|11| travaillons ensemble,
Les veines du plafond en bois avait un côté hypnotique et apaisant. Une ligne, suivie d'autres, qui se courbaient parfois pour tourner autour d'une tâche ovale. Il était si facile de se perdre parmi elle, pour réémerger parfois des minutes après, l'esprit silencieux.
« Tu as des cernes. Et tu es pâle. Je suis sûre que tu ne manges pas assez. Idris, par les Six... Tu m'avais promis de te ménager ! »
Idris se redressa sur son siège avec un soupir, et son mouvement fit valser les ombres sur les murs en agitant les flammes des bougies. Dans le miroir devant lui, Siss l'observait avec sévérité.
Idris se frotta les yeux.
– Siss ...
– Oh, pas de ça avec moi ! Je suis à ça... » Elle rapprocha son index de son pouce, ses yeux d'or plein d'éclairs. « ...de te rejoindre pour faire en sorte que tu tiennes ta promesse ! A chaque fois, c'est la même chose ! Entre toi et Céleste, je ... »
Idris cacha un sourire. Siss était le soleil : ses cheveux de miel, ses yeux ambrés, sa peau dorée... Elle rayonnait. Et quand elle s'énervait... Siss était saisissante en temps normal, mais lorsqu'elle s'agitait de cette façon, aucun mot ne pouvait décrire sa beauté.
« ...trop demander ? Je ne pense pas, non ! Si on m'avait dit que t'aimer me –
– Tu me manques. »
Le flot de parole s'arrêta. Siss fronça les sourcils, les joues rouges.
« ...et comment suis-je censée être en colère, maintenant ? »
Idris éclata de rire et haussa les épaules.
« Idris Onyx Membriel ! siffla-t-elle en se levant, faisant grincer son siège. Tes mots doux ne marcheront pas sur moi !
– Je ne dis que la vérité. Je donnerai n'importe quoi pour t'avoir à mes côtés. Tout semble toujours plus simple quand tu es avec moi. »
Siss se dégonfla. Ils se regardèrent un instant. Elle, tassée sur elle même comme un cobra énervé, et lui, admiratif comme l'amoureux transi qu'il était.
« ...tu me manques aussi, finit-elle par cracher, les lèvres pincées. Et tu devrais prendre soin de toi, trésor.
– Ce que je fais ici est important. »
Il regretta aussitôt ces paroles. Il avait réveillé le dragon. Sa nature reptilienne était déjà soulignée par ses traits fins et anguleux, mais c'était quand elle lâchait les rênes que tout doute était levé. Ses cheveux dorés se hérissèrent en se parant de plumes et elle montra ses crocs, un sifflement de rage quittant ses lèvres.
« Pas plus important que toi ! Et ta guerre n'ira nulle part si tu n'es plus là pour la mener !
– Il nous faut un plan soli–
– Un plan, dit-il, un plan ! Ah ! », railla-t-elle.
Elle se pencha, son regard doré plein de malice, pour lâcher d'un long sifflement sibyllin :
– Un mot de ta part, mon trésor, et l'ombre de mes ailes régnera sur les ruines du palais impérial.
Si dramatique.
Et c'était ce qui l'avait charmé il y a des années de cela, sur cet îlot céleste au Paradis, alors qu'il avait été à deux doigts de se jeter dans le vide.
« Je ne veux pas régner sur des ruines, mon amour, rit-il en roulant les yeux.
– Mais il faut parfois détruire pour reconstruire sur de bonnes bases. »
Et elle était sérieuse. Il le lisait dans son sourire acéré : cette menace seulement ignorée par les plus stupides ou les plus hardis. C'était le sourire de la bête tapie sous sa peau douce.
Il lui lança un regard sévère et elle soupira, agacée.
« Le plan est déjà solide, trésor : faire diversion, attirer l'attention de l'Empire là où nous le voulons, leur faire croire que nous sommes faibles, jouer avec l'image qu'ils ont de nous, alors qu'en réalité nous trouvons des alliés, nous grossissons nos rangs, nous amassons les preuves contre eux pour monter un dossier à présenter à l'Alliance et tout ça, oui tout ça, rien que pour les détruire de l'intérieur. Ils s'attendront au combat et au sang. Et ils les auront. Mais ce ne sera que de l'esbroufe. »
C'était l'idée générale, oui. Restait cependant un doute qui le titillait, un doute qu'il avait déjà confié à sa femme, mais qui persistait à hanter ses pensées :
– Et pourquoi attirer l'attention quand on pourrait se contenter de tout faire dans l'ombre ?
– Pas encore ça, par pitié, Idris... gémit-elle en se frottant les yeux. Parce qu'à vouloir tout faire dans l'ombre, on avance en craignant à chaque pas de se dévoiler. On a tout à perdre. Alors qu'en éclairant les ténèbres d'un faisceau de lumière, l'œil ennemi y est aussitôt attiré et ne se risque pas à sonder l'obscurité restante.
– Des paroles très sages, murmura-t-il avec un rictus. D'où les tires-tu, je me le demande...
– De toi, gros bêta. Toi et tes métaphores alambiquées... grommela-t-elle en laissant tomber ses mains pour le foudroyer du regard. C'est la solution qui nous assure le plus de chances de victoire. Tu le sais. »
Mais il restait beaucoup trop de paramètres inconnus. Comme les Six et leur lutte contre le Chaos. Il avait engagé son peuple dans un combat qui dépassait leurs simples préoccupations de mortels ; ils n'étaient que du bois, là pour attiser cet incendie ardent. Et ils n'avaient pas assez d'alliés. Dans leur état actuel, même avec les forces de la Vie, leur nombre était insuffisant. Comment pouvaient-ils espérer mettre le feu à l'Empire avec une telle flammèche ?
« Adrias veut utiliser l'ensemble des forces infernales. », lâcha-t-il, la voix atone et la tête appuyée sur le dossier de son siège pour regarder dans le vide.
La réaction de sa femme fut à la hauteur de ce que la proposition évoquait chez lui.
« Cette sale petite vipère ! feula Siss en se redressant, les yeux plus brillants que jamais. Et ce salaud d'Abaddon... Comment Onyx arrivait à avoir une relation amicale avec, ça, je ne le comprendrai jamais. Manipulateur, voleur, menteur, arrogant, mégalomaniaque–
– C'est le roi des Démons, Siss, je pense que dans son cas, c'est la norme.
– Et la vipère qui te sert de sœur lui mange dans la main. », l'ignora Siss, trop concentrée par la haine qui l'habitait. Ses yeux voilés par la colère s'éclaircirent pour se porter de nouveau sur lui, avec une intensité captivante. « C'est sa créature. Tu ne peux pas lui faire confiance. Toutes les paroles qui sortent de sa bouche sont celles du Diable.
– Je sais.
– Ils se fichent bien de toi et de notre peuple. Nous ne sommes que des marionnettes qui servent un rôle mûrement réfléchi. Nous avons déjà accepté les Malédrakes, accepter davantage d'aide de sa part, c'est lui donner la main mise sur l'Empire, si ce n'est sur l'Éden entier. Il a déjà un pied au Paradis, hors de question de lui offrir l'opportunité d'avoir un autre monde.
– Je sais, Siss ! s'emporta Idris. Crois-moi, j'ai parfaitement conscience de ce dont ma sœur ou le Diable sont capables, d'accord ? » Il porta la main à son flanc, là où résidait la meilleure des preuves. « Mais tu oublies qu'Adrias n'est peut-être plus aussi fidèle à Abaddon qu'elle ne l'était par le passé. Pas après Messyn. Et il y a aussi Drakayn–
– Drakayn est le fils de son père, siffla Siss. Regarde ce qu'il a fait à Akhal–
– Et Drakayn, persévéra-t-il en l'avertissant du regard, déteste le Diable plus que tout. Alors peut-être, oui, peut-être que nous avons plus d'alliés que prévu en ce qui concerne Abaddon. »
Siss avait les lèvres retroussées et un long grondement résonnait dans sa poitrine. Il fut soulagé, tout à coup, d'être loin d'elle.
« Même après tout ce qu'elle t'a fait, tu trouves quand même le moyen de justifier sa présence à tes côtés.
– C'est ma sœur, Siss. »
Alors même qu'il prononçait ces mots, il savait qu'ils étaient les mauvais. Il regarda les écailles apparaître sur la peau de sa femme avec une fascination alarmée. Il crut entendre un craquement sombre, ceux des os qui se remodelaient sous cette même peau qui se caillait d'or.
« Donne-moi une raison, siffla-t-elle, la voix granuleuse, une seule, qui m'empêche de voler te rejoindre pour arracher la tête de cette chère sœur, cette sale petite ingrate qui a bien failli te tuer, t'arracher à moi, plusieurs fois, et qui, par sa seule présence à tes côtés, menace encore de le faire. »
Idris refusa de déglutir, de cligner des yeux, de montrer le moindre signe de faiblesse face au prédateur.
« Parce que tu m'aimes. »
Et que seule sa mort ou celle de Céleste pourrait lui faire plus de mal que celle d'Adrias.
Le regard en fente de Siss était brûlant.
« Souviens-toi, mon trésor, le prévint Siss d'un sifflement, qu'entre ton bonheur et ta vie, mon amour pour toi choisira toujours ta faculté de te remettre de tes peines. »
Et sur cet avertissement, elle coupa le sort de Liaison.
Le reflet d'Idris avait la peau pâle et cireuse, les traits tirés, une barbe de quelques jours, les cernes noirs et le regard éteint. Il soupira. Il n'avait plus qu'à espérer qu'elle se serait calmée au matin. Et quant à lui, il ne pouvait pas se permettre de s'apitoyer sur son sort plus longtemps. Comme il l'avait dit à Siss, il avait encore beaucoup à faire.
Si seulement il pouvait trouver la force de quitter cette apathie qui l'animait.
Par les Six, il avait besoin d'un verre.
Mais les Six ne répondaient jamais à ses prières. Non, ils préféraient rendre sa vie encore plus insupportable qu'elle ne l'était. Là où ils étaient, ils devaient rire de son triste sort.
C'est pourquoi, au lieu du verre qu'il convoitait tant, il eut droit à Adrias.
Elle déboula dans la pièce avec une brusquerie qui le fit sursauter. Il nota avec distraction ses cheveux bruns mouillés et la serviette qui reposait sur ses épaules. Elle devait tout juste sortir de sa toilette.
Son regard était agité. Ils s'observèrent en silence quelques instants, partageant une surprise commune. L'agitation quitta les yeux vermeils de sa sœur, remplacée par ce mur froid, habituel entre eux.
« Je t'ai entendu élever la voix, marmonna-t-elle en fermant la porte derrière elle.
– Inquiète, ma chère sœur ? », lâcha-t-il, amer.
Elle l'examina en silence un moment, semblant vouloir dire quelque chose pour se raviser en détournant le regard, les lèvres pincées. Elle serra les mâchoires, et Idris se crispa, prêt à l'attaque. Elle ne vint pas, bizarrement. Quand elle parla, ce fut pour changer de sujet :
– On doit parler de Drakaïs.
Il resta interdit quelques secondes.
– Drakaïs ?
Il se trouva rassuré de voir l'agacement s'emparer d'elle.
« Quoi, ne me dit pas que je suis la seule à avoir remarqué ! », gronda-t-elle en s'appuyant contre la porte, les bras croisés et les sourcils froncés.
Tout chez elle criait « Es-tu stupide ou le fais-tu exprès ? ». Il ne mordit pas à l'hameçon.
« Non, fit-il calmement, tu n'es pas la seule. Ses relations avec la meute de Cerbère et les Enfants de Gaïa font d'elle un élément plein de potentiel. »
Adrias renâcla, le regard noir.
« Si tu le vois aussi, alors pourquoi n'essaies-tu pas de la rallier à notre cause ? Je l'ai observée. Avec les tensions entre elle et la meute, il serait facile de la convaincre de partir avec Drakayn et les autres pour Quantamoniam. »
Idris prit le temps d'y réfléchir. Certes, la jeune Drakonique avait du potentiel. Il l'avait vu dès le début, lorsqu'elle avait tenu tête à Drakayn lors de leur première rencontre. Elle semblait féroce et loyale, si ce n'est quelque peu perturbée. Et ils avaient besoin de tous les alliés possibles. Mais...
« Pourquoi un tel intérêt pour elle, Adrias ? Pourquoi Quantamoniam ? Elle pourrait tout aussi bien nous être utile en tant que relais avec la meute. »
Si un regard pouvait tuer, alors il serait mort. Il semblait avoir touché un point sensible, ce qui ne faisait s'agrandir sa suspicion et sa curiosité.
« Elle me rappelle moi au même âge, content ? cracha-t-elle. Et elle m'intrigue. Il y a cette flamme chez elle, cette colère qui l'anime... Ce serait dommage de ne pas s'en servir. »
Même sauvagerie, même dureté, même regard plein de suspicion, qui semblait attendre d'être trahi. Oui, il y avait ressemblance. Mais il restait trop de différences pour justifier un tel intérêt chez sa sœur.
« Tu ne me dis pas tout. », fit-il, plus dur.
Il retint un sourire amusé en voyant sa grimace agacée. Il la connaissait toujours autant, même après toutes ces années de conflit.
« C'est Drakayn, avoua-t-elle avec un grognement. Il a Plongé–
– Par les Six ! Dit-moi qu'il s'est au moins pris une baffe, ce petit con !
– Oui ! cria-t-elle, exaspérée. Oui ! J'étais honnête quand j'ai dit qu'elle me rappelait moi au même âge. Mais ce n'est pas ce qui est important–
– Oh, non, c'est important. Une Plongée, Adrias. Sans consentement, je parie, étant donné que l'on parle de Drakayn. Tu sais très bien–
– Que c'est le meilleur moyen de faire des dégâts irréversibles sur l'âme ? A ton avis, Idris ? Qui a le plus d'expérience entre toi et moi dans la matière, hum ? ronronna-t-elle, la voix faussement mielleuse. Est-ce que je peux terminer ? Parce que je peux très bien me contenter de tout faire sans ton accord, sans t'expliquer pourquoi elle m'intéresse autant. »
Il resta silencieux.
« Il a Plongé, oui, reprit-elle sèchement, et il a vu un dragon. »
Idris fronça les sourcils.
« Qu'est-ce que ça veut dire ? »
Elle haussa les épaules.
« Je ne sais pas. Mais ça mérite réflexion, non ? Qu'elle en ait conscience ou non, elle cache quelque chose. Tu as remarqué les infusions qu'elle prend ? J'ai reconnu des herbes aux propriétés plus qu'intéressantes... »
Il savait qu'elle laissait sa phrase en suspens pour se venger de ses interruptions. Et cela marchait.
« Et quelles sont-elles, ces propriétés si intéressantes ? la relança-t-il, préférant ignorer son petit rictus.
– Ce sont des herbes utilisées pour soigner des dégâts sur l'esprit. »
Idris soupira, les yeux fermés.
« Donc Drakayn a bien fait des dégâts...
– Non ! explosa-t-elle, le faisant sursauter par la même occasion. Je te rappelle qu'elle les prenait bien avant ! Et si on y ajoute ce dragon que Drakayn a vu dans son âme... »
...alors ils se retrouvaient face à un mystère qui méritait investigation.
« Et que proposes-tu ? »
Pauvre Drakaïs. Le sourire féroce et cruel de Adrias ne présageait rien de bon pour la jeune femme.
« Ses relations avec la meutes sont déjà fragilisées. On ne peut pas aller la voir elle, pas avec sa nature suspicieuse. Mais rien ne nous empêche d'aller implanter l'idée chez ses Alphas. »
Il se devait de poser sa prochaine question, même s'il se doutait de la réponse :
– ...et qui se chargera de cette tâche ?
Une lueur de plaisir malsain s'alluma dans ses yeux rouges. Il avait un mauvais pressentiment.
« C'est évident, voyons... Comme je suis une Démone, personne ne me fera confiance. Non, ce qu'il nous faut, c'est quelqu'un qui a une image noble et honnête. Quelqu'un comme...toi. »
Les Enfants de Gaïa était un peuple pacifique et accueillant. Trop accueillant parfois. Leurs sourires sereins à chaque demande et leurs manières enrobées de politesses avaient le don pour le mettre sur ses gardes. Voir la marque d'une manipulation soigneusement dissimulée dans le moindre geste teinté de gentillesse, était un cadeau de sa paranoïa, un monstre en partie crée par Adrias.
Tout était trop calme dans ces lieux. La première chose qui l'avait marqué était l'absence d'enfants. Son prochain constat avait rapidement suivi : tout était trop lisse. Là où les autres cités vibraient d'animation, la Cité Originelle semblait presque figée dans le temps, son activité organisée en un flot harmonieux qui la rendait dénuée de chaleur, de vie. Un comble pour la Cité qui était censée être la capitale de la Vie elle-même.
Et pourtant, la Cité Originelle vivait ; était sans doute la plus vivante des Cités qui lui ait été donné de voir. Comment penser autrement à la vue des gigantesques arbres qui constituaient les demeures de ses habitants ? La nuit, les ténèbres se paraient de lueurs dansantes ; papillons de nuits, luciole et vers nocturnes, irrésistiblement attirés par l'éclat des plantes phosphorescentes. La Cité Originelle était vivante, au sens propre du terme.
Ne lui restait plus qu'à conclure que la Cité Originelle était un paradoxe : le contraire d'un mort-vivant ; le corps en vie mais l'esprit mort. Oui, le problème ne venait pas de la Cité en elle-même, mais de ses habitants.
Il les trouvait décidément trop louches.
Alors, même s'il savait qu'il se faisait des idées, il resta sur ses gardes après avoir demandé au premier venu de le guider à Elesborn Tian Zedon. Peut-être était-ce à cause d'Adrias, peut-être était-ce parce qu'il avait l'impression de partir livrer bataille, peut-être était parce qu'en soit, il s'apprêtait à aller livrer bataille. Peut-être était à cause du sourire trop lisse qui avait pris possession des lèvres de son guide à la seconde où il l'avait abordé. Peut-être.
Foutue paranoïa.
Foutue Adrias.
Il s'était préparé la veille avec la Malédrake. Tout un discours. Des arguments raisonnables.
Tous ses mots le quittèrent à la vue qui l'accueillit une fois arrivé à destination.
Il entendit à peine son guide prendre congé. Toute son attention allait aux deux figures en contrebas, assises côte à côte dans l'arène de sable, éclairée par les maigres rayons qui perçaient la canopée.
La Loup-Garou était bras et jambes nues, vêtements retroussés sur sa peau ébène brillante de sueur, les cheveux relevés en un chignon ébouriffé. Quel contraste elle faisait, assise à côté de Sin. Le garçon vibrait d'excitation, les joues rouges, le pinceau volant entre sa feuille de papier, sa boîte d'aquarelle et son verre d'eau, alors que Elesborn avait les yeux rivés sur l'aquarelle, un sourire délicat sur les lèvres, le corps relâché et tourné vers le jeune Drakonique.
En tendant l'oreille, Idris percevait le flot de paroles qui quittait les lèvres de Sin :
– ...et dans ma précipitation j'ai renversé d'un coup de coude le verre et tous les papiers d'Idris étaient trempés. Je savais plus où me mettre ! J'ai complètement paniqué, et le temps que j'arrange les choses, l'aquarelle avait séché, impossible de reprendre la grosse tache noire dégueulasse qui aurait dû être un arbre. Des années que ça m'était pas arrivé.
Et plus extraordinaire encore : Elesborn répondait.
« Lya a essayé l'aquarelle. Une catastrophe. Elle préfère la mine. »
Gentiment. Elle répondait gentiment.
« Oh, elle devrait persévérer. J'ai mis des années avant d'avoir ce niveau.
– Crois-moi gamin, l'aquarelle, c'est vraiment pas pour elle. Cauchemardesque.
– Il y a pourtant un mouvement artistique tout droit venu des Enfers qui... »
Sin avait un don pour sympathiser avec n'importe qui, certes. Il l'avait bien vu avec Drakayn et Fergon, même avec Adrias dans une certaine mesure. Mais de là à fraterniser avec cette femme, une Alpha à la réputation sanguinaire qui n'avait eu pour eux que des regards noirs depuis leur rencontre ? Comment Sin avait fait pour dompter la louve, il l'ignorait. La chose était fascinante. Troublante, mais fascinante tout de même.
Idris entama sa descente vers eux en douceur, silencieusement. Il lui semblait qu'il venait perturber un moment sacré. Son pied glissa sur la surface rugueuse de la racine, et il se rattrapa tout juste. Mais le mal était fait.
Sin continuait son aquarelle tout en parlant, mais Elesborn avait tourné la tête vers Idris, le regard tranchant. Adieu le sourire et la posture relâchée. La revoilà bloc menaçant, intimidante par son agressivité. Pourquoi Idris était-il autant entouré de femmes qui voulaient sa mort ?
Elesborn ne le quitta pas des yeux pendant son avancée. A mesure qu'il marchait vers eux, elle se repliait sur elle même, les traits tirés par la suspicion. A quelques pas d'eux, elle bondit devant Sin, comme pour le protéger, les babines retroussées. Idris s'arrêta, les sourcils haussés.
Encore une fois, troublant. Mais toujours aussi fascinant.
« Qu'est-ce que tu veux ? », gronda Elesborn, le regard noir.
Idris soupira. A croire qu'il n'était pas le seul atteint d'une paranoïa excessive.
« Je vous cherchais. », avoua-t-il en haussant les épaules.
Il avait espéré l'apaiser par son honnêteté. Il s'était trompé. Avant de le voir, il n'aurait jamais cru possible d'être autant crispé. Idris se crispa en retour. La tension était étouffante.
La tête de Sin jaillit derrière Elesborn. Un large sourire fendait son visage.
« Hé, Idris ! », fit-il en le saluant avec un pinceau.
Il lui rendit son salut par un sourire. Ce geste, plus que le dernier, calma l'Elfe, qui reprit une posture plus relâchée.
« Et pourquoi me cherchais-tu ? », insista-t-elle, sans grogner cette fois.
Derrière elle, Sin avait reprit son aquarelle. Mais Idris ne s'y trompait pas : le jeune Drakonique ne perdait pas une miette de la conversation.
« Cela concerne Drakaïs. »
Et revoilà la posture crispée. Il ne lui laissa pas l'occasion de l'interrompre. Avec Adrias, ils avaient décidé d'être le plus honnêtes possible. Ce qui comptait, c'était d'implanter l'idée chez l'un des Alphas. Selon Adrias, leur relation avec Drakaïs était suffisamment endommagée pour que le reste se déroule sans plus d'intervention de leur part. En théorie.
« Je m'inquiète pour elle. Elle fait certes partie de votre meute, mais elle reste une Drakonique, et par conséquent, est aussi l'une des miennes. Je me sens responsable d'elle. »
L'Elfe tremblait. De fureur ou d'indignation, il ne savait pas. Mais la lueur mortelle dans son regard ambré ne trompait pas. Il enchaîna, maudissant intérieurement sa sœur de l'avoir mis dans un tel pétrin :
– Et je prends soin de ceux qui sont les miens. J'ai remarqué qu'elle avait l'air à l'écart dans la meute.
Au grognement de l'Alpha, il développa :
– J'ignore si la situation est nouvelle ou non, et à vrai dire, je m'en fiche. Tout ce que je vois, c'est qu'elle n'est pas un Loup-Garou et qu'un conflit vous divise. Les autres partent bientôt pour Quantamoniam, et peut-être que partir avec eux là bas est ce qu'il lui faut.
Il ne la vit pas venir. Elle l'empoigna par le col, pour coller son visage au sien.
– Écoute-moi bien, enfoiré, si tu sous-entends une seule seconde que–
– Elle a l'air triste. », intervint Sin.
Sans relâcher Idris, Elesborn tourna la tête vers le jeune Drakonique. Sin regardait son aquarelle, le pinceau suspendu sur le papier et le visage contrarié.
« Triste ? »
La voix d'Elesborn était atone. Sin haussa les épaules.
« Elle est constamment sur ses gardes, et elle fait des cauchemars, je l'ai vue plusieurs fois se réveiller en sursaut, haletante, les larmes aux yeux, et quand elle pense qu'on ne la regarde pas... elle a l'air déchirée. »
L'Alpha relâcha Idris, qui fit un pas en arrière sans être remarqué. Il regardait Sin, captivé. Oh, il savait que Sin était plus qu'un garçon plein d'entrain, adorable par ses manières ensoleillées et sa maladresse. Ce n'était pas pour rien qu'il lui avait demandé de faire partie de la mission à Quantamoniam. Mais le voir en pleine action le surprenait toujours. C'était à se demander si Idris lui-même n'avait pas parfois été sujet à ses tours.
« Tu sembles l'observer de bien près, gamin. », gronda Elesborn, suspicieuse.
Sin se mordilla les lèvres.
« Elle est gentille, enfin, avec Lya et vous, elle l'est. J'aime bien comment elle remet Drakayn à sa place. J'aimerais juste... »
Il termina sa phrase dans sa barbe.
« Quoi ? », aboya Elesborn.
Sin leva les mains au ciel, les joues cramoisies :
– Par les Six ! J'aimerais juste devenir son ami, d'accord ? Alors, forcément, j'observe ! »
Et il se remit à son aquarelle en grommelant des réprimandes contre lui-même.
Elesborn renâcla en secouant la tête. Elle s'éloigna d'Idris et ébouriffa Sin en passant, ignorant ses piaillements outrés. Elle se tourna une dernière fois vers Idris, l'expression sévère :
– Drakaïs fait partie de la meute, et les affaires de la meute ne concernent que nous. Alors pas la peine de t'inquiéter pour elle, dragon. Elle est entre de bonnes mains. »
Il quitta son dos des yeux seulement lorsqu'elle disparut entre les arbres. Ses paroles étaient peu encourageantes, mais ses yeux disaient autre chose. L'idée était plantée . Ne restait plus qu'à attendre de voir si elle allait germer.
Il rencontra le regard de Sin, qui lui fit un clin d'œil complice. Idris rit avec chaleur. Ce garçon était une gemme.
Et gare à ceux qui le sous-estimaient.
AN:
Hey ! Je suis enfin de retour ! Yey ! J'ai mis plus de temps que prévu à revenir pour deux raisons: l'une est que j'ai encore du mal à trouver du temps pour écrire avec mes études, et l'autre, c'est que ce chapitre n'était pas prévu ahah ! Je m'explique: il manquait quelque chose au chapitre qui devait être le chapitre 11 mais qui sera finalement le chapitre 12, un petit quelque chose pour développer certaines choses qui s'y déroulent. Ce petit quelque chose s'est transformé en 7 pages.
...oui, non, je ne sais pas non plus. Tadam ?
Donc, vous avez rencontré Siss ! La fameuse ahah ! Je l'aime bien la madame. Idriss est décidément entouré de femmes de...caractère. C'est de famille je pense ahah !
De l'intérêt sur Drakaïs. La pauvre ...? Je ne lui rend pas la vie facile. Mais c'est pour son bien, c'est-à-dire le plot, donc on s'en fiche :D !
Si être un petit con en toute circonstance, même à distance, est le pouvoir de Drakayn, alors se faire apprécier de tout le monde est celui de Sin. Ah, petit Sin... Avouez que vous l'avez sous-estimé, vous aussi !
La chapitre suivant devrait sortir plus rapidement, étant donné que je l'avais quasiment fini avant de réaliser qu'il manquait un (gros) petit quelque chose. Une scène . J'aimerais le poster avant la rentrée, mais j'ai encore du boulot qui m'attend donc je vais plutôt m'arrêter sur un "fin de semaine prochaine". Et si vous avez un chapitre demain soir, eh bien, ce sera une belle surprise :p !
A très vite !
PS: Ce chapitre aurait pu s'appeler "Enième tentative d'Adrias pour se débarrasser d'Idris". Je plaisante. Elle n'espérait pas qu'il échoue et qu'il se fasse étriper par Elesborn. Non. Pas du tout.
:D
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top