Le 18 août dans un bar coupé du monde, en Suisse...

9 mois plus tard :

Le barman tourne le bouton « on » de la radio. Il tapote nerveusement ses étagères dans l'attente d'une réception quelconque. Le réseau est minable dans ce pauvre taudis qui nous sert de cachette provisoire. Pourtant, c'est la première bonne affaire qui nous ait arrivé depuis neuf mois.

Le gérant est un vieux bûcheron, à la barbe grisonnante, qui tient une auberge totalement inoccupée l'été. Ses muscles saillants et sa carrure importante trahissent sa profession d'antan, il n'a ni femme ni enfant. Enfin son épouse est morte. Il a des épaules larges, des mains surdimensionnées et un visage étonnamment fin. Mais pourtant, sous ce corps d'ours, se cache une générosité sans précédent. Il nous a offert un toit, nous nourrit et nous prête ses chambres. Il sait que nous ne sommes pas de simples vagabonds à la recherche d'un trésor dans les montagnes suisses, fausse version donnée pour justifier notre venue, pourtant jamais il n'a voulu nous dénoncer.

Étant lui-même un loup mais solitaire, il a détecté notre aura très particulière. Nous avons une confiance aveugle en lui.

Pas très rassurant, n'est-ce-pas? Mais, il est notre seul répit après ses longs mois de recherche et de nuits passées à la belle étoile, réchauffés par un simple feu de bois. Finalement, une voix masculine prend l'antenne, accompagnée par de faibles grésillements qui anéantissent la qualité de la chronique.

*La météo d'aujourd'hui reste la même que celle d'hier. Il est prévu un temps magnifiquement ensoleillé et une trentaine de degrés dans l'ensemble de notre beau pays...*

Brutalement, tout se coupe. Le dirigeant peste, non sans lâcher quelques jurons et fracasse l'appareil de son poing. La pauvre machine se retrouve fissurée en son centre et semble inutilisable.

-Bordel, plus rien ne marche à cause de ces sales sangsues ! Je suis désolé les enfants, mais pas de nouvelles de l'extérieur pour l'instant...

Il vient nous apporter nos boissons respectives et pour ma part, j'ai pris un soda aux effluves d'orange. Je le sirote doucement, oubliant deux secondes la douleur de mon cœur. Hugo passe un bras autour de mes épaules et me sourit joyeusement avant  d'enclencher la conversation.

-Ça tombe bien ! J'avais décidé de me balader dans les montagnes avec Benjamin ! J'ai besoin d'un peu d'air frais...

Il est vrai qu'en ce temps si lumineux, le mage de glace doit faire une overdose de chaleur. La neige et les températures avoisinant zéro lui manquent. D'ailleurs, il est à deux doigts de mourir sous son tee-shirt déjà trempé de sueur.

-Alyssa ? Je me tourne vers lui, mon verre dans ma main droite, tu veux nous accompagner ?

Je hausse les épaules nonchalamment et murmure un « oui »presque inaudible. Julian me dévisage du coin de l'œil et Danielle se décide enfin à lever les yeux de son magazine people.

-Tu es sûre que tu vas tenir ?

Je hoche la tête et me blottit contre le sorcier de glace. Ce dernier m'embrasse sur le crâne et frotte mes épaules dans un geste réconfortant. Il me fait un clin d'œil.

-Ne vous en faites pas, je prendrais soin d'elle.

Depuis deux mois, je n'arrive plus à marcher pendant de longues distances. Plus les kilomètres me séparant de mon loup augmentent, plus mon corps se refuse à avancer. La marque se manifeste en me brûlant la peau, certaines fois par des pressions extrêmement dérangeantes ou encore par des démangeaisons à me faire gratter la peau jusqu'au sang.

Julian grimace et attrape ma main tremblante. J'ai l'air d'une parfaite malade sans en être véritablement une. Une sorte de handicap en fait, j'ai l'impression de ralentir le groupe. Mes cheveux ont terni, mes yeux ne sont plus aussi éclatants qu'avant et ma peau pâlit de jour en jour.

-Dès que tu ne te sens pas bien, je compte sur vous pour la ramener, ses pupilles sombres sont inquiètes depuis qu'il m'a convaincu de le suivre pour la bonne cause, se sentant coupable de m'avoir entraînée dans ce complot magique.

Après tout, nous devons réunifier le monde. Et pour ça, j'avais besoin de le quitter. Il n'aurait jamais accepté de délaisser sa meute et tout le travail qu'il avait accompli pour une simple mage. Évident, non ?

Un frisson m'échappe en repensant à nous.

Non, je devais partir. Je n'étais qu'un objet de guerre, une arme contre ces satanés sangsues.

Faux.

Je dois me le convaincre pour ne pas meurtrir mon cœur davantage. La culpabilité que je traîne depuis ma fuite pèse sur moi comme un boulet trop lourd attaché à ma cheville. Je sens que je vais finir par couler. Et ce, dans quelques semaines.

Je regarde notre petit comité. Julian est avec moi depuis le début de l'aventure et me soutient comme le ferait un grand frère. Hugo est presque devenu mon meilleur ami. Difficile à croire quand vous avez connu nos nombreuses querelles... Mais lorsque je suis venu les sauver avec l'aide précieuse du mage des ténèbres, il a vu de quoi j'étais capable. Il s'est excusé de son comportement et a fait la promesse de me soutenir coûte que coûte. Alors depuis, on ne se quitte plus.

En quelque sorte, il finit par remplacer James et Kathy...

Danielle fut la deuxième. Quoique, la bataille fut moins rude puisque nous étions trois. Et ensuite nous avons libéré Sam, Benjamin, Florian. Il ne manque plus qu'Emma, la mage de la terre que je n'ai encore jamais eu l'occasion de rencontrer. Nous serons enfin tous réunis.

Pour la sauver elle, ce sera une autre paire de manche.

Personne ne sait où elle est retenue captive. Elle reste inconnue aux yeux de tous. Nous cherchons en vain des informations sur le lieu où elle pourrait se trouver, sur le clan qui pourrait la posséder. Mais, impossible de trouver le moindre indice après des semaines de recherche. Aucune chaîne d'information ne la mentionne, les vampires se taisent, les loups restent silencieux.

Alors que nous, nous sommes depuis quelques mois les individus les plus recherchés de la planète. En tête de liste, Julian, ancien captif de Mickaël, un vampire de renommée mondiale.

Les espèces surnaturelles nous traquent. Chaque clan, chaque meute cherche à nous posséder. Comme nous le sommes les piliers de l'équilibre de cette planète, les détenteurs du pouvoir suprême de notre Créateur, nous devenons les proies prioritaires.

Hugo m'aide à me lever et nous rejoignons Benjamin, le mage de l'air, appuyé contre la porte d'entrée. Cela fait maintenant quelques semaines qu'il est avec nous et il n'a plus rien à voir avec le jeune garçon timide d'autrefois. Il s'est épris de Sam, sorcière de l'eau, où l'amour est réciproque. Cela fait du bien de voir que la vie continue malgré ce que nous traversons en ce moment.

-Elle vient ? il demande à Hugo, étonné.

C'est vrai, je fais pitié à regarder. Pourtant, je ne suis pas mourante!

-Oui, je réponds fermement en me libérant de l'emprise d'Hugo et en passant la porte la première.

Les deux garçons me suivent tandis que je prends le chemin qui longe la montagne. Avec cette chaleur, impossible d'avoir froid. Pourtant, des milliers de frissons parcourent ma colonne vertébrale.

Il tente encore d'entrer en contact avec moi.

Et une nouvelle fois, en me concentrant et en fermant les yeux, je visualise un mur. Un obstacle infranchissable pour Luke. Il ne doit pas réussir à me localiser où alors, je risque d'anéantir ce que nous avons réussi jusque là.

Hugo qui a compris bien vite la situation, vient me soutenir en posant sa main sur mon épaule. Je sens sa force alimenter la mienne et je parviens à repousser mon âme-sœur à contrecœur.

-Ca va aller? Benjamin s'inquiète.

Je hoche la tête et continue de marcher. Non, je ne vais pas bien. Mais, il faut que je garde la tête haute pour mener à bien notre objectif. La paix. La sureté de nos enfants.

Bien vite, nous atteignons les montagnes. Le silence paisible qui y règne me fait du bien. Les pics majestueux se dressent devant nous, ils sont seulement recouvert d'un peu de neige éternelle. Les aigles volent au dessus de nos têtes, le vent caresse nos cheveux, le soleil brûle notre peau. La nature étincelle.

Hugo semble être au paradis. Son air de petit garçon à la veille de Noël arrive à me faire sourire. Il fabrique dans ses mains un petit flocon de glace et s'amuse à le faire tournoyer autour de nous. Benjamin, lui aussi, est aux anges. Il manipule l'air comme quiconque et s'amuse à changer l'orientation du vent.

Enfin, chacun son délire.

Les bouquetins sautent de rochers en rochers pour venir à notre rencontre. Les marmottes sortent de leurs terriers, les lapins nous entourent et les loups hurlent à notre intention. Nous sommes en peu de temps entourés par les animaux et nous jouons avec eu. La magie est mise à l'honneur puisque je me prête au jeu et regarde avec amusement les renards courir derrière une boule de lumière. 

Le temps paraît suspendu.

Hugo s'allonge à côté de moi et me prend la main. Benjamin s'installe à son extrémité et pose sa tête sur mon épaule. Leur proximité ne me gêne pas. Mon cœur est déjà pris.

-Ça te fait souvent mal ? demande le mage du vent en désignant ma marque. Il a dû sentir qu'elle dégage de la chaleur.

En effet, elle est en train de me brûler la peau. Et cela se produit parfois après que Luke ait voulu entrer dans ma tête. Comme si mon corps me faisait payer mes agissements.

-De temps en temps, mais ça va.

Je souris à Benjamin, je cherche à le rassurer. Je ne veux pas qu'ils s'inquiètent pour moi.

-Il te manque?

-Beaucoup.

Il hoche la tête. La tristesse qui s'accumule dans ma voix est terrifiante. Plus je m'éloigne de lui, plus je me rends compte à quel point je l'aime.

-Et, il ressent la même chose?

Je secoue la tête. Je n'ai pas eu le temps de marquer Luke avant mon départ. Nous souhaitions prendre le temps nécessaire et profiter des instants présents. Enfin, c'est ce que je me suis toujours dit. Et j'espère ne pas avoir tord.

-Tu crois que je peux faire la même chose avec Sam?

Sa question me fait sourire.

-Non, cela n'est possible qu'entre deux loups.

Je fronce les sourcils devant ma propre réponse. Cela me semblait si évident de pouvoir le marquer... Mais pourquoi?

-Tu as dit que...

Je le coupe en posant ma main sur son épaule. Je le supplie de ne pas poursuivre sa phrase. Il y a quelque chose qui m'échappe. J'ai toujours su que les liens entre âmes-sœurs se faisaient entre deux loups. Il n'en existe pas ni chez les vampires, ni chez les humains, ni chez les hommes... Du sang de loup dans les veines ne suffit pas, il faut réellement être née d'une mère ou d'un père lycanthrope.

Alors pourquoi Luke avait-il pu me marquer?

-Je crois avoir la réponse, intervient Hugo en mettant fin à mes demandes muettes.

Je me lève d'un bond. Je refuse de l'entendre.

Tu n'as jamais rien su de tes vrais parents... Il se pourrait que tu en sois une... Et c'est bien plus qu'une probabilité...

-Alyssa! Attend!

J'ai déjà pris la route du chalet. Je refuse d'admettre la vérité.

Car, je suis une hybride.