Chapitre 15:

Drakaïs courait dans le champ, la tête remplie de pensées joyeuses. Elle aimait se déchainer ainsi, se laisser voler sur les herbes, même si ce n'était qu'une illusion. Courir lui donnait toujours cette folle impression. Et comme elle ne pouvait pas vraiment déployer ses ailes -maman leur disait que c'était trop risqué−, elle préférait plutôt déployer ses jambes, et les faire voleter plus ou moins lourdement sur la verdure. Oh, cela n'avait rien de comparable à la sensation de nager dans les airs, mais c'était mieux que rien. Elle s'en contentait donc. De toute manière, elle était bien obligée.

Elle se figea soudainement, un pli inquiet entre ses deux sourcils et le regard rivé au sol. Elle sentait le vent dans ses cheveux écarlates, qui jouait avec ses mèches en les emmêlant davantage. Sa coiffure devait ressembler à un nid de pie... Elle leva le nez au ciel et se mit à flairer les effluves que lui portait la brise. Un petit sourire en coin apparut aux bords de ses lèvres. Un parfum capiteux lui parvenait. Un petit goût sucré, qui éveillait en elle la lumière d'un rayon de miel, et qui vint lui flatter les narines. Elle avait l'impression de respirer le soleil. Une fragrance comme celle-ci... Drakaïs savait bien à qui elle appartenait : Drags. L'enfant prit une petite moue plaintive et baissa la tête.

Mince... Drags allait encore lui remonter les bretelles...

« Drakaïs ! », l'interpella une voix, attirant alors son attention.

Drags regardait sa cadette, les sourcils froncés. Ouille, ouille... Drakaïs allait vraiment passer un sale quart d'heure...

« Euh... Je peux tout t'expliquer... », tenta Drakaïs en se dandinant sur elle-même et en lui jetant quelques coups d'œil nerveux.

Elle commençait à regretter de ne pas avoir suivi les directives de maman... Et sa grande sœur qui continuait de l'observer sévèrement... Drakaïs imaginait déjà l'horrible punition qui l'attendait.

« Ecoute... Je...Je comptais vraiment aller faire les courses que maman m'a demandées... », bégaya la petite en pliant avec angoisse ses minuscules mains.

Le visage de l'aînée se fit plus sévère. Drakaïs baissa de nouveau les yeux au sol. Mince, mince ! Drags devait sûrement être très en colère pour ne rien dire à ce stade-là !

« Je suis désolée... », s'excusa d'une toute petite voix Drakaïs.

Les larmes commençaient à venir et les retenir plus longtemps devint difficile. Pourquoi sa sœur ne disait-elle rien ? Plus que de vives remontrances, le silence l'effrayait pour tout ce qu'il pouvait signifier. Et c'était vraiment angoissant d'essayer de le décrypter ... On s'imaginait beaucoup trop de choses.

Drags, de son côté, baissa elle aussi la tête. Ses épaules furent prises de tremblements incontrôlables et Drakaïs sentit l'appréhension envahir son cœur. Cette fois, c'était sûr, sa grande sœur était folle de rage. C'en était trop pour Drakaïs. L'enfant avait juste voulu passer par le champ avant de suivre la requête de sa maman...et elle s'était dit qu'elle pourrait attendre un petit peu, le temps qu'elle s'amuse un moment. Si elle avait su que sa sœur viendrait la sermonner pour cela, elle ne l'aurait certainement pas fait ! Enfin, elle ne serait pas  restée aussi longtemps...

Et tandis que Drakaïs éclatait en sanglots, des ricanements stridents s'échappèrent de Drags. Drakaïs, assaillie par des hoquets de tristesse, fut envahie par la confusion. Pourquoi Drags riait-elle ? La cadette observa plus attentivement sa grande sœur, les yeux grands ouverts et les larmes coulant sur ses joues roses. Devant son air stupéfait, le rire de Drags augmenta jusqu'à ce qu'elle finisse pliée en deux, les mains sur le ventre.

Comprenant enfin qu'elle s'était faite avoir depuis le début, Drakaïs s'exclama, la gorge toujours nouée par les sanglots :

- T'es méchante ! Je vais le dire à maman !

- Et moi, je lui dirais que tu as préféré aller jouer plutôt que de faire ce qu'elle t'avait demandé, fit Drags en reprenant son calme et son souffle.

Drakaïs resta la bouche ouverte, la frustration remplaçant peu à peu son chagrin. Ce n'était vraiment pas juste !

« Et puis d'abord, c'est de ta faute. Tu me regardais avec une telle tête ! L'occasion était trop belle ! recommença à rigoler Drags.

- Arrête ! cria d'une voix hystérique la plus jeune.

- C'est plutôt à moi de dire ça ! Regarde-toi ! Tu tires une de ces tronches ! Tu devrais te voir !pouffa-t-elle encore.

-'Même pas vrai... », bougonna Drakaïs en se remettant à pleurer.

Elle n'aimait vraiment pas quand Drags agissait de cette manière avec elle... Elle se sentait impuissante. Cela lui donnait envie de piquer une crise et de lui foncer dessus.

« C'est bon, c'est bon... J'arrête ! », finit par lâcher Drags en s'asseyant au sol.

Drakaïs la fixait intensément, les yeux toujours remplis de larmes, avec une lueur de suspicion juste en dessous. C'était trop beau, qu'elle s'arrête tout de suite. Cela cachait forcément quelque chose.

« Tu as demandé à maman des choses sur papa.», déclara soudainement Drags, la voix remplie de reproches.

Drakaïs détourna son regard en fronçant les sourcils. Pff ! Qu'est-ce qu'elle disait ! A choisir entre ce sujet et le précédent, elle aurait préféré que Drags continue de se moquer d'elle !

« C'est pas vr_ tenta de nier Drakaïs.

- Menteuse ! la coupa sa sœur d'un air agacé. Je le sais. Maman pleurait quand je suis rentrée. Tu étais déjà partie, et j'avais beau lui demander ce qui n'allait pas, elle n'a rien voulu me dire. Elle est comme ça seulement lorsqu'il est question de papa. »

Drakaïs ne chercha plus à démentir. A quoi bon au point où elle en était ?

« Je t'ai déjà dit que si tu avais des questions sur papa, c'était à moi que tu devais les poser.

- Mais tu ne sais presque rien toi non plus ! tempéta Drakaïs en levant les bras au ciel dans un geste énervé.

- J'ai connu papa. Alors si, je sais des choses. J'étais peut-être petite, mais j'ai des souvenirs de lui.

- Mais c'est pas pareil, je voulais l'entendre de maman... marmonna Drakaïs en creusant un trou dans l'herbe avec son pied.

- Oh ! Mais qu'est-ce que tu peux être têtue quand tu t'y mets ! Tu ne comprends donc pas que ça fait mal à maman de parler de papa ? Alors arrête. »

Il y eut un silence. Drakaïs regardait fermement le sol, les larmes pointant de nouveau. Elle en avait vraiment marre de ne rien savoir sur papa. Elle savait qu'il n'était plus là, que les Faucheurs étaient venus le prendre, mais c'était tout. A quoi ressemblait-il ? Pourquoi n'était-il plus là ? Quel type d'homme était-il ? Etait-ce trop demander que de vouloir savoir ces simples informations ? Drakaïs était certaine que non. Mais à chaque fois qu'elle demandait, maman se murait dans le silence, et Drags se faisait un devoir de l'ignorer tant qu'elle n'aurait pas d'autres idées en tête.

« Bon, qu'est-ce que tu voulais savoir ? », fit Drags au bout d'un instant.

Drakaïs jeta un coup d'œil à sa sœur ainée. Elle était surprise par cette question. Et elle sentit la flamme de l'espoir se raviver dans son cœur. Peut-être bien que cette fois, ses attentes allaient être satisfaites...

« Comment est mort papa. », lâcha Drakaïs en suppliant des yeux sa sœur de lui répondre.

Drags se passa la main sur la figure et lâcha au passage un grand soupir.

« Tu lui as demandé ça ? », demanda Drags brutalement.

Drakaïs hocha seulement de la tête.

« Et en plus tu lui as posé la pire des questions... grommela la plus vieille avant de reprendre : Papa est mort à la guerre. Une de ces sales guerres que je ne peux ni nommer, ni donner les raisons ou les causes. Bref, il n'en est pas revenu. Il est mort. J'ai vu son corps, ou plutôt ce qu'il en restait, finit-elle le regard au loin, sans émotion apparente.

- C'était triste ? fit Drakaïs, le visage préoccupé.

- Ah ? Oui. Mais celle qui continue de pleurer, même aujourd'hui, c'est maman. Tu sais, je n'ai presque pas pleuré. C'est comme si maman prenait mes larmes et qu'elle les versait à ma place... C'est pour ça que tu dois me promettre de ne plus lui poser des questions sur papa, c'est compris ?

- Oui... », promit à contre cœur Drakaïs.

Son esprit était en ébullition. La guerre.... Voilà donc ce qui lui avait pris son papa... Et elle ne pourrait plus poser de questions à maman... Une promesse était une promesse, et la trahir était un sacrilège qu'elle ne ferait jamais. Mais rien ne l'empêchait d'harceler Drags pour qu'elle lui donne des réponses...

« Bon, tu viens ? l'apella sa sœur, la tirant des ses pensées par la même occasion.

- Où ça ? », demanda Drakaïs en se méfiant.

Si c'était pour rentrer à la maison les mains vides, et qu'elle se fasse rouspéter par maman : non merci !

« Chez l'Empereur. »

Drakaïs lâcha une exclamation silencieuse, la bouche grande ouverte et les yeux écarquillés.

« Non mais quelle idiote ! explosa de rire Drags. On va faire les courses que maman t'as demandé, voyons ! Tu ne crois tout de même pas que je vais te laisser t'en tirer à si bon compte après tout ce que tu as fait, ou plutôt tout ce que tu n'as pas fait ! », expliqua sa sœur en trottinant vers le village.

Drakaïs prit un air boudeur et grommela un « Je savais que c'était faux... ».

Elle prit le temps d'examiner le dos de sa sœur, qui s'éloignait dans les hautes herbes. Drags agissait toujours de cette manière. Elle était moqueuse et bourrine. Drakaïs sourit à pleines dents. Mais c'était pour cela qu'elle l'aimait ! Elle courut rejoindre sa sœur et la prit dans ses bras, lui arrachant un petit cri de surprise.

« Eh ! Je sais bien que c'est le matin, mais il y a tout de même des limites. »

Drakaïs regarda Drakayn un moment, hagarde, et cligna des yeux. Mince... Elle avait encore recommencé...

« Pardon, dit-elle d'une petite voix. J'étais perdue dans mes pensées... »

Et pas n'importe lesquelles...

« Ça, je m'en doute, rigola le Draconiaque. Qu'est-ce qui te perturbe autant?

- Toujours la même chose... soupira-t-elle.

- Encore ? Eh bien, si cela te préoccupe autant, pourquoi ne pas interroger Akhal sur le sujet ? Tu m'as bien dit que ton père était un ami du sien, non ?

- Certes, mais on a des choses plus importantes à faire, grogna-t-elle. Les réponses sur mon père attendront. »

Il y eut un bref silence tandis qu'ils descendaient les escaliers pour aller dans les souterrains.

En fait, elle mourrait d'envie de parler à Akhal et de lui demander tout ce qu'il savait, non seulement sur son père, mais aussi sur sa famille. Elle avait les réponses aux questions qu'elle se posait depuis toujours juste devant le nez et pourtant, elle ne pouvait pas les avoir. Du moins pas tout de suite. C'était si frustrant ! Mais elle préférait attendre qu'elle et Drakayn trouvent Inviat. Cette discussion en serait en quelque sorte la récompense.

Le Démon s'arrêta soudainement, de même que la Draconique, qui le questionna des yeux

« Drakaïs... commença-t-il, de la prudence dans le ton. Je sais très bien ce que tu vas me répondre, mais il faudrait envisager la possibilité qu'Inviat n'est peut-être déjà plus à Quantamoniam... Cela fait une semaine que nous le cherchons, et nous n'avons pas trouvé la moindre trace de lui... Tu sais bien que je veux l'attraper autant que toi pour l'interroger sur ce fameux passage, mais_

- Peut-être, le coupa-t-elle, mais tant que nous n'en sommes pas sûrs, il faut continuer de le chercher. Et puis, tu sais que ma solution pour prendre la cité est bien plus intéressante que la vôtre ! Tu te rends compte ? Un passage existe ! Il y a une faille dans la barrière de la ville et si nous la trouvons, nous ne serons pas obligés de lever le sort ! Si on devait en arriver à cette extrémité, ce serait comme, comme_ »

«Comme un immense gaspillage. », souffla la voix reptilienne dans son esprit.

« Encore... », soupira mentalement la jeune fille. Depuis ce jour dans la boutique, une semaine plus tôt, elle ne cessait d'entendre quotidiennement cette voix mystérieuse, qui, souvent, faisait écho à ses pensées. A croire que la présence ponctuelle de Seth avait été remplacée par une autre, bien plus dérangeante, car plus envahissante !

« Je sais, marmonna Drakayn. Ta solution est bien plus simple, mais tu dois comprendre que les autres sont assez sceptiques.

- Mais c'est vrai ! s'indigna Drakaïs.

- Et je n'en doute pas. Mais tout le monde ici ne te connait pas comme moi. Tout le monde ici ne partage pas ton point de vue. Pour le moment, nos recherches ne gênent pas les autres mais si cela devait arriver...

- Je ne vois pas en quoi cela les gênerait ! râla-t-elle.

- Je ne peux pas dire la même chose. Si, par exemple, Fergon voulait mon aval pour quelque chose, il serait obligé de me courir après dans toute la ville.

- S'il nous aidait à chercher, on pourrait trouver Inviat plus rapidement et il n'aurait alors plus besoin de ton aval.», ricana-t-elle froidement.

Le Démon lui sourit avec amusement, sans se formaliser de son apparente agressivité.

« On peut voir la chose sous cet angle-là, oui. »

Puis, ils se remirent à descendre dans un silence pesant, avec pour seule compagnie le son de leur pas résonnant dans le tunnel. Drakaïs ne tint pas longtemps avant de le briser d'une voix aigue à cause de l'émotion :

- Ils pensent que je suis folle, c'est ça ? Et toi, tu penses la même chose qu'eux ? Que ce qu'on fait ne sert à rien, mis à part perdre du temps ? »

Le Démon se contenta de la détailler du regard pendant un instant. Un air épanoui apparut cependant rapidement sur son visage. Ce fut un large sourire les lèvres qu'il s'exclama:

- Non, je suis au contraire ravi de passer tout ce temps seul avec toi ! »

Drakaïs rougit légèrement. Quand il la prenait par surprise de cette manière, elle avait du mal à garder ses réactions intérieures secrètes.

« Drakayn... Sois sérieux un instant, tu veux ? toussota-t-elle pour cacher son embarras.

- Très bien, lâcha-t-il à contre cœur. -Il adorait la taquiner ainsi.− Si tu veux tout savoir, non, ils ne pensent pas que tu es folle ; moi non plus d'ailleurs. Et tu ne l'es pas, ôte-toi cette idée de la tête, d'accord ? Tu te fais souffrir pour rien. »

Elle ne dit rien avant un moment. Il n'y avait encore pas si longtemps que cela, elle aurait démenti ces paroles. Mais elle était maintenant convaincue que ses visions n'étaient pas dues à la folie, mais plutôt à cause d'une puissance extérieure, si ce n'était d'ordre magique. Drakayn lui avait fait part de sa théorie sur le sort d'oubli placé sur elle. L'angoisse avait tout d'abord pris le dessus à l'idée que quelqu'un ait pu faire une chose pareille, mais la curiosité l'avait vite remplacée. Pourquoi donc avait-on pris la peine de bloquer ses souvenirs ? Qui avait fait cela ? Il y avait tellement d'inconnues dans cette histoire... Elle ne pouvait qu'attendre des réponses à ces nombreuses questions pour éclairer son esprit et dissiper ses doutes. Attendre... Elle détestait avoir un rôle passif... C'était pourtant la seule chose qu'elle pouvait faire dans l'immédiat. En effet, les fois où elle avait forcé son esprit pour avoir des réponses, des migraines affreuses l'avaient prise et elle se remettait encore mal de la dernière qu'elle avait eue, sept jours plus tôt, pour découvrir l'existence du Passage. Et pour l'instant, elle ne voulait absolument pas retenter l'expérience. Elle avait désormais compris que ce qu'elle cherchait viendrait au moment voulu et qu'il ne servait à rien de précipiter les choses.

« Je me demande si je pourrais demander à Inviat des renseignements sur Seth.», reprit la Draconique.

Drakayn haussa les épaules puis remarqua en ricanant :

- Avant ça, il faudrait d'abord le trouver.

- On le trouvera, déclara-t-elle avec détermination. Il le faut.

- Un pressentiment, je suppose ?

- On peut dire ça de cette manière. »

Et c'était vrai. Au fond d'elle, elle savait qu'Inviat était toujours à Quantamoniam. C'était plus qu'un pressentiment : c'était une certitude.

« Au fait, si tu sors la nuit, je voudrais que tu ne le fasses pas seule, même si c'est avec Akhal...

- Pourquoi ? », demanda-t-elle en fronçant les sourcils.

Qu'allait-il bien pouvoir lui sortir encore ? La prenait-il pour une enfant ? Ou la pensait-il trop faible pour se défendre seule ? Quelle qu'en soit la cause, cela ne lui plaisait pas. Elle était assez grande pour s'occuper d'elle-même.

« Attends avant de t'énerver ! rigola-t-il. Si tu veux tout savoir, il y a un Vampire à Quantamoniam. Il est arrivé peu après nous et il a déjà fait plusieurs victimes. Certes, toutes des personnes peu fréquentables, mais cela n'empêche pas qu'il a tué pour se nourrir, signe d'une grande faim. Je ne sais pas si tu as déjà aperçu une de ces créatures, mais il vaut mieux pour toi de les éviter. Ces bestioles sont très résistantes, presque aussi dures à tuer que des Désastres lorsqu'elles sont expérimentées ; j'entends par là lorsqu'elles sont vieilles. Alors, suis mon conseil. J'espère que ton orgueil ne t'en empêchera pas. »

Un Vampire ? Elle sentit un petit frisson la traverser. Elle ne les connaissait que de nom, mais quelque chose lui soufflait que ces créatures étaient dangereuses.

« Tu en déjà vu un, n'est-ce pas ? voulu confirmer Drakaïs.

- Un Vampire ? Plusieurs même. J'avais beau leur planter mon épée dans leurs satanées
carcasses, ils ne tombaient pas. J'ai dû sortir mes flammes pour m'en débarrasser le plus rapidement possible.

- Si le grand Drakayn a bataillé autant pour quelques misérables Vampires, c'est qu'il ne devait pas être dans son meilleur état ! ironisa-t-elle.

- Ah ah ! fit-il d'un rire sec. C'est du sérieux, Drakaïs. Ces sangsues sont très pénibles. Oh, ne t'y trompe pas ! Si tu veux un bon défouloir, elles remplissent ce rôle à merveille. Mais dans un combat, ce sont de vraies plaies. Dans tous les sens du terme. Au moment où tu penses l'avoir abattue et que tu lui tournes le dos, elle se relève pour te planter ses jolis crocs affutés dans la nuque. Je t'ai déjà dit que je n'aimais pas être surpris, non ? Dans tous les cas, si tu en a une en face de toi la nuit, tu peux être sûre que tu n'en sortiras pas indemne. Une fois que tu as compris leur manière d'agir, il n'y a plus vraiment de danger ; une décapitation et c'est réglé. Mais pour toi, qui n'en a jamais affronté... Drakaïs, s'il te plait, regarde, je te le demande. Tant que ce suceur de sang n'est pas repu ou au mieux exterminé, ne sors pas seule la nuit. Je te le demande car je suis inquiet. Je sais qu'au final, tu arriverais à le vaincre, mais je sais également que ce ne sera pas sans quelques vilaines blessures au passage. Alors, est-ce que tu m'écouteras ? »

Drakaïs cligna des yeux plusieurs fois. Eh bien ! Drakayn lui demandait de ne pas sortir seule. Il était inquiet pour elle. Pourquoi ces mots faisaient-ils la différence ? Elle lui jeta un coup d'œil. Il avait l'air préoccupé et attendait toujours sa réponse.

« C'est d'accord. Je ne sortirai pas seule la nuit. »

Il soupira de soulagement.

« Mais... je veux quelque chose en échange.», continua-t-elle d'une voix mielleuse.

Les mots étaient sortis tous seuls et le regard qu'elle lui lança alors était pétillant de malice. Drakayn en resta pantois et s'arrêta soudainement.

« Et donc ?»

Il avait repris ses esprits mais ne pouvait s'empêcher de sourire stupidement. Par les six ! Elle l'avait pris par surprise cette fois encore ! Seul le Mal savait à quel point il détestait cela en temps normal, mais cette fois-ci, cela n'avait rien de désagréable... Encore un effet secondaire due à la présence de la Draconique.

« Hum ? fit-elle innocemment.

- Que vas-tu me demander ? »

Il avait repris son petit sourire en coin.

« Que tu me payes le prochain repas.», déclara finalement Drakaïs avec un air affamé.

Il explosa de rire et passa la main dans les cheveux de feu de la Draconique.

« C'est bien toi ça ! ricana-t-il en l'ébouriffant.

- Eh bien oui. Moi aussi, je peux sortir des idioties quand je veux, déclara-t-elle avec une fausse fierté.

- Je te l'ai déjà dit, non ? Les idioties me sont réservées. »

Elle haussa les épaules.

« Ça, c'est toi qui le dit ! », murmura-t-elle en s'écartant et en partant devant, les bras derrière le dos.

Les Souterrains et leur pauvreté... Ce spectacle affligeant qui montrait la face cachée de Quantamoniam ne cessait de mettre Drakaïs dans un état second. Ce sentiment avait fini par évoluer au fil du temps; passant de l'horreur et du dégout à un sentiment proche de la lassitude. Elle voyait désormais chaque jour des enfants à la maigreur visible sous les loques qui leur servaient de vêtements, des femmes à l'air accablé et aux os saillants, ou encore d'autres gens, qui l'œil sans vie, regardaient passer les passants, par terre, comme si le sol était voué à être leur lieu de mort.

La première fois qu'elle avait vu tout cela, elle s'était arrêtée net sous l'effet du choc. Lorsque Anas les avait guidé dans les Souterrains, elle n'avait rien vu. Avait-elle été trop occupée par l'enfant, ou bien avait-il pris un chemin qui ne montrait pas cette misère ? Même maintenant, cette question continuait d'hanter Drakaïs.

Drakayn, lui, faisait comme si de rien n'était. Comment faisait-il pour ne rien ressentir face à cet accablant tableau ? C'était ce qu'elle lui avait demandé un jour et il lui avait répondu calmement:

- Ce n'est pas que je ne ressens rien. C'est juste que je ne peux rien y faire.

Ce à quoi elle avait rétorqué, la voix remplie de tristesse:

- N'y a-t-il vraiment rien à faire ?

- A ce que je sache, la situation a toujours été ainsi. Les pauvres, les réfugiés ; bref toutes les personnes négligeables, en bas, les autres en haut. Alors, non, nous, nous ne pouvons rien faire. Si les choses doivent changer, ce ne sera que parce que les gens des Souterrains se seront révoltés pour cela. Et ce n'est pas nous qui allons le faire à leur place...

- C'est injuste... », avait-elle fait, la gorge serrée par les sanglots.

Drakayn l'avait alors regardée, hagard.

« Drakaïs.», avait-il commencé en tendant la main vers elle.

Elle avait éloigné cette main et avait plaqué les siennes sur son visage.

« Par les Six ! Ce monde est si fou... avait-elle chuchoté en frottant ses yeux humides.

- Tu as sans doute raison, pourtant... avait repris Drakayn. Regarde." Il l'avait prise pas les épaules et l'avait tournée vers un corps sans vie." Les gens meurent ici, certes, mais... "Il l'avait tournée vers un groupe de gamins qui jouaient joyeusement." les gens vivent aussi. Non, survivent. »

Drakaïs s'était apprêtée à répliquer quand elle avait soudainement aperçu Anas parmi les bambins. Celui-ci l'avait vue à son tour et avait alors fait de grands gestes dans sa direction. Elle se rappelait avoir passé, au comble de Drakayn, le reste de la journée avec lui.

Et voilà où elle en était : ces images étaient devenues une habitude et même si elle continuait à ressentir un petit pincement au cœur face à ces scènes affreuses, elle devait avouer que cela ne la perturbait plus autant qu'avant. En tout cas, elle faisait tout pour ne plus ressentir cette douleur inutile. En effet, pleurer n'apporterait rien à ces gens. Alors, elle s'était comme construite une barrière, à l'intérieure d'elle-même, qui gardait éloigné ces sentiments.

Ils marchaient d'une démarche rapide et déterminé, le Draconiaque en tête. Les bâtiments, si on pouvait les qualifier comme tels, étaient délabrés. Drakaïs se demandait toujours comment ces constructions réussissaient à tenir et à ne pas s'écraser au sol. Cet endroit était une telle immondice, était tellement rempli de saletés, de pauvreté, de maladies, de morts, qu'elle se demandait comment tant de malheurs pouvaient se tenir au même endroit. A croire que l'un allait avec l'autre. Mais ce qui l'interrogeait, la choquait tant, était l'attitude des habitants de la surface. Ils agissaient de la plus naturelle des manières, comme si rien de tout cela n'existait. Et c'était là le plus effrayant. Car, si Drakaïs n'avait pas vu les Souterrains de ces propres yeux, elle n'aurait jamais cru qu'un tel lieu puisse exister en dessous de Quantamoniam. Elle aurait eu du mal à admettre que deux extrêmes pareils puissent exister en de telles promiscuités. Elle avait toujours du mal à l'accepter. Les gens de la ville vivaient dans de si bonnes conditions ! Comment pouvait-on vivre de cette manière en sachant ce qui se passait juste en dessous de vos pieds ? Mais le savaient-ils ? Lorsqu'elle le demanda à Drakayn, il lui répondit que oui, ce qui ne fit que la plonger dans une plus profonde incompréhension.

« Les gens ne sont préoccupés que par leur confort ou au mieux, ceux de leurs proches. Les personnes qui s'intéressent réellement aux malheurs des autres sont rares, lui dit-il en devinant ces pensées.

- J'ai l'impression qu'ils fuient cette réalité. »

Là-dessus, le Démon rit silencieusement.

« C'est le terme, oui. S'ils ne regardent pas, s'ils font semblant de ne pas voir, ils peuvent se rassurer en se disant que ce n'est pas vrai. Plutôt stupide, si tu veux mon avis.

- Et qu'en est-il, justement, de ton avis ? », fit-elle en haussant un peu trop la voix.

Elle trouvait que cette situation ne l'horrifiait pas comme elle le devrait. Mais peut-être que sa nature de Démon l'en empêchait.

Et comme s'il lisait dans ses pensées, il lui expliqua, parfaitement calme, presque amusé de sa réaction :

- Je ne suis pas sans cœur, tu sais... Je connais cette ville et ses affreux secrets depuis longtemps. Cette situation, je m'y suis habitué, comme toi tu commences à le faire. Mais je me dois d'être honnête avec toi : la première fois que j'ai vu les Souterrains, j'ai été autant surpris que tu l'étais, mais je n'ai pas été autant chamboulé. Et ce n'est pas parce que je ne ressens aucune pitié ou empathie. C'est juste parce que j'ai vu des choses pires que celles-ci et qu'elles sont monnaie courante dans le monde des Démons. Les Souterrains, enfin, Quantamoniam, est presque un petit enfer à sa manière...Certes, c'est loin d'être pire que là-bas, mais c'en est suffisamment similaire pour pourvoir les comparer. Les mêmes complots politiques, les mêmes malheurs, les mêmes crasses... en moins pire. Mais bon, je suppose que l'analogie est trop extrême. Après tout, on ne refait pas l'Enfer. »

Drakaïs ne répondit rien. Elle sentait que c'était la meilleure chose à faire et retint les maigres informations que Drakayn lui avait données.

Ils fouillèrent de nouveaux endroits, s'enfoncèrent dans les profondeurs des Souterrains, croisèrent des personnes louches, d'autre un peu moins, se perdirent presque -Drakayn n'arrêtait pas de dire que ce n'était pas le cas...−, continuèrent de chercher Inviat encore et encore. Et ils n'échangèrent plus aucune parole, réfléchissant tous deux à leur conversation précédente. Réfléchissant à cette ville et à tout ce qui la concernait. Et ne trouvant aucune réponse aux questions qu'ils se posaient.

Comme toujours.

« A ton avis, il est quelle heure-là haut ? », demanda Drakaïs en observant le plafond des Souterrains.

Le Démon et elle étaient assis sur des tonneaux abandonnés, se reposant les jambes après des heures de recherches.

« Eh bien, comme mon ventre crie famine, je dirais qu'il ne doit pas être loin de midi, peut-être plus... »

Comme pour lui prouver, un gargouillement s'éleva du ventre du Démon, qui lui sourit radieusement avec un regard semblant lui dire : « Tu vois ! ».

« Et c'est à ça que tu te fie ? fit-elle d'un air sceptique.

- Partenaire, laisse-moi t'apprendre une chose : les messages que ton corps t'envoie sont toujours à prendre en priorité !

- Mais oui... »

La Draconique se leva alors sans un mot.

« Eh bien, où vas-tu ? On repart déjà ?

- J'aimerai bien, mais comme quelqu'un ici est « affamé », je n'ai pas envie d'être sans cesse embêtée par les hurlements de son ventre ! Donc, viens, on va te chercher quelque chose à manger !

- Ta sollicitude me touche ! Tiens, tu vois cette boutique là-bas ?" Il montra un petit bâtiment de la tête. "Je l'avais remarquée lorsque l'on est passés devant tout à l'heure. Ce qu'ils font à l'air délicieux... Des sortes de petits pains fourrés à_ »

Le Démon n'eut pas le temps de terminer sa phrase; il fut coupé par un hurlement venant du ventre de la Draconique.

« Ah ! Mais on dirait qu'il n'y pas que moi qui est affamé ! nota-t-il en rigolant.

- Oh c'est bon, je l'avoue : je meurs de faim ! Content ?

- Voyons, je ne suis pas le genre de personnes à être satisfait par une si petite victoire. Mais si tu me demandes ça sérieusement... je dirais que oui. »

Parce qu'il appelait cela « victoire » ? Drakayn... Qu'allait-elle faire de lui ?

« N'oublie pas que c'est toi qui paye ! », lui rapella-t-elle avec un clin d'œil.

La boutique avait l'air d'avoir du succès, car il y avait foule devant. Elle remarqua également des gardes prêts de l'étalage. Sûrement pour éloigner ceux qui auraient la mauvaise l'idée de voler... Avec ses sens hors du commun, Drakaïs pouvait sentir le fumet qui s'en échappait alors qu'elle en était encore loin : un mélange de viande grillée et de légumes avec du pain chaud tout droit sorti du four... Elle pouvait presque déjà en sentir le goût sur ces lèvres.

« Drakaïs... », murmura Drakayn à son oreille, la faisant presque sursauter. Quelle affreuse habitude il prenait là ! « Tes yeux... », la prévint-il.

Elle perçut une légère inquiétude dans sa voix. Elle comprit rapidement que ses yeux devaient être dorés et la pupille en fente. Elle se les couvrit soudainement, son geste attirant quelques regards sur elle. Une panique sourde monta en elle. Les gens regroupés ici l'avaient-ils vu ? C'était-elle trahie ?

Tout à coup, elle sentit des bras l'envelopper et elle se retrouva la tête sur la poitrine de Drakayn, sa présence réconfortante envahissant ses sens.

« Reste comme ça autant que nécessaire. », lui chuchota-t-il doucement. Il passa sa grande main dans ses cheveux roux et la serra davantage contre lui tandis que les gens détournaient leur regard d'un air gêné et parfois envieux. Seule une personne dans la rue dans laquelle ils étaient, continuait de fixer Drakaïs. Un homme qui était dans l'échoppe où ils comptaient aller. Il avait les cheveux blonds et les portaient mi-long. Une longue épée flottait à ses flancs. Mais ce qui était le plus marquant était son regard. Un regard brillant, excité par la vue d'une proie. Merde, ce type de regard... Parmi toutes les personnes qui auraient pu la voir, étaient-ils tombés sur un Chasseur ? Impossible de le dire à Drakaïs, cela ne la ferait que paniquer davantage.

Quant à la Draconique, au lieu de se calmer, son cœur s'était encore un peu plus affolé. Le Démon vit que ses oreilles étaient rouges d'embarras. Il se détestait pour ce qu'il allait devoir faire, mais il fallait qu'ils partent, se fondent dans la foule. Et vite. Il n'aimait pas se savoir dans la même zone que ce type... Avec un peu de chance, s'ils partaient suffisamment rapidement, ils n'auraient pas à s'inquiéter de lui et à faire le nécessaire pour qu'il ne parle pas.

Si l'homme là-bas était bien un Chasseur, alors ils allaient avoir de sérieux ennuis... Les Chasseurs étaient des personnes appartenant à un ordre qui n'avaient ni de règles à proprement parler, ni de chef. C'étaient des individus qui ne vivaient que pour la chasse d'autres créatures -souvent dangereuses− et qui se faisaient parfois mercenaires. Ils trouvaient leur utilité en temps de crise, et depuis l'apparition des Draconiques, ils s'étaient fait un plaisir de les prendre comme proies favorites. Pour un Draconique, ces gens-là étaient synonymes de désespoir, si ce n'est de mort.

« C'est bon ? », demanda doucement Drakayn en essayant de cacher l'inquiétude qui l'envahissait.

La jeune fille se contenta d'hocher la tête.

« J'ai changé d'avis ; on va prendre quelque chose autre part.

- Hein ? Quoi ? », demanda-t-elle, confuse.

Il ne prit pas la peine de répondre à ses questions. Il la prit par le poignet et partit dans la direction opposée par rapport à l'homme qui avait vu Drakaïs.

Le sifflement d'une lame retentit dans l'air et Drakayn eut tout juste le temps d'esquiver l'épée. L'homme lâcha un sifflement d'admiration et leur barra la route tandis que Drakayn se plaçait devant Drakaïs pour la protéger. Le Draconiaque fut choqué de le voir si rapidement devant eux. Cet homme était plein de ressources.

« Merde ! », cracha le Démon

Il avait vu juste : ils étaient bien tombés sur un Chasseur.

« Attaquer comme ça quelqu'un dans la rue sans raison valable, c'est très malpoli... susurra Drakayn à l'homme, sa main prête à tout moment à dégainer son épée.

- Ah, mais j'ai une très bonne raison, siffla l'autre, c'est une Draconique, fit-il en montrant Drakaïs de la main, qui sursauta à ces mots. Quant à toi, tu n'es certainement pas quelqu'un de normal pour avoir évité ma lame de cette façon... Mais tu n'es pas comme elle. Si c'était le cas, je le saurais. Maintenant, dégage de là, je n'ai rien contre toi, je suis juste intéressé par le Lézard. »

Drakaïs serra sa dague contre elle. Ses pires craintes s'étaient avérées juste : elle avait été vue. Et en plus, par un Chasseur ! Son cœur battait à tout rompre, les battements de son cœur résonnant désespérément dans son esprit. Elle avait trop baissée sa garde. Elle s'était faite repérée et tout cela à cause d'un simple repas !

« Dégager ? répéta Drakayn en rigolant froidement. Comme si j'allais faire une chose pareille ! »

Il lança un coup d'œil à la Draconique. Elle hyperventilait et ses pupilles s'étaient rétrécies, devenues, si petites qu'on avait de la peine à les distinguer.

« Je me répète : tu ne m'intéresses pas.

- Je me répète : je ne bougerai pas. D'ailleurs, tu n'as aucune preuve de ce que tu assures, argumenta Drakayn pour tenter de gagner du temps, cherchant du coin de l'œil de possibles échapattoires.

- Ah ? Ça ne suffit pas que je dise que j'ai vu ses yeux ? Ses horribles yeux semblables à ceux d'un serpent ? »

« Horribles yeux ». Au fond de Drakaïs, la colère commençait à monter. Ces yeux n'étaient pas horribles. Ils n'avaient rien de monstrueux. Ils étaient magnifiques. Oui, magnifiques. De quel droit osait-il les qualifier ainsi ?

Des gens les entouraient à présent. Plusieurs personnes murmuraient entre eux mais très vite, leurs murmures se transformèrent en un brouhaha assourdissant. Remarquant l'attention dont ils bénéficiaient, le Chasseur déclara à la foule :

« Je suis Trei Kinger. Un Chasseur. Et cette femme est une Draconique. Mon garçon, apostropha-t-il Drakayn, bouge d'ici. Je ne le dirai pas une autre fois. »

Drakayn ferma plusieurs fois d'affilé ses poings. Que faire ? Les tuer ? Non, cela attirerait trop l'attention sur eux. S'enfuir ? Ce n'était pas non plus la meilleure solution. Cet homme... Si seulement il n'avait pas attiré ainsi l'attention de la foule ! Il aurait été alors plus simple de le faire disparaitre.

Si bruyants... Les gens aux alentours étaient si bruyants ! Ne pouvaient-ils pas se taire ? Le Démon entendit plusieurs fois les mots « monstre » et « abomination» sortir des bouches de ces misérables insectes. Il jeta un coup d'œil à Drakaïs. Elle avait la tête baissée. Etait-elle en train de pleurer ? Par les Six, cette histoire n'allait pas arranger sa peur de la ville ! Cela allait même la faire empirer !

« Ils te traitent de monstre. »

De nouveau, la voix reptilienne retentit dans l'esprit de la Draconique.

« Tu vas te laisser faire ? Un vrai Dragon les aurait égorgé pour te telles paroles ! »

« Je ne suis pas un Dragon ! », cria-t-elle.

Inconsciemment, elle avait hurlé ce qu'elle pensait. Tous les regards se braquèrent sur elle. Mais elle ne capta que celui qui l'intéressait : celui du Chasseur.

« Je ne suis pas un Dragon. », lui répéta-t-elle plus calmement.

C'était vrai. Elle n'était pas cette merveilleuse créature que sa mère lui avait décrite maintes fois. Comme elle aimerait voler comme eux dans les nuages ! Mais cela lui était impossible. Seuls ses rêves lui donnaient cette image d'elle-même. Et ce n'était que cela : des rêves. Ces chimères-là n'étaient que cela pour elle.

« Ça ne prend pas avec moi, petite. Tu peux leurrer toutes ces personnes..."Le Chasseur les montra d'un signe de la main."...mais avec moi, ça ne marche pas. Je le sens ici, expliqua-t-il en pointant son ventre. Tu es un Lézard. Je le sens dans mes tripes et mes intuitions se sont toujours avérées justes. Alors viens ici, je ne serai pas violent, ça ne fera pas mal. Ce sera rapide et efficace. »

« Alors tu vas te laisser tuer comme un porc ? Tu penses que tu n'es pas un Dragon ? Pauvre petite chose, si aveugle à toi-même ! »

La Draconique perçut comme un rire guttural, reptilien, dans son esprit. Elle avait peur. Elle était entourée de toutes ces personnes qui n'attendaient qu'une chose : sa mort. Drakayn les foudroyait du regard et était prêt à tous les exterminer, elle le savait. Elle était terrorisée. C'était comme ce jour, lorsque les villageois avaient brûlé sa maison et qu'elle s'était trouvée telle qu'elle était face à eux. Ces gens qu'elle avait connus depuis toujours petite, l'avait considérée comme une monstruosité dès qu'ils avaient appris ce qu'elle était. Ils avaient tué sa mère et sa sœur, la privant de toute famille, de tout point de repère. Ce monde était fou. Ces gens étaient fous. Elle regarda les habitants des souterrains qui l'entouraient. Il n'y avait que du dégout sur leurs visages. Ils ne la connaissaient pas et étaient prêts à la laisser mourir juste parce qu'elle était une Draconique.

« Comporte-toi en reine.», souffla la voix.

Dans son esprit, les yeux verts étaient grands ouverts et la scrutait. Drakaïs était dans le noir et elle ne voyait qu'eux.

« Cesse de trembler. Laisse cette peur de côté. N'es-tu pas fière ? Fière de ce que tu es ? Un Dragon ! Voilà ce que tu es ! Comporte-toi en reine ! », martela la voix avec sévérité.

La présence disparut soudainement, la déstabilisant. Ces paroles avaient eu un effet sur la Draconique. Elle se sentait plus calme. Plus maîtresse d'elle-même. Plus confiante aussi. Pendant son absence, Drakayn avait dégainé son épée et faisait face au Chasseur. Tout en lui montrait qu'il était furieux, prêt à donner la mort. Elle posa sa main sur son bras.

« Arrête, dit-elle d'une voix calme. Laisse, je m'en occupe. »

Le Démon s'apprêtait à contester sa décision, mais elle l'en empêcha d'un signe de la main.

Qu'elle avait-été stupide ! Pourquoi se laisser effrayer par ces gens ? Ils ne pouvaient rien contre elle si elle se transformait ! Quand à ce Chasseur... Elle sourit calmement. Oui, elle était fière de ce qu'elle était. C'était l'héritage de sa famille, comment pouvait-il en être autrement ? De quoi avait-elle eu peur jusqu'à présent ? Elle se leurrait depuis le début. Ce n'était pas le monde qui devait l'accepter, mais elle qui devait l'accepter tel qu'il était. Un monde de fous, injuste et cruel.

« Prouve-le, ordonna-t-elle à Trei Kinger.

- Je te l'ai dit, je n'ai pas besoin de le prouver, je sais que c'est vrai. », fit avec ennui le Chasseur.

« Mais pas les autres... », se dit-elle. Elle se tourna vers la foule :

- Vous allez le laissez me tuer sans rien faire ? Qu'est-ce qu'il arrivera si ce qu'il clame comme une vérité est faux ? Vous en serez responsables.

Des murmures d'approbation traversèrent la foule.

« Prouve-le.», répéta-t-elle au Chasseur d'une voix remplie de défis.

Comment allait-il faire ? Peut-être ne le pourrait-il pas et qu'il serait alors obligé de la laisser partir. Ce serait la meilleure des solutions mais quelque chose lui soufflait que ce ne serait pas si simple. A côté, Drakayn la consulta silencieusement du regard.

« Fais-moi confiance, je vais régler cette affaire.", lui chuchota-t-elle. 

Les deux dragons s'observèrent un moment, différentes émotions sur le visage. De l'appréhension pour Drakayn et une totale confiance pour Drakaïs. Le Démon finit pas soupirer et rengainer son épée, lui offrant alors son accord.

« Très bien. Si tu y tiens, je vais montrer ton hideuse apparence. Tu ne pourras plus cacher ce que tu es. », siffla le Chasseur.

Trei Kinger commença à marcher vers elle, mais elle le prit de court. Elle s'avança et s'arrêta juste en face de lui. Elle prit alors le temps de l'examiner.

Il était beaucoup plus vieux qu'elle. Il semblait avoir quarante ans et le temps avait laissé sa trace sur son visage, en des rides aux coins des yeux et sur le front. De nombreuses cicatrices striaient sa peau, dont une, plus grosse que les autres, sur sa nuque. On aurait dit que quelque chose l'avait mordu ici. Une vilaine blessure...

Lui aussi l'observait. Il la jaugeait également. Mais avec une intention plus dangereuse. Ses yeux étaient cruels. Au fond d'elle-même, elle sentait qu'il prenait plaisir à tuer ses proies et qu'elle était loin d'être la première Draconique à qui il avait affaire.

« Qu'on en finisse, jeta-t-elle avec un sourire.

-Oui, qu'on en finisse », lâcha-t-il avec cranerie.

Il posa sa main sur le front de Drakaïs et se mit à tracer de ses doigts des signes sur sa peau. De la magie. Il allait utiliser de la magie.

« Et pas n'importe laquelle, un sort qui révélera ta véritable nature. ».

La voix était réapparue, lui donnant davantage de courage.

« La sens-tu ? Toute cette magie qui déborde de ce Chasseur... Prend-la. Un festin comme celui-ci, cela ne se refuse pas. », roucoula la créature.

La prendre ? Que voulait-elle dire par là ? Drakaïs tenta d'interroger la voix mais celle-ci avait de nouveau disparue, la laissant seule dans sa tête.

Le Chasseur continuait toujours de tracer les signes sur son front. Son sort n'était pas terminé, mais elle sentait que ce serait bientôt le cas. Sentir la magie... Ce qui se rapprochait le plus de cette idée avait été le jour où elle avait aperçu la barrière pour la première fois. Elle tenta de renouveler l'expérience et regarda d'un œil neuf le Chasseur.

La différence se fit immédiatement. Elle voyait la magie s'écouler de lui, traversant son bras tendu vers elle, touchant sa peau. C'était comme un filet d'argent. Si magnifique... Une immense faim envahit son esprit. Elle avait faim de sa magie, cette essence qui résidait dans chaque être vivant. Sa nature de Dragon lui soufflait que c'était son droit de la prendre, qu'il ne fallait pas la gaspiller. Alors pourquoi résister ?

Elle se concentra davantage sur le sort de l'homme. Il finissait de le dessiner. Et alors qu'il retirait son doigt de son front, un long frisson traversa la Draconique et elle absorba le sort du Chasseur. Elle dévora toute sa magie et une impression indescriptible la traversa. Tout s'éclaira dans son esprit et elle se sentit repue. Comme si elle venait de terminer un festin.

Elle avait fermé les yeux et lorsqu'elle les rouvrit, elle se rendit compte que tout cela n'avait duré que quelques secondes. Pourtant, elle avait le sentiment que cela avait duré une éternité.

Trei Kinger, lui, était paralysé de stupeur. Les yeux grands ouverts, il avait du mal à croire ce qu'il voyait. Ou plutôt, ce qu'il ne voyait pas. Elle était restée telle qu'elle était. Elle n'avait pas d'écailles sur sa peau, ses pupilles étaient normales. Il ne s'était pas trompé, non. L'erreur lui était impossible. Mais ce qu'elle avait fait était encore plus incroyable. Elle avait absorbé son sort, sa magie. Cette femme... Qu'était-elle ?

« Vous voyez, je ne suis pas un Dragon.», fit-elle calmement, un léger sourire rempli de satisfaction sur les lèvres.

« C'est un mensonge et tu le sais. », ricana la voix reptilienne.

Oui, elle le savait. En quelque sorte, le sort avait réussi : il lui avait révélé sa nature. Elle était une Dragonne; elle était une reine. Elle sourit calmement à cette idée. Elle prit Drakayn part le bras et quitta la rue, la foule s'écartant sur son passage et se dispersant pour vaquer à leurs activités. Elle effaça le Chasseur de son esprit ; elle devait se concentrer sur son objectif : trouver Inviat.

Trei Kinger laissa le couple partir, trop troublé pour faire quoique ce soit.

« Ça peut arriver de se tromper, lui expliqua un vieillard. Heureusement que l'on a vérifié avant. »

Non, il ne s'était pas trompé. Elle était une Draconique, mais également bien plus encore. Il n'en avait pas fini avec elle.

Il grava sa silhouette, ses cheveux roux, sa voix et son visage dans sa mémoire.

Non, ce n'était pas fini. La chasse ne faisait que commencer.

Note: Salut à tous :D ! Un chapitre assez conséquent que je vous sers aujourd'hui ;) ! 17 pages sur Word ! Je l'ai révisé cette aprem, car je n'en étais pas du tout satisfaite, mais ce n'est plus le cas à présent !

Donc, vous avez eu le droit à une petite scène avec Drakaïs et Drags ! Qu'en avez-vous pensé ? Personnellement, j'ai pris beaucoup de plaisir à l'écrire ! 'Doit être parce que j'ai une grande sœur et que l'on était comme ça ensemble x) !

Ensuite... Un Vampire ! KYA ! *toussote* Je vous arrête tout de suite, mes Vampires sont avant tout des monstres, et pas des beaux-gosses inoffensif (si vous êtes un Vampire, et que vous êtes un beau-gosse inoffensif, ne le prenez pas mal :D !) ! Donc, pas de panique ! Car oui, vous vous doutez que si je parle de cette sangsue, ce n'est pas pour rien :D !

Et le plus important pour la fin: Trei Kinger. C'est un personnage important, qui reviendra dans les prochains chapitres ;) ! C'est un opposant majeur dans le récit, donc retenez-le, car il n'a pas fini de faire des siennes :p !

Sur ce, je vous souhaite un bon week-end ! A la prochaine !

Ps: C'est moi, ou ces derniers temps, mes notes sont de plus en plus courtes x) ?

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