❄ Chapitre 16 (partie 2)
Média : Lily Davis
Musique : The wolf and the moon
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Après quelques instants de silence, je repris mon sérieux. C’est alors que quelque chose d’évident, mais que je n’avais pourtant pas remarqué, me sauta aux yeux :
— En fait, tu ne me fais pas confiance à cause de ma famille, c’est ça ?
Elle se rembrunit. Même ses yeux me semblèrent plus foncés.
— Pas seulement… murmura-t-elle sombrement. Tu connaissais déjà cet endroit avant, n’est-ce pas ?
— Oui, admis-je, et toi tu es le loup qui m’a couru après.
Elle opina. Comme quoi, nous n’avions pas vraiment commencé sur de bonnes bases…
— Puisque tout est clair, dit-elle alors en se levant et en commençant à faire les cent pas dans la pièce tout en agitant ses bras, est-ce que tu peux m’expliquer ce que tu faisais là ? Pourquoi est-ce que tu étais dans le monde des Enchanteurs alors que tu étais censée ne rien connaître dessus, ne même pas savoir qu’il existait ?
— C’est pour ça alors ! m’exclamai-je, ahurie, en me levant à mon tour. C’est pour ça que tu ne me faisais pas confiance !
Elle s’arrêta de cheminer dans toute la pièce et se contenta de me regarder de cet air sévère qu’elle savait si bien faire.
— Eloane, s’il-te-plaît, réponds à ma question.
— Je n’ai pas menti, me défendis-je avant de m’avancer vers le piano au centre du salon, je ne savais rien du monde des Enchanteurs à ce moment-là.
— Alors qu’est-ce que tu foutais là ?
Elle n’avait pas bougé. Moi, par contre, je marchai jusqu’à atteindre le piano puis je me mis à tracer des arabesques, du bout du doigt, dans la poussière qui s’était déposée sur le plateau noir de l’instrument.
— Je suis passée par hasard par une TéléPorte, et je me suis retrouvée sur ton chemin. Après, je me suis réfugiée dans le manoir pour éviter de finir en pâté pour loup, si tu vois ce que je veux dire, et puis voilà, racontai-je tout en continuant mes dessins.
— Juste au moment d’une mission secrète, qui d’ailleurs n’était pas si secrète que ça puisque les Traqueurs en avaient connaissance ?
Je relevai brusquement les yeux de mon chef-d’œuvre et braquai mon regard dans le sien.
— Je te dis que je n’en savais rien, insistai-je.
Elle s’avança jusqu’au bord du piano, les mains sur les hanches, et me lança ironiquement :
— Donc j’imagine que si je te demande comment tu as réussi à t’enfuir, tu me diras que tu as croisé par hasard le chemin d’une TéléPorte et qu’elle t’a ramenée chez toi, encore une fois par hasard.
— Cette fois-ci, marmonnai-je en baissant de nouveau les yeux vers mon dessin de poussière, ce n’était pas par hasard. Il a bien fallu que Zéphyr me guide un peu…
— Zéphyr ?
Je croisai son regard interrogateur et eus un sourire goguenard. Ça m’étonnerait qu’elle n’ait jamais entendu parler de lui. Peut-être qu’elle ne connaissait pas son nom, mais elle savait au moins qui il était. J’en étais sûre et certaine.
— Mon ami lutin. Tu sais, celui qui passe son temps à se goinfrer de brioches aux pralines et qui zozote.
Elle fronça les sourcils puis se dirigea vers le canapé pour s’y asseoir. En chemin, elle me fit remarquer :
— Il y a quelque chose d’illogique dans tout ce que tu me dis là, Eloane. Comment est-ce qu’il aurait pu être avec toi puisque tu n’avais jamais été dans le monde des Enchanteurs, et que d’ailleurs tu n’en avais jamais entendu parler ?
Elle s’assit dans le canapé, toujours le vert bouteille, et attendit ensuite que je m’explique. Ma réponse ne fut pas longue à venir.
— En fait, je l’ai rencontré dans le manoir, expliquai-je en m’asseyant sur le siège du piano, dans la même position qu’elle auparavant – une jambe de chaque côté –, échangeant ainsi nos places. Avant, il ne faisait que me parler dans la tête. Et encore, depuis une dizaine de minutes à peine !
Son visage était indéchiffrable. Si ça n’avait pas été Anastasia devant moi, j’aurais pu croire qu’elle méditait. Sauf que la brune avait très souvent un visage indéchiffrable pour masquer ses émotions et que je la voyais mal méditer.
— Et ton Zéphyr, il ne connaîtrait pas un certain Oracle, par hasard ?
— Évidemment, puisque c’est lui. En tout cas, c’est comme ça qu’il s’est présenté à moi…
Je ne vis rien venir. Absolument rien. C’est pourquoi j’eus un mouvement de recul lorsque je me retrouvais avec une Anastasia foribonde debout juste devant moi.
— C’est une blague j’espère ! tonna-t-elle, son regard se durcissant de plus en plus. Eloane, dis-moi que c’est une blague !
— Quoi ? Quel est le problème ? m’enquis-je en n’osant pas me lever mais en soutenant quand même son regard, pour ne pas perdre la face.
Je savais par expérience qu’elle détestait qu’on détourne le regard lorsqu’on avait fait une faute – ou juste qu’elle nous reprochait quelque chose, même si nous n’étions pas forcément en tord. Elle prenait ça pour une marque de faiblesse et de couardise. Et comme j’avais l’habitude de me disputer avec elle… eh bien j’avais fini par le comprendre, à mes dépens.
— Le problème ? railla-t-elle en secouant la tête, ce qui fit virevolter ses longs cheveux noirs. Elle ose demander quel est le problème ? (Elle haussa le ton.) Eh bien je vais te le dire, moi, le problème : ça fait des mois qu’on cherche cet Oracle, qu’on essaye de le trouver avant la Conspiration, et toi tu débarques en pleine intervention, tu l’emportes avec toi et quand tu rejoins la Résistance tu ne nous dis même pas qui il est !
— Pour ça, répliquai-je immédiatement en me levant et en me retrouvant nez-à-nez avec elle – ou presque, puisqu'elle était plus grande que moi –, il aurait peut-être fallu que vous me disiez que vous le cherchiez. Je n’en savais rien moi ; à chaque fois, tu m’écartes de toutes les réunions un tant soit peu importantes !
Elle me fusilla du regard pendant dix bonnes secondes, souffla puis se rassit. Je repris ma place sur la banquette du piano et attendis sa réaction. Ça ne lui ressemblait pas d’abandonner.
— Tu as peut-être raison, soupira-t-elle.
Anastasia se prit la tête entre les mains. Elle serra son cuir chevelu avant de passer ses doigts dans ses cheveux et de relever enfin son visage vers moi.
— Le principal, c’est qu’on l’ait trouvé. Il faudra que tu ailles lui dire d’aller voir Arcturus dès qu’on rentrera. Je pense qu’il t’écoutera… en tout cas plus que si c’était moi qui le lui demandais.
— Ça c’est sûr, chuchotai-je.
— C’est important, ajouta-t-elle en voyant que je n’étais pas très convaincue, il sait plus de choses que quiconque sur ce globe. Des choses qui pourraient nous permettre de réussir un coup d’état et de remettre la monarchie en place.
Ah ouais, carrément !
Il cachait bien son jeu, dissimulé comme il l’était derrière ses lunettes immenses, ses petites tâches de rousseur craquantes et son humour mortel – littéralement. Si j’avais su, je lui aurais demandé de me souffler les réponses pendant les contrôles, surtout ceux de Mr. Breton. Après tout, s’il savait plus de choses que quiconque sur ce globe, il devait bien avoir quelques notions de mathématiques, non ?
Par contre, je ne comprenais pas pourquoi ils voulaient remettre la monarchie en place. C’était pourtant elle qui avait fini par faire des jaloux et engendrer la Conspiration de l’Été.
— Pourquoi pas quelque chose de plus équitable qu’une monarchie ? proposai-je.
Elle me regarda curieusement. Il fallait dire que je passais un peu du coq à l’âne en abordant ce sujet.
— C’est-à-dire ?
Je tentai donc d’expliquer mon idée le plus clairement possible :
— Tel qu’il était installé, le régime politique favorisait une saison par rapport aux autres. Celui d’aujourd'hui fait l’inverse, il veut éliminer cette même saison pour ne garder que les trois autres. Ce qu’il faudrait, c’est quelque chose d’équitable, avec un représentant de chaque saison pour s’assurer que l’une d’entre elles ne soit pas désavantagée par rapport aux autres.
Anastasia réfléchit un instant.
— Ce serait envisageable, je n’avais pas vu ça sous cet angle. C’est une idée à mûrir, mais ce n’est pas bête. Pas bête du tout même !
On frappa à la porte et la brune se redressa immédiatement, aux aguets, tandis que je me tournais vers l’entrée. Trois coups brefs suivis d’un plus long après un instant de silence.
Les Traqueurs ne se donneraient quand même pas la peine de frapper, si ? Seraient-ils civilisés ?
Anastasia soupira de soulagement et je vis son visage se détendre aussi vite qu’il s’était crispé.
— C’est bon, ce sont eux, dit-elle en se levant.
Elle alla ouvrir la porte et une tignasse rousse fit son apparition dans l’encadrement. Ma Lily, c’était ma Lily.
— Eloane ! cria ma rousse préférée.
À peine eus-je le temps de me lever qu’elle se faufilait déjà entre Anastasia et le mur et qu’elle me sautait dans les bras. Son parfum de rose, qui la suivait sans cesse, assaillit mes narines et j’eus enfin l’impression d’être chez moi, en sécurité.
C’était quand même dingue tout ce qu’un simple parfum pouvait vous faire ressentir !
Il suffisait que ma meilleure amie, ma sœur de cœur, soit là pour que toute la tension qui m’habitait depuis le début de cette fichue mission disparaisse.
Du coin de l’œil, j’aperçus Fred, aux côtés d’Anastasia, qui nous observait avec ce qui me semblait être un mélange entre du malice et de la tendresse.
— Si j’avais su que ça se passerait comme ça, je ne t’aurai pas laissée partir, me souffla ma meilleure amie dans le creux de l’oreille. Ou plutôt, je ne t’aurai pas laissée partir sans moi !
Je ris. C’était du Lily tout craché.
— T’as intérêt à tout me raconter, m’intima-t-elle en me relâchant.
— Ne t’inquiète pas pour ça, j’ai de quoi contenter ta curiosité, lui répondis-je en ne rigolant qu’à moitié.
Je me demandais quelle allait être sa réaction lorsque j’allais lui dire ce qu’il m’était arrivé. Après ça, elle voudrait m’accompagner dans chaque mission, comme la grande sœur poule qu’elle pouvait être ; et peut-être même qu’elle irait botter les fesses d’un Traqueur ou deux au passage, juste pour être sûre d’avoir bien fait les choses.
— On ferait mieux d’y aller, intervint Fred, ce qu’Anastasia approuva, on ne sait jamais ce qui peut nous tomber dessus.
Il nous fit un signe de la main qui semblait dire «En route mauvaise troupe, suivez-moi !» et retourna dehors. Anastasia nous tint la porte pour passer en dernière et fermer derrière nous. Je suivis Lily mais, au moment de franchir le seuil, la brune tendit son bras juste devant moi pour me bloquer le passage. Alors que j’haussai un sourcil mi-étonné et mi-suspicieux, elle me glissa à voix basse :
— Au fait, je sais que j’aurais dû te le dire avant, mais : merci de ne pas m’avoir abandonnée !
Oh, ce n’était pas un aveu larmoyant, dans lequel on aurait presque pu entendre des violons jouer un air mélancolique, loin de là même. Après tout, on parlait quand même d’un aveu d’Anastasia, à qui le nom de code «Icy» n’avait pas été donné au hasard. Pourtant, il y avait une sorte de sincérité dans sa voix et dans ses yeux qui me convainc qu'admettre qu'elle avait eu besoin d’aide lui coûtait.
— De t’avoir sauvée la vie, tu veux dire, ma chère Anastasia, la corrigeai-je avec un sourire goguenard.
Elle enleva son bras de mon passage puis, l’ombre d’un sourire au coin de la bouche et les yeux rieurs, elle finit par avouer :
— On peut dire ça, oui.
J’haussai les épaules en conservant mon sourire. Elle pouvait jouer les reines des glaces si ça l’amusait, avec moi ça ne marcherait plus. Je voyais bien, à présent, qu’elle n’était qu’un gentil nounours en guimauve qui ne s’assumait pas, avec sa coque en chocolat pour camoufler son cœur tendre.
J’allais continuer mon chemin pour retrouver Fred et Lily, qui étaient déjà arrivés à la grille et nous y attendaient, quand elle agrippa mon bras et ajouta :
— Au fait… tu peux m’appeler Ana, si tu veux.
Elle me sourit, un vrai sourire franc et non une petite mimique forcée, et ferma la porte en ignorant mon air ébailli. Elle venait clairement d’enterrer la hache de guerre !
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