12 : Envahisseurs

Castelroc, 1er septembre 1297

Au village de Castelroc, le marché était sur la place. Bon nombre de marchands vendaient leurs marchandises, attirant les passants comme ils le pouvaient. Leur seigneur, Charles de Lantagnac déambulait dans les rues de la ville, à cheval, entouré de ses gardes et de son fils cadet, Guillaume.

-      Vois-tu Guillaume, toutes ces terres appartiendront à Pierre ! Il faut donc que tu penses à te marier afin qu'avec la dot de ton épouse tu puisses avoir une terre à toi.

-      Je le sais père...

-      Tu as encore beaucoup de chose à apprendre mon fils.

-      Pourquoi ne pas m'avoir envoyé, avec Pierre, combattre ?

-      Qui protègera le castel si ton frère meurt ? Qui sera l'héritier ? Tu es tout aussi important que ton frère Guillaume. Ne l'oublie pas.

Guillaume fit un signe de tête à son père et s'arrêta pour descendre de son cheval et l'attacher.

-      Où vas-tu donc ?

-      Marcher. J'ai besoin d'être seul.

-      N'oublie pas que tu dois t'entraîner tout à l'heure. Je t'attends à cinq heures.

-      Bien... père, murmura Guillaume.

Ce dernier partit dans une ruelle, à l'opposé du chemin de son père. Furieux, il donna un coup de pied dans un caillou. Il passa les mains sur son visage en prononçant des injures. Certes il devrait épouser une inconnue pour avoir ses terres et il n'hériterait sûrement pas du domaine de Lantagnac et tout cela le rendait furieux. Sa colère montant d'un cran, il cogna de son poing le mur de la maison où il se trouvait. Il cria de douleur et serra les dents en secouant sa main douloureuse.
En entendant le cri, une femme sortit de la maison où il avait frappé et l'apostropha :

-      Eh vous ! Si vous pouviez éviter de détruire ma maison ce serait... Guillaume ?

Ce dernier se retourna et vit Marie qui s'était tout de suite inclinée devant lui. Il avança vers elle et la releva puis, la prit dans ses bras en lui caressant le dos. Marie, surprise tout d'abord, répondit à son étreinte et enfouit son visage dans son cou.

-      Marie... Je... Je suis tellement désolé pour toi et Pierre.

-      Tu n'y es pour rien Guillaume. Quelqu'un a dû nous voir et nous a dénoncés...

-      Marie... C'est...

Guillaume fut interrompu par des cris venant d'un côté du village. Il fronça les sourcils et décala Marie afin qu'elle se trouve derrière lui.

-      Reste derrière moi Marie !

Il s'avança prudemment jusqu'à la sortie de la ruelle et stoppa net. Sous ses yeux, tous les villageois couraient dans tous les sens. Ils essayaient d'échapper aux cavaliers qui avaient fait irruption sur la place. Guillaume fronça de nouveau les sourcils puis se tourna vers sa protégée :

-      Cours jusqu'au castel ! Préviens mon père de ce qui se passe.

-      Mais...

-      C'est un ordre, hurla-t-il. Je dois protéger toutes ces personnes.

-      Fais attention.

-      Garde cette arme sur toi Marie et veille sur toi en priorité ! Déclara-t-il en lui tendant une dague qu'elle s'empressa de ranger dans sa botte.

Il l'embrassa tendrement sur le front puis s'avança pour donner un coup à un cavalier qui tomba et se brisa la nuque. Guillaume rattrapa le cheval dans sa course et grimpa dessus. Puis il chargea d'autres ennemis qui s'en prenaient aux villageois.

Pendant ce temps-là, Marie courait dans les ruelles percutant quelques fois d'autres personnes qui essayaient de s'enfuir. Elle fut, à un moment donné, soulevée du sol et projetée en avant. Elle tomba sur le ventre et gémit de douleur. Elle se força à se retourner pour voir qui était son agresseur tandis que ce dernier descendit de son cheval et s'approcha d'elle.

-      Alors ma jolie, où cours-tu donc comme cela ?! Tu penses pouvoir prévenir les habitants du castel ? Je vais m'occuper de toi tu vas voir !

Il courut vers elle et se jeta sur elle. Marie posa ses mains sur les épaules de son assaillant et essaya de le repousser de toutes ses forces. Pensant à l'objet que lui avait donné son ami, elle sortit prestement l'arme et l'enfonça dans le cou de l'homme. Ce dernier émit un gargouillis tandis du sang coulait de sa bouche. Marie se dégagea rapidement et poussa un gémissement de peur en voyant le sang s'étaler sous le corps de l'homme. Elle continua de courir vers le castel lorsqu'elle entendit un son étrange. Elle s'arrêta et tourna ses yeux vers les maisons autour d'elle. Une torche venait d'être lancée sur le toit empaillé d'une maison et un cri se fit entendre à l'intérieur. Choquée, elle lâcha la dague et courut jusqu'à la porte pour tenter de l'ouvrir avant que le toit ne s'effondre.

-      Maman Enfonce la porte. Je t'en supplie ! Passe par les fenêtres.

Elle cria pour attirer des personnes afin d'obtenir de l'aide mais aucune ne s'arrêta, préférant se réfugier au castel. Quelques instants plus tard, le toit s'effondra sur les occupants de la maison. Marie tomba à genoux, les larmes coulant sur son visage, devant la maison en feu. Les cris s'arrêtèrent, signe que tous les habitants dans cette maison étaient morts.  Un cheval s'arrêta à sa hauteur et un cavalier sauta à terre.

-      Toi, la donzelle suis-moi !

Marie, récupéra discrètement la dague à ses côtés et se leva, dos à l'homme qui lui parlait. Ce dernier posa la main sur son épaule pour la retourner et Marie en profita pour lui donner un coup au visage, lui arrachant un hurlement de douleur. Elle distribuait les coups comme elle pouvait à l'homme qui se tenait devant elle, sa colère ayant pris le dessus. Il tomba à genoux, ses mains sur son visage pour essayer de ne plus avoir mal, en vain.
Des cavaliers galopèrent jusqu'à eux et percutèrent la jeune femme qui tomba à terre. Ils descendirent de leur selle et s'approchèrent de leur compagnon d'arme, qui hurlait toujours, pour l'aider à se relever. Un des chevaliers s'avança vers Marie et la releva brutalement, par les cheveux.

-      Tu vas devoir apprendre ce qu'est le respect envers un homme, servante !

Pour toute réponse, Marie lui cracha au visage. L'homme tourna la tête et essuya la pituite1 de sa joue avant de gifler de toutes ses forces la jeune femme, qui s'effondra sur le sol. Il la traina ensuite vers une maison qui était encore en bon état. D'un coup de pied, il défonça la porte et poussa la servante à l'intérieur.

-      Les français vont t'apprendre les bonnes manières gueuse. Je me suis toujours demandé comment sont les gasconnes !

Marie, ayant compris ses intentions, courut vers la porte pour essayer de s'enfuir mais le soldat se posta devant et la rattrapa dans sa course, un bras autour de la taille de Marie.

-      Où penses-tu aller comme ça ? Personne ne viendra te sauver ! Tu es seule avec moi ma beauté !

Marie se débattait du mieux qu'elle pouvait face à ce butor. En ayant assez, le soldat la prit  dans ses bras et la transporta jusque sur le lit où il la déposa bestialement avant de s'allonger sur elle. Marie hurla de toutes ses forces pour appeler à l'aide tout en frappant l'homme. Ce dernier lui asséna une gifle ce qui l'assomma quelque peu. Elle essaya de reprendre ses esprits mais le soldat était déjà en elle. Elle hurla de douleur et se cambra, les larmes coulant le long de ses joues. Elle appelait Pierre et Guillaume pour qu'ils puissent l'aider. L'aigrefin2 posa sa main sur la bouche de la jeune femme pour ne plus l'entendre.
Au bout d'un moment, l'on toqua à la porte. Un homme entra et apostropha son camarade qui se rhabillait :

-      Gaucher, le comte de Lantagnac a été fait prisonnier. Ainsi que son ami Dampierre. Ils sont sur le parvis de la cour.

-      Très bien Hugues ! J'arrive dans un instant, le temps de discuter avec la damoiselle qui m'a si bien accueilli.

Son ami opina du chef et sortit préparer les chevaux. Pendant ce temps, Gaucher de Châtillon s'approcha de la couche et se posa près de Marie qui était assise, ses genoux contre sa poitrine. Il posa sa main sur la joue meurtrie et replaça une mèche des cheveux derrière son oreille. Marie fit un mouvement de recul mais un claquement de langue la stoppa dans son geste. Le comte caressa sa joue de la main en murmurant :

-      Tu vois, maintenant tu connais le respect que tu dois adopter face à un noble !

-      Je vais vous imaginer mort jusqu'à ce que mon mari vous tue. Et alors, je ne penserai plus jamais à vous. Plus jamais ! Déclara-t-elle en lui lançant un regard noir.

L'homme se leva et finit d'ajuster son épée en souriant. Puis il s'approcha d'elle, pinça son menton de ses doigts et l'embrassa sauvagement.

-      Qu'il est dommage que je sois marié et que tu ne sois qu'une servante. Sinon, je t'aurais volontiers accueilli dans mon château et dans ma couche.

-      Plutôt mourir que de vivre avec vous ! 

-      Si c'est ce que tu souhaites, je peux répondre à ton désir.

Il sourit et prit la main de Marie pour l'attacher au poteau sur le côté de la couche. Puis, il sortit rejoindre son compagnon d'armes. Il prit un morceau de bois qui brûlait et le jeta sur le toit de paille qui s 'embrasa aussitôt. Hugues de Brochefaux l'observa mais ne dit rien. Les deux montèrent ensuite sur leur chevaux et galopèrent jusque dans l'enceinte du château où les deux comtes attendaient, à genoux, gravement blessés. Gaucher de Châtillon arrêta son cheval juste devant eux et sauta à terre. Il s'approcha des deux hommes d'un pas lent, et s'arrêta devant Charles de Lantagnac. Sans que ce dernier ne s'y attende, il lui donna un coup de poing au visage avant de lui cracher dessus.

-      De la part de notre roy, Lantagnac ! Vous n'êtes qu'un traître. Votre famille ainsi que votre peuple va en pâtir, croyez-moi.
Par les pouvoirs qui me sont conférés de notre roy bien-aimé, Philippe le Quatrième, moi, Gaucher de Châtillon, condamne Charles de Lantagnac à la peine de mort. Vous serez donc décapités dans cette cour à cinq heures. Votre corps sera ensuite traîné dans les rues du village pour montrer aux yeux de tous, votre forfaiture, avant de pendre le reste de votre corps sur la place publique.
Et vous, Guy de Dampierre, serez emprisonné et exposé au pillori3, à Paris à la demande du roy.

Après avoir prononcé les deux sentences, Gaucher fit un signe de la main à ses soldats qui soulevèrent le vieux Guy de Dampierre pour l'emmener aux écuries afin de le préparer Pendant ce temps, Charles de Lantagnac avait son chef posé sur un billot improvisé et Gaucher se tenait juste à côté, son épée dans les mains. Le regard de Charles était dirigé vers sa femme, Blanche, qui se tenait droite et qui se retenait pour ne pas s'évanouir devant l'ennemi.

-      Un dernier mot Lantagnac ?

-      Honneur et vaillance, forgent les Lantagnac !

Il murmura un dernier « je t'aime » à l'intention de sa femme puis, il ferma les yeux, attendant sa sentence. Châtillon leva bien haut ses bras avant les abaisser sur la nuque du vieux comte. La lame trancha la peau de ce dernier mais pas entièrement. Châtillon dut s'y reprendre par trois fois avant de pouvoir séparer le chef du reste du corps qui tomba et roula jusqu'au pied de dame Blanche qui s'évanouit.

-      Qu'on attache le corps à un cheval et que l'on fasse deux fois le tour du village. Lorsque ce sera fait, ramenez le ici et pendez ce qui reste à l'enceinte. Je m'occupe de son chef !

***

Tandis que la sentence était appliquée, Marie pleurait toutes les larmes de son corps. Elle se sentait bafouée, souillée et plus jamais elle n'oserait regarder Pierre dans les yeux. Tout à coup, elle sentit la maison se réchauffer par le toit, elle comprit ce que le noble avait fait. Elle allait brûler vive. Elle essaya donc de se dépêcher pour s'évader. En même temps, elle hurlait de toutes ses forces, espérant qu'un villageois encore vivant vienne l'aider.  La fumée s'infiltrait par tous les interstices et remplissait ses poumons. Elle réussit enfin à se libérer et se leva pour courir. Mais, après ce que lui avait fait subir Châtillon, elle tomba sur le sol, gémissant de douleur. Elle tenta, en vain, de se relever pour atteindre la sortie, l'air devenant irrespirable. La dernière vision qu'elle eut avant de s'évanouir fut la porte s'ouvrir sur une silhouette.

1 : la pituite = le crachat
2 : aigrefin = fourbe, chevalier, malandrin
3 : pillori = pilori

Un chapitre un peu long, je m'en excuse :)

- Qu'en pensez-vous ?

- Comment va réagir Pierre en apprenant ce qu'a subi son village, sa famille, Marie ?

- Marie va-t-elle lui en parler ?

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