4 - Réminiscences

Doucement, je me sens partir de mon corps et rejoindre la contrée des rêves, où de nouvelles réminiscences m'attendent.

- Allons voler, avant que la nuit ne tombe complètement.

Les yeux verts de Milo restent toujours aussi impassibles, comme si son sourire n'était pas transmis au reste de son visage. Je garde sa main dans les miennes et me recule, forçant la barrière qu'il a créée autour de nous avec ses ailes. Une fois libre de mes mouvements, je déploie les miennes et m'envole, suivie par Milo tandis qu'il délie doucement nos doigts.

Cassylée...

Je pousse mes forces à bout ; je vais tellement vite que j'aperçois quelques plumes voleter dans ma trajectoire. Tourbillonnant dans l'atmosphère baignée de crépuscule, je goûte au bonheur grisant de la vitesse. Puis, me sentant fatiguer, je me laisse tomber en piqué avant de déployer mes ailes dans toute leur splendeur: j'ai hérité des plumes aux reflets dorés de ma mère, et j'en suis fière. Milo me rejoint en battant tranquillement l'air de ses ailes immaculées, qui forment un beau contraste avec sa peau légèrement foncée, au grain lisse illuminé par le soleil mourant.

Cassylée...

Il est magnifique, avec les reflets d'or dans ses yeux clairs.

- Tu ne te lasseras donc jamais de la vitesse ? dit-il avec une pointe d'amusement. Petite prétentieuse...

Je me tourne à moitié pour être complètement face à lui, et réponds:

- Cette vitesse pourrait bien me servir un jour, tu sais. Je ne peux pas toujours rester cachée derrière les nuages lorsque je lance mes flèches, on finira par me voir et riposter. Alors je devrai pouvoir fuir le plus rapidement possible. Et puis... hormis le côté pratique de la chose, il est vrai qu'entendre le sifflement du vent contre mes ailes lorsque je me lance à pleine vitesse est absolument grisant, je l'admets.   

Cassylée...

Milo se  contente de secouer la tête. Le sujet semble l'accabler.

- Tu finiras par payer pour les torts que tu as causés à tous ces mortels innocents. Rappelle-toi que des anges bien plus puissants que toi les ont pris sous leur aile, et peuvent à tout moment te punir pour tes actes. Mais c'est à toi d'apprendre à distinguer le bien du mal, alors je ne t'inciterai pas à cesser tes activités; tu dois réaliser seule quel chemin tu es en train de prendre et quel tournant tu dois emprunter, sans quoi tu te retrouveras dans une impasse fatale.

Je regarde droit devant moi pour ne pas succomber à l'envie de répliquer quelque chose de bien senti. Il a toujours été gentil avec moi, je serais injuste de me froisser pour si peu. Et nous devrions profiter de ce merveilleux instant.

- Tu as beaucoup changé, depuis cette Cérémonie des Révélatrices, je réponds finalement sans hausser la voix.

Brusquement, Milo se met devant moi pour me forcer à m'arrêter. Nous volons en sur-place. Je lis une profonde tristesse dans ses yeux, qui me chamboule plus que je ne voudrais me l'avouer. Il passe une main dans mon cou et entoure ma taille de son autre bras. Ne sachant que faire, je finis par enrouler mes bras derrière sa nuque. Il m'embrasse doucement.

Comme la première fois et celles d'après, j'ai l'impression que mon corps entier réagit à son baiser. J'y réponds sans me presser, goûtant ses lèvres et l'instant présent. Son embrassade a l'énergie du désespoir malgré sa retenue, comme si cette fois-ci était la dernière...

Cassylée...

Je détache lentement mes lèvres des siennes et pose mon front contre le sien, fermant les yeux. Je sens la pulpe de ses doigts effleurer mes bras, ce qui me fait frissonner agréablement. Lorsque je rouvre les yeux, je vois les siens qui me fixent tristement, ses lèvres fines étirées en un sourire sans joie. Une seconde plus tard nous nous embrassons de nouveau, et Milo semble transmettre toutes ses émotions dans son baiser éperdu, ce qui me déstabilise un peu. Il n'est pas du tout le genre de personne à trop dévoiler ses sentiments.

- Qu'est-ce qui ne va pas ? murmuré-je tout contre ses lèvres. Tu sembles préoccupé...

Il se recule doucement et souffle par le nez, comme énervé ou à bout de forces.

- Je... C'est dur à expliquer, Cassylée. Je ne peux pas t'en parler. Mais tant que tu es près de moi, ça va, je t'assure.

Le tremblement dans sa voix finit de me convaincre ; ça ne va pas du tout. Comme nous planions depuis un moment, nous avons fini par perdre de l'altitude et nous trouver juste au-dessus du sol. Je pose pied à terre et attire Milo contre moi, le sers de toutes mes forces comme si cela pouvait l'aider. Il s'agrippe à moi avec vigueur, enfouissant son visage contre mon cou. Ses respirations saccadées font voler quelques mèches de mes cheveux. Au bout d'une minute, il se calme. Je suis quelque peu rassurée, mais il faudra que je sache ce qui l'affecte autant.

Cassylée...

Milo se redresse et dépose un rapide baiser sur mon front.

- Je t'aime, Cassylée. Je t'aime tellement que c'en est douloureux.

Stupéfaite, je le regarde dans les yeux. Il paraît sincère, mais sa déclaration ne sonne pas comme quelque chose de positif dans sa bouche.

Il s'envole sans un mot de plus, avant que j'aie le temps de réagir. Je t'aime aussi... Au bout d'une minute à regarder dans le vide, je décide de le suivre de loin. Il fait nuit mais, comme tous les anges, je perçois les choses autant que je les vois, alors ce détail ne me pose aucun problème.

Milo se dirige droit vers la mince lueur laissée par le soleil à l'horizon, et va relativement vite – alors qu'il me reprochait ma rapidité un peu plus tôt –, en battant nerveusement l'air de coups d'ailes saccadés. Ses puissants mouvements créent des tourbillons dans les nuages à proximité. Je vole à une centaine de mètres derrière lui, le plus discrètement possible dans le silence nocturne.

Cassylée...

Cela fait plusieurs heures que je suis sa course effrénée, je commence à me demander si j'ai bien fait. Nous avons volé tellement si longtemps et rapidement que nous avons rattrapé le soleil ; il fait jour là où nous sommes maintenant, de fines couches de nuages cachant le sol loin en-dessous. Je m'en approche distraitement pour essayer de voir à travers.

- Je savais que tu me suivrais, fais Milo, dont la voix raisonne dans le vaste ciel.

Brusquement, je me fige, mes ailes battant automatiquement pour me maintenir en sur-place.

Tu était en train de le filer depuis une éternité, et il a fallu que tu sois distraite par des satanés nuages, me maudis-je.

Toute à ma rêverie, je n'ai rien remarqué quand il s'est arrêté et retourné. Maintenant nous nous observons à distance, distance qu'il maintient quand je tente de le rejoindre. Il n'a pas l'air furieux contre moi à cause de la filature. Étrangement, son visage a l'air profondément désespéré, mais pas déçu ; juste une intense mélancolie.

Cassylée...

- Milo, dis-je en m'approchant, et cette fois il me laisse faire. Qu'est-ce que je t'ai fait ? D'abord tu a l'air désespéré, ensuite tu m'embrasses comme si ta vie en dépendait, puis tu m'annonces que notre amour t'es néfaste... Dis-moi ce qui ne va pas, je t'en prie !...

Ma voix se brise sur les derniers mots, mais ça le laisse visiblement de marbre. Il n'a même pas l'air de m'écouter, il regarde derrière moi sans réagir.

Un battement d'ailes plus tard, je sens mon souffle se couper et mon corps se cambrer subitement. Une douleur intense me traverse l'abdomen, d'où dépasse une sorte de pieu noir au bout en forme de harpon. Un noir de ténèbres. Mes ailes se sont immobilisées, l'instant se fige. Avant de chuter, je vois Milo devant moi, trop loin de moi ; il n'a pas bougé et me regarde perdre de l'altitude.

- Cassylée !

Je me redresse brusquement, le front en sueur. Mes doigts agrippent la paillasse en-dessous de moi, et il me faut bien une minutes pour reprendre mon souffle et me mettre en tête que je ne suis plus dans mes réminiscences mais bien dans la réalité. Avant que je ne commence à réfléchir à mon passé, je sens une petite main chaude se poser sur ma tête. Je me tourne vers ma guérisseuse, dont les immenses yeux marrons me fixent avec un mélange d'inquiétude et de soulagement.

Je parviens à articuler quelques mots:

- Que... Qui est-tu ?

- Je suis Alæbora, répond la créature avec solennité. La nymphe primitive de cette forêt. C'est un ami qui m'a demandé de voir si un ange vivait bien là. Tu es cet ange, je n'en doute pas. Mais dis-moi, où donc sont passée tes ailes ?





***

Hey ! Comme prédit, j'ai fini ce chapitre dans la semaine (trop forte)

Quel est votre avis sur la relation Cassylée/Milo ?

Et puis qu'on en parle ! Comment trouvez-vous la Cassylée pré-coup-de-pieu* par rapport à la Cassylée post-coup-de-pieu ?

(*oui parce que j'avais pas d'idées pour dire "avant qu'elle ne se fasse faucher comme un piaf** en plein vol")

(**je respecte les oiseaux, peace)

J'ai hâte de recevoir vos votes et vos commentaires, dites-moi tout !

À bientôt,

Imaginart.

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