5 - Certitude

- Mais dis-moi, où donc sont passée tes ailes ?

J'observe Alæbora. Elle, une nymphe primitive ? Après tout, ses pouvoirs semblent assez puissants pour invoquer ma mémoire perdue et ses yeux reflètent une certaine sagesse, qui n'a pu être acquise que durant des centaines d'années d'existence.

- Mon esprit a été créé en même temps que la première graine de cette forêt a germé, et je ne m'éteindrai que lorsque le dernier rameau de cette vaste étendue sera parti en poussière, annonce-t-elle comme pour appuyer ses dires.

Que répondre à cela ? Je préfère acquiescer lentement de la tête plutôt qu'ouvrir la bouche pour laisser s'échapper des milliers de questions. Malgré tout, je finis par lui demander ce qu'il s'est passé depuis l'accident de la rivière.

-Comme je disais, commence-t-elle à raconter, je t'ai trouvée à quelques mètres de la rive, blessée au pied et sans connaissance.

Je l'interromps, perplexe :

- Excuse-moi, mais je suis sûre de m'être évanouie juste au bord de l'eau.

- Ah bon ? Étrange, fait Alæbora, les yeux dans le vague. Tout est-il que tu étais là où mon ami m'a dit de te chercher, donc tu as dû être déplacée d'une manière ou d'une autre.

Je repense à la soudaine légèreté que j'avais ressenti avant de perdre connaissance. Il est possible qu'on m'ait portée... Je frissonne, c'est un peu inquiétant de penser qu'un inconnu m'aurait porté assistance dans un bois vraisemblablement peuplé d'animaux uniquement. Enfin, il y a bien une nymphe juste en face de moi.

- Grâce au réseau de racines que je peux faire bouger à ma guise, je t'ai déplacée jusqu'à cette cabane, où j'ai passé deux jours à panser ton pied et essayer de te faire remémorer un événement fort de ton passé, afin que tu y réagisses et reprennes connaissance. Ce qui n'a pas marché au début, mais maintenant tu es consciente. Si je puis me permettre, qu'est-ce qui t'a réveillée ? Il a fallu que j'invoque ton passé proche, donc c'est un événement récent d'une semaine à peine.

Des sueurs froides me coulent dans le dos. Si l'on m'a blessée et visiblement déchue, car je sais maintenant quelle est mon espèce, il doit y avoir une raison à cela ; et la raison, si j'en crois Milo malgré son absence de réaction quand on m'a harponnée par derrière, vient de mon comportement - dont je ne me souviens pas. Si j'avoue cela à Alæbora, elle risque de me fuir.

Alors je contourne sa question :

-Tu as réussi à soigner mon pied ?

- Pas moi, dit-elle en acceptant mon refus de répondre sans rien rajouter. En réalité, c'est toi qui t'es guérie seule : les organismes angéliques sont fabuleusement coriaces, la magie divine qui coule dans vos veines vous empêche de garder des séquelles de vos blessures. J'ai simplement changé ton pansement pour éviter l'infection totale et le ralentissement de ta guérison.

Je tique à la mention de mes origines. Et en même temps cela m'est familier, comme j'avais oublié ma nature seulement quelques jours je ne suis pas si troublée que cela. Au contraire, c'est maintenant l'absence du poids des ailes dans mon dos qui me déstabilise ; j'avais commencé à m'y habituer dans ces réminiscences. Mais si je suis censée ne garder aucune marque de mes blessures, quid de mes cicatrices  au ventre et au dos ? Je garde ces interrogations pour moi.

 Alæbora me désigne une bassine d'eau au pied du lit, qui semble être un méticuleux ensemble de racines entrelacées, si resserrées entre elles qu'elles ne laissent pas passer la moindre goutte d'eau de cet étrange contenant.

- Je reviens, dit la nymphe. Il faut que j'aille te chercher de quoi manger. En attendant, lave-toi comme tu peux.

Une fois Alæbora disparue à l'extérieur, je balance prudemment mes jambes en dehors du lit. Lorsque mes pieds s'appuient sur le sol et que je me redresse lentement sur mes coudes, je me prépare à ce que mes membres tremblent et que je m'écroule sans force ; mais rien de cela. En revanche, j'ai l'impression de ne m'être jamais sentie aussi vigoureuse, comme si je venais de sortir d'un sommeil réparateur plutôt que quelques jours de lutte contre l'inconscience.

Tout est-il que je trouve la force de m'accroupir devant la bassine sans ressentir le moindre vertige, et m'empresse de passer de l'eau fraîche sur mon corps. La sensation du fluide ruisselant sur ma peau apaise mes réflexions tumultueuses.

Néanmoins, une interrogation persiste à s'imposer dans mon esprit. L'amour que me porte Milo - indéniablement réciproque, comme me le prouve mon épiderme encore électrisé par le souvenir de nos baisers - ne l'a visiblement pas poussé à intervenir lors de ma déchéance brutale. Pourquoi ? Ses paroles raisonnent en boucle dans ma tête. «Tu finiras par payer pour les torts que tu as causés à tous ces mortels innocents.» Et son expression tourmentée, son refus de m'en avouer la cause me reviennent également. «Des anges bien plus puissants que toi les ont pris sous leur aile, et peuvent à tout moment te punir pour tes actes.» Une certitude, déchirante mais implacable, germe et s'épanouit en puisant dans mes pensées troublées et mes souvenirs toute ma peur, le moindre doute lui sert d'appui pour s'élever sournoisement à travers mon âme désemparée par tant de révélations. Et rien ne la déracinera jamais.

Milo savait. Il savait ce qui allait se produire, dans ce magnifique ciel indigo. Je comprends maintenant son manque de réaction quand il s'est aperçu que je l'avais suivi ; il ne s'attendait pas à autre chose. C'est lui qui m'avait mise en garde en disant tenir à moi, pour finalement me guider à ma fin. Et ses paroles d'amour, ses baisers passionnés, étaient-ils donc vides de sens ? Et moi, suis-je sûre d'éprouver quelque-chose pour lui maintenant que j'ai tout oublié sauf cet instant ?

Je m'aperçois que, recroquevillée à côté de la bassine, je me suis mise à trembler. Des larmes dévalent mes joues et se mêlent à l'eau sur ma poitrine.

- Cassylée ? Je t'ai trouvé des myrtilles dans le Bosquet du Nord. Oh !...

C'est Alæbora qui vient de passer le pas de la porte, une sorte de panier à la main, et semble presque choquée par mon apparence qui doit émaner le désespoir. Doucement, elle s'approche en posant au passage sa récolte sur la table. Elle détaches mes mains agrippées à mon ventre et prend mes coudes pour m'inciter à me relever ; dans mon désarroi, je remarque tout de même la force étonnante de ses bras. Une fois assise sur le lit, je la regarde droit dans les yeux tandis qu'elle sèche mes larmes.

Puis elle s'assied à mes côté, et commence à parler dans sa langue ancestrale, de sa voix si mélodieuse et profonde, en ajoutant parfois des paroles rassurantes. Sans vraiment m'en apercevoir, je m'allonge sur la paillasse, qui me paraît étrangement douce, et ferme lentement les yeux.

Je me suis laissée aller depuis un moment lorsque la nymphe cesse son chant.

Dans un dernier effort je murmure:

-Je le tuerai.





***

Coucou tout le monde ! Ça va ?

Me voici donc avec ce chapitre qui, je l'espère, vous aura plus.

J'attends avec impatience vos commentaires - votes - et ressentis sur cette partie de l'histoire, et vous remercie car les 100 vues sont dépassées ! Ça n'est pas grand chose, mais pour une nouvelle histoire c'est toujours rassurant de voir que des lecteurs s'y sont intéressés. Alors merci à vous, et j'espère de tout cœur que vous continuerez à suivre Cassylée jusqu'au bout...

... si jamais il y en a un. Ben quoi ? 

À bientôt pour le prochain chapitre,

Imaginart.

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