment ! Ça ne vaut rien là-dedans ! Ton avis, le vrai ! Et pas celui que tu essayes de cacher derrière ton « pressentiment » ! », siffla la vieille en le pointant du doigt.
« Décidément, pensa Akhal, elle ne va pas me lâcher, cette vieille bique... »
« Soit, soupira Akhal en croisant ses bras sur son torse. Je sais que les Draconiques sont plus puissants que ce que vous croyez. Je sais qu'ils se font de nombreux alliés dans cette lutte qui se prépare. Je sais qu'ils sont plus nombreux que ce que vous pensez. Je sais qu'il ne faut pas les sous-estimer. Donc, si je résume : ils sont dangereux, nombreux, bien préparés. Qu'est-ce qui vous fait croire que cette guerre sera gagnée d'avance, si ce n'est rapide ? Vous ne savez rien de ce qu'est la guerre. Vous restez ici, cloitrés dans vos murailles. Je suis prêt à parier que la plupart d'entre vous ne sont jamais allés sur le front, n'ont même jamais tenu entre leurs mains une arme de leur vie. Donc, faites-moi confiance. Quand je dis que cette guerre sera dure, c'est qu'elle le sera. Mon pressentiment n'est pas à prendre à la légère. D'ailleurs, ce n'en est pas vraiment un : c'est presque une certitude. Alors taisez-vous. Vous êtes certes plus vieille que moi, Ilvia Frendz, mais pour ce qui est de faire la guerre, je suis plus expérimenté que vous. »
Akhal avait réussi à garder sa voix calme. Un miracle en soi. Il détestait lorsqu'on le prenait de haut de cette manière. La Fée de la nuit, quant à elle, avait d'abord blêmi, puis rougi et était maintenant si cramoisie et si en colère qu'elle n'arrivait plus à s'exprimer. Elle ouvrait et refermait sa bouche comme un poisson hors de l'eau, ses veines ressortant affreusement sur ses tempes. La description même du ridicule.
« Comment oses-tu ! hurla-t-elle enfin.
-Vous avez voulu savoir mon avis, je vous le donne.», cracha Akhal.
Cette fois, il ne pouvait pas se contenir.
« N'oubliez pas qui je suis, la prévint-il. N'oubliez pas ma place au sein de l'Empire et ce que j'ai accompli pour lui. Maintenant, je vous conseille de vous taire ou de ne pas me titiller davantage. Vous m'avez manqué de respect, moi également, nous sommes donc quittes. N'aggravez pas davantage les choses. Je vous le demande et vous le conseille. »
Un silence magistral régnait dans la pièce. La vieille ne disait plus rien. Elle continuait juste de le foudroyer du regard. Bien. C'était toujours mieux que lorsqu'elle ouvrait sa sale bouche.
Quillan Desfourneaux se racla finalement la gorge d'un air embarrassé. Il reprit, d'un ton tout à fait badin :
- Sinon, comment va votre père ?
Tous les regards se portèrent sur l'Humain. Akhal eut du mal à se retenir d'exploser de rire face au contraste qu'il y avait entre cette question et ce qui venait d'arriver avec la Fée de la Nuit.
« Parfaitement bien, répondit le Draconique au bout d'un bref silence.
- Que fait-il en ce moment ? », insista l'Humain.
Il voulait manifestement changer le sujet de la conversation. Une sage décision.
« Il doit être à la capitale à présent. Surement en train d'assister à des conseils pour préparer la guerre.
- Ah, toujours le même ! Là où on a besoin de lui, votre cher père s'élance, tel un héros pour aider les gens en détresse ! rigola Quillan Desfourneaux en lui lançant un sourire franc.
-On peut dire ça, oui. », répondit Akhal en serrant les mâchoires.
Il connaissait son père comme personne. Dans sa famille, il était surement celui qui était le plus proche de lui. Mais ces dernières années, ils étaient tous les deux en froid. Disons qu'ils s'évitaient soigneusement et ne se voyaient que lorsque c'était nécessaire. Evidemment, devant les autres, mêmes devant sa fratrie, il jouait toujours le fils parfait. Il ne coupait jamais son père dans ses paroles et ne lui manquait jamais de respect. Mais depuis qu'il savait... Oui, depuis qu'il savait la triste vérité sur le secret de son père, il ne l'avait plus jamais vu comme avant. Dès lors, leur rapports s'étaient dégradés, sans pour autant devenir catastrophiques, mais sans pour autant être les meilleurs possibles.
Alors quand on lui disait à quel point son père était parfait, cela lui rappelait à quel point il ne l'était pas. Cela lui rappelait ce que lui-même avait pensé pendant longtemps, il y a quelques années encore.
Il posa un sourire forcés sur ces lèvres, et n'écouta plus du tout le reste de la conversation, qui dériva sur les affaires publiques de Quantamoniam. D'ailleurs, il ne fut pas dérangé dans ses sombres pensées : on ne lui adressa plus la parole. Soit parce que tout cela ne le concernait pas, soit parce que les conseillers avaient remarqué son air préoccupé.
Une heure, peut-être deux, s'écoulèrent ainsi, puis, soudain, une main se posa sur son épaule et Akhal sursauta.
C'était Yls.
La salle venait de se vider.
Il ne restait plus qu'eux deux dans la pièce.
« Je m'excuse de vous avoir surpris et de vous tirer de vos pensées. », fit en souriant poliment le Nocturne.
Akhal cligna plusieurs fois des yeux. La réunion était terminée. Il ne s'en était pas rendu compte.
« En fait, j'ai à vous parler. », continua le conseiller.
Akhal observa longuement Yls, suspicieusement. Que pouvait-il lui vouloir ?
« Tout d'abord, je m'excuse de l'image très peu flatteuse que vient de vous donner ce conseil. Je sais que ce sont tous des imbéciles, soupira Yls.
- Ne vous en faites pas, j'ai l'habitude.», fit Akhal en s'étirant.
Yls sourit à pleine dent.
« Vous aussi ? Je vous plains tout autant que moi, rit le Nocturne.
- Que voulez-vous ? », jeta brusquement Akhal.
Autant demander directement, cela lui éviterait de perdre du temps. Il avait envie de rentrer à l'auberge le plus vite possible pour savoir si on avait des nouvelles de Drakaïs.
« On peut dire que vous allez vite en la matière.», plaisanta Yls.
Puis à l'air sérieux qu'afficha Akhal, il enchaina :
- Je sais que vous êtes un Draconique.
A ces mots, Akhal s'était figé.
Avait-il bien entendu ?
« Je vous demande pardon ? », articula-t-il, livide.
Cela faisait tellement longtemps qu'il n'avait pas été découvert... Le dernier à avoir deviné son identité devait bien être Drakayn...
« Ne jouez pas à cela avec moi. J'en suis quasiment sûr. J'ai bien vu comment vous avez agi tout à l'heure. Vous devriez d'ailleurs faire attention à de tels propos. Ils vous trahissent. Les autres sont trop stupides pour comprendre, mais les plus intelligents...
-Vous vous trompez, affirma avec détermination le Draconique.
- Mais oui, mais oui..., ricana l'autre. En tout cas, je veux vous faire savoir que je veux en être.
- Je ne comprends pas... se méfia-t-il.
-Allons ! Je vous ai dit que je n'étais pas stupide ! On a signalé une Draconique dans les Souterrains aujourd'hui. Elle était accompagnée. Le Chasseur nous a assuré que son compagnon n'était pas un Draconique mais c'est sans aucun doute un complice. A présent, vous voilà, et maintenant que je sais ce que vous êtes, le doute n'est plus permis. Je ne crois pas aux coïncidences, voyez-vous.
- Je ne comprends toujours pas.», se borna Akhal.
En réalité, il avait parfaitement compris, mais il devait jouer le jeu. Il avait eu du mal à réprimer une grimace lorsque le Nocturne avait mentionné Drakaïs et Drakayn. Car c'étaient bien d'eux deux dont il s'agissait.
« Bien, soupira Yls. Puisque je ne suis pas assez clair, je vais tenter de l'être davantage : je sais que vous comptez prendre Quantamoniam. Et par ce « vous », entendez les Draconiques. Je ne sais pas comment vous compter faire une chose pareille et je m'en fiche. Tout ce qu'il m'importe, c'est d'en être. »
Par les Six !
Que devait faire Akhal ?
Il en voyait qu'une chose : continuer de nier.
« Vous vous trompez sur moi.», grogna Akhal en s'écartant vivement.
L'autre le saisit par le bras.
« Je ne pense pas, non. Réfléchissez ! Je pourrai vous être d'une aide précieuse !
- J'ai dit : vous vous trompez. Maintenant, lâchez-moi. Ou je vous forcerai à le faire. »
Yls comprit qu'il était allé trop loin.
« Je m'excuse.
- Vous êtes pardonné, siffla Akhal. Pour le respect que je vous dois, je ne répèterai en rien la conversation que nous venons d'avoir. Mais je vous prierais de ne plus y faire allusion, fit Akhal en s'engageant vers la sortie.
- Nous savons tous les deux très bien pourquoi vous ne répèterez pas cette conversation : cela attirerait les soupçons sur vous. Mais ne vous inquiétez pas, je ne trahirai pas votre secret ! », se borna le Nocturne.
Akhal s'arrêta sur le seuil de la porte, les dents serrées.
« Je vous le répète : vous vous trompez.
- Mais bien sûr... N'oubliez pas ce que je viens de vous dire ! Je veux cette ville autant que vous, si ce n'est plus, et je serai prêt à tout pour l'avoir ! Tout ! », fit une dernière fois Yls avec un sourire rempli d'avarice.
Akhal secoua la tête et quitta la pièce.
Une fois à l'extérieur, alors qu'il rejoignait du conseil, les paroles qu'il venait d'avoir avec le Nocturne ne cessaient de revenir à son esprit.
Il devait absolument en parler aux autres.
Et dans la nuit, alors qu'une brise légère et fraiche s'était levée, il se dit que cette réunion, certes ennuyante et plutôt irritante, lui avait fourni plusieurs cartes à utiliser.
Maintenant, la question était : comment ?
Note: Hey !
Je tiens à m'excuse du temps que j'ai mis pour poster mon chapitre (surtout que j'avais dis que je le posterai le week-end dernier...), mais il y a eu un évènement qui m'en a empêché ^_^. Je ne vais pas dire lequel car je ne veux pas étaler autant ma vie privée, mais sachez juste que c'était une bonne raison.
Et pas parce que je vous avez oublié, ou que j'ai eu la flemme de relire ce chapitre, ou d'autres trucs du genre :) !
Voilà !
Sinon, je vais être rapide (car il est minuit passé et que je suis claquée!): un chapitre avec Akhal, une allusion à son père (très important !), de nouveaux personnages, une proposition (très important aussi !), Yls (hyyyyyyyper impor_ D'accord. J'arrête ! Je sais bien que vous êtes assez inintelligents pour le comprendre :D !) et...c'est à peu prêt tout :) !
Alors, qu'avez-vous pensez d'Akhal dans ce chapitre ?
Des conseillers ?
D'Yls ?
J'espère que ce chapitre vous aura plu :) !
Dans le prochain, on retrouvera Drakaïs, Drakayn et Inviat ;) !
Et on entamera une partie qui me plait énormément :D !
Oh !
N'oubliez pas, pour les 2 000 vues, je mets en place un petit truc sympa :D ! Vous pouvez poser des questions (n'importe lesquelles ! Sauf si je trouve qu'elles spoilent le récit ;) !) aux personnages que vous voulez :D (pour plus de précision, j'ai posté un message sur mon profil ;) !)!
Ciao la compagnie !
Ps: J'ai vraiment un bon rythme en ce moment :D !
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