❄ Chapitre 15 (partie 3)

Média : Anastasia

Musique : The sound of silence


Anastasia arriva enfin à la porte du temple, presque en même temps que moi, qu'elle ouvrit à peine, juste de quoi s'y faufiler.

Je la suivis mais, au moment d'entrer, je jetai un dernier coup d'œil derrière moi... et je n'aurais pas dû. Ce regard brun, encore et toujours le même, me cloua sur place. Mais qu'est-ce qu'il m'arrivait, bon sang de bonsoir ? Je n'étais plus maître de mon propre corps ou quoi ? Pourquoi est-ce qu'il me perturbait autant ?

Je n'aime pas ça. 

L'homme croisa mon regard et ses yeux se vissèrent dans les miens. L'éclat déterminé et vainqueur qui traversa ses pupilles à cet instant me fit peur.

Voyant que je ne bougeais pas, Anastasia me tira à l'intérieur et referma violemment le battant.

— Bouge-toi un peu, me cria-t-elle. Le but, c'est quand même de ne pas se faire attraper !

Elle posa ensuite ses mains sur la porte. Je la regardai, le souffle court, en essayant de me remettre de mes émotions. Elle avait raison. Je ne savais pas ce qui m'avait pris.

Un mur de glace commença à monter depuis le sol, pour boucher l'entrée du temple. Elle utilisait son pouvoir pour les empêcher de nous suivre.

Il montait rapidement et avait atteint la hauteur de mes genoux quand un grand coup fit trembler la porte.

— Bon, fit-elle, espérons que ça tienne...

Elle m'ordonna ensuite de la suivre et s'élança dans le temple. Nous n'avions pas une seconde à perdre.

Je regardai ce qui m'entourait plus attentivement, tout en courant à la suite de la brune, encore une fois. L'entrée était assez sombre. Il y avait des colonnes de pierre un peu partout dans la salle, disposées en ligne, comme dans les églises ou les temples grecs. Elles formaient une allée qui partait de la porte et s'enfonçait dans la montagne. Derrière les piliers, à quelques mètres d'eux, la roche nue saillait. Quelques nervures de glace étaient visibles dessus, comme si de l'eau avait coulé là mais qu'on avait arrêté de chauffer la pièce et qu'elle avait gelé. Une lumière bleutée, entre le glacier et le canard, et tamisée provenait de cercles qui faisaient le tour de chaque colonne, en bas et en haut, et du fond de la pièce. L'ambiance était apaisante, quoique glaciale, mais ne suffisait pas à calmer les battements rapides et irréguliers de mon pauvre cœur.

Sur le sol, les dallages de pierre formaient un dragon blanc, enroulé sur lui-même et avec les ailes déployées, entouré de flocons tout aussi blancs que lui. Il semblait veiller sur le temple. On le retrouvait d'ailleurs enroulé autour des colonnes, en statues dans des niches creusées à même la roche de la montagne, et un peu partout autour de nous. Ce dragon, je l'avais appris par Lily au cours d'une de nos discussions, c'était Hiver, le déesse de la glace. Les Quatre Saisons, divinités des saisonniens, étaient représentées par des dragons : vert pour Printemps, jaune-orangé pour Été, marron pour Automne, et blanc pour Hiver.

Nous venions d'atteindre le fond de la salle, où une statue d'un dragon et d'une jeune femme, à ses côtés, d'un blanc éclatant trônaient magistralement, lorsqu'une explosion me coupa dans mes réflexions et me projeta à terre. Des éclats de glace et de bois volèrent de tous les côtés. J'avais le poignet et le genou droit douloureux, et une belle bosse violacée promettait d'apparaître sur mon crâne. En me relevant tant bien que mal, je vis qu'Anastasia avait été propulsée plus loin que moi. Elle avait dû perdre connaissance en percutant une colonne et gisait à présent par terre, près du mur, dans l'ombre de la roche irrégulière.

Je regardai derrière moi, en direction de là où aurait dû se trouver la porte. Sauf que de ladite porte, il ne restait plus que les gonds qui pendaient tristement vers le sol. Les vandales, ils l'avaient fait sauter !

Je me retournai vers l'endroit où était Anastasia. À côté d'elle, un couloir s'enfonçait dans la montagne. J'avais encore le temps de fuir par là. Je pourrais me débrouiller pour retourner au QG ensuite, en utilisant la TéléPortable que j'avais dans la poche intérieure de ma veste. Je regardai le couloir, puis Anastasia, le couloir, Anastasia... je ne pouvais quand même pas l'abandonner ! Je m'en voudrais énormément sinon, et elle aussi, par la même occasion.

Oh et puis zut, j'allais leur montrer de quel bois je me chauffais, à ces satanés Traqueurs de malheur ! Je n'étais pas non plus une pauvre petite créature sans défense : je savais plus ou moins bien manier mes pouvoirs et j'avais quelques années d'auto-défense derrière moi – sans compter les entraînements qu'Aurore et Fred m'avaient fait subir.

Le temps que je me décide, ils étaient quasiment à mon niveau. Il ne fallait surtout pas qu'ils voient Anastasia, au moins le temps qu'elle reprenne connaissance et qu'elle soit de nouveau en état de leur faire la misère. Rapidement, je me décalai vers la gauche en faisant un pas en avant, pour les éloigner de la brune. Cela sembla marcher puisqu'ils s'arrêtèrent juste devant moi. L'un d'eux, celui qui nous avait interpellés dans la rue, était resté à côté de l'entrée – pour la garder et éloigner les curieux ou pour éviter que je ne veuille m'enfuir par là ?

Monsieur-yeux-marrons était face à moi. Pourquoi est-ce que ça n'aurait pas pu être lui, celui qui restait à l'entrée ? Mais non, sinon ça n'aurait pas été drôle...

— Où est l'autre ? lança une femme au carré brun et aux yeux marrons à sa droite.

— Pouf, évaporée, fis-je en mimant un nuage avec mes mains.

Elle s'avança d'un pas en me foudroyant de ses orbes sombres.

Même pas peur ! Bon, peut-être juste un chouïa...

— Espèce de petite-

— Assez ! tonna Monsieur-yeux-marrons en mettant son bras en travers de son passage. Fouillez la salle de fond en comble, en commençant par l'entrée pour que l'autre ne s'échappe pas par là, et retrouvez-la moi ! Et faîtes attention, elle s'est peut-être transformée !

— Et toi ? lui demanda la fille.

— Je m'occupe d'elle.

Après avoir dit cela, il s'avança vers moi. Son attitude de leader me fit prendre conscience de quelque chose et tous les petits détails que je n'avais pas vus – le fait qu'il soit habillé différemment, qu'il commande les Traqueurs censés n'obéir qu'au roi et à son bras droit, qui était leur chef – me sautèrent à la figure. Ce n'était pas un Traqueur, et ce n'était même pas un mercenaire. Ce n'était pas non plus le bras droit du roi, une espèce de grosse brute chauve et tatouée. Non, lui, c'était l'une de ces têtes hautes placées dans la hiérarchie du royaume, qui avaient obtenues l'amitié et les faveurs du roi et qui en profitaient bien. Par contre, le fait qu'il soit là restait un mystère pour moi.

Ses comparses firent ce qu'il disait. Je n'avais pas beaucoup de temps avant qu'ils ne trouvent Ana. Il fallait que je me débarrasse de lui, que je la réveille, qu'on s'échappe, et que...

— Alors, murmura-t-il dangereusement, trop proche de mon visage pour que je ne m'en inquiète pas, elle est où ta copine ?

— Là où tu n'es pas, lançai-je courageusement.

Je levai le menton pour me donner contenance et plantai l'océan de mes yeux dans le chocolat des siens.

Il s'avança encore plus, jusqu'à ce que nos visages ne soient plus qu'à une quinzaine de centimètres l'un de l'autre et que nos corps se frôlent. Je ne dis rien. J'attendais juste sa répartie.

— Tu es bien présomptueuse, pour quelqu'un qui cache son visage derrière un masque, me fit-il remarquer.

— C'est peut-être pour cacher ma laideur que je fais ça, ou alors parce que je ne veux pas que tout le monde sache que j'aie un bec de lièvre... mais je pourrais te retourner la remarque.

— Je n'en crois rien, murmura-t-il en ignorant ma pique. Je pense plutôt que tu ne veux pas qu'on sache qui tu es, et j'avoue que ça me donne follement envie de savoir qui se cache derrière ce masque.

Il avança sa main vers mon visage, dans le but d'enlever mon masque et de baisser mon col, et je paniquai. Je faisais quoi là ? Je le changeais en glaçon ? Non, mauvaise idée. J'avais été poursuivie parce que j'étais une résistante, mais s'ils savaient qu'en plus j'étais une fille de l'Hiver... ça sentirait le roussi pour moi aux quatre coins du royaume.

Au secours !

Comme si ma prière avait été entendue, une grondement rauque résonna dans toute la pièce, suivit d'un cri. Je tournai vivement la tête vers la source du bruit. Il y avait un loup noir dans le temple. Plus précisément, il y avait le loup noir. Celui avec les yeux violets. Celui du manoir des Wolf. Et plus aucune trace d'Anastasia. Mais alors...

— An... commençai-je avant de me couper. Icy !

Quelle cruche, j'avais failli l'appeler par son vrai prénom !

En m'entendant, elle lâcha le bras de la Traqueuse, qu'elle tenait entre ses crocs, et se tourna dans ma direction. Ses yeux violets s'écarquillèrent en me voyant. Elle grogna en retroussant ses babines quand la fille l'attaqua et lui bondit dessus, littéralement.

La Traqueuse, la brune aux yeux marrons de tout à l'heure, gémit et tenta de se défaire de l'emprise qu'Anastasia avait sur son bras, mais chaque mouvement ne faisait qu'aggraver ses blessures et enfoncer les crocs du loup plus profondément dans ses chairs.

Sans que je ne comprenne ce qu'il m'arrivait, je me retrouvais le dos contre un torse, un bras autour de la gorge et l'autre qui m'encerclait le ventre. Par les sept enfers... comment j'en étais arrivée là déjà ? En d'autres circonstances, j'aurais pu trouver ça agréable, si seulement il serrait moins fort mon cou, si ça avait été quelqu'un d'autre et si nous n'étions pas dans deux camps opposés. Je poussai un cri de douleur lorsqu'il serra plus fort encore son bras contre mon cou.

— Eh ! Le loup ! s'écria celui qui m'empêchait de bouger, à savoir Monsieur-yeux-marrons en personne. Lâche Hannah si tu ne veux pas que ta copine finisse avec la nuque brisée !

Anastasia s'arrêta immédiatement et retomba sur ses pattes en grondant férocement tandis que la Traqueuse, Hannah, s'éloignait en tenant son bras contre elle avec un rictus de douleur sur le visage. La louve planta son regard améthyste dans le mien et j'en profitai pour lui indiquer le couloir des yeux. Elle secoua la tête. Si on m'avait dit un jour qu'Anastasia refuserait de m'abandonner, je ne l'aurais pas cru... je levai les yeux au ciel puis lui indiquai le couloir des yeux une nouvelle fois.

— On fait moins la maline maintenant, à ce que je vois, me chuchota-t-il dans le creux de l'oreille.

«Si un garçon t'embête, il faut taper là où ça fait mal !» m'avait dit ma grand-mère, une fois où on m'avait tiré les cheveux, en primaire. C'est pourquoi je répliquai sur le même ton :

— Tu n'inverserais pas les rôles, à tout hasard ?

Et ensuite, à l'aide de mon pied, je tapai là où ça fait mal.

L'effet fut immédiat : il me lâcha et se plia en deux. Un bon coup dans l'entrejambe, il n'y avait rien de mieux pour lui remettre les idées en place ! Je n'attendis pas qu'il aille mieux ou que les autres Traqueurs rappliquent et je bondis vers le couloir, Anastasia à ma suite.

— Bien joué, me dit-elle en reprenant forme humaine tout en courant.

Je ne pris pas la peine de répondre et me contentai de courir aussi vite que mes jambes me le permettaient, malgré ma douleur au genou suite à ma chute.

Le couloir débouchait sur une petite salle, un cul-de-sac. Je sortis immédiatement une TéléPortable – une TéléPorte sous forme de parchemin, pour pouvoir la transporter – de la poche intérieure de ma veste et la tendis à Anastasia pour qu'elle la programme. Je ne vis pas la destination qu'elle y entra, juste le nombre de passagers : deux ; les Traqueurs ne pourraient ainsi pas nous suivre.

Des bruits de cavalcade se firent entendre dans le couloir. Ils arrivaient. Trop tôt à mon goût, j'avais toujours les poumons en feu.

Anastasia étendit la TéléPortable sur le sol à la va-vite. Elle n'était pas très grande, à peine la taille d'une feuille A3. Ça devrait le faire... ou, plutôt, ça devait le faire.

— Lune, vite ! me hurla-t-elle avant sauter dedans et de disparaître entièrement, TéléPortée.

Au moment où sa tête passa de l'autre côté du passage, deux Traqueurs déboulèrent dans la pièce, celui aux yeux marrons en tête. Sans aucune hésitation, je sautai à pieds joints dans la TéléPorte. À peine entendis-je un cri de rage que j'étais déjà de l'autre côté.


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