❄ Chapitre 2 (partie 1)

Musique : Musique celtique composée par Adrian von Ziegler

Chapitre 2
Le GML, plus communément appelé Grand Méchant Loup

Dans une forêt, lieu inconnu
16 avril 2017

Il était vraiment étonnant de constater comme le temps pouvait avancer au ralenti, voire à reculons, à certains moments et à une vitesse affolante à d'autres.

Ce genre de choses m'arrivait régulièrement au lycée, pendant les cours, et j'en étais toujours la première surprise. Deux heures d'histoire me paraissaient toujours aussi longues qu'une seule de physique-chimie. Tout comme deux heures de sport par semaine semblaient trop peu par rapport aux deux heures d'allemand qui passaient à la vitesse d'un escargot boiteux.

Le temps était un ressort qui pouvait aussi bien s'étirer à l'infini que faire une course effrénée avec son ombre.

Mais il y avait actuellement quelque chose de bien plus étrange que cette course à ressort du temps : je voyais comme en plein jour alors qu'aucun éclairage n'était visible dans le tronc. On aurait dit qu'il s'illuminait de l'intérieur, un peu à la façon des champignons fluorescents. La lumière venait de partout et de nulle part à la fois. Mais le plus extraordinaire restait quand même que j'étais à l'intérieur d'un arbre... j'étais en train de monter un escalier dans un tronc, et cela me paraissait normal ! Enfin, normal, façon de parler... disons plutôt que je m'accommodais de la situation. Cela me semblait surnaturel, tant du point de vue technique que physique. C'était comme si je nageais en plein rêve. Un magnifique songe dans lequel il m'arrivait des choses extraordinaires.

En réalité, j'espérais que ce ne soit pas un rêve, que je ne sois pas en train de dormir. Ce serait merveilleux ! J'avais toujours voulu vivre les mêmes aventures palpitantes que les héros des romans que je dévorais comme des petits pains. Ils étaient tous si chanceux et n'en avaient pas toujours conscience. J'aurais aimé être une sorcière comme Harry Potter, vivre à l'époque de Jane Austen pour échanger des piques avec Mr Darcy ou encore survoler Westeros à dos de dragon avec Dænerys Targaryen. Mais tout cela m'était inaccessible puisque je n'avais pas reçu ma lettre pour Poudlard, que je vivais au XXIème siècle et que j'étais sur la planète Terre.

Il aurait été plus sage de ma part de me convaincre que c'était le soleil qui me faisait croire des choses plus hallucinantes les unes que les autres, mais je n'étais pas sage. Je préférais toujours écouter mon cœur à ma raison, vivre ma vie avec passion.

J'étais persuadée que je ne dormais pas pour la simple et bonne raison que jamais, mais vraiment jamais, je n'aurais rêvé qu'Holly s'amuse à me léchouiller la main. S'il y a bien une chose dont j'étais certaine : c'était de ça !

— Holly, arrête ça tout de suite, sinon tu finis le chemin sur tes quatre pattes ! la prévins-je.

La petite chienne sembla comprendre la menace puisque je ne sentis plus sa langue baveuse sur le dos de ma main.

— Gentille petite, lui dis-je en caressant le haut de son crâne.

Je m'arrêtai un instant pour reprendre mon souffle puis, le plus naturellement du monde, je questionnai la petite voix dans ma tête :

— Zéphyr, encore combien ?

« Combien de quoi, Hermine ? »

— Eloane.

« Quoi Eloane ? » râla-t-il.

— Je m'appelle Eloane, pas Hermine, dis-je en me laissant tomber en position assise sur une marche.

« D'accord, d'accord, ze tâcherai de m'en zouvenir... » bougonna-t-il.

— Et donc encore combien ?

Holly me regardait bizarrement. Je devais avoir l'air folle ainsi, à parler toute seule.

« Il faut être plus prézise, zi tu veux une réponze prézise. Ze peux te dire combien il rezte de feuilles zur zet arbre, ou alors combien de grains de pouzzière il me rezte à balayer avant d'avoir fini de faire le ménaze, ou encore com... »

— C'est bon, j'ai compris, l'interrompis-je. Combien est-ce qu'il me reste de marches à gravir avant de sortir de cet escalier de malheur ?

« Le mot mazique ? »

S'il avait été en face de moi, j'étais sûre qu'il aurait fait une petite moue angélique pour m'amadouer.

— Nan, mais c'est une blague ?! m'exclamai-je, désespérée. T'es venu jusque dans ma boîte crânienne dans quel but, au juste ? Parce que, là, j'aurais plutôt tendance à croire que j'ai fâché le bon Dieu pour devoir te supporter...

« Z'attends touzours le mot mazique. »

— S'il vous plaît, ô voix étrange qui hantez mon esprit, dîtes-moi combien il me reste de marches à gravir avant de sortir de ce fichu escalier... dis-je avec provocation.

« Ze préfère za... plus que zent deux. »

— Encore cent deux tu veux dire...

« Ne zois pas auzzi pezzimizte, voyons, tu as dépazzé la moitié. Et puis, tu es en bonne compagnie ! »

— Si tu le dis. Quoiqu'avec Holly, je ne risque pas de m'ennuyer !

« Pfff... »

— Allez, ne soit pas jaloux, je viens te chercher, lançai-je en me relevant, ma bonne humeur retrouvée.

« Ze ne zais plus zi z'ai hâte, finalement. » 

— Tant pis pour toi, m'sieur petite-voix-télépathe ! (Je frottai mon pantalon pour en enlever la poussière avant de m'adresser à ma fidèle boule de poils :) En avant, Holly, on a un énergumène à rejoindre !

Je la posai doucement au sol et la petite chienne se mit à grimper les marches les unes après les autres, de ses pattes courtes et potelées.

Mes pieds franchirent enfin la dernière marche. Je posai mes mains sur mes cuisses pour reprendre mon souffle, courbée en deux et à moitié avachie sur la rampe d'escalier. Mes jambes me brûlaient au moins autant que ma respiration était sifflante.

Holly, en pleine forme, reniflait l'entrée.

Après avoir repris tant bien que mal mon souffle, je me redressai.

— Mais qu'est-ce que c'est que ce bazar ? dis-je d'une voix plus rauque que d'habitude.

Je me trouvais exactement au même endroit qu'au début : dans un arbre et au pied d'un escalier. Le trou dans le tronc, de la même forme que celui que j'avais traversé précédemment, était également bouché par de grosses fougères. C'étaient exactement les mêmes que lorsque j'étais en bas de l'escalier... et pourtant, j'avais bel et bien monté ce satané escalier, mes cuisses s'en souvenaient ! J'aurais dû être au sommet de l'arbre, non ?

C'était à n'y rien comprendre.

Il m'arrivait tant de bizarreries aujourd'hui que j'en vins à penser que j'étais entrée dans Alice au Pays des Merveilles, avec son univers loufoque et les choses étranges qui s'y déroulaient.

«T'as pris une TéléPorte !» intervint Tic-Tac, ou Zéphyr (ses parents n'avaient pas réussi à se décider sur un prénom ?) «Comme z'est un anzien modèle, z'est un ezcalier. Mais les plus rézents zont zous la forme d'azcenzeurs, ou même d'une zimple porte !»

— Mais oui, bien sûr, dis-je sceptiquement. Et ça sert à quoi, ta TéléPorte ?

Aussitôt après l'avoir posée, je regrettai ma question.

«Bah à te téléporter !» répliqua-t-il comme s'il s'agissait d'une évidence – et il avait bien raison.

Déjà que j'entendais une voix dans ma tête (et pourtant je m'appelais Eloane, pas Jeanne !), là c'était le pompon... finalement, j'étais peut-être bien dans Alice au Pays des Merveilles.
J'avais tout de même du mal à le croire. Pas que je ne le veuille pas, bien au contraire, mais s'il devait arriver quelque chose de fantastique à quelqu'un ce ne pouvait pas être moi la personne en question. Dans les livres, c'est quelqu'un d'extraordinaire à qui il arrive quelque chose d'extraordinaire. Moi j'aurais plutôt été une figurante, comme cette personne qui passe dans la rue, ou cet élève dont on ne sait rien et qui d'ailleurs ne nous intéresse pas plus que ça.

Je voulais croire Zéphyr, vraiment. Je désirais plus que tout au monde qu'il me soit arrivé quelque chose de fantastique. Et pourtant, les plus beaux rêves sont souvent ceux que l'on fait la nuit, bien au chaud dans son lit. Je ne voulais pas croire cette voix crânienne (comment l'appeler autrement...) puis me faire réveiller comme tous les matins par mon pire cauchemar, alias mon réveil, et réaliser que tout cela n'était qu'un rêve de plus dans un tableau déjà bien garni.

J'étais pessimiste, il n'y avait aucun doute là-dessus.

Si Lily avait été à mes côtés, je savais pertinemment ce qu'elle m'aurait dit : «Tu sais quoi ma vieille ? Carpe diem ! Et puis, comme dirait Antoine de Saint Exupéry : Fais de ta vie un rêve, et d'un rêve, une réalité. Alors t'as plutôt intérêt à te bouger si tu veux vivre un rêve. Parce que là t'es vraiment mal barrée !»

Et elle aurait eu bien raison !

«Lorzque tu verras un manoir, rentres-y ! Z'ezpère que tu cours vite... et avant que tu me dises qu'il n'y a pas de manoir dans zette forêt, tous les chemins y mènent. Tu le trouveras forzément !» me dit Zéphyr avant de se taire.

Je m'avançai prudemment vers l'embrasure de la porte, fichée dans le tronc, Holly sur mes talons. Cependant, alors que j'allais écarter les crosses des fougères pour passer, je fus prise d'un doute. Et si je ne passais toujours pas ? Et si j'étais vouée à rester éternellement dans un tronc d'arbre, avec pour seule compagnie un petit chien (certes mignon, mais un chien quand même) et une voix zozotante ? L'horreur !

Sans réfléchir un instant de plus, je projetai ma main en avant tout en fermant les yeux. Elle passa. Je souris de contentement et de soulagement mêlés. D'un pas décidé je franchis la limite – ou du moins je me retrouvai le nez dans les fougères, mais hors du tronc. C'est ici que commença la partie délicate de l'opération, car il me fallait me glisser entre les tiges épaisses en longeant le tronc pour enfin me retrouver dans la forêt à proprement parler. 

Une brise fraîche vint me caresser la joue, aussi douce et légère qu'une plume, en passant au travers des fougères : le vent de la Liberté (sans exagération) !

L'odeur du printemps, très différente de celle de sève qui régnait dans le tronc, m'emplit à nouveau les narines.

J'allais me tourner pour vérifier qu'Holly me suivait lorsqu'un mal de tête me prit. Sonner le gong dans mon cerveau m'aurait fait le même effet qu'en cet instant : une intense souffrance.
Qui était le crétin qui s'amusait à utiliser un marteau piqueur dans ma boîte crânienne ? Parce qu'il allait m'entendre !
Je me trouvais sur le pas de la porte, à moitié ensevelie sous les plantes, et mon mal de tête tambourinait dans mon crâne comme une grosse migraine. Un étau m'enserrait le crâne, je voyais trouble. Je me tenais la tête, espérant arrêter ce mal qui me prenait. Rien n'y fit.

Je me sentis vaguement tomber à terre, au pied du tronc.

Mon royaume pour un Doliprane !

À travers mes yeux remplis de larmes, j'aperçus Holly, plus que je ne la sentis, me renifler craintivement le bras.

Maintenant, j'avais froid.
Un frisson incontrôlé courut le long de ma colonne vertébrale tandis que mes bras nus se couvraient de chair de poule. Plus j'avais froid, et plus ma migraine diminuait.

Quitte à choisir entre avoir mal à la tête et mourir de froid, je préférais encore la première option...

Mes dents claquèrent les unes contre les autres. Une fois. Deux fois. Trois fois. Tout cessa aussi rapidement que ça m'était apparu.
Je posai ma main sur l'écorce rugueuse du tronc pour me relever. Ma tête tourna un peu. Sans doute l'un des effets de ce qu'il venait de m'arriver.

Le vent joua dans mes cheveux détachés alors que le soleil formait un vitrail aux mille éclats sur mon visage.

Je chassai du dos de la main les sillons creusés par les larmes sur mes joues.

— Ne t'inquiète pas pour moi fripouille, ce n'était qu'un simple malaise, dis-je à Holly pour la rassurer.

Au regard sceptique qu'elle me lança, j'en déduis que je n'avais pas été du tout crédible. Tant pis...


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