Evan

     Evan n'avait pas fermé un seul œil de la nuit. Sa conversation avec Anastasia tournait sans cesse dans sa tête. Lui qui parlait si bien était trop peureux d'appliquer ses propres conseils.
Le soleil se levait doucement, signifiant le début de la journée. Il grogna, massant son bras gauche endoloris. La douleur s'était réveillée il y a quelques jours de cela.
Il sortit de sa chambre tant bien que mal, descendant lentement les marches grinçantes. Sa mère était assise sur le canapé, des lunettes perchées sur le bout de son nez et un livre en main. Il s'avachit à ses pieds.

« Déjà debout ? demanda-t-il d'une voix rauque ;
- Je n'arrivais pas à dormir, je sentais que quelque chose n'allait pas, répondit-elle en déposant délicatement son livre sur la table basse. Tu as réussi à fermer les yeux ? »

Il secoua la tête, trop exténué pour formuler une réponse verbale.

« Bouge pas, je vais te faire un thé.
- Non non, ne t'en fais pas. Ça va passer, protesta-t-il ;
- Tut tut, reste là, j'en ai pas pour longtemps. »

Eleanor revint quelques instants plus tard un mug brûlant à la main. Elle le déposa à côté de son livre et embrassa son front.

« Voilà mon soleil. Ne te brûle pas.
- Merci Mamoune, je t'aime. »

Eleanor reprit sa lecture alors qu'Evan sirotait prudemment son thé fumant. La chaleur semblait se propager dans le reste de son corps.

« J'ai parlé avec Anastasia hier soir, dit-il après un instant ;
- Oh ?
- Sur le balcon. Je savais pas que tu lui avais donné la chambre à côté de la mienne.
- Désolé mon chéri, tu vas devoir partager ta salle de bain. »

Il leva les yeux au ciel, faussement indigné. Sa mère lui donna un léger coup de pied dans les côtes.

« Qu'est-ce que vous vous êtes racontés ?
- On a parlé d'études.
- Vraiment ?, sa mère parut soudain très intéressée ;
- Oui, elle m'a dit qu'elle commençait sa troisième année l'année prochaine.
- Et ?
- C'est tout.
- C'est tout ?
- C'est tout.
- Bon. »

Il soupira. Les conversations semblaient toujours être les mêmes ces derniers temps ; sa mère qui voulait absolument parler de son avenir, lui qui le fuyait par tous les moyens. La décision de surprendre ses études avait été suivie d'une longue dispute parsemée de pleurs, de cris et beaucoup, beaucoup de thé. Eleanor avait fini par comprendre sa décision et juré de le suivre aveuglément dans quoi qu'il entreprendrait. Trois mois plus tard, elle ne pouvait s'empêcher d'y fourrer son nez.

« Tu devrais aller nager un peu, ça te fera du bien, dit sa mère ;
- Nager à un bras ?
- Nager, te tremper, tu vois ce que j'veux dire. L'eau de la rivière a toujours fonctionné sur toi, surenchérit-elle ;
- Oui mais il fait froid dehors, Mamoune.
- Arrête de chipoter. Oust, hors de ma vue. »

      Bien qu'il ne l'avouerait jamais, sa mère avait raison. L'eau fraîche de la rivière lui permit de retrouver une certaine sensation dans le bras gauche.
Evan ne savait pas combien de temps il avait passé dans cette rivière. Le soleil était un peu plus haut dans le ciel. Ses doigts commençaient doucement à friper.
Il retourna dans la maison, son sweat trempé lui collant à la peau. Il fit un détour par la cuisine, volant un cookie qui trainait là. La maison était calme, sa mère et Christian devaient être sortis courir. Il trouva son thé froid et beaucoup trop infusé toujours sur la table basse du salon. Mug en main, il se laissa tomber sur la chaise de son bureau. Si Evan souhaitait ranger ses études au placard, il lui fallait maintenant trouver une alternative pour l'année à venir.

« Foutu site, marmonna-t-il contre son ordinateur. Foutue ville. Je demande pas grand chose, juste un salaire décent. »

Il cliqua sur une énième annonce de post.

« Ah, super, faut juste porter des charges lourdes. Top, top, top. Parfait pour moi, commenta la blond sarcastiquement. »

Par un excès de frustration, il ferma son ordinateur d'un coup sec, faisant voler les quelques feuilles parsemées devant lui. Son front s'écrasa contre son bureau.

« Pourquoi on doit travailler purée je déteste cette vie. »

Un rire étouffé se fit entendre derrière la porte à sa gauche.

« Moque toi, Anastasia. On verra quand ce sera à toi de rentrer dans le monde du travail.
- On a toujours besoin d'avocat !, répliqua-t-elle ;
- Je pensais qu'on avait besoin de physicien aussi mais visiblement non. »

Anastasia rit une nouvelle fois, un peu plus fort. Il donna un léger coup contre la porte, lui arrachant un petit cri de surprise.

« Tu peux toujours donner des cours, proposa-t-elle ;
- J'aime pas les gosses.
- Oh bah débrouille toi alors, souffla la brune. »

Il rit à son tour, légèrement dépité. Avec un niveau de patience proche de zéro, donner des cours ne lui réussirait définitivement pas. Il avait tenté il y a quelques années, avec le fils de la voisine. Le cours avait fini par un remontage intensif de bretelles de la part de sa mère et un enfant totalement terrorisé et dégoûté des matières scientifiques pour le restant de ses jours.

      Evan fut le dernier assis à la table du déjeuner. Il prit place en face de sa mère, s'excusant pour son retard.

« Tes recherches avancent ?, l'interrogea Christian ;
- Pas vraiment. Soit c'est bien payé et je dois porter l'équivalent de huit fois mon poids, soit je suis clairement exploité.
- Tu trouveras mon soleil. Tu viens à peine de commencer, c'est normal que ça prenne du temps.
- C'est hyper nul de trouver du boulot.
- À qui le dis-tu, rit Chris. Salade ?
- S'il te plaît. »

Ils mangèrent en silence, parfois interrompu par le son distant d'une voiture dans la rue. A la fin du repas, Eleanor entraîna Anastasia dans la cuisine.

« Alors, cette semaine et demi de mariage ? Pas trop lassé ?
- On peut faire pire. Je pense que ta mère et moi n'avons jamais été aussi amoureux, surtout pendant notre nuit de noce, si tu veux vois ce que j'veux dire. »

Christian lui offrit un clin d'œil emplit de sous-entendus.

« Oh Chris c'est degueu, on parle de ma mère là !
- Roh, t'as plus 4 ans. J'espère que tu savais qu'on ne se contentait pas de simples bisous sur la joue.
- J'aurais préféré m'en tenir à cette version, si. »

Le rire de Christian résonna dans la maison.