|10| Une pitoyable illusion.

Ce matin-là, Céleste se réveilla en sursaut, sa chambre encore plongée dans le noir, le cauchemar qui l'avait éveillée encore aux portes de son esprit. Le sang, les cris, les pleurs et la douleur -

Miaulement.

Swann l'empêchait de respirer. Avec une main fébrile, Céleste caressa le chat, qui ronronna aussitôt en frottant sa tête contre ses doigts. Doucement, la Drakonique se redressa, grimaçant en sentant une légère douleur dans sa hanche. Elle palpa la zone, traça la cicatrice qui déchirait sa peau. Elle lâcha un lourd soupir en se frottant les yeux, son chat désormais sur les genoux.

Nouveau miaulement. Les yeux verts de Swann étaient plissés et ses ronronnements se firent plus intenses. Céleste renâcla et se leva en la prenant dans ses bras.

« J'ai compris, crapulette. 'J'ai faim !' » Elle l'embrassa sur la tête. « Merci de m'avoir réveillée. », murmura-t-elle.

Avec un tel début, le reste de la journée ne présageait rien de bon.

Céleste allait passer une journée de merde, elle le savait. D'abord son réveil, puis le café qu'elle avait renversé sur son chemisier, et maintenant ça.

La lettre était petite, blanche, sans aucune adresse d'émetteur, seulement son nom sur le devant, le derrière cacheté d'un sceau rouge sang sans signe d'identification. Une lettre d'apparence anonyme ne disait jamais rien de bon. Surtout si quelqu'un la lui avait glissée dans la poche sans se faire remarquer alors qu'elle se rendait à son bureau. Elle la retourna en tout sens, l'expression fermée. L'ouvrir ou non ? Un rapide examen lui apprit qu'il n'y avait aucun piège physique ou magique, alors où était le mal ?

Elle sentait les regards de ses collègues sur elle. Elle faisait tâche, arrêtée en plein milieu du couloir qui reliait les trois départements de l'Alliance et perdue dans le flot de la foule qui se rendait au travail. Le brouhaha des pas et des discussions ne l'atteignait plus. Quelqu'un lui rentra dedans, mais continua sa route sans s'arrêter pour passer l'entrée de l'Immaculée, à quelques pas sur sa droite. Saluer les gardes, passer sous le Charme de l'entrée et commencer une nouvelle journée de travail. Toujours le même schéma, qui se répétait pour chacun de ses collègues. Elle manqua une nouvelle fois de se faire rentrer dedans. Elle souffla par le nez, et serrant les dents, elle alla se caler contre un mur, son sac délicatement posé sur le sol dallé. D'un mouvement vif, elle décacheta l'enveloppe avec l'une de ses griffes.

Elle eut à peine le temps de lire les premiers mots de la lettre, qui lui dévoilèrent l'identité de son auteur, avant d'être interrompue:

- Dégoûtant. On pourrait croire qu'une abomination aurait honte de dévoiler sa monstruosité aux yeux de tous.

Céleste plissa les lèvres. Une femme se tenait à quelques pas d'elle. Elfe du Nord. Regard haineux et dégouté. Petite. Fine. Épée à la taille. Inintéressante et banale à souhait. Ses yeux étaient fixés sur les doigts de la Drakonique, qui étaient encore parés de griffes noires.

« On pourrait croire qu'une imbécile aurait honte de dire de telles conneries... et pourtant. », répliqua sèchement Céleste.

L'Elfe s'empourpra. Déjà, leur échange avait attiré de nouveaux regards, arrêté des discussions et des marches. Un flottement dans le flot de la foule. Quel joli petit spectacle elles faisaient.

« Tu te promènes comme si de rien n'était, Lézard, mais nous savons tous le sang qui tâche tes ignobles griffes, vociféra l'autre. Je ne comprendrai jamais comment tu as pu t'immiscer dans nos rangs. Ton petit numéro de bête civilisée marche peut-être sur les plus naïfs, mais continue de montrer ta vraie nature de la sorte, et même eux ne pourront plus ignorer ta hideur. »

Céleste replia la lettre et s'écarta du mur, la tête légèrement inclinée sur le côté. La femme se crispa, la main à l'épée.

La haine et la peur. Un mélange tellement toxique.

« Les gens comme toi me dégouttent, déclara Céleste calmement. Ils voient quelque chose qu'ils ne comprennent pas et laissent leur crainte les contrôler, oubliant leur raison et leur morale. Ils voient quelque chose qu'ils ne comprennent pas, et leur première réaction est de la détruire. C'est parce qu'il y a des gens comme toi que l'Alliance existe et échoue trop souvent à sauvegarder la paix. Vous nous appelez monstres, mais c'est votre ignorance qui est le plus grand monstre ici. »

L'Elfe ouvrit la bouche, hors d'elle. Un applaudissement la coupa. Le directeur du bureau diplomatique, Mr Quent, reconnaissable entre tous, fendait la foule qui avait commencé à s'accumuler autour d'elles.

« Je n'aurais pas dit mieux, Céleste. », la complimenta-t-il avec un sourire poli. Le sourire devint froid quand il se tourna vers la femme. « Mme Hellite, moi qui pensais que vous étiez un esprit éclairé... Me voilà fort déçu. Quand à vous autres... » Il se tourna vers la foule en regardant sa montre. « Sept heures cinquante deux. Bientôt huit heure. Seulement cinq heures avant la réunion des trois Voix. Et encore tant de paperasses à régler pour nous... Dois-je vous rappeler la gravité des événements survenus dernièrement ? Hum ? C'est bien ce que je pensais. Alors au travail. »

La foule se dispersa aussitôt. Quand l'Elfe voulut en faire de même, Mr Quent l'arrêta :

- Mme Hellite, veuillez attendre à mon bureau s'il-vous-plaît. »

La femme blêmit mais hocha la tête, avant de s'éclipser, non sans jeter un dernier regard plein de haine à la Drakonique. Céleste lui lança un sourire qui laissait voir ses crocs. Mr Quent rit doucement, mais se tut rapidement, une moue contrariée lissant ses lèvres.

Sa redingote marron et son ruban rouge étaient les seuls impairs à l'uniforme de l'Immaculée, et mis à part ces écarts, Mr Quent paraissait aussi parfait que d'habitude, avec ses chaussures lustrées et ses cheveux blonds élégamment rabattus en arrière. C'était dans son regard que surgissait l'anomalie. Ses yeux azur étaient troublés, brumés d'émotions qu'elle peinait à déchiffrer.

« Céleste, je m'excuse une nouvelle fois des insultes qui vous ont été faites. », soupira-t-il.

Ses yeux azur se ternirent de lassitude, éclipsant la brume indéchiffrable, et Céleste baissa la tête, gênée malgré elle. Un homme de sa valeur ne méritait pas de porter le poids des mauvaises actions de ceux sous sa responsabilité. Elle balaya ses excuses de la main.

« J'ai espoir de voir les choses changer, Mr Quent. »

Les yeux azur se perdirent un instant par dessus son épaule. La brume reparût dans son regard.

« Un tel optimisme est louable. », murmura-t-il avec mélancolie. Son expression s'éclaira. « Mais, Céleste, je me dois une nouvelle fois d'insister pour que vous m'appeliez Jonathan. Après toutes ces années à travailler ensemble, est-il présomptueux de ma part de nous considérer amis ? »

Le ton était taquin. Elle cligna plusieurs fois des yeux.

« Ah, je - Non, bien sûr que non Mr Qu - Jonathan. »

Il éclata de rire. Le son mélodieux, avec son halo de cheveux de miel, lui donnait l'apparence d'un ange.

« J'ai cru comprendre que vous meniez une enquête pour l'Argenté, fit-il après s'être calmé, une lueur d'intérêt dans le regard. Comment avance-t-elle ? J'espère que vous pourrez bientôt retravailler à plein temps sur nos dossiers. Vos talents de diplomate et votre intelligence nous manquent. »

Le visage de l'Elfe de l'Ouest vidé de son sang et torturé lui apparut à l'esprit. Céleste fronça les sourcils.

«Hélas, je crois qu'il faudra encore attendre. Je rencontre quelques difficultés. », marmonna-t-elle.

Sans le nom que Satan du Trisix pouvait lui donner, elle n'avait aucune piste concrète. Et il était injoignable depuis l'assassinat de l'Empereur Azetor de Lapuzis.

« Oh ? C'est inhabituel de votre part, s'étonna-t-il en haussant les sourcils.

- Je finirai par me débloquer, assura-t-elle en levant le menton. Et vous ? Comment se passent les relations entre l'Empire et l'Enfer ?

- Meilleures que prévues. Le Diable clame son innocence dans l'affaire et a même proposé de livrer les responsables. Une coopération qui semble pour le moment apaiser l'Empire.

- Comme si l'on pouvait y croire, fit-elle sombrement.

- Mais beaucoup aimeraient que ses paroles soient sincères. Punir et condamner contre négocier et apaiser. Justice ou paix. Nous privilégions toujours la dernière. »

Et Céleste refusait de se limiter avec un tel choix.

« Et l'Empire dans tout ça ?

- Ah, l'Empire ... rit Jonathan. Me croiriez-vous si je vous assurais qu'ils seront les plus problématiques sur ce plan-là ?

- Je serais sceptique. »

Face au Diable, pour l'Alliance comme pour le reste des Six Mondes, peu faisait le poids en terme de dangerosité. Naï' Seck Abaddon n'avait que trop semé le trouble par le passé. Plus personne ne se risquait à le sous-estimer.

« Et pourtant... souffla Jonathan avec un sourire teinté d'amertume. Ils nous ont refusé l'accès au palais dans le cadre de notre enquête. Sous excuse de deuil et de procédure. Étrange, non ? »

Et suspect. Elle aurait pensé que l'Empire aurait tout fait pour faciliter le travail de l'Alliance. Alors que l'attitude du Diable attirait la suspicion par sa nonchalance, l'Empire en faisait tout autant en se comportant comme s'il avait quelque chose à cacher.

La question restait à savoir quoi.

« Mes excuses, j'aimerais pouvoir continuer de parler avec vous, mais mon devoir m'appelle, fit-il en jetant un coup d'œil à sa montre. Un paquet de paperasse m'attend sur mon bureau et il doit être réglé d'ici la réunion des trois Voix. » , conclut-il en soupirant, déjà à moitié tourné vers l'entrée du département de la Voie Blanche.

Céleste le salua de la tête. De son côté, elle brûlait de lire la lettre.

Jonathan l'interpella une dernière fois avec un sourire désarmant, les mains rangées dans les poches de sa redingote :

- Sachez, Céleste, que ma porte est toujours ouverte si votre enquête s'obstine à rester difficile. Passez une bonne journée.»

Elle observa son dos jusqu'à ce qu'elle le perde de vue, interdite.

Quel homme étrange. Le directeur du bureau diplomatique était brillant, certes, sans doute l'un des meilleurs éléments de l'Alliance, mais étrange. Elle ne savait jamais vraiment sur quel pied danser avec lui. Elle secoua la tête et se dirigea vers son bureau, reprenant la lettre, cette fois bien décidée à la lire d'une traite.

« Cousine,

Je prends la peine d'écrire cette lettre dans mon extrême générosité. Vois ça comme une autre faveur que tu me devras dans le futur, car vois-tu, je ne devrais même pas t'écrire cette lettre. Idris (oui, ton cher papa, tu as bien lu) m'en a défendu. Enfin, plus qu'Idris, te garder ignorante pour le moment semble être le consensus général. Estime-toi heureuse, qu'encore une fois, mon opinion diffère de la généralité. J'estime que te prévenir avant ta mobilisation dans le plan d'Idris te permettra de te préparer mentalement à tout ce qu'il entend entreprendre. Entre nous cousine, je trouve hilarant que je te connaisse mieux dans tes réactions que tes parents. Ou peut-être ont-ils trop peur de ces mêmes réactions et que c'est pour ça qu'ils repoussent le moment où ils devront te mettre au courant. Je reconnais notre lien de parenté dans cette caractéristique que nous partageons.

Au moment où je t'écris, je suis sur le point de rejoindre Idris et Adrias. Je ne peux pas te joindre par Liaison. Je crains que Fer' ne me connaisse trop à mon goût : je n'ai pas un instant pour moi avec un miroir. Une lettre suffira donc. J'irai droit au but, et je resterai vague (et me harceler pour que je te donne plus de détails ne mènera à rien) : comme tu le sais, l'Empereur est mort et nos sources nous ont appris que le choix de la Pierre pour remplacer les Nuifées se porte sur les Drakoniques. Avant de te laisser emporter par le joie, sache que l'Empire n'a aucune intention de vous laisser monter sur le trône, et compte taire votre nouveau statut de peuple souverain. Le Diable et Adrias, remplis des meilleures intentions de l'Enfer tu t'en doutes, ont prévenu Idris. J'ignore ce qui l'a poussé à entrer dans leur jeu, mais il a accepté de s'allier avec Adrias pour prendre le trône de force. Idris est trop intelligent pour se laisser manipuler aussi facilement. Il a un plan, j'en suis certain, qui dépasse la compréhension d'Adrias comme la mienne. Peut-être que tu auras de meilleures chances que moi à le comprendre. Je t'avoue que je n'en ai pas vraiment l'envie. Tout ce que je peux deviner, c'est que l'Alliance y aura un rôle majeur. Achoura a déjà été prévenue par Adrias et est donc déjà compromise ; inutile d'aller chercher des informations de son côté. Tu auras peut-être plus de chance avec ton sale fils fils à son papa.

Ne cherche pas à me contacter. Je t'ai fait parvenir cette lettre en toute discrétion et par mes propres moyens : aucune inquiétude à avoir donc, pour ce qui est de savoir si des yeux clandestins se sont posés sur le contenu de cette lettre. Tu ne l'aurais pas reçue sinon. Je te conseille de la brûler une fois lue.

Je te tiendrais au courant de nouvelles avancées si nécessaire.

Ne meurs pas,

Ton cousin adoré que tu aimes plus que tout. »

Un vide, qu'elle savait temporaire, s'empara d'elle.

Elle ne savait pas si elle devait tuer ou embrasser Drakayn pour ce qu'il venait de lui apprendre.

Le vide laissa place à la rage.

« Journée de merde ! », cracha-t-elle.

Thes, assis devant son bureau, sursauta en entendant la porte claquer derrière Céleste. Alors qu'il remettait ses lunettes en place, il pâlit en voyant son expression.

« Oh, merde. Ça va ? »

Elle ferma les yeux et inspira plusieurs fois dans l'espoir de se calmer. Sans résultat. Elle tremblait. Avec un sifflement enragé, elle se tourna vers Thes :

- A ton avis ?

Thes se mordilla les lèvres.

« Qui a réussi à te mettre dans cet état ? », murmura-t-il.

Qui ? Il demandait qui ? Si seulement ce n'était qu'un qui ! Non, il fallait aussi que ce soit couplé à un quoi !

« Adrias ! vociféra-t-elle. Cette sale connasse, elle a encore réussi à le piéger dans sa toile ! Et le pire dans tout ça ? C'est que cet imbécile est encore tombé dans le panneau ! Après tout ce qu'elle lui a fait ! Après l'avoir abandonné pour mourir éventré ! », finit-elle en rugissant, haletante. Elle ouvrit et ferma les poings plusieurs fois, ses griffes paraissant et disparaissant frénétiquement. « Par les Six, comment ma mère a-t-elle pu laisser une telle chose se produire ! Pour une folie pareille ! Mais qu'est-ce qui leur est passé par la tête ! Comment peuvent-ils être aussi stupides !

- Céleste, assieds-toi, lui conseilla rapidement Thes, inquiet. Et explique-moi depuis le début, je ne peux pas t'aider si je ne comprends rien à ce qui se passe.

- Pas besoin de t'expliquer, tout est dans cette satanée lettre ! », cracha-t-elle en la lui remettant brusquement tandis qu'elle s'asseyait sur son siège.

Elle s'appuya sur la table, son front en appui sur ses poings fermés. Elle entendit Thes ouvrir la lettre. Elle l'avait relue tant de fois dans sa fureur qu'elle la connaissait sur le bout des doigts.

Adrias. Tout ça était de la faute d'Adrias. Dieux, qu'elle haïssait cette femme.

Et ses parents. A cet instant, elle les haïssait tout autant que la Malédrake. Eux, leur folie, leur naïveté et leur stupidité.

Le volume sur le traité de paix des Six Mondes avait une place de choix sur l'une des étagères qui tapissait son bureau, encadré de serres-livres en marbre. Livres juridiques, livres historiques, livres économiques, des années de travail pour une paix qu'elle servait avec une ferveur à double tranchant.

Et ces fous allaient tout ruiner.

« Tu es sûr qu'il dit la vérité ? », fit finalement Thes en tripotant ses lunettes.

Elle rit froidement. Elle aurait tellement préféré un mensonge.

« Drakayn est bien des choses, mais il n'est pas un menteur. Pas dans ces circonstances et pas avec moi. »

Il acquiesça.

« Céleste, regarde-moi. »

Elle obtempéra à contre cœur. Thes avait le visage grave. Mais ses yeux bleu paon, derrière ses cheveux de nuit et ses lunettes, étaient tendres. Elle se détendit quelque peu.

« Tout ira bien. Je suis là. Il nous suffit juste de décider d'une marche à suivre. Et avec ton cerveau, ce sera chose facile.», la taquina-t-il avec un petit sourire.

La chaleur qui envahit sa poitrine l'aida à apaiser sa fureur. La confiance absolue qu'il avait en ses capacités était une bénédiction comme une malédiction. Elle avait l'habitude de porter le poids des attentes des autres sur ses épaules. Mais si celles de Thes étaient lourdes, elles étaient aussi légères. Car ce n'étaient pas les attentes de parents ou d'un peuple en perdition, mais celles d'un ami qui était prêt à partager le poids de ses responsabilités. Tous les deux, ils s'étaient sortis de tant de pétrins, avaient tant de fois échappé à la mort, et tout ça parce qu'ils pouvaient compter l'un sur l'autre. Mais ici, c'était une forme de pétrin différente, sans doute le plus gros pétrin dans lequel ils s'étaient embourbés jusqu'à là.

Et elle ne savait pas quoi faire.

« Je ne sais pas quoi faire, murmura-t-elle, la voix cassée.

- Pas encore, nuance. »

Elle se frotta les yeux avec un sourire tremblant.

« On sait au moins une chose, lui assura-t-il en pointant un doigt vers elle. Pour le moment, on garde ça pour nous. La situation est trop délicate et nous n'avons rien à présenter aux trois Voix. Je vais essayer de me renseigner, joindre mes contacts discrètement. De ton côté, ne contacte pas tes parents. On a un avantage sur eux s'ils croient que tu ne sais rien. »

Elle hocha la tête. Elle regarda ses mains. Ses griffes luisaient sous un certain angle, et ses écailles noires remontaient jusqu'à ses poignets. Avec une longue inspiration, elle les fit disparaître.

« Thes, ça pourrait gâcher tout mon travail. Ça pourrait déclencher un autre Cent Jours de Sang. », réalisa-t-elle sans aucune émotion.

Son ami s'appuya sur la table, les yeux clos fermement, une grimace douloureuse agitant son visage.

« On pourrait se retrouver avec une troisième Guerre des Six Mondes. », ajouta-t-il.

Elle manqua de s'étouffer.

« Je plaisante, croassa-t-il avec un rire qui sonnait faux. Ne tire pas de conclusions hâtives, surtout quand elles sont aussi pessimistes. » Il rouvrit les yeux, brûlant d'une étincelle déterminée. « On va se battre, Sel. Mais pas tout de suite. Alors n'attirons pas l'attention sur nous. » Il fit glisser un dossier vers elle, qu'elle n'avait pas remarqué jusqu'à là. « Pour le moment, on fait comme si de rien n'était. D'accord ? »

Elle posa une main sur le dossier.

« Ce n'était pas là hier, nota-t-elle en le caressant du pouce.

- Non, il était déjà sur ton bureau quand je suis arrivé.

- Hum ... »

Elle ouvrit le dossier, un tas d'images en première page.

Une Aufée.

Une grimace hideuse, la bouche grande ouverte sur une langue et des dents manquantes, des griffures symétriques presque artistiques taillées dans les joues. Une peau blanche comme neige. Une morsure sur le poignet. Des entailles gravées dans le flanc. Des épaules écorchée. Des dents et des ongles arrachés.

Ses griffes refirent leur apparition.

Elle ferma le dossier et se leva dans un même mouvement, rigide.

« Céleste ? »

D'un coup sec, elle ouvrit un tiroir pour prendre les affaires nécessaires. Puis, elle se précipita d'un pas raide vers la porte.

« Céleste ! cria Thes. Eh, où tu vas ? »

La main sur la poignée, elle se retourna. Thes était accoudé sur le haut de son siège, les sourcils froncés et la bouche pincée.

« Je vais voir Satan. »

Il ouvrit la bouche, les yeux écarquillés. Aucun son ne sortit.

Sans plus attendre, elle quitta son bureau. Elle compta dans sa tête.

Un.

Deux.

Trois.

« QUOI ! », s'égosilla-t-il derrière elle.

Elle l'entendit débouler hors de son bureau pour la rattraper. Elle accéléra le pas.

« Je pensais que l'on s'était mis d'accord pour attendre avant d'aller voir les supérieurs ! », lui chuchota-t-il furieusement après avoir couru pour se porter à sa hauteur.

Elle balaya ses inquiétudes d'un geste de la main.

« Ça n'a rien à voir, assura-t-elle sèchement. Je vais le voir par rapport à mon enquête. Il y a eu une troisième victime. »

Et c'était à cause de son incompétence que l'Aufée avait terminé sur son bureau.

Thes lui lança un regard confus.

« Et pourquoi Satan ? »

Elle roula les yeux au ciel. Parfois, il était si lent à comprendre.

« Parce qu'il sait qui est le tueur. »

Et elle allait faire en sorte que la troisième victime reste la dernière.

C'était une bataille de nerf et seule sa détermination lui épargnait la défaite.

Lorsque Céleste s'était imaginée à l'Alliance quand elle était plus jeune, ce n'était certainement pas à attendre devant une porte pendant des heures, à éviter les regards dédaigneux de ses concurrents, dans l'espoir de voler quelques précieuses minutes du temps de la Voix Noire. Elle croisa le regard d'une Humaine, qui avait souri à tous, y compris à la Drakonique. Mais après des heures d'attente, même madame joie de vivre avait perdu son sourire ; ne restait plus que l'air sombre et aigri d'une personne impatiente et prête à en découdre pour avoir ce qu'elle voulait. Céleste savait qu'une expression similaire figeait ses traits.

Céleste avait été l'une des premières sur les lieux. Et les heures passant, les gens qui cherchaient à obtenir l'attention du Démon s'étaient amassés devant la porte de son bureau. Nombre d'entre eux s'étaient découragés avec les heures. Mais une vingtaine avaient persisté.

Et maintenant, alors que la porte s'ouvrait enfin, le moment était venu de passer à l'attaque.

Satan du Trisix, parut telle une apparition. Habillé d'un costume noir élégant, une épée intimidante à la hanche droite, et le plus important : une montre à gousset dans la main gauche. Le temps était compté. Et l'assaut débuta. A peine sorti et déjà, tous les individus tombèrent sur lui, tel un essaim furieux.

La Drakonique souffla par le nez quand un coude vint lui frapper les côtes pour l'écarter. Madame joie de vivre avait les coudes osseux et douloureux, et son sourire, qui avait été charmant et lumineux il y a quelques heures, n'était à présent qu'une arme froide et dur. Elle répliqua en enfonçant son talon dans le pied de l'enquiquineuse, qui jura, son rictus défait. Céleste lui sourit froidement, victorieuse. Sans rancune.

« Monsieur du Trisix. », appela Céleste, son agacement perceptible malgré elle.

Le Démon continua sa route, l'essaim toujours à ses côtés. Les papiers volaient en tout sens, de même que les paroles. Si Céleste voulait se faire remarquer, il lui faudrait user d'une méthode plus brutale. Et donc, ignorant les regards noirs de ses concurrents, elle se fraya violemment un passage jusqu'à la Voix Noire et l'agrippa par le coude. Immédiatement, ses yeux rouges se braquèrent sur elle. Elle retint un frisson et ne se laissa pas le temps de regretter d'avoir attiré son attention de cette manière :

- Monsieur du Trisix, je m'excuse de vous déranger en ces temps de crise, mais -

- Pas maintenant, Membriel, grogna le Démon en jetant un coup d'œil à sa satanée montre, les sourcils froncés. J'ai une réunion importante qui ne peut pas attendre. Prenez rendez-vous.

Elle masqua son irritation du mieux qu'elle put. L'essaim qui tournait autour du Démon s'activa pour lui tendre des papiers, qu'il signa après les avoir balayé du regard. Il s'éloignait déjà, mais Céleste ne lâcherait pas l'affaire : elle n'avait pas attendu des heures pour rien, elle s'y refusait, et si la Voix Noire avait le temps de lire quelques dossiers sur le chemin, alors il avait certainement le temps de l'écouter elle.

« Il y a eu une nouvelle victime, monsieur. Sur l'affaire de catégorie deux qui m'est assignée. »

Satan du Trisix s'arrêta brutalement, manquant de rentrer dans l'un des membres de son essaim. Il se tourna vers elle. Le reste s'écarta autour de lui à la vue de son expression. Céleste refusa de baisser le regard.

« J'avais oublié cette affaire. », grogna-t-il avec un soupir furieux.

Il jeta le papier qu'il venait de signer dans les mains de l'individu le plus proche, puis reprit sa route en claquant des doigts sèchement pour disperser les enquiquineurs, qui détalèrent aussitôt. La Drakonique s'empressa de le suivre, dégainant un bloc note et un stylo.

« Le meurtrier est un Vampire du nom d'Armand Duvenin.

Céleste s'empressa de marquer le nom, les lèvres serrées. Un Vampire ? Duvenin. Noblesse et Sang Pur, donc. Pourtant -

« Mais vous aviez dit que -

- Parce que plus qu'un Vampire, Armand est un Désastre, et pire encore, une Plaie. », la coupa-t-il sèchement.

Le stylo de Céleste dérapa sur sa feuille.

« Honnêtement Membriel, vous n'êtes pas qualifiée pour vous occuper de cette affaire, lâcha le Démon en s'arrêtant face à la porte qui menait à la Chambre des diplomates. Mais avec le bordel qui nous occupe, vous êtes le meilleur élément à notre disposition. » D'un geste du poignet, il fit apparaître une carte entre ses doigts dans un nuage de fumée embrasée. Il jeta un nouveau coup d'œil à sa montre avant de la lui offrir. « Présentez-ça aux Archives et vous aurez accès à toutes les informations nécessaires sans avoir à me déranger. Ne venez me voir que lorsque vous aurez avancé. Nous savons qui est derrière cette histoire, alors concentrez-vous sur le ou les mobiles. Et par les Six, si ce n'est pas déjà fait, identifiez les victimes. »

Et sur ces dernières paroles, il lui claqua la porte au nez.

Un Désastre.

Non : une Plaie.

Une Plaie !

La folle action de son père, et maintenant une Plaie !

Elle avait envie de tuer quelqu'un. De préférence celui qui s'acharnait à faire de sa journée un enfer.

Elle ferma les yeux et inspira un bon coup. Quand elle les rouvrit, l'esprit de nouveau clair, elle observa la carte entre ses doigts. Noire, évidemment, et au centre, d'une écriture de sang :

Restriction : aucune

Supervision : aucune

Date de péremption : indéterminée

Destinataire : Céleste Membriel

Émetteur : Satan du Trisix

Elle rangea la carte dans l'une de ses poches et tourna les talons, bien décidée à commencer ses recherches immédiatement. Elle avait le poids du monde sur ses épaules, mais ce n''était pas la première fois, ce ne serait pas la dernière, et maintenant qu'elle avait une piste, maintenant qu'elle pouvait se distraire de l'épée de Damoclès qui pendait au-dessus de son peuple, elle pouvait enfin se rendre utile et faire ce qu'elle savait le mieux.

Résoudre un mystère.

Note:

JE SUIS DE RETOUR ! YOUHOU !

Bon. Bon. Bon. Mes trois mois de vacances scolaires m'ont fait du bien. Mes (quasi) six mois sans écriture m'ont fait du bien. Donc me revoilà, avec un chapitre tout fraîchement fini !

J'espère qu'il vous aura plu et que j'ai encore quelques lecteurs après cette longue pause.

On retrouve donc Céleste ! Pour le chapitre le plus long de la réécriture pour le moment ! YEY ! Et un nouveau personnage avec Jonathan Quent ! YEY ! Et le pouvoir de l'amitié ! YEY! Et le nom du meurtrier ! YEY ! Et l'introduction des Plaies ! YEY!

Et l'Alliance, qui, je l'espère, vous apparaît un plus clairement ! (YEY si j'ai réussi !)

Et n'oublions pas le meilleur pour la fin: Drakayn qui arrive à être un petit con, même à distance ! YEY ! C'est son super pouvoir !

Maintenant, les mauvaises nouvelles.

Je ne pense pas réussir à écrire un chapitre par semaine pour le moment. MAIS ! J'ai espoir de reprendre ce rythme dans le courant de l'année. Car je suis en L3, et même si j'ai pas mal de temps libre, il n'est pas là pour rien et je le remplis bien. Je le remplis si bien que pour le moment, je trouve peu de temps pour l'écriture. S'ajoute à ça mon souhait de me lancer dans un autre projet d'écriture à côté de la réécriture, et vous voyez le problème. CEPENDANT ! La réécriture reste mon projet principal. Je ne sais pas quand le prochain chapitre sortira; je compte écrire le plus possible pour voir en combien de temps je peux écrire un chapitre avec mon nouvel emploi du temps. Je croise les doigts pour que ce soit deux semaines. Que la force soit avec moi.

Sur ce, je vous dis à la prochaine, le plus tôt possible !

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