❄ Chapitre 4 (partie 2)
Média : Mamm-gozh
Musique : Something just like this de The Chainsmokers & Coldplay
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J'avais l'impression de n'avoir fait que courir depuis que j'étais entrée dans ce satané arbre. En fait, non, maintenant je trébuchais plus que je ne courrais.
Il faisait légèrement plus frais que lorsque nous avions croisé le garde-forestier mais pas assez pour que je puisse regretter de n'avoir qu'un T-shirt sur le dos, sans pull en plus. De toute façon, je n'en aurais pas eu une grande utilité car, à force de courir de tous les côtés, j'étais même en nage. Mes cheveux me fouettaient le dos à chaque nouvelle enjambée, créant une sorte de courant d'air, mais cela ne suffisait pas pour m'ôter cette sensation d'inconfort. Vivement que je puisse prendre une douche chez ma grand-mère, Mamm-gozh !
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Dès que Lucien m'aperçut, il appela les parents. Ceux-ci se précipitèrent vers moi et ma mère me serra si fort dans ses bras que je crains un instant de ne finir mes jours étouffée par son amour maternel – sans aucune exagération. Holly marqua d'ailleurs son mécontentement d'être ainsi écrasée par un aboiement bref. Maman s'écarta aussitôt. Que la vie était simple lorsqu'on était un chien !
Mon père se trouvait dans mon dos. Je ne pouvais pas savoir s'il était énervé ou non mais je me doutais néanmoins de la réponse. Quand vint son tour pour m'engueuler, il évoqua le fait qu'ils me cherchaient depuis plus d'une demi-heure, quasiment trois-quart d'heure, et qu'ils avaient été à deux doigts d'appeler les «flics» – comme il l'avait dit. Chez mon père, ce n'était comme chez ma mère. Alors qu'elle m'avait crié dessus, lui se contenta de me parler calmement, mais c'était en quelque sorte pire que tout. Avec ma mère, je pouvais encore croire que j'étais une enfant prise en faute, alors qu'avec lui je ne pouvais pas me rattacher à cela. Il me parlait comme à une adulte – ou presque – mais dans ses yeux brillaient tout ce qu'il ne disait pas.
Je n'aimais pas me faire engueuler – «gronder» aurait été un mot trop enfantin pour ce que cela représentait. À vrai dire personne n'aimerait cela, mais dans mon cas c'était même plus fort : je détestais que l'on doive, mes parents ou d'autres personnes, me reprocher quoi que ce soit. Je voulais être parfaite, irréprochable, mais plus je grandissais et plus je me rendais compte que c'était impossible : personne n'était parfait. C'était quelque chose d'irrationnel. J'en avais conscience mais je ne pouvais pas m'en débarrasser, je n'y arrivais pas. Cela me collait à la peau, entravant même les gestes les plus anodins. Alors je me réfugiais derrière le sarcasme, l'ironie et tout ce qui pourrait me servir de masque ou de bouclier protecteur. Je craignais de déclencher la colère d'autrui ou d'en être la source, je ne supportais pas l'idée de déplaire aux autres, tout jugement - même infime - pouvait avoir des répercussions énormes sur moi.
J'avais peur.
C'était simple à définir, court à dire, mais en même temps si compliqué que je m'en mélangeais parfois les pinceaux. Beaucoup de personnes avaient une phobie, que ce soit des araignées ou de la saleté, mais je ne connaissais que peu de personnes à avoir cette peur qui, dans mon cas, me pourrissait littéralement la vie.
Dans le monde d'aujourd'hui, il n'y avait pas de place pour tout le monde. Seuls les plus forts s'en sortaient, l'élite. Il fallait sans cesse se battre pour espérer un jour vivre, survivre. Les gens comme moi, qui ne rentraient pas dans l'un des moules prédéfinis par notre société – ni dans aucun autre moule d'ailleurs –, n'avaient que peu de chance de réussite.
Si la vie était une mer déchaînée, certains vogueraient sur ses flots, agiles marins que rien ne tourmente, tandis que d'autres s'y laisseraient misérablement couler. Mais moi, je ne voulais pas abandonner, alors j'essayais de nager dans cet océan de rancœurs. Des vagues s'abattaient sur moi, me renversaient et m'envoyaient de toute part, et je continuais à nager dans ces flots hargneux. Je voulais dompter cette peur handicapante dont je ne connaissais même pas le nom, comme un dresseur de fauves dompterait un lion enragé : avec courage.
Le pire dans tout cela, c'était que cette peur n'avait aucune raison d'être. J'avais des parents aimants – bien que parfois surprotecteurs –, un super petit frère, la meilleure amie dont tout un chacun rêverait, et j'en passais.
Alors, non, je ne savais pas pourquoi j'étais comme ça. Qu'avais-je donc fait au bon dieu pour qu'il me choisisse une peur pareille ? J'avais été méchante dans une ancienne vie ?
À chaque reproche que l'on me faisait, je restais de marbre, comme si rien ne me touchait. Une véritable statue de glace. Pourtant, ce n'était pas facile.
Il n'y avait qu'avec Lily que je m'autorisais à être vraiment moi même : du 100% pur jus d'Eloane. Oh, qu'est-ce que j'aurais donné pour que ma très chère rousse de meilleure amie soit à mes côtés !
— Tu seras privée de sortie, me dit sobrement mon père.
— Quoi ? m'écriai-je indignée en sortant de mon mutisme. Mais ça n'a rien à voir !
— Si tu n'avais pas mis autant de temps à venir ici, je n'aurais pas à imposer ces mesures drastiques pour m'assurer que tu ne fasses pas n'importe quoi ! Tu ne peux t'en prendre qu'à toi même, répliqua-t-il immédiatement.
Visiblement, le coup du «Je me suis perdue en forêt» n'avait pas marché. Il n'en avait pas cru un mot.
Ma mère lui lança un regard lourd de sens, elle n'avait pas l'air d'accord avec lui.
Vas-y maman, défends ta fille !
— Luc, je-
— Non Hélène, la coupa-t-il aussitôt. N'essaye pas de prendre sa défense.
— Et Lily ? repris-je.
— Quoi Lily ? s'agaça-t-il. Tu la vois tous les jours, non ? En plus, elle habite la maison d'à-côté !
Je fulminais intérieurement. De quel droit pouvait-il m'interdire de squatter chez ma meilleure amie jusqu'à pas d'heure ? D'accord, c'était mon père... mais quand même ! Lily n'avait strictement rien à voir avec ma «petite balade en forêt» ! Alors, certes, je voulais que mes parents croient que j'étais parfaite, mais je m'enflammais très vite. Et là, je bouillais littéralement, sauf que le moment était mal choisi pour répliquer étant donné que j'étais quand même un chouïa en faute. Peut-être que j'arriverai à négocier quelques mercredi après-midi chez Lily, et puis ce n'était pas vraiment un sortie puisqu'elle habitait juste à côté !
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Le trajet en voiture jusqu'à chez Mamm-gozh me parut plus long. Sans doute était-ce dû au fait que personne ne parlait. Même la radio était éteinte.
— Alors ma petite boule de neige, tu avais décidé de trouver Merlin à Brocéliande ? s'exclama ma grand-mère, les poings sur les hanches dans une attitude faussement sévère, dès que je fus sortie de la voiture.
C'était était une personne vraiment taquine, bien qu'à première vue on aurait pu penser le contraire. Elle n'était pas une de ces petites bonnes femmes replète qui gâtaient trop leurs petits enfants – qui devenaient au final d'insupportables gamins – et leurs passaient le moindre caprice. Non, Mamm-gozh n'était pas de cette engeance là. Son physique pouvait paraître sec et froid, avec son chignon tiré à quatre épingles et ses vêtements toujours impeccablement repassés – le jour où je la verrai en jogging, j'en ferai une syncope (et rien à voir avec le solfège) ! –, mais elle savait faire la part des choses.
J'avais hérité d'elle ses yeux bleus-verts extrêmement expressifs ainsi que son nez légèrement en trompette. Par contre, mes cheveux platines me venaient de ma mère. Parfois, Lily m'appelait «Eloane Malefoy», mais je répliquais aussitôt en l'appelant «Lily Potter» – ou «Lily Weasley», quand je voulais vraiment l'embêter – et elle s'arrêtait aussitôt de rire. À bien y réfléchir, je ressemblais plus à Luna Lovegood qu'à Drago Malefoy... mon dieu, étais-je réellement en train de me poser des questions au sujet de ma ressemblance avec les personnages d'Harry Potter ? L'air vicié du manoir avait dû me monter à la tête !
Je répondis finalement à ma grand-mère en bougonnant :
— J'aurais bien aimé le voir, ce fichu Merlin, mais, à la place, j'ai gagné une punition. Privée de sortie.
Elle fronça légèrement les sourcils.
— J'imagine que ton père, car ça ne peut être que lui pour avoir des idées pareilles, avait de bonnes raisons... d'ailleurs, tant que j'y pense, Luc, j'aurais besoin de te parler. Et à toi aussi, Hélène.
Il hocha la tête et entra dans la maison, suivi de ma mère et de ma grand-mère. Cette dernière nous envoya faire nos sacs avant même que Lucien et moi n'ayons pu avoir l'idée d'écouter leur conversation. Ce n'était pas comme si ça nous ressemblait en plus !
Je pris une douche rapide, ravie de me débarrasser de toute cette sueur accumulée dans la forêt, tout en veillant à bien laisser ma montre dans ma chambre. Il ne manquerait plus que je prenne une douche avec public et ce serait le pompon ! Ensuite, je me mis au travail. J'avais déjà quasiment terminé mon sac – en essayant de mettre tout ce que je pouvais dedans – et je ne mis que peu de temps à le boucler – en tassant bien. Je fus même étonnée qu'il puisse fermer. En revanche, en passant devant la chambre de Lucien, je vis que celui-ci était bien loin de fermer le sien. Des vêtements étaient éparpillés un peu partout dans la pièce et son lit était toujours défait de ce matin – mais avait-il déjà été fait depuis notre arrivée ? Rien n'était moins sûr...
— Bon courage Lulu, m'exclamai-je en passant la tête par l'embrasure de la porte.
— Dis, est-ce que tu pourrais m'aider s'te plaît ?
— Et puis quoi encore ! Il ne fallait pas me voler mon dessert hier soir, dis-je en lui tirant la langue de façon tout-à-fait puérile.
Je l'entendis se plaindre jusque dans les escaliers, que je m'empressai de dévaler.
— Vous devriez le leur dire, ils ont le droit de savoir. Vos enfants ont largement l'âge de faire leurs propres choix ! Lucien a bientôt quinze ans, sans parler d'Eloane qui est dans l'année de ses dix-sept ans, entendis-je dire Mamm-gozh.
Je m'arrêtai à l'entente de mon nom. Ils étaient dans le salon, et moi dans le couloir. J'hésitais – un millième de seconde – à écouter, car après tout c'était mal d'écouter aux portes, mais ma curiosité prit le dessus et je restais devant la porte entrouverte, à tendre l'oreille vers ce qu'il se disait dans la pièce. Serais-je en train de vivre le magnifique cliché de la personne qui apprend des détails croustillants en surprenant un conversation qu'elle n'était pas censée entendre ? Visiblement.
— Les Garcia s'interrogent, vous savez, surtout Diego, reprit ma grand-mère.
Attendez, Diego Garcia ? Comme la base américaine dans l'océan indien ? Le pauvre...
— Ses petits enfants sont tous à l'école des Quatre Saisons, même Gabin qui n'a que tout juste dix ans, et il tenait beaucoup à ce qu'Eloane y rencontre Tom dans le but d'un possible rapprochement, d'une alliance, ou je ne sais plus quel terme il a employé.
Mais, qui pouvaient être tous ces gens ? Des connaissances de Mamm-gozh, sans doute, mais mes parents semblaient les connaître alors que je n'en avais jamais entendu parler. Et, surtout, pourquoi auraient-ils voulu que je copine avec un certain Tom ? Et mon libre-arbitre dans tout ça, c'était quoi ? De la gnognotte ? Une broutille sans importance ? Ah non, foi d'Eloane, cela ne se passerait pas comme ça ! Je pouvais être bornée et têtue quand je m'y mettais et il était visiblement temps de leur rappeler que – en bonne bretonne que j'étais – je n'allais pas lâcher l'affaire ! On ne me forcerait pas à devenir amie avec môsieur.
— Il en est hors de question, la coupa mon père alors que j'allais entrer dans la pièce pour leur montrer de quel bois je me chauffais, et tu sais très bien pourquoi ! Je ne comprends même pas que tu ais gardé contact avec une personne pareille. Cet homme est fou à lier !
Zut, je sentais que mon nez allait bientôt commencer à couler et je ne pouvais décemment pas me moucher sans dénoncer immédiatement ma présence.
— Je sais Luc, je sais, reprit Mamm-gozh. Tu te doutes bien que je ne veux que son bonheur. Mais tu sais comment est Diego : quand il veut quelque chose, il l'a. Et ce qu'il voudrait, c'est resserrer les liens entre nos deux familles pour s'assurer de notre loyauté. Je suis persuadée qu'il se doute de quelque chose. Si je coupais tout contact avec lui, il viendrait aussitôt chercher des explications de lui-même. Et on ne fait pas déplacer Diego Garcia sans en payer les conséquences. J'essaye de leur en dire le moins possible mais il finira par découvrir la vérité et, à ce moment, votre fille devra être prête à se défendre.
Wow, si je m'attendais à ça... je ne savais pas quoi en penser. Et moi qui croyais que rien n'effrayait ma grand-mère, hormis les petites souris et les gros rats !
— Nous y réfléchirons, même si je pense qu'il est encore trop tôt, intervint brièvement ma mère. Merci de nous avoir prévenue.
Je remontai discrètement et, pensive, m'assis sur mon lit. Pourquoi nous – Lucien et moi – faisaient-ils autant de cachotteries ? Et puis, de quoi ma grand-mère voulait-elle que nous soyons au courant ? Était-ce grave ? Et finalement, qu'est-ce que me voulait ce Diego Garcia ? Ce mec avait besoin de consulter, parce que si même ma grand-mère avait peur de lui c'était grave !
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