Chapitre 8 - Un traître à bord
Chapitre court mais intense ! La suite viendra avec les réactions de certains et l'arrivée au port dominicain ...
Bisous à tous et merci de me suivre !
***
Une énième bourrasque vint fouetter les mèches bouclées du capitaine. Sous son tricorne, ses grands yeux jaunes dardaient avec stupeur le forcené qui se débattait devant elle. Ses dents se serrèrent en un grincement sinistre, qu'elle était la seule à entendre.
La jeune femme cala sa canne dans un recoin, sans détourner le regard une seconde. Faisant ensuite mine de dissimuler son désarroi, elle sortit une cigarette de l'une de ses poches et l'alluma tant bien que mal dans le creux de sa main. Soufflant une énorme bouffée grisâtre, Zélie regarda toujours sans mot dire le traître difficilement maîtrisé.
Sa blessure à l'épaule n'était désormais qu'une broutille face à l'incroyable renversement de situation qui se déroulait. Tout cela sentait le coup fourré à plein nez.
— Ainsi, pesta-t-elle avec une grimace du plus pur dédain, parmi toute la racaille de mon équipage, il a fallu que ce soit toi, le fruit pourri ?
Elle se pinça l'arrête du nez pour s'exhorter au calme.
Ses autres doigts tremblants portèrent en même temps la cigarette à ses lèvres.
Mais la veine qui transparaissait à sa tempe palpitait plus que jamais et ses narines dilatées rejetaient la fumée âcre comme un taureau déchaîné. Elle devait maîtriser ses émotions, ne pas céder à ses pulsions. Contrôle, contrôle ...
"Par les saints de l'ENFER ... " songea-t-elle, les mâchoires soudées.
Sa colère lui ravageait les entrailles, faisait bouillonner la vie qui pulsait dans les artères de son cou tendu. Elle n'en pouvait plus. Ce tourbillon de sentiments sanguinaires lui faisait tourner la tête. D'un coup, son corps s'anima d'une ardeur meurtrière.
— Fils de (censuré) ! Explosa-t-elle, les yeux brûlants et la bave au coin des lèvres. Sale chien immonde !
Un couteau jaillit dans sa main à la vitesse de l'éclair.
— Tu étais mon Second, Gordon !
La fureur faisait luire ses prunelles d'une flamme malsaine. Sa lame blanche mordait à présent la barbe du traître dévoilé, juste sous sa mâchoire ; les pupilles folles de Gordon semblaient prêtes à jaillir de leurs orbites - le visage déformé du capitaine se trouvait désormais à quelques pouces de son nez.
Visage qui n'avait presque plus rien d'humain.
— PARLE ! Hurla Zélie qui sentait ses derniers muscles se tendre les uns après les autres.
Gordon eut alors un moment de flottement lorsqu'il réalisa la situation.
Son capitaine ne pensait pas à lui quand elle avait invoqué la Griffe, puisque la jeune femme ignorait sa trahison : elle pensait forcément à quelqu'un d'autre, mais pas à son second ! Et lui, triple imbécile qu'il était, il s'était fourvoyé en pensant qu'elle savait pour ses magouilles !
Gordon s'était trahi lui-même ...
En cet instant, ce n'était pas seulement de la peur qui ternissait sa peau mate de marin.
C'était la plus profonde affliction qu'un humain ait pu jamais ressentir.
Il s'était condamné à mort de son propre chef.
Bardé de sentiments confus et totalement contradictoires, Gordon se mit à beugler comme un forcené de sa voix cassée :
— L'Enfer et tous les parjures peuvent me prendre ! Je dirai rien !
Il cracha une nouvelle fois et éructa :
— Femme !
"Tiens, c'est nouveau, ça ..." songea le capitaine.
Contractée de toute part, Zélie appuya fébrilement sur le couteau qui entama la chair sans une once de résistance. Le traître se débattit en hurlant, ce qui provoqua une gerbe de liquide rubis sur le pont.
L'équipage, alerté par tout ce vacarme, commença à former un cercle autour d'eux. Le capitaine, dont le sens de l'observation était très affûté, remarqua leur présence sans même détourner le regard, et jugea que l'instant était crucial pour la cohésion du bateau.
Sa cigarette était toujours pincée entre les doigts de sa main gauche. Bien décidée à pousser l'humiliation jusqu'au bout, Zélie en tira une bonne latte et souffla une fumée piquante sur le nez de Gordon. Ce dernier toussa et sa gorge se perça un peu plus.
Les planches du pont rougirent à vue d'œil.
Et puis soudain Zélie se mit à rire.
Ses lèvres découvrirent ses dents et ne purent retenir la frénésie qui envahissait sa poitrine. Le rire résonna d'abord très grave, comme un ricanement angoissant, puis il grimpa dans les aigus tel le cri d'une hyène affamée. Les hommes, tout autour, la dévisageaient avec stupéfaction, persuadés d'halluciner : leur capitaine riait aux éclats.
L'hystérie démente de Zélie la força à battre en retraite.
— Je sais ... Ricana-t-elle entre deux hoquets, les yeux illuminés par la compréhension. Je sais !
Gordon demeura de marbre en entendant ces mots, mais il fusillait toutefois de ses yeux rougis la jeune folle qui venait de lui scier la gorge. Le tout avec un mélange de fureur, d'appréhension et de douleur. En effet, l'ex-second savait son heure proche, peu importait la suite des événements ; sous ses prunelles injectées de sang, la jeune femme tituba vers un recoin, lâcha sa lame dégoulinante et dénicha ce qui semblait être un épais bâton.
La canne.
Reconnaissant l'objet, Gordon serra les dents en s'exhortant tant bien que mal au calme.
Son sang filait sur son torse comme une cotte de maille rougeoyante, son temps de vie s'écoulant au même rythme. De tout ce qui pouvait arriver cependant, le pire était que Zélie décide de le garder en vie pour s'amuser. La mort ne lui semblait plus si cruelle finalement.
Le capitaine caressa son morceau de bois ouvragé avec un amour maternel, poussant le vice jusqu'à l'embrasser au pommeau, comme à son habitude. Une énorme vague vint soudain ébranler le bâtiment, mais la jeune femme ne bougea pas d'un poil : ses pensées l'éloignaient de l'instant présent.
Óspakr. C'était cette racaille qu'elle aurait dû éliminer en premier lieu ! Par la barbe de Davy Jones, ce programme était pourtant simple ! Des jours qu'elle organisait son exécution ! Son épaule avait même décidé de la laisser tranquille pour ces quelques doux instants de vengeance officielle ... D'ailleurs, où était ce sommelier de malheur ?
Son œil scrutateur parcourut la foule un peu diminuée de son équipage - ils allaient devoir recruter pour remplacer la quinzaine de gars tombés - mais la silhouette d'Óspakr ne transparaissait nulle part. Saleté de chien galeux.
Tant pis, cela pouvait attendre un peu ; elle se devait de l'éliminer de manière officielle de toutes façons. Parce que, en revanche, ce qu'elle s'apprêtait à faire relevait de la vengeance personnelle.
Gordon. Sa trahison faisait très mal, Zélie ne pouvait y croire pleinement ...
L'apprendre l'avait sonnée, le savoir désormais la mettait hors d'elle.
Certes, le bonhomme était un peu buté et flemmard, mais c'était un type qui portait ses baloches et qui menait bien ses hommes. Il était dans l'équipage depuis un certain temps, et la jeune femme avait su lui accorder assez de confiance pour qu'il prenne des devants, notamment concernant la navigation. Une pichenette, et tout cela n'était que du vent.
La rage de Zélie revint au galop.
"Les hommes sont tous les mêmes."
Mais ...
La vision de la gorge à moitié tranchée de Gordon avait rappelé quelque chose à la jeune femme tout à l'heure. Ce n'était pas elle qui avait dirigé la lame. C'est lui qui avait toussé dessus, s'enfonçant le couteau dans la peau un peu plus à chaque secousse. Cette vision d'auto-mutilation forcée l'avait ramenée plusieurs années en arrière.
Lorsqu'elle n'était qu'une gamine dans le port de Liverpool.
La familiarité de ce geste avait guidé ses pensées vers la silhouette immense et terrifiante d'un marin qu'elle connaissait bien. Elle avait l'impression de revivre ces soirées dans ces pubs miteux, où de sombres individus faisaient ripaille, chopine de bière dans une main, couteau à viande dans l'autre. Jamais l'enfant qu'elle était n'entendait un coup de feu. En revanche, à l'époque, elle pouvait très bien discerner les hurlements de ceux qui constituaient l'attraction du soir.
Oh, Zélie n'avait pas vraiment eu ce qu'on pouvait qualifier de "tendre enfance".
— Nous arriverons à Las Galleras dans la matinée ! balança Smith qui venait d'arriver sur les lieux, lui tendant la Griffe. J'ai manqué quelque chose ?
Zélie lui décocha un regard rêveur, puis sourit et refusa le grand poignard en ivoire.
Il s'agissait en réalité d'une dent de morse mais le nom de cette arme lui avait été donné aux débuts de l'équipage de l'Ourse. Sa ressemblance avec une griffe était évidente. Aussi Zélie n'avait aucunement rechigné à ce que Smith - qui adorait par ailleurs le mystique et les armes tranchantes - renomme l'objet. Aujourd'hui, la Griffe était l'arme des sentences et des condamnations sur le bateau ; elle n'était dégainée que lors d'occasions très particulières, pour le plus grand plaisir de la Main Noire.
Gordon était toutefois un cas à part.
Il avait été envoyé, selon toute vraisemblance, par quelqu'un qu'elle connaissait. Par quelqu'un qui signait ses actes de torture avec la finesse la plus barbare. Par quelqu'un que Zélie voulait à tout prix éviter.
Sir Edward.
Car Zélie savait qu'il cherchait sa canne.
Si le fait qu'il soit le frère de son père permettait à la jeune femme de connaître ses penchants, elle ne redoutait pas moins ces derniers et son imprévisibilité légendaire. La jeune femme se doutait qu'il préparait quelque chose ...
La trahison d'un homme de la trempe de Gordon était la pièce de puzzle qui s'emboîtait parfaitement dans les suppositions hasardeuses de Zélie. Il avait bien joué cet enfoiré, allant jusqu'à soudoyer son Second ... Le découvrir n'avait été que pur hasard.
La Chance de Poséidon avait été avec elle sur ce coup-là.
Edward lui payerait ça.
— Capitaine ? Hasarda un des gars qui maintenait le traître, la mine inquiète.
Zélie retrouva sa lucidité et serra son pommeau lustré dans sa main nerveuse ; la jeune femme s'était laissée emporter dans ses pensées, sa cervelle tournant à plein régime. Elle jeta son reste de cigarette rabougri et se pencha vers Gordon.
— Ton corps va me servir à envoyer un petit message à Edward, susurra-t-elle, assez fort pour que tout le monde entende.
Alors le capitaine leva sa canne comme une batte et fracassa la mâchoire du félon.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top