Chapitre 3 - L'assaut
— À vos armes ! Hurla la jeune femme en laissant l'excitation balayer ses sens.
Son sourire figé était tellement grand qu'elle devait avoir l'air d'une poupée en porcelaine. Ses doigts fébriles se cramponnaient à sa fidèle canne qu'elle finit par glisser dans son carquois dédié, tout contre son dos. Ses mains vinrent ensuite naturellement caresser les poignées bandées de ses sabres qui pendaient de chaque côté de ses hanches. Enfin !
Du pouce, elle cajolait la surface lisse et soyeuse de leurs extrémités, avec l'amour d'une mère.
Malcolm, Tête-de-Planche et Gerry se positionnèrent à ses côtés, tirant les sacs de boulets et préparant la poudre - eux aussi étaient impatients à leur manière, grommelant juron sur juron. Bob sécurisait les cordages tandis que Rhalas quittait son poste de barreur sous l'invective de Gordon qui prit les commandes lui-même. Tout le pont semblait soudain agité d'une émulsion impressionnante, comme une ruche contre laquelle on aurait donné un coup de bâton.
— Mon capitaine, lança une voix éraillée. Dois-je hisser notre étendard ?
Zélie, qui fixait sa cible telle un insecte attiré irrémédiablement par le feu, fit volte face et considéra la question.
— Oui ! Cria-t-elle finalement en arrachant ses armes à leurs fourreaux. Cette fois, nous y allons en grande pompe !
En admirant son drapeau s'élever sous les bourrasques, le regard du capitaine tomba alors sur Smith, perché là-haut, et qui brandissait une impressionnante longue-vue.
— SMITH ! Tonna t-elle pour couvrir l'éclat du vent violent. Quelles sont les nouvelles ?
La réponse du concerné se perdit dans les éléments, laissant la jeune femme dans l'ignorance. Mais le garçon abaissa sa lunette et signa quelques symboles avec ses mains.
Un gros navire marchand. Pas d'or. Beaucoup de bétail. Des armes. Peu de fenêtres et autres hublots.
— Un bateau de colons ... Murmura la jeune femme pour elle-même. C'EST UN BATEAU DE COLONS QUI SE DIRIGE VERS LES INDES !
Du coin de l'œil, elle aperçut Gordon signer son accord d'un hochement de tête et Smith approuver d'un pouce levé - sa théorie semblait donc la bonne. Ainsi donc, ils allaient faire face à plus de soldats qu'elle ne l'avait cru ... Beaucoup de sang allait couler. Son regard averti balaya les hommes amassés sur le pont ; sur une soixantaine, combien survivraient ? Peu importe, ils étaient fiers de combattre à ses côtés, alors quitte à crever dans une bataille ...
Parmi les corps déchaînés de son équipage, elle distingua une silhouette qui se frayait un chemin à travers les muscles suintants. Une ombre, toute fine et sinueuse comme un chat noir, glissait parmi l'enchevêtrement d'humains affairés.
Lorsqu'elle déboula devant son capitaine, la silhouette releva son immense chapeau à oreilles de félin - rien n'était laissé au hasard - et une paire d'yeux brillants comme des émeraudes apparut sur un visage émacié aux hautes pommettes. Un sourire fendit sa face bronzée comme du caramel, faisant ressortir ses dents en désordre :
— On ne m'attend pas pour faire la fête ? Gronda sa voix rauque mais enjouée.
Zélie étira encore plus ses lèvres si c'était possible et détailla la petite stature qui lui faisait face.
Coco avait cette particularité d'être une personne toute simple, sous une apparence détonante et étrange. La petite bonne femme qu'elle était passait son temps à dormir et à se donner un aspect mystérieux. Malgré sa douceur, qu'elle tenait de sa maternité, elle savait faire preuve d'une grande témérité face à l'ennemi et se transformait en une tigresse enragée lors des affrontements.
Embarquée dans l'aventure malgré elle pour remplacer son compagnon, le vieux Pedro-Trou-de-Vin (emporté par un boulet de canon sur ce même bâtiment, quelques années auparavant), la matriarche était mère d'une portée de six enfants qu'elle défendait comme son trésor. Coco subvenait ainsi à tous leurs besoins grâce au butin que l'équipage dénichait lors des périodes d'abondance. Zélie lui accordait même une gratification spéciale pour son statut de mère et la déposait à la pointe de l'Espagne à chaque mois de Décembre pour qu'elle puisse passer les fêtes chrétiennes avec ses gosses, sur la terre ferme.
Pieuse et bardée de principes, Coco-la-femme-chat avait pour arme fétiche le pistolet, dont elle avait de fiers représentants dans tous les plis de ses vêtements.
— Salut Mamie, brailla Gerry à deux pas de là avec une impertinence qui frôlait le suicide. Ça fait longtemps qu'on n'a pas vu ton gros derrière sur le pont.
Coco se retourna lentement et darda le gros barbu avec un sourcil relevé.
— Fais gaffe mon minet, j'ai l'âge d'être ta mère ... Si tu ne veux pas un coup de crosse sur le museau, reste bien sage d'accord ?
Voilà trois mois que ces deux-là se tournaient autour depuis que Gerry avait embarqué pour le périple. Les vingt-six ans de différence d'âge ne semblaient pas le déranger le moins du monde et il vouait à Coco une vénération inconsidérée, dissimulée par un affront permanent réellement stupide. La bonne femme, qui n'était pas née de la dernière pluie, avait fini par se prêter au jeu et dévoilait parfois - notamment lors de parties de cartes endiablées - quelques pans de peau à ce beau parleur ... Elle était bien plus dangereuse que lui, mais sa douceur cachée aveuglait le jeune marin trentenaire qui semblait voir en elle la femme et la mère qu'il n'avait jamais eues - l'une comme l'autre -.
— Tout ce que tu voudras beauté, susurra-t-il en donnant un coup de coude à la brute épaisse qui lui servait de binôme. Regarde-moi ces courbes, Jacky, elle est plutôt bien conservée cette antiquité...
— Gerry ? Le coupa Zélie qui se massait les tempes à présent avec impatience.
— Oui, Capt'ain ?
— Ta gueule, nom d'un merlan ! Nous sommes sur le point d'attaquer un mastodonte, là ... Garde tes saloperies pour ta sœur. En avant vous autres ! Montrez-moi ce que vous avez dans le ventre, bande de chacals invertébrés !
Toute la troupe se remit en branle et bientôt chacun était à son poste, prêt à en découdre. Le chef du bâtiment se dirigea alors vers Gordon, en claquant du talon sur le bois humide. Le navire en vue était désormais à quelques encablures et sa masse imposante fendait les flots à bonne vitesse ; leur bateau de pirates voguait presque à sa perpendiculaire, rendant la manœuvre à la fois plus simple et plus risquée car il leur manquait l'effet de surprise.
Les minutes s'écoulèrent en silence ; seules les voiles et leur bannière noire claquaient comme des fouets sous les bourrasques. Leur cible se rapprochait de plus en plus.
Tirant une lorgnette télescopique de sa poche, Zélie la colla à son œil et put distinguer en détails le pont adverse en pleine émulsion - l'alerte avait dû être sonnée une dizaine de minutes auparavant. Une cloche tintait d'ailleurs furieusement au loin.
— Ils s'organisent, avertit-elle son second en fronçant les sourcils. La population est cependant assez jeune, je doute qu'ils aient déjà beaucoup combattu dans leur vie. Nous allons les renverser comme des quilles.
Wallace s'approcha d'eux, flanqué de Coco et de Bob, leurs faces tournées résolument vers l'ennemi. Gordon distribua quelques tâches de dernière minute et commença à tourner la barre, aidé de Rhalas.
— Armez les canons à bâbord ! Beugla t-il en pivotant complètement le grand volant de bois.
Le cliquetis de la barre qui vrillait accompagna le mouvement lascif de leur bâtiment qui montrait du flanc à leur gauche. Ils étaient désormais si proches de l'énorme navire que les cris des marins en face se faisaient entendre.
— Les crochets, à trois ! Tonna Zélie en s'arrimant à la rambarde de l'escalier.
La coque jaune de l'ennemi se rapprochait dangereusement.
— UN !
Chaque visage sur le pont se teintait d'un air de sauvagerie ; certains montraient les dents pour se donner du courage, d'autres ricanaient, fous de violences et avides de sang.
— DEUX !
— Attention au choc ! S'écria un forban à l'arrière de l'équipage paré.
Les crocheteurs se tinrent prêts à lancer leurs armes. Quant aux autres, leurs épées, pistolets, fusils à poudre et sabres brillaient sous le soleil déjà pâle et froid de l'automne.
— ... TROIS !
Les immenses coques de bois se rencontrèrent alors dans un fracas assourdissant : le bâtiment pirate, plus petit et léger que l'autre, glissa de tout son long contre la masse énorme et plus lente de sa victime. Les crissements affreux des planches vernies résonnèrent aux oreilles de tous et les crocheteurs, profitant de ce trouble, envoyèrent leurs ancres d'attaque vers le pont massif qui les surplombait. Arrimant solidement leurs points d'ancrages, ils scellèrent les deux navires ainsi que leur sort.
C'est alors qu'une grande clameur monta parmi l'équipage des pirates, et tous se jetèrent à l'assaut du monstre que constituait le bateau de colons. Des cris horribles sortaient de leur bouche, les forbans escaladant les cordages, grimpant sur les hublots pour atteindre le bastingage. Zélie, légèrement en retrait pour la première charge, était armée d'une détermination féroce. Elle se hissa à la suite des autres et, d'un vol plané doublé d'une roulade, la jeune femme atterrit brutalement sur le pont ennemi.
La bataille était commencée.
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