❄ Chapitre 8

Musique : Rainbow de Sia.

Chapitre 8
Trop, c'est trop !

Lycée d'Eloane
18 avril 2017

«J'en suis une, Eloane. Je suis une Enchanteresse, une fille de l'Automne.»

Je mis quelques secondes à comprendre ce qu'elle voulait dire. Ce n'était pas que j'étais longue à la détente, juste que j'espérai m'être imaginée cela.

Pourtant, elle ne fit rien, si ce n'était me fixer avec un espèce de regard indéfinissable ; une sorte de mélange entre peur et... espoir ? Non, je devais me tromper. Ce ne pouvait pas être de l'espoir. Que pourrait-elle espérer ?

Je la regardai avec effarement. Il me semblait que le sol était en train de s'effondrer sous mes pieds. Je n'osais pas y croire. Je ne voulais pas y croire. Elle baissa les yeux et sembla soudainement très intéressée par le bout de ses bottines.

- Pardon ? m'étranglai-je, horrifiée.

Je reculai jusqu'à m'appuyer contre le mur froid du couloir. Je me fis bousculer par d'autres élèves mais, pour une fois, je n'en avais rien à faire. Ils pouvaient bien danser la farandole au lieu d'aller en cours que je ne les regarderais même pas. Je n'avais d'yeux que pour elle : ma meilleure amie, ma confidente de toujours, ma presque sœur, ma Lily. Elle qui n'osait plus me regarder, qui n'assumait même pas qu'elle allait me dénoncer aux Traqueurs. Car il ne pouvait en être autrement, mes parents me l'avaient bien fait comprendre. Dès qu'un enfant de l'Hiver était aperçu, il était aussitôt signalé puis capturé par les Traqueurs - que ce soit dans le Monde des Enchanteurs ou ici, sur Terre. Oh comme j'aurais dû les écouter ! J'avais voulu jouer avec le feu et il m'avait brûlée.

Lily soutint enfin mon regard.

Ses yeux face aux miens.

Le ciel face à l'océan.

Lily face à moi.

Juste elle et moi.

- Je ne pouvais pas te le dire, se justifia-t-elle précipitamment.

Elle semblait gênée. Était-ce parce que j'avais découvert son «secret» ? Ou, plutôt, parce que j'avais découvert que nous partagions le même ?

Pendant un court instant, j'avais été contente : elle était comme moi. Sauf que, en fait, le problème c'était qu'elle n'était pas exactement comme moi. Nous étions des Enchanteresses mais elle était une fille de l'Automne et moi de l'Hiver.

Elle est une fille de l'Automne ; je suis une fille de l'Hiver.

Cette réalité m'avait claquée à la figure comme une bonne grosse gifle bien douloureuse à souhait.

À présent, j'étais énervée et triste à la fois. Tout se mélangeait dans mon esprit et le manque de sommeil ne m'aidait certainement pas à réfléchir. En fait, il s'était passé tellement de choses ces derniers jours que je n'avais même plus envie de réfléchir, juste de me laisser tomber dans un canapé bien moelleux et de dormir de tout mon saoule (avec, naturellement, à portée de main, du chocolat).

«Mais c'est ma meilleure amie, elle ne me ferait pas de mal... on s'est promis de toujours veiller l'une sur l'autre ! Elle me l'a juré, sur le chocolat en plus ! Et puis, quelles raisons aurait-elle de me dénoncer ?» voulus-je me persuader.

En pensant cela, j'en vis pleins, des raisons pour lesquelles elle pourrait me dénoncer ; toutes celles pour lesquelles les Enchanteurs dénonçaient les enfants de l'Hiver, et la liste était longue. Mes parents m'en avaient donnée pleins, hier, mais la plus courante était encore la peur d'être capturé pour traîtrise.

Je battis des cils pour retenir les larmes qui menaçaient de couler.

Non, Lily ne pourrait pas me faire ça, c'était impossible.

Et pourtant, maintenant que le doute s'était insinué dans mon esprit, je ne pouvais m'empêcher de me le demander. Et si, finalement, elle me livrait vraiment ? Pourquoi risquerait-elle sa vie pour la mienne ?
Je voulais lui montrer ce que je ressentais, à quel point elle m'avait blessée. Je n'aurais jamais dû lui révéler mon secret, j'avais été bête, stupide même. Oui, stupide était le mot !
Assimiler tout cela, c'était trop pour moi, trop m'en demander. J'explosai.

- Et pourquoi ? articulai-je d'une voix étonnement calme face à l'orage qui grondait et gonflait en moi. Pourquoi ne pouvais-tu rien me dire ? Parce que tu ne savais pas que j'en étais une, d'Enchanteresse ? Eh bien bravo, Lily, tu as bien réussi ton coup ! Maintenant tu vas pouvoir me dénoncer, et en beauté ! (Je la fusillai du regard, me décollai du mur auquel j'étais adossée et commençai à m'avancer.) Oh que tu dois rire intérieurement, de la pauvre petite Eloane qui s'est jetée dans la gueule du loup...

Je ricanai tristement, lui crachant dessus tout ce que j'avais sur le cœur. Mon amertume, mes regrets, rien ne fut laissé pour compte. J'avais parlé calmement, aussi impassible qu'une statue de marbre, mais à l'intérieur de mon être, tout n'était que lave en fusion. Je bouillais intérieurement mais, en réalité, je n'attendais qu'une seule chose : qu'elle me dise que je me trompais. Le problème, c'était que je ne savais pas si j'aurais la force de l'entendre me dire le contraire, qu'elle comptait me livrer aux Traqueurs, si tel était le cas.

Ses yeux céruléens s'étaient ouverts en grand, elle semblait surprise de ce que je venais de lui dire et n'avait pas l'air de comprendre de quoi je parlais.
Je reniflai dédaigneusement pour cacher ma peine et tournai les talons.

- Attends, Elo ! m'interpella-t-elle.

Je me retournai, prête à la rembarrer dans la seconde, mais je ne réussis pas. Elle avait les larmes aux yeux... ou peut-être étaient-ce les miennes, je n'en savais rien. Tout se brouillait dans ma tête, j'avais l'impression qu'elle allait imploser.

- Ce n'est pas ce que tu crois, plaida-t-elle en s'approchant de moi, ce qui me fit prendre conscience que le couloir était maintenant désert.

J'avais mal à la tête, vraiment mal à la tête. Presque comme dans la forêt, il y avait deux jours. Toutes ces révélations, ce secret que Lily connaissait, ce sentiment que je ressentais d'être déchirée entre deux choix opposés ; tout cela, c'était trop. Juste trop. Je n'avais même pas le temps de digérer une révélation qu'une autre arrivait. J'étais en colère contre le monde entier pour m'avoir cachée qui j'étais vraiment : une fille de l'Hiver. Ça s'agitait à l'intérieur de mon corps. J'avais l'impression que mon cerveau se faisait transpercer par des piques de glace. Je n'en pouvais plus, je transpirais et je frissonnais en même temps. À ce rythme-là, j'allais devenir folle.

J'appuyai mes paumes contre mes tempes et fermai mes yeux de toutes mes forces.

Lily reprit :

- Je ne veux pas te f-

- Stop, m'écriai-je en jetant sauvagement mes bras vers le sol, j'en ai déjà assez entendu pour la journée !

Un claquement brusque mais puissant - comme lorsqu'un pétard explose - résonna dans tout le couloir tandis que j'avais l'impression de me vider entièrement de mon énergie.

- Eloane, mais que... commença ma meilleure amie avant de mettre sa main devant sa bouche et de se taire, les yeux écarquillés.

Pendant quelques instants, tout fût trouble autour de moi. Lily me paru être un mirage, avec son visage net et ses contours floutés. Ma tête me lançait toujours, bien que moins qu'un instant plus tôt, et je dus cligner des paupières plusieurs fois afin de rétablir ma vision. Lorsque je vis à nouveau nettement, je me mis à le regretter. Il y avait de la glace dans tout le couloir.

Je ne voulais pas la voir pleurer, mais je savais que je n'imaginais ces yeux bleus remplis de larmes, qui me fixaient avec incompréhension. Quand bien même que nous nous soyons disputées, qu'elle m'ait cachée un aussi gros secret pendant des années, que je sois certainement bientôt prisonnière par sa faute ; je détestais la voir pleurer. Depuis toujours. Cela arrivait rarement - je devais pouvoir les compter sur les doigts de mes deux mains - mais à chaque fois j'aurais voulu pouvoir souffrir à sa place. C'était le rôle d'une meilleure amie que de réconforter l'autre dans un moment de détresse, alors qui d'autre que moi aurait pu lui dire de sécher ses larmes ? Je me détestais de penser à cela dans un moment pareil, alors que j'aurais dû m'apitoyer sur mon sort. Ce n'était pas elle qui venait de recouvrir le sol du couloir d'une belle épaisseur de glace, c'était moi.

Je baissai une nouvelle fois les yeux vers mes pieds. La glace était toujours là.

- C'est moi qui ai fait ça ? chuchotai-je avec effroi.

- Je croyais que tu n'en avais pas, s'étrangla-t-elle, les yeux toujours rivés sur la glace. Ils m'avaient dit que tu n'en avais pas.

Il y eût un silence puis elle leva son regard vers moi et un immense sourire se dessina sur ses lèvres.

- Eloane, tes pouvoirs fonctionnent, c'est génial ! s'extasia-t-elle.

- Non, rétorquai-je, c'est tout sauf génial. Okay, j'ai des pouvoirs, sauf qu'ils sont totalement détraqués !

Elle allait dire quelque chose mais je continuai, le cœur gros et les larmes aux yeux :

- Et ne me sors pas que la solution c'est l'amour, on n'est pas dans La Reine des Neiges.

À peine avais-je finis ma phrase que je me retournai pour courir, comme si les feux de l'enfer me poursuivaient, dans le couloir.

Le bruit de mes pas qui percutaient le sol claquait dans l'air. Je ne pleurais plus mais mes larmes avaient laissé dans leur sillage des sillons humides dans mes joues. Je n'étais vraiment pas en état pour aller en cours. J'étais quasiment arrivée à ma salle lorsque je décidai de rentrer chez moi. Tant pis pour les maths.

D'un geste rageur, j'essuyai mes joues avec le dos de ma main avant de frapper à la porte.
J'eus l'impression que Mr Breton faisait une remarque sur mon nouveau retard. Peut-être me conseillait-il de ne pas en faire une habitude ? Toujours était-il que je n'en savais rien, je ne l'écoutais pas. Il fallait juste que je rentre à la maison, ensuite j'appellerai maman. Je lui dirai pour Lily. Tout allait s'arranger.

«Ou alors, tu pourrais t'enfuir» me chuchota mon subconscient (qui, pour une fois, n'était pas Zéphyr, toujours en train de dormir).

Oui mais... non, je ne pouvais pas. Je devais assumer ce que j'avais dit, ce que j'avais fait. C'était ma responsabilité. Je ne pouvais pas fuir comme je l'avais fait dans le couloir.

- Je ne me sens pas très bien. Je vais à l'infirmerie, coupai-je Mr Breton, sans le regarder, pour qu'il arrête son monologue et ne pose pas de questions.

Je l'imaginais bien, passant sa main dans ses boucles brunes puis regardant l'heure sur sa montre atypique, avant de finalement me laisser passer sans un mot.
Je lui jetai un bref regard en me dirigeant vers ma place. Il savait que j'avais pleuré, je le voyais dans son regard. Baissant la tête pour essayer de camoufler avec mes cheveux mes yeux rouges et boursouflés, je passai entre les rangs en silence. Tous me regardaient avec étonnement. Je les avais habitués à des sourires resplendissants, pas à des larmes. On aurait pu entendre une mouche voler dans la salle.

Je pris rapidement mes affaires et ressortis de la pièce, tel un robot.

Je ne pensais plus, j'agissais.

Je ne choisissais plus, je subissais.

Je ne voyais plus rien, mes yeux étaient de nouveau brouillés par les larmes.

Pathétique. Voilà comment j'avais trouvé certaines filles de ma classe, à baver sur quelqu'un de beaucoup plus âgé - un prof, qui plus est -, mais je ne valais pas mieux qu'elles. C'était même pire puisque je possédais ce dont j'avais toujours rêvé - des pouvoirs magiques - mais que je n'arrivais pas à les contrôler.

Je déambulais dans les couloirs comme une âme en peine, marchant vers la sortie presque à reculons. Mon lycée, qui avait tout du lycée lambda, que ce soit par son bâtiment que par sa taille - et ses nombreux pré-fabriqués, faute de place pour caser les élèves -, me paru beaucoup plus court à traverser qu'à l'aller, lorsque j'étais en retard.

Sans m'en rendre compte, j'étais déjà arrivée à l'entrée du lycée. J'allais m'adosser aux grilles vertes, pour attendre la sonnerie au calme, lorsque je remarquai une inscription gravée dans la peinture. Elle prenait tout un barreau. Je plissai les yeux pour la déchiffrer.

Il était écrit :

«Tu te plains de détails futiles alors qu'il t'arrive tout un tas de choses extraordinaires. Moi, je me plains parce qu'il ne se passe rien dans ma vie. Alors réjouis-toi du moment présent, de tout ce que tu vis de magique, mais surtout : arrêtes de te plaindre ! Une vie sans problèmes, ça n'existe pas !»

En plus petit, la même personne avait ajouté : «Si cette remarque t'as aidé, laisse une croix sous ce message», puis avait signé «Fanch B.».

Sous le message, il y avait de nombreuses croix, des dizaines.
J'avais l'intime conviction qu'il avait été gravé ici pour moi. C'était exactement ce qu'aurait pu me dire Lily. Si, un jour, il m'arrivait de croiser ce Fanch B, il faudrait que je lui demande pourquoi il avait tenu à écrire une telle chose sur les grilles de son lycée ; bien que mes chances de le rencontrer soient minimes, voir même nulles.

J'étais dans ma chambre lorsque je reçu un message de Lily : «Rejoins-moi au parc, on doit s'expliquer !»



Qu'avez-vous pensé de ce chapitre ?

Qu'est-ce que vous avez aimé ?

Et qu'est-ce que vous n'avez pas aimé ?

Pensez-vous que Lily va dénoncer Eloane aux Traqueurs ?

D'ailleurs, comment auriez-vous réagit à la place d'Eloane ? Et à la place de Lily ?

Pourquoi est-ce que ses pouvoirs se manifestent maintenant (au mauvais moment) ?

Qui est ce Fanch B ?

ESt-ce une bonne ou une mauvaise idée qu'Eloane aille rejoindre Lily au parc ? Et puis, finalement, va-t-elle le faire ?

Korrigan

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