❄ Chapitre 2 (partie 2)

Média : le manoir. 

Musique : thème de Game of Thrones par Luc Arbogast.


J'époussetai mon jeans, un réflexe, et regardai ensuite autour de moi. Tout était verdoyant, coloré par le souffle de vie du printemps, mais aucun signe de mes parents ou de Lucien. Soit ils ne s'étaient pas rendu compte que je ne les suivais plus, soit je n'étais plus dans la forêt de Brocéliande. Étonnamment, c'était la deuxième option qui me paraissait la plus probable...

Je me décidai à bouger lorsque je vis qu'Holly commençait à fureter un peu partout autour de nous en s'éloignant de plus en plus de l'arbre. 

— Holly, attends, on va suivre le chemin, dis-je en accompagnant le tout d'un mouvement de bras.

Tout en marchant sur le sentier, la petite chienne sur mes talons, je sortis mon téléphone de ma poche pour essayer d'appeler ma mère. Le boîtier sonna une fois contre mon oreille, d'un grésillement métallique et haché me faisant grincer les dents les unes contre les autres, puis une voix robotique qui se voulait féminine énonça :

«Votre correspondant est actuellement indisponible, veuillez laisser un mess-»

J'avais raccroché.

En regardant de plus près les indications en haut de mon écran, je vis que, évidemment, il n'y avait aucun réseau dans cette forêt ! Je remis l'appareil à sa place en soupirant. Du coup, je ne pouvais pas les appeler...
Du côté de Zéphyr, c'était silence radio. Je devais avouer que sa petite voix zozotante, bien qu'elle soit agaçante, me manquait un peu. Son côté Monsieur-je-sais-tout aussi.

Je profitai de ce cheminement silencieux pour observer Holly. Son pelage marron clair – beige, pour être plus précise – était clairsemé de saletés en tout genre. Ça allait du débris de branche à la feuille de chêne. Ce chien était un vrai attrape-poussière ! Pourtant, malgré son air que l'on pourrait qualifier de disgracieux, j'adorais cette boule de poils qui me rappelait mon cousin.

C'était un beau jour de printemps que celui-ci ; les feuillages bruissaient doucement sous la caresse du vent.
Je marchais le long du petit sentier forestier depuis cinq bonnes minutes déjà lorsque j'arrivai à l'orée d'une clairière.
Des nuages vinrent voiler le soleil jusque-là éclatant, plongeant le paysage dans un semblant d'obscurité. Le vent se fit plus frais et une odeur de pluie se mit à planer dans l'air. Le changement d'atmosphère se fit si brusquement que je ne pus réprimer un léger frisson de peur de me parcourir l'échine. J'avais froid dans mon T-shirt léger et mon simple jeans. Ce n'était clairement pas aussi prononcé qu'il y avait une dizaine de minutes, lorsque j'étais sortie du tronc d'arbre-escalier, mais assez pour me faire regretter de ne pas avoir mis de pull. Mes converses grises étaient tâchées de boue séchée. Je soupirai en pensant au temps qu'il me faudrait pour les faire partir, au minimum un quart d'heure. Une éternité quoi !

Ça m'apprendra, à ne pas mettre mes vieilles baskets pour une ballade en forêt !

Je balayai l'espace du regard. L'endroit était gigantesque pour une clairière perdue dans les bois : bien trois hectares en tout ! Je la contemplais, émerveillée par ce que j'y voyais. L'herbe haute bruissait sous des bourrasques de vent de plus en plus fortes. Ces mouvements me faisaient penser à ceux que faisait le vent marin sur la lande bretonne, chez ma grand-mère. Étrangement, j'aimais énormément me balader seule dans la plaine, lorsque le vent était déchaîné ou qu'il pleuvait, au lieu de lire bien au chaud sous ma couette. À chaque fois, je détachais mes cheveux pour pouvoir les sentir virevolter autour de mon visage et s'y échouer violemment. Je trouvais cela magique. D'une autre sorte que la magie que je voyais dans les livres, mais de la magie quand même. La puissance des éléments dans toute sa splendeur. C'était beau, ou du moins je trouvais cela beau.

Je n'avais pas le souvenir qu'il y ait une clairière d'une taille aussi importante que celle-ci dans la Forêt de Brocéliande... mais étudier les cartes n'était pas ma passion alors je laissais volontiers cela à mes parents. Et puis, si je n'étais plus à Brocéliande, cela expliquerait bien des choses, comme l'absence totale de réseau, le changement soudain de temps, ou encore une forêt différente !

«J'aimerais bien être ailleurs,» pensais-je «puisque j'ai toujours voulu découvrir le monde.»

Un craquement sonore retentit dans mon dos, comme si quelqu'un avait brisé une branche en marchant dessus. Je sursautai et me retournai vivement. Rien. Je plissai les yeux. Non, vraiment rien. À moins que... je tendis l'oreille, à la quête du moindre bruit suspect. À ce moment-là, Holly se mit à faire un remue-ménage pas possible en aboyant de toutes ses forces.

Mon cœur, qui semblait avoir couru un marathon, reprit se plus belle. Ce devait être un petit animal, pourquoi pas un écureuil ou un mulot, qui avait malencontreusement marché sur une brindille, la cassant du même coup ; et Holly l'avait repéré. Sauf que je m'imaginais les pires scénarios catastrophe à chaque fois, celle-ci ne faisant pas exception à la règle.
Je me tournai vers la petite chienne. Elle fixait la clairière en aboyant, ses oreilles tendues en avant et sa queue tire-bouchonnée redressée. Je m'accroupis à ses côtés et lui caressai le dos en chuchotant :

— Holly, du calme, ce n'est rien. Il devait y avoir un petit animal, pas de quoi s'inquiéter.

Je regardai de nouveau vers la clairière vide. Euh... attendez, j'avais dis une clairière vide, pas une clairière avec un manoir au milieu ! Cette situation me faisait penser aux caméras-cachées que je regardais avec Lucien et j'avais presque – je disais bien presque – envie de dire «C'est bon, sortez la caméra. Je sais que c'est une blague !». Sauf que si ce n'était pas une blague 1) j'aurais vraiment la honte, 2) je serais dans une situation très étrange, et 3) Zéphyr aurait eu raison de me dire qu'il fallait consulter – et je ne comptais pas lui donner raison ! 

En pensant à lui, ses paroles me revinrent à l'esprit. Alors c'était donc le fameux manoir ! À croire que cette voix était devin...

«C'est louche !» me dis-je intérieurement, tout en pensant que, si j'arrivais à résoudre cette enquête, je deviendrai peut-être la prochaine Sherlock Holmes – ou Professeur Layton, au choix.

Le bâtiment était superbe. Ses murs, d'un jaune doré et pâle à la fois, ressortaient et formaient un contraste saisissant face au toit classique en ardoises. Il avait deux étages, le deuxième étant dans la sous-pente. Je n'aurais su déterminer s'il était habité ou non car les rideaux étaient tirés à toutes les fenêtres sauf à l'une de celles du dernier étage. Pourtant, derrière les grilles closes, l'herbe était franchement moins haute que dans la clairière.

J'aurais certainement dû être effrayée par ce manoir qui venait d'apparaître – en tout cas plus que par mes délires intérieurs – mais je n'y arrivais pas. Quelque chose me disait que je n'avais rien à craindre de la bâtisse. Peut-être son air accueillant, bien que je parlais ici d'un manoir perdu en pleine forêt et à l'air inhabité.

«En même temps, z'est un BÂTIMENT, Elo !»

— Chut conscience, dis-je vexée que quelqu'un soit au courant de tous mes états d'âme.

«Ze suis Tic-Tac, pas ta conzienze !» râla la voix.

— Ouais ouais... répondis-je pour le faire taire. Mais, ce n'est pas Zéphyr ton p'tit nom ?

«Pas tout le temps.»

— Tu sais que tu es compliqué comme petite voix ?

Il ne me répondit pas.

— C'est ça, va bouder tout seul dans ton coin de cerveau. Et puis, de toute façon, je m'en fiche ! dis-je haut et fort en quittant l'abri protecteur des arbres pour fouler l'herbe folle.

«Zi tu le dis.»

Je ne lui répondis pas, il l'avait cherché !

J'eus soudain l'impression de ne rien diriger, d'être un pantin que l'on baladerait d'un endroit à un autre selon son bon désir. Mes jambes ne m'obéissaient plus, ne m'appartenaient même plus. Elles avançaient toutes seules d'un pas, puis deux, sans que je puisse faire quoi que ce soit. Elles vivaient en quelque sorte leur propre vie.

Je me retrouvai les pieds dans les herbes, à quelques mètres du couvert des arbres. Serais-je hypnotisée ? Je n'en savais strictement rien, je n'avais conscience que d'une chose : il me fallait atteindre ce manoir, coûte-que-coûte.
Holly était là aussi, je distinguais les herbes onduler à son passage.

Un grognement rauque interrompit l'état léthargique dans lequel j'étais plongée. Il ressemblait étrangement à un raclement de gorge, mais en plus puissant et en continu. Un peu à la façon d'Holly lorsqu'elle était en colère – même si elle ne l'était que très très rarement.

Je me tournai doucement vers la source du bruit. Comme pour avoir tout le temps de me préparer à ce qui allait inéluctablement suivre. Et j'eus raison de prendre mon temps car ce que je vis me fit un choc tel que mon cœur en rata un battement ; le pauvre, la journée n'était pas de tout repos...

Un loup noir me fixait de ses yeux étranges en grondant férocement. Il semblait être entouré de ténèbres, et l'absence de soleil ne faisait que conforter mon idée que tout, autour de lui, était obscur. Seuls ses yeux brillaient d'un éclat mystérieux, d'un éclat violet. J'étais tétanisée par la peur, elle me retenait les deux pieds accrochés au sol, scotchés à l'herbe.
Un loup noir aux yeux violets, et qui m'arrivait approximativement juste en-dessous de la poitrine... j'avais l'impression d'être entrée dans l'univers d'Alice au Pays des Merveilles. Mais pourquoi avait-il fallu que je tombe sur cette bête-là et non sur le lapin ? Il aurait été bien plus sympathique avec sa montre-à-gousset, son petit veston, et ses grands yeux roses remplis de terreur à l'idée d'être en retard ! Au contraire de ce loup féroce dont les griffes et les crocs étaient un petit peu trop aiguisés à mon goût.

Il avait beau être à plusieurs dizaines de mètres – peut-être une trentaine – de moi, je pouvais bien sentir que ces mêmes crocs et griffes n'étaient pas là uniquement pour la décoration mais qu'il pourrait très bien s'en servir contre ses proies. Et, en l'occurrence, il avait une proie dont je me serais bien passée : moi !

J'avais toujours très peur mais, pourtant, ce fut elle qui me donna des ailes, et le courage de faire un pas sur le côté, vers le manoir.

Le loup bondit vers moi.

Sans prendre le temps de réfléchir, je me mis à courir le plus rapidement possible vers le bâtiment. Ses grilles en fer étaient mon salut. Il me fallait les atteindre. Elles retiendraient bien le loup, non ?

J'attrapai Holly au passage. Hors de question que cette adorable boule de poils serve d'en-cas à un loup enragé, surtout que mon cousin ne me croirait pas si je lui disais que son chien s'était fait bouffer par un loup, si je m'en sortais !

Le bâtiment n'était pas très éloigné, un petit sprint et j'y étais. Malheureusement, malgré sa petite taille, Holly n'était pas un poids plume.
Mes jambes, déjà peu épargnées par les escaliers, me lançaient maintenant douloureusement à chaque nouveau pas. Je pouvais presque entendre leurs petites voix me crier «Mais arrête-toi ! Et puis, franchement, dans tous les cas tu finiras en casse-croûte pour loup chelou alors maintenant laisse-nous nous reposer !» à chaque fois que je posais un pied au sol.

Bonjour le soutien, même mes propres membres me lâchent !

Je poussais sur mes jambes, prenant sur mes réserves, pour rejoindre ces satanées grilles. Et, comme Usain Bolt, je courais plus vite que le vent pour atteindre mon objectif. Je souris à cette idée, j'étais Usain Eloane Bolt, coureuse qui allait – peut-être, car rien n'était moins sûr – réussir à battre un loup à la course !

Allez Elo, tu peux le faire ! T'as déjà battu Lily à la course à pieds, alors pourquoi pas un loup ?

L'herbe me fouettait les mollets ; le vent me giflait les joues ; j'avais un loup enragé qui voulait manger mes doigts de pieds en brochette juste derrière moi. Et pourtant, je continuais à courir. Je courais comme si ma vie en dépendait (bon, c'était peut-être aussi le cas...).

Enfin, j'atteignis les grilles. Elles étaient d'un fer forgé vraiment très travaillé, une œuvre d'art, mais je n'avais pas le temps de m'y attarder car j'étais malheureusement légèrement pressée – sans exagération !

J'attrapai l'un des barreaux de métal dans ma paume – le contraste froid-moite était pour le moins saisissant – et je tirai d'un coup sec dessus. La grille s'ouvrit sans aucune difficultés. Je ne perdis pas un instant pour jeter Holly à l'abri dans le petit parc du manoir.

Il me sembla que la petite chienne couinait de douleur, mais je n'en étais pas bien sûre. Le sang qui battait dans mes tempes était si puissant qu'il camouflait tous les autres bruits. Je n'entendais plus que lui. Le grincement lugubre des battants que je claquais, en rabattant le loquet juste avant que l'animal ne vienne s'y échouer violemment, me parvint à peine, comme un simple bruit de fond.

Le loup grogna et me fusilla de son regard si particulier. Violet et perçant. Colérique aussi.
Il s'écarta d'un bon mètre de la grille et m'observa. L'animal semblait jauger son adversaire.

Je m'approchai jusqu'à poser les mains sur la grille, de part et d'autre du loquet. Ce loup me fascinait. Il y avait une sorte d'aura puissante qui se dégageait de lui, mais aussi de l'imprévisibilité. À peine avais-je intégré cela qu'il bondit à nouveau sur la grille, les crocs pointés vers mes doigts qui dépassaient. Je retirai brusquement mes mains, ce qui me fit déraper sur la terre sèche, entre deux pavés du chemin.

Alors que je tombais, un froid intense me parcouru les bras jusqu'à venir mourir au bout de mes doigts gelés.

Je ne savais pas ce qu'il s'était passé, tout avait été si vite, trop pour que je comprenne. Seulement le temps d'un battement de cœur.
Cependant, je n'étais pas idiote. Il y avait forcément un lien entre mes doigts gelés et le loquet à présent prit dans la glace.

C'est à cet instant que je pris peur.

J'avais toujours voulu vivre des choses extraordinaires, mais je n'étais pas préparée à cela. Personne ne m'avait expliquée comment réagir lorsqu'une voix se mettait soudainement à venir nous taper la discute dans notre propre cervelle, ni quoi faire lorsque l'on se mettait à geler des choses sans faire exprès.

Je ne suis pas prête. Il est trop tôt pour moi. Bon sang, je ne suis qu'une enfant !

Je ne voulais plus voir cette glace qui emprisonnait la serrure, ni le regard indéchiffrable de ce loup tout droit sortit d'un conte pour enfants. Je ne désirais plus qu'une seule chose : discuter de tout et de rien avec Lily, bien au chaud sous ma couette ! Elle, au moins, me dirait que je lisais trop de livres, ou alors qu'il fallait que j'arrête de me droguer aux films de magie. Sauf que Lily n'était pas là, et que j'étais bien loin de ma couette douillette !

Sans perdre un instant de plus, je m'élançai en courant le long de l'allée, vers la bâtisse, Holly peinant à suivre mon rythme. Certaines dalles étaient déchaussées, ce qui ralentissait ma course contre moi-même. Je ne voyais pas de lumière au rez-de-chaussée, ni dans toute la maison. Il y avait des plates-bandes disposées sous les fenêtres mais elles avaient l'air laissées à l'abandon. Rien de bien accueillant, en somme.

Pour accéder à la porte, je dus monter quelques marches. Les nuages avaient fini par laisser le soleil tranquille et repartir ; l'astre solaire étincelait de nouveau dans le ciel azuré – agrémenté de nuages cotonneux –, illuminant de rayons ardents l'immensité de la forêt.

Seule une chose gâchait le paysage : le loup noir. Celui-ci venait encore une fois de se jeter sur les grilles, essayant de les ouvrir. Mieux valait pour moi qu'il ne passe pas...

Il me sembla distinguer un héron dans le ciel, arrivant à vive allure vers le manoir.

Ne me dîtes pas qu'il voudrait aussi me manger, celui-là !

Les grilles ne tiendraient peut-être pas très longtemps, malgré la glace, il fallait donc que je me mette à l'abri. Je n'avais jamais vu un animal aussi acharné envers sa proie, surtout que les loups étaient censés avoir peur des hommes... c'était décidément incompréhensible !

J'actionnai la poignée de la porte d'entrée, qui céda sans aucune difficultés. Poussant la lourde porte d'une main, je fis signe d'entrer à Holly de l'autre. Le battant s'ouvrit dans un grincement sinistre, comme un oiseau de mauvais augure. Je frissonnai mais, n'ayant pas vraiment le choix, j'entrai dans le manoir. 


NdA :

- Comment avez-vous trouvé ce chapitre ?

- Des hypothèses pour la suite ?

- Qui aime Holly ?

- Qui ne l'aime pas ?

- Et Zéphyr et Eloane ?

- Vos avis sur le manoir ? Sur le loup ? Sur la glace (du grillage) ?

Korrigan ♧

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