❄ Chapitre 15 (partie 1)

Musique : The Arena de Lindsey Stirling

Chapitre 15
Monsieur-yeux-marrons

Longaville, contrée de l'Hiver, Royaume des Quatre Saisons,
10 juin 2017

— Allez Lune, ne reste pas plantée là bêtement, bouge-toi ! aboya Anastasia en faisant voler sa chevelure ébène. Et cache mieux tes cheveux, c'est pas commun d'en avoir des blancs !

Mes cheveux n'étaient pas blancs mais blonds platines, et ce n'était pas la même chose ! Elle pouvait parler, elle, avec ses cheveux noirs...

Je remis quand même dans ma capuche la mèche qui s'en était échappée, en souriant à l'entente de mon nom de code. Lune. C'était Théophane qui me l'avait trouvé et je le trouvais tout bonnement génial – le nom de code... et Théo aussi ! Il avait dit que c'était pour rappeler à la fois ma pierre et la couleur de mes cheveux clairs.

— On se calme, le roquet, marmonnai-je tout en me faufilant dans la ruelle.

Cela faisait un mois et demi que j'étais entrée dans la Résistance, et autant de temps que je supportais ses remarques tantôt désobligeantes tantôt sarcastiques. Je ne savais pas pourquoi elle ne m'aimait pas et prenait un soin si particulier à me le montrer. À croire qu'elle m'avait prise en grippe à l'instant même où elle m'avait vue. Lily aussi trouvait ça bizarre. Selon elle, Anastasia était toujours méfiante envers les nouvelles recrues mais elle finissait par arrêter assez rapidement – au bout de deux à trois semaines maximum. C'était incompréhensible.

Au fur et à mesure que le temps passait, mes parents s'étaient fait à l'idée que je refuse de rester là sans rien faire. En réalité, c'était mon père qui avait eu le plus de mal à l'accepter. Il avait pourtant dû me laisser faire. Peut-être que, au fond, il comprenait mes arguments ; et peut-être même qu'il les approuvait.

Mon frère aussi voulait entrer dans la Résistance, mais à mon avis il prenait tout ça pour un jeu, il ne comprenait pas tous les enjeux qu'il y avait derrière cette organisation. C'était aussi sûrement pour cela que mes parents n'avaient pas tenu à ce que ses pouvoirs soient débloqués. Ils attendaient qu'il grandisse un peu et gagne en maturité.

J'aurais aimé que Lucien puisse apprendre à utiliser ses pouvoirs, pour pouvoir se défendre convenablement dans le cas où des Traqueurs viendraient squatter chez nous. D'un autre côté, j'étais soulagée qu'il ne le puisse pas. Je ne voulais pas qu'il soit en danger. Je voulais le protéger.

Aujourd'hui, j'allais en mission pour la première fois, et ni Lil's ni Théo n'avaient eu le droit de m'accompagner. À la place, je me coltinais la reine des glaces – pour ne pas dire la reine des garces. Le pire dans tout ça, c'était qu'elle était vraiment gentille... mais pas avec moi. Elle l'était avec Lily, avec Théo, avec Aurore, avec Sterenn, avec Kath, avec Frédéric, etc, sauf quand j'étais dans les parages, bien évidemment. Et là, je me retrouvais avec Fred et elle, pour une petite mission d'exfiltration.

Heureusement que je n'étais pas toute seule avec elle, d'ailleurs, sinon j'aurais fini par ne plus me contrôler. Lui, c'était un fils de l'Été, un taureau, avec qui j'avais sympathisé très rapidement. Il s'occupait de mes entraînements quand Aurore ne pouvait pas et se comportait comme un papa poule avec moi même s'il n'avait qu'une trentaine d'années – trente deux, de ce que m'avait dit Lil's. Les disputes incessantes que nous avions, Anastasia et moi, l'agaçaient au plus haut point – tout comme la majorité de la base.

Je le suivis dans la ruelle tandis qu'Anastasia – Icy – fermait la marche, quelques pas derrière moi, en vérifiant qu'on ne nous suivait pas. Cette fille était paranoïaque.

Nous nous arrêtâmes devant une maison encore plus miteuse que la ruelle sur laquelle elle donnait. Les carreaux et les murs étaient sales et recouverts de glace. Fred poussa la porte, qui s'ouvrit dans un grincement sinistre, et nous entrâmes. Je remis en place ma capuche et mon col, qui cachait le bas de mon visage.

— Okay, s'exclama-t-il, Lune et Icy, vous allez les chercher. Pendant ce temps, moi, je monte la garde derrière la fenêtre. (Voyant que nous ne bougions pas de l'entrée, il ajouta avec agacement :) Allez, dépêchez-vous, plus vite ce sera fait et plus vite on pourra retourner à la base !

Sur ces bonnes paroles, il nous poussa vers le centre de la pièce et referma immédiatement la porte.

L'intérieur était vieillot, dans un sale état, et n'était visiblement pas habité depuis longtemps, si on s'en fiait à la belle épaisseur de poussière et aux tâches de moisissure disséminées un peu partout sur le sol, les murs et les meubles – peu nombreux. Il y avait une table et un banc, tous les deux en bois brut, au milieu de la pièce, et une cheminée en face de l'entrée, à l'autre bout. Un escalier partait du coin gauche et montait vers l'étage supérieur – certainement la chambre. J'avais du mal à m'imaginer des gens vivre ici. Pourtant, c'était bel et bien le cas puisque c'était là qu'avait été fixé le point de rendez-vous. Il y avait des enfants de l'Hiver, une femme et sa fille, et nous devions les ramener avec nous dans une base dédiée aux personnes qui, comme elles, étaient recherchées par les Traqueurs. La grand-mère de Théophane en était à l'origine puisqu'elle avait commencé à recueillir et à protéger des enfants de l'Hiver avant que le boss ne prenne les choses en main et ne créé un camp spécial pour eux, caché quelque part dans le royaume. Par la suite, certains y restaient, s'enfuyaient dans le monde des humains ou intégraient la Résistance.

Je ne comprenais pas pourquoi le gouvernement et ses Traqueurs mettaient autant d'acharnement à vouloir tous nous exterminer – ou au moins nous capturer, bien que l'issue en soit tout aussi funeste. Qu'avions-nous fait ? Certes, les anciens monarques étaient tous des enfants de l'Hiver, mais il en avait toujours été ainsi. Était-ce parce que les enfants de l'Hiver naissaient avec leurs pouvoirs alors que ceux des autres saisons ne se déclenchaient qu'à leur dixième anniversaire ? Seraient-ils jaloux ?

Personne ne le savait. Même pas le boss. Ou du moins c'était ce qu'il disait...

— Dépêche-toi, on ne doit pas perdre la moindre seconde ! m'exhorta Anastasia de son air le plus glacial. Et tâche de ne pas provoquer une nouvelle catastrophe !

Elle faisait sans nul doute référence à la fois où mon dessert avait malencontreusement volé à l'autre bout du réfectoire, ou alors celle où j'avais glacé toute la salle d'entraînement en apprenant à maîtriser mes pouvoirs. Ou tout le reste ?

Heureusement pour elle, maintenant, je contrôlais bien mes pouvoirs – en tout cas mieux que lors de l'incident de la-salle-d'entraînement-est-gelée-à-cause-de-Eloane, c'était certain.

— Tu m'expliques un peu le plan, chef, dis-je en appuyant volontairement sur le dernier mot, avec une ironie à peine camouflée, et en m'avançant vers le milieu de la pièce tandis que Fred surveillait les alentours.

— Premièrement (elle dégaina son pouce), on descend au sous-sol, on récupère la mère et sa fille, et on remonte ici avec elles. Deuxièmement (elle souleva son index), on rejoint Fred et on part d'ici en quatrième vitesse.

— Comme Flash, marmonnai-je.

Elle me regarda bizarrement et je crus bon d'ajouter :

— Flash l'escargot évidemment, pas Flash le paresseux.

Elle leva les yeux au ciel. En voilà une qui avait grandi sans dessins animés...

— Et enfin, fit-elle en commençant à descendre l'escalier grinçant, le point le plus important : troisièmement, tu me suis et surtout tu évites les initiatives. On est là pour les ramener en vie, et nous avec, par la même occasion, pas pour se casser une jambe.

— Oui chef, bougonnai-je en la suivant néanmoins.

Peut-être qu'un morceau de chocolat la dégèlerait ? Ça réglait tous les problèmes, le chocolat !

Nous descendîmes en silence, seulement accompagnées par les grincements sinistres de l'escalier. Je ramenai mes bras contre mon corps en frissonnant. Il ne faisait pas chaud ici, loin de là même ! Nous étions au fin fond de la contrée de l'Hiver, pas très loin de la Citée des Murmures, l'ancienne capitale, dans une petite ville à moitié troglodyte : Longaville. Forcément, ici, même en juin il faisait froid !

Si j'avais su la température avant d'être sur place, j'aurais plus insisté pour ne pas porter la tenue moulante de mission d'exfiltration. Ils étaient restés branchés sur les vieux films d'espionnage – ou les Totally spies –, les résistants qui avaient conçus ces tenues, ou quoi ? Parce que, aux dernières nouvelles, un pantalon, des bottes hautes et une veste – le tout étant moulant et noir, pour que «on ne puisse pas attraper nos habits et qu'on se fonde dans les ombres» –, ce n'était pas très discret. Il n'y avait que la capuche, le pull à col roulé et le masque à placer sur le bas du visage qui étaient utiles, pour camoufler notre identité.

Le sous-sol, comme l'avait appelé la brune, n'était qu'une pièce exiguë en béton avec un matelas dans un coin, un chauffage électrique ridiculement petit juste à côté, quelques bocaux qui devaient être leur stock de nourriture et une ampoule qui pendouillait du plafond. Sur le matelas, la mère et sa fille étaient emmitouflées dans des couvertures pour essayer de ne pas avoir trop froid. Le fait qu'elles aient pu avoir de l'électricité dans cette maison relevait déjà du miracle, si on prenait en compte l'allure de ce qui était au-dessus.

En nous voyant débarquer dans leur refuge, la mère serra plus fort la petite entre ses bras. J'avais l'odorat obstrué à cause du masque mais je n'en avais même pas besoin pour sentir l'odeur de leur peur ; que je comprenais tout à fait. Je m'approchai en levant les mains en l'air, dans un signe de paix. Les deux paires d'yeux me suivirent jusqu'à ce que je m'arrête enfin, à deux mètres environ du matelas.

— Nous sommes de la Résistance, dis-je en essayant de moduler ma voix pour ne pas les affoler d'avantage. Nous avons reçu votre appel au secours et nous sommes ici pour vous emmener dans un camp de réfugiés qui, comme vous, sont recherchés par les Traqueurs.

— Et si on pouvait dégager rapidement d'ici, tout irait mieux pour tout le monde, ajouta Anastasia, restée en bas des marches, d'une voix forte où l'agacement perçait.

Je lui lançai un regard noir. Elle le faisait exprès ou quoi ? Ne voyait-elle pas qu'elles étaient terrorisées ?

— Quoi ? râla-t-elle face à mon air de reproche. Ce genre de mission n'est jamais totalement sûre. Il y a toujours le risque que les Traqueurs débarquent par hasard, ou non, ici et nous y trouvent.

Elle s'adressa ensuite au tas de couverture où se cachaient nos deux réfugiées :

— Donc soit vous venez maintenant avec nous, et vous pourrez manger quelque chose de chaud dès ce soir et bien dormir cette nuit, soit vous restez là et tant pis pour vous.

Par les sept enfers, cette fille était insupportable... mais je devais reconnaître qu'elle n'avait pas tort. Plus vite nous serions rentrées et mieux ça vaudrait pour tout le monde !

La femme dû penser comme moi car elle se leva, sa fille dans les bras, et laissa retomber la couverture sur le lit, prête à nous suivre. Elle était beaucoup plus jeune que ce que je pensais. Je lui donnais la vingtaine, vingt-trois ans tout au plus, et entre trois et quatre ans pour sa fille. Ses cheveux roux et coupés à la garçonne étaient très différents de ceux de sa fille, bruns, mais leurs yeux bleus glaciers étaient magnifiques et me firent immédiatement penser à ma meilleure amie, qui avait elle aussi les yeux bleus, bien que plus foncés, et des cheveux roux, comme la femme. Lily... elle avait été encore plus stressée que moi pour cette première mission, alors que ce n'était pas elle qui devait aller crapahuter à Longaville.

— Comment est-ce que tu t'appelles ? lui demandai-je quand elle s'avança à ma hauteur.

— Eliza, et elle c'est Zoé.

Elle n'était pas rassurée, ça se voyait. Elle transpirait la peur par tous les pores de sa peau. Mais, au vu de sa situation plus que précaire et de son avenir encore plus incertain, je ne pouvais que la comprendre. Seule sa fille semblait paisible ; elle était sûrement trop jeune pour comprendre tous les enjeux de ce qui se jouait autour d'elle.

Anastasia passa en première et je fermai la marche, mettant ainsi nos deux rescapées devant moi. Nous remontâmes jusqu'au rez-de-chaussé où nous retrouvâmes Fred qui faisait le guet devant la fenêtre, toujours au même endroit. En nous voyant émerger de la cage d'escalier, son visage se détendit. Nous avions presque fini, et aucun incident pour le moment.

— Alors ? fis-je doucement en me plaçant à côté de lui, face à la ruelle.

— R.A.S, me répondit-il sur le même ton.

— Tant mieux, lança Anastasia, on aura évité les ennuis.


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