❄ Chapitre 10 (partie 2)

Média : Œil d'Anastasia 

Musique : No roots de Alice Merton (les paroles me font penser à Anastasia) 

  ❅  

Une grande brune élancée fit son apparition dans l'encadrement de la porte, placé dans l'ombre. Elle me fixa avec ce qui me sembla être un mélange de méfiance, de dédain et de curiosité. Et elle, c'était qui ? Sa voix me disait quelque chose, sans que je n'arrive à mettre un nom dessus.

Lily m'entoura les épaules avec son bras gauche de façon à la fois amicale et protectrice.

— Tiens, Ana, je ne savais pas que tu étais là aujourd'hui, fit-elle remarquer. C'est Eloane. (Elle crût bon d'ajouter :) Eloane Soizik, je t'en avais parlé.

Ana opina du chef, se décolla de l'encadrement de la porte d'un mouvement de hanche et approcha.

— Ah oui, c'est vrai, je m'en souviens... lâcha-t-elle du bout des lèvres.

Elle reprit une fois face à moi, d'un ton neutre :

— Je suis Anastasia, mais mes amis m'appellent Ana.

Je ne l'avais pas remarqué plus tôt, comme elle était dans l'ombre, mais ses yeux étaient saisissants. Violets, elle avait les yeux violets ; et pas juste bleus avec un air de violet, selon la luminosité, mais vraiment violets. Leur couleur était comparable à celle d'une améthyste éclatante ou d'une petite violette des champs.

C'était à peine croyable : ses yeux étaient les mêmes que ceux du loup, dans la forêt. J'eus immédiatement une appréhension étrange, qui pouvait se rapporter à de la peur ; comme si elle pouvait se transformer en loup et me bondir dessus à tout instant.

— Eh bien, dis-je en esquissant un faible sourire, un chouïa apeurée suite à ma constatation, bonjour Ana !

— J'ai dit mes amis, rétorqua-t-elle aussitôt, glaciale. Pour toi, ce sera Anastasia !

Choquée, j'arrêtai tout effort pour paraître joviale. Mon élan de courtoisie et de bonne entente avait été très mal accueilli ; je n'en ferai plus, tant pis pour elle. Mon sourire se fana instantanément. Non mais pour qui se prenait-elle, cette Anastasia ? Pour la reine des glaces ? Puisque c'était ainsi, j'allais l'appeler comme cela : la reine des glaces !

Je soupirai de mécontentement, levant discrètement les yeux au ciel par la même occasion. Si tout le monde était comme elle – excepté Théo et Lily – j'allais rapidement rentrer chez moi, qu'ils le veuillent ou non ! Déjà que la pièce dans laquelle je me trouvais était plutôt lugubre, avec ses planches en bois sur les fenêtres...

J'étais venue ici parce que je voulais agir et avoir l'impression de servir à quelque chose, pour sauver les enfants de l'Hiver, pas pour me heurter à un mur de glace et de mépris !

— Bon, allez, salut les girls ! s'exclama joyeusement Théo, pour dissoudre le silence qui s'était installé suite à la déclaration de la reine des glaces. J'ai entraînement avec Aurore dans deux minutes et elle va me tirer les oreilles si je suis en retard.

Il agita la main en un «au revoir» sommaire et se dirigea vers la porte – la seule de la pièce – par laquelle était arrivée Anastasia.

— Depuis quand est-ce que tu parles anglais, toi ? le héla Lily, toujours accrochée à mon épaule comme une moule à son rocher.

— Depuis qu'on a découvert que les gens du gouvernement n'en connaissaient pas un mot. Ils ne parlent que le saisonniens, ces nuls ! ricana-t-il en sortant de la pièce.

— Le saisonniens ? chuchotai-je à ma meilleure amie, tout en espérant que la brune, qui était un peu plus loin, n'en entendrait rien.

— Le français, mais dans le monde des Enchanteurs. C'est la seule langue du royaume.

J'opinai du chef, pour lui montrer que j'avais compris, puis tournai sur moi-même afin de balayer l'endroit dans son ensemble. Lily alla trifouiller quelque chose au niveau de la TéléPorte puis revint. Cette fois-ci, celle-ci n'était pas un passage dans un arbre ou un miroir mais un tableau, qui prenait beaucoup de place sur le mur, représentant un arbre généalogique. Je n'y fis pas plus attention que cela et poursuivis mon inspection des lieux.

La pièce était plongée dans la pénombre bien que nous ne soyons qu'en début d'après-midi et une odeur de renfermé hantait les lieux. Une grande dalle de carrelage, à l'angle brisé, était disposée sous la TéléPorte et recouvrait le sol. Le reste de la pièce était fait d'un assemblement de planches de bois. Qui donc pouvait bien avoir eu l'étrange idée de poser du carrelage – et une seule dalle – directement sur un plancher en bois ? Pour servir de paillasson aux gens qui arrivaient ? Pourtant, il y avait mieux pour remplir cette fonction : quelque chose qui essuyait vraiment, par exemple.

— Bon, on va y aller, m'informa Lily en me désignant la sortie – toujours la même – du pouce, accompagné d'un mouvement de tête. 

Elle commençait à se diriger vers ladite porte lorsqu'elle se retourna vers moi pour ajouter : 

— Et, sinon, ne prends pas personnellement ce que t'a dit Ana. Elle est toujours comme ça avec les nouveaux arrivants. Tu verras, elle peut être très sympa quand elle en fait l'effort !

J'eus un sourire ironique et pas le moins du monde convaincu qui ne lui échappa guère, ce pourquoi elle insista :

— Si, vraiment, je t'assure ! Même toi tu l'apprécieras, j'en suis sûre !  

Je haussai des épaules avec scepticisme. Il me faudrait des preuves pour y croire ; là, j'avais du mal à accorder du crédit à ses paroles.

Lorsque ma rousse préférée reprit son petit bonhomme de chemin, d'un pas assuré, vers l'embrasure de la porte, je la suivis. En arrivant près de l'encadrement en – très – vieux bois, je remarquai qu'il ne devait plus y avoir de porte d'accrochée depuis quelques temps. Les gonds étaient tellement rouillés qu'ils tombaient au sol en une drôle de poussière de rouille, allant jusqu'à s'infiltrer dans les interstices entre les lattes du parquet grossièrement posé. Du salon qu'avait dû être cette pièce, autrefois, il ne restait rien d'autre que le cadre qui servait de TéléPorte aux membres de la Résistance et un canapé défoncé, à l'autre bout de la salle, dont la mousse et les ressorts sortaient en cascade depuis une déchirure qui le traversait dans son intégralité.

«En voilà, un endroit accueillant ! J'y passerais volontiers mes vacances d'été !» pensai-je avec une ironie non feinte.

— Au fait, où sommes nous ? m'enquis-je pendant que je passais dans la pièce adjacente, délaissant le résidus de salon derrière moi sans aucun remord.

— Eh bien, au QG, fit Lily, avec perplexité, en s'arrêtant un instant. Où voudrais-tu que nous soyons d'autre ?

— Encore heureux ! fis-je observer. Je voulais dire, géographiquement parlant, où est-ce que nous sommes ?

— Dans la chaîne aux Avalanches, qui correspondrait à la chaîne des Alpes, chez nous, dans un refuge d'alpages plutôt vaste par rapport aux autres, mais abandonné, que Solange Villiers a racheté puis mis à notre disposition.

— Ouah ! lâchai-je.

J'étais impressionnée par la distance que nous pouvions parcourir en si peu de temps grâce à une TéléPorte. À côté de cela, les avions de chasse avaient l'air de véritables escargots ! J'étais passée de la région parisienne aux Avalanches en un rien de temps, à peine une seconde. Si les humains découvraient un moyen de transport pareil, le marché de l'automobile ferait faillite et la SNCF se reconvertirait en VETP (Voyage Éclair en TéléPorte) avec pour slogan «Se téléporter n'aura jamais été aussi facile !». Plus de petite musique pour annoncer le départ d'un train ou le retard d'un autre, quel dommage !

— Villiers, repris-je, lorsque mes neurones se furent suffisamment connectés entre eux pour que je comprenne ce qu'elle m'avait dit, ce ne serait pas le nom de famille de Théo, par hasard ?

Un – immense – sourire goguenard fendit le visage de Lily. Depuis que je lui avais annoncé que j'étais une fille de l'Hiver, bien qu'elle le sache déjà, j'avais l'impression qu'elle ne faisait que cela, de sourire, au point que c'en devenait presque inquiétant.

— Si, c'est bien son nom de famille. Tu as une bonne mémoire pour certaines choses à ce que je vois, plaisanta-t-elle, d'habitude tu es une vraie tête-en-l'air !

Était-ce de ma faute si j'avais retenu le nom de la personne sur laquelle je m'étais misérablement écroulée ? Bon, oui, un peu quand même. À ma décharge, il était vraiment mignon ! Et sympa ! Et drôle ! Et...

«Grillée !» chantonna Tic-Tac dans ma tête.

Dieu soit loué, il ne l'avait pas dit tout haut ! Ce satané lutin avait bien trop tendance à parler aux pires moment à mon goût. Je lui tirai la langue mentalement, ou de moins j'essayai, en répliquant à ma meilleure amie :

— Que veux-tu, j'ai une bonne mémoire quand il s'agit de quelque chose qui m'intéresse !

J'accompagnai le tout d'un petit clin d'œil malicieux qui la fit pouffer de rire.

En regardant avec plus d'attention la pièce dans laquelle je me trouvais maintenant, je vis la reine des glaces, alias Anastasia, accroupie à côté d'une trappe dans un coin de la salle. Le sol était couvert d'une belle épaisseur de poussière et quelques tas de foin plus ou moins moisi traînaient éparpillés sur le parquet qui faisait triste mine. Un tapis mité et roulé à la va-vite pendouillait à l'autre bout de la pièce, à l'exact opposé de la brune, aux côtés d'un balais dont l'état n'avait rien à envier à son compagnon d'infortune.

Sans crier gare, Anastasia sauta dans le trou. J'avais du mal à le reconnaître mais, malgré son caractère de cochon, elle avait la grâce d'un félin. Ses longs cheveux noirs avaient suivi le mouvement, derrière son dos, lorsqu'elle avait sauté. Son côté sauvage et inaccessible en faisait un véritable mystère.

Je vis Lily tripoter la bague à son majeur. Depuis aussi longtemps que je m'en souvienne, ma meilleure amie l'avait toujours eu, cet anneau en bronze serti d'une large pierre de lapis-lazuli. Elle me disait souvent que c'était comme un porte-bonheur et je voyais bien qu'elle y tenait énormément. Chaque fois que quelque chose la tracassait ou qu'elle réfléchissait, Lily faisait tourner le bijou autour de son doigt, mais sans jamais l'enlever. Les paillettes dorées incrustées dans la pierre bleue donnaient un côté mystique à la bague et me faisaient penser à un ciel étoilé.

Nous n'avions qu'une dizaine d'années lorsque Lily me l'avait montrée pour la première fois et elle n'avait plus quitté son doigt depuis. Je ne comprenais pas qu'elle puisse encore entrer dedans après autant de temps, à croire que la bague avait grandi en même temps que son doigt.

— J'imagine qu'il va falloir sauter, constatai-je en m'avançant vers la trappe. Est-ce que tu y vas d'abord ou est-ce que c'est à moi que revient cet «honneur» ?

Je mimai des guillemets tout en disant le dernier mot puisque, même si le vide ne me faisait pas peur, je n'aimais pas plus que cela me jeter, au sens littéral du terme, dedans.

— Vas-y la première, je dois remettre le tapis et refermer la trappe derrière. Par contre, il y a une échelle, si tu ne veux pas sauter.

— Okay.

Je m'avançai vers le trou. En me penchant légèrement en avant, je vis Anastasia qui attendait en bas en tapant du pied. Elle passa une main dans sa crinière couleur de la nuit et leva la tête vers moi. Lorsqu'elle me vit, elle se décala pour que je puisse sauter – ou descendre avec l'échelle.

Il devait bien y avoir deux mètres et demi à trois mètres de profondeur avant d'atteindre le sol. L'odeur qui se dégageait du tunnel sous mes pieds différait de celle imprégnant l'endroit où j'étais, elle était plus légère. On aurait dit le parfum d'un vieux bâtiment.

J'hésitais à utiliser l'échelle lorsqu'Anastasia planta ses yeux dans les miens et me lança un regard de défi. C'était décidé : je sauterais, ne serait-ce que pour lui faire ravaler son petit sourire mesquin !

J'inspirai un bon coup et me laissai tomber dans le vide, les deux pieds en avant. La chute fut rapide mais mon estomac eut quand même le temps de remonter dans mon ventre, très désagréablement. Mes jambes ployèrent sur le coup lorsque j'atterris. Je me retrouvai assise à même le sol.

Mon atterrissage manquait de grâce, mais j'avais sauté !

Le temps que je me relève, Lily était déjà en bas, la main sur le barreau rouillé d'une échelle. Elle s'en écarta alors que je frottais mon jeans pour en ôter la poussière. Décidément, toutes mes affaires allaient y passer : les converses dans la forêt, et maintenant le jeans dans le refuge et le couloir !

Lily me fit signe d'avancer et nous nous mîmes en marche. La reine des glaces ne nous avait pas attendues : ses cheveux noirs se mélangeait à l'obscurité du couloir, loin devant nous.

Le long souterrain, tout en pierre, me semblait infini. Était-ce dû aux voûtes, qui soutenaient le plafond et donnaient une perspective importante au corridor ? Ou alors au sol dont le dallage simple se perdait dans les méandres de l'obscurité ?

Le souterrain, étroit et sombre, démarrait – ou plutôt se terminait – au niveau de l'échelle que nous venions de quitter. Dans l'autre sens, celui que nous empruntions, il allait vers l'inconnu. Je commençais à ne plus voir où je posais mes pieds, la trappe et le néon qui y était fixé étant déjà loin, lorsque je vis une nouvelle lumière grésiller à quelques mètres de moi. Détecteurs de présence ? La classe !

— Bon, bougez-vous de là ! Je n'ai pas que ça à faire, moi ! nous cria Anastasia, avec sa légendaire politesse, depuis le fond du couloir.

Je m'apprêtais à courir quand Lily m'attrapa le bras et me chuchota :

— Pas la peine de courir. Garde tes forces, tu risques d'en avoir besoin dans les prochains jours !

J'opinai silencieusement et nous ne fîmes qu'allonger et accélérer nos pas, sans que cela ne nous demandât beaucoup d'efforts.

Nous marchions en silence dans le long et sinueux couloir, éclairé par quelques néons épars, lorsque nous atteignîmes finalement une porte blindée. Celle-ci détonnait vraiment par rapport au reste du couloir : la différence entre les murs de pierres grises et la porte en acier était pour le moins saisissante.

Anastasia enleva une boucle d'oreille et l'appuya contre la paroi métallique. Un déclic se fit instantanément entendre et la porte s'ouvrit en grinçant légèrement.

Sitôt celle-ci ouverte, nous entrâmes dans la pièce. Je n'eus pas le temps de regarder l'endroit en détail qu'une fille, qui devait être à peine plus jeune que moi, sauta sur Anastasia.

— Ana, dépêche-toi où on part sans toi ! clama-t-elle.

— Attends-moi Kath, j'arrive !

Anastasia partit directement à la suite de la dénommée Kath. De celle-ci, je n'avais pu qu'apercevoir les yeux verts en amande et le carré brun.

Juste avant de passer par une énième porte, Anastasia se retourna vers nous pour lancer :

— Allez, à plus tard Lily ! Et à jamais la blonde !



  ❅  

Eloane est enfin à l'intérieur du QG, les choses sérieuses peuvent commencer ! Lily, Théophane et Zéphyr ne seront sans doute pas de trop pour la soutenir, surtout qu'Holly n'est même pas là ! 

Qu'avez-vous pensé de la deuxième partie de ce chapitre ? 

D'Anastasia ? 

D'ailleurs, qui l'aime et qui ne l'aime pas ? 

Saviez-vous que vous parliez le saisonniens ? 

Est-ce que vous auriez sauté, si vous aviez été dans la situation d'Eloane ? 

Qui est Kath ? 

Des pronostiques pour la suite ? 

Des avis/remarques ? 

Korrigan ❅ 

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