❄ Chapitre 15 (partie 2)

Média : ruelle de Longaville

Musique : Two steps from Hell de Protectors of the Earth

Elle indiqua rapidement à Eliza ce qui allait se passer et ce qu'elle devrait faire, c'est-à-dire nous suivre en silence et ne pas attirer l'attention, et nous sortîmes de la maison le plus discrètement possible, au cas où un voisin – même s'il ne devait pas y en avoir des tonnes dans cette impasse – aurait eu la brillante idée de jeter un coup d'œil par la fenêtre. Nous repartîmes aussi vite que nous étions arrivés.

Nous nous fondions dans la pénombre de la ruelle comme des caméléons professionnels. Il y avait si peu de lumière ici que même Eliza et Zoé passaient inaperçues, alors qu'elles n'avaient pas nos super-tenues-spéciales-mission-secrète.

Nous devions retourner de là où nous étions venus, passer par une TéléPorte et la mission se terminerait. Pour cela, il fallait sortir de cette ruelle, passer par la grande rue et aller jusqu'au temple troglodyte de la déesse Hiver. Là-bas nous serions tranquilles, au moins le temps de passer par une TéléPorte.

Sans heurts d'aucune sorte, je croise les doigts.

La ville était organisée de façon à ce que la rue principale, la «grande rue», aille du temple à l'autre bout de la ville, en descendant le flanc de la montagne sur laquelle elle était établie. Une autre avenue, perpendiculaire à l'autre, longeait les habitations troglodytes. Le carrefour de ces deux rues était le temple. En dehors de ces deux axes de circulations principaux, le reste de la ville n'était que ruelles, petites rues et places dissimulées entre les maisons. Un tiers de la ville était entièrement sur la montagne mais je ne savais pas grand chose dessus.

Fred, qui était en tête de notre groupe, s'arrêta soudainement, alors que nous allions débouler dans la grande rue – celle qui montait jusqu'au temple.

— Mauvaise nouvelle, chuchota-t-il précipitamment en se retournant face à nous, y'a des Traqueurs dans la rue.

Les yeux de la rousse, où se mélangeaient peur et appréhension, se remplirent cette fois-ci de terreur. À côté d'elle, Anastasia restait de marbre ; elle avait certainement déjà vu pire. L'éclat de doute qui traversa furtivement ses yeux, presque trop rapidement pour que je fus absolument certaine de ce que j'avais vu, me permit de savoir que ce n'était pas normal. En plus, c'était une mission plutôt «bateau» pour les résistants, et Arcturus ne m'y aurait pas affectée, pour ma première mission, si elle avait comporté le moindre risque. Lily m'avait dit qu'avant de nous envoyer sur quelque chose de grande envergure, il voulait d'abord vérifier qu'on avait les capacités – et le mental – pour cela. Donc, non, vraiment, ce n'était pas normal ! Malheureusement, je n'y pouvais rien.

— On fait quoi ? m'enquis-je en chuchotant également.

Anastasia jeta un coup d'œil dans la rue avant de se tourner vers notre petit groupe.

— Ils ne sont pas sur notre passage et ils ne se dirigent pas vers nous, commenta-t-elle, ils descendent la rue. (Elle jeta un nouveau coup d'œil et prit un air sombre.) Par contre, ils ont l'air de chercher quelqu'un ou quelque chose.

Elle rabattit sa capuche d'un geste sec du poignet et vérifia que son masque était bien en place avant de finir :

— Ça sent mauvais pour nous.

Tout le monde garda le silence. Mince, pourquoi avait-il fallu que le temple soit si éloigné de notre ruelle ! Ça aurait été plus simple de rentrer à la base à partir de la maison d'Eliza et Zoé. Sauf que, pour des raisons de sécurité, il ne fallait pas... je leur en donnerais, moi, des raisons de sécurité ! Grâce à elles, il y avait des Traqueurs dans le secteur !

— On n'a qu'à faire deux groupes, prêts à se séparer si jamais on est repérés, proposai-je. On fait comme on avait prévu, mais si les Traqueurs nous interpellent, quelqu'un va avec Eliza et Zoé jusqu'au temple, et les accompagne jusqu'au camp, et les deux autres font diversion.

Fred approuva immédiatement et se désigna d'office pour aller au temple, ce qu'Anastasia accepta en disant qu'il serait le plus apte à protéger deux personnes en plus de lui – petite remarque qui était surtout faite pour me lancer une pique.

Moi aussi je sais me défendre, madame, et pas seulement à l'aide de mes pouvoirs !

J'étais contente que mon plan soit accepté. Qu'Anastasia ne dise pas que je ne servais à rien, après ça !

Nous allâmes dans la grande rue, en essayant d'être naturels. Fred, Eliza et Zoé devant, et Anastasia et moi juste derrière eux.

Cela marcha plutôt bien ; jusqu'à ce que, alors que nous n'étions qu'à deux cent mètres à peine de la porte du temple, un autre groupe de Traqueurs sorte d'une ruelle, juste derrière nous, et nous interpelle immédiatement :

— Eh, vous, un instant !

Nous fîmes comme si de rien n'était et qu'ils ne s'adressaient pas à nous.

— Eh, les gens avec les habits noirs ! Arrêtez-vous !

Là, par contre, ça ne pouvait être que nous.

Je lançai un regard à Anastasia, puis à Fred, qui s'était reculé à notre niveau. Il hocha imperceptiblement de la tête en répondant à mon regard et chuchota à Eliza de courir dès qu'il le lui dirait. Il lui proposa également de prendre Zoé avec lui, pour qu'elle puisse courir plus vite. Elle réfléchit rapidement puis opina et lui glissa sa fille dans les bras. Elle savait que la petite ne craignait rien avec lui. Si nous avions voulu lui nuire, nous ne serions tout simplement pas venus la chercher. Et puis le brun avait un côté rassurant, avec ses grands yeux marrons remplis de douceur et sa peau caramel, signature de ses origines du sud de la contrée de l'Été.

Je remis mon masque bien en place sur le bas de mon visage pour être sûre qu'il ne tombe pas malencontreusement et replaçai dans ma capuche une mèche pâle qui s'en était échappée.

— Eh, je vous parle là ! cria une nouvelle fois la même voix.

— Maintenant ! s'écria Fred en lui coupant presque la parole, et ils s'élancèrent jusqu'au temple en courant le plus rapidement possible.

Pendant ce temps, Anastasia et moi nous retournâmes comme un même homme vers les Traqueurs.

Aïe.

Ils étaient cinq, plus du double de nous, et ils n'étaient qu'à une quinzaine de mètres. Ça s'annonçait mal.

Il ne fallait surtout pas que leurs potes de l'autre bout de la rue rappliquent, sinon ce serait mission impossible.

Grâce à leur carrure, je pus voir qu'il y avait deux femmes et trois hommes. Ils étaient tous habillés dans un marron très foncé avec trois traits jaune-orangé, resserrés en haut et qui s'écartaient de plus en plus vers le bas, comme pour former un triangle, sur leur ventre. La couleur et le symbole d'Été. Juste avant de partir, Aurore m'en avait parlé. C'était la tenue officielle des Traqueurs, celle qu'ils mettaient lorsqu'ils effectuaient des patrouilles en ville. Ils avaient aussi une bande de tissus, de la même couleur que les traits, sur le front.

Tous étaient ainsi, sauf un homme, qui était en noir, juste en noir. Sans symbole sans bandeau, sans jaune-orangé et, peut-être pour se démarquer encore plus, c'était le seul dont on ne voyait pas le visage. En fait, sa tenue ressemblait beaucoup à la notre, ne serait-ce que par son masque et sa couleur, sauf qu'il n'avait pas de capuche et que ce n'était pas un résistant.

L'un des hommes, certainement celui qui nous avait interpellés, voulu courir à la poursuite de Fred, Eliza et Zoé, mais celui en noir l'arrêta d'un geste en disant :

— Laisse Naël, ce ne sont que des fuyards de l'Hiver, ils ne savent rien. On va plutôt capturer les deux résistantes. Pas question de les laisser s'échapper.

En disant cela, il ne nous avait pas lâchées du regard. J'avais l'impression qu'il me fixait plus particulièrement, mais je devais me faire des idées.

De lui, je ne voyais que le haut du visage. En réalité, s'il y avait quelque chose d'autre de visible, je ne le vis pas. La seule chose que je regardais, ou plus exactement que je ne lâchais pas des yeux, était les siens. De là où j'étais, ils me semblaient marrons, mais je n'en étais pas sûre. J'étais loin, alors je pouvais très bien me tromper. Pourtant, il y avait quelque chose d'indescriptible dans son regard. On aurait dit qu'il me sondait d'un seul coup d'œil et qu'il arrivait à voir mon visage en entier, alors même que celui-ci était camouflé jusqu'au dessus du nez.

Son regard était de ceux qui questionnaient, de ceux qu'on gardait en mémoire parce qu'ils nous avaient perturbés. Je ne me souvenais pas d'en avoir déjà croisé un pareil. Pourtant, si je ne me trompais pas, ses yeux étaient tout bêtement marrons. Comme ceux de mon frère qui n'avaient jamais eu un effet particulier sur moi. En fait, ce n'était pas tant la couleur de ses yeux qui m'étonnait mais l'intensité de son regard. J'avais l'impression de me retrouver dans la peau de Juliette Capulet face à son Roméo Montaigu. Sauf que je n'étais pas Juliette et que, sauf preuve du contraire, il n'était pas Roméo.

Et aussi, minuscules détails qui faisaient toute la différence : je ne l'avais jamais vu avant, je ne l'aimais pas et, surtout, il était avec les Traqueurs.

Je ne savais pas pourquoi est-ce qu'il me regardait comme ça. Pourquoi moi, et pas Anastasia, avec ses yeux violets ?

Non mais, sérieusement, qu'est-ce que j'aie pour qu'il me fixe ? J'ai déchiré mes habits sans faire exprès ? J'ai une énorme tâche sur le front ?

Quelques secondes passèrent et je me sentis gênée d'être ainsi le centre de son attention. Dès que je détournai le regard, il ordonna à ses acolytes :

— Attrapez-les !

Il me regardait toujours, j'en étais sûre. Comment le savais-je ? Je n'en avais pas la moindre idée... mais j'en étais persuadée. Je le sentais.

Anastasia me prit le bras et nous nous mîmes à courir jusqu'au temple comme si nous avions la mort à nos trousses – ce qui, en soit, n'était pas totalement faux. Normalement, Fred devait être partis avec les deux autres.

Notre rôle n'était que d'empêcher les Traqueurs de les attraper. Maintenant, il fallait juste éviter qu'ils ne nous capturent. Je courrai vite sur les pavés enneigés.

S'il-vous-plaît Hiver, dieu du chocolat, ou je ne sais pas qui, faîtes que je ne trébuche pas sur une plaque de verglas !

À cause de l'altitude, mon souffle devint vite brûlant dans ma gorge, et le mélange du froid et du vent me piquait les yeux. Anastasia ne semblait pas dans un meilleur état que moi. Heureusement, l'adrénaline qui voltigeait dans mes veines me permettait d'aller plus vite. Toujours plus vite. J'avais toujours été bonne à la course mais là je devais être en train de battre mes records.

Je les entendais dans mon dos. Ils se rapprochaient de plus en plus.

Je me décalai brusquement sur le côté pour éviter un chariot qui descendait la rue et grand bien m'en fit car, au moment où je m'écartai, je sentis un rayon ardent me frôler la joue.

— Hannah, non, il nous les faut vivantes ! entendis-je quelqu'un crier derrière moi.

Ils étaient près, bien trop près.

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