Chapitre 22

New chapter! 😝🌧 Bonne lecture, mille sabords !

Média : Lazare 🙈

***

Une nouvelle vague vint ébranler le bâtiment, projetant une immense gerbe mousseuse sur le petit attroupement formé à la poupe ; Zélie, ruisselant d'eau froide, décida de ranger ses sabres dégoulinants, puis avisa les deux français prostrés contre la rambarde :

— You're fUcking RUbbish...*

Son accent du Shropshire émergea du chaos, comme un rayon de lune à travers la nuit.

Animée d'une flamme vengeresse, la jeune femme leur faisait face, avec toute l'autorité qu'elle pouvait démontrer. Sa poitrine, gonflée d'un air trop humide et trop tiède, se courbait face au vent salé qui les harcelait par derrière. Toute sa posture n'avait rien d'anodin ; on eût dit un renard fauve sur le point d'attaquer un couple de lièvres.

— L'un de vous est responsable de ce qui est arrivé à Coco-la-Femme-Chat, affirma le capitaine avec une voix féroce. Où sont les trois autres ?

— Nous l'ignorons, grimaça le brun dans la langue de Shakespeare, le corps plié en deux par la douleur. Nous ne sommes pas de leur trempe... Nous, les Frenchies ... sommes bien trop éduqués pour fréquenter de tels rebus de l'humanité ...

— Admettons que vous soyez honnêtes, cracha Zélie en essuyant sa face luisante. Lequel des trois autres chiens me vendriez-vous ?

— Aaaaaah ça ...

Ses yeux verts n'étaient que deux points lumineux dans l'obscurité.

Devant l'air mutin de Sirius, le capitaine dégaina un court poignard logé dans son poignet ; ridiculement petit et peu tranchant, sa pointe effilée représentait néanmoins une arme redoutable. Zélie prit donc le pirate entre ses mains, et lui glissa l'objet sous l'oreille sans dire un mot.

— Le capitaine en a occis pour moins que ça, gronda Gerry en arrière-plan.

La jeune femme sourit brièvement, mais continua de scruter la bleusaille de Barbe Rousse.

— J'attends des réponses, s'exclama Zélie, assez fort pour couvrir les éléments.

— Les gros bras sont frangins, avança Sirius en tentant d'écarter son cou de la lame pointue. Et on ne peut pas dire que ce soient des lumières, if you know what I mean.

— Ça, je le savait déjà ... Quoi d'autre ?

— On raconte qu'ils ont torturé ensemble deux jumelles, dont le cœur pulsait le bleu des rois, narra le français très poétiquement à travers les bourrasques. Des nobles demoiselles ... Aux yeux gris, et qui voyageaient en calèche avec leur chaperon acariâtre, quelque part en Angleterre. Elles sont tombées enceintes par la suite, et ont dû être internées pour « hystérie féminine ». Ensuite elles...

— Je m'en CARRE ! l'interrompit Zélie abruptement, une BATAILLE nous arrive dessus ! ABRÉGEZ !

— Cette Alexandra est la plus douteuse, intervint l'autre français, qui semblait inflexible devant les élans de furie du capitaine.

— Alexandra ? Quoi « Alexandra » ? Que dit-il ?

— Il pense que cette fille n'a sûrement rien à voir là dedans, traduisit Sirius en haussant les sourcils.

La pluie dense avait ralenti ; seules demeuraient les dernières gouttelettes qui « crachinaient », comme il était coutume de dire en Bretagne. Mais le ciel était aussi sombre qu'un puit, et la situation pas plus avancée.

Menteur.

C'était Eladar, qui venait d'employer un français aussi terrible qu'attirant.

— Il ment, répéta-t-il pour son capitaine, et je crois qu'il espère gagner du temps ainsi.

Zélie plissa les paupières. Son poignet esquissa un petit geste furtif, qui perça la peau fine derrière l'oreille de Sirius. Ce dernier tressaillit sans gémir, comme s'il s'y était attendu, mais son regard vert croisait toujours avec aplomb celui de la jeune femme.

— Qui est cette fille ? gronda cette dernière alors que le sang courait entre ses doigts. Pourquoi taisez-vous des choses à son sujet ?

— CAPITAINE, ILS SE RAPPROCHENT ! QUINZE MINUTES MAXIMUM !

— Quinze minutes ... répéta-t-elle tout bas entre ses dents.

C'était peu, et beaucoup à la fois.

Les français se dévisagèrent, semblant peser le pour et le contre.

Au point où nous en sommes, je pense qu'on peut déballer l'intrigue ... soupira le rouquin avec une grimace hasardeuse. De toute façon, c'est trop tard pour nous tous.

Barbe Rousse nous a fait jurer, gronda Sirius avec une soudaine animosité.

Sir Edward, corrigea le rouquin, n'est ni mon capitaine, ni mon mentor. Il n'est que le prétexte que j'ai trouvé pour m'engager sur les mers en tant que pirate ; tout ce que je voulais, moi, c'était gagner de l'expérience à ses côtés, puis fonder mon propre clan de racailles. Bosser pour moi, pas pour lui. Je ne lui dois rien du tout. Et ils nous a livrés sans remords.

C'est le Code de la Piraterie que tu transgresses ...

Et je le ferais DIX FOIS si c'est pour avoir ma LIBERTÉ ! tonna l'autre, de manière tout à fait inattendue.

Zélie, qui n'y comprenait goutte, devina cependant que le vent était en train de tourner à son avantage. Le rouquin trucidait son voisin du regard, avec une passion enflammée qui surpassait même la sienne.

Voilà un homme qui avait foi en son destin.

Le concerné se retourna vers elle, comme s'il eût lu dans ses pensées, et s'exprima, dans un anglais approximatif :

— Alexandra est un Crochet ... heu ... un Filet ...

— Un Appât, grogna Sirius.

— Oui, une « appât » c'est ça. Barbe Rousse sert d'elle pour attirer Amiral Picton. Comme un phare, heu ... « light house », car Alexandra avoir quelque chose de très précieux. Barbe Rousse a laissé espions de La Marine savoir que Alexandra est sur ton bateau. Picton (il désigna le navire étranger qui s'approchait dangereusement du leur), il vient pour cette fille.

— Tout ce baratin pour une f... Oh non ... souffla Zélie, ses bras retombant mollement le long de son corps trempé.

Une lumière avait surgi dans son esprit, explosant la pénombre de ses pensées embrumées. Une minuscule étincelle venait de mettre le feu aux poudres.

La pièce de puzzle manquante.

— Par tous les seins ! s'exclama-t-elle, mais personne n'y vit le moindre jeu de mots.

La progéniture disparue de l'amiral.

La jolie blonde aux manières délicates et raffinées ... La bambine trop faible et fragile pour résister ... Le petit oiseau sans défense.

Tous ces a priori volèrent en éclats :

Alexandra était la fille enlevée du plus grand Amiral de la Marine Britannique.

C'était une certitude, l'évidence-même. Aucun doute n'était plus permis.

Comment le savait-elle ?

Ses drôles d'expressions bancales, sa forteresse de cœur, sa connaissance de la lecture, son engouement jeune et avide pour la piraterie, et surtout pour la Renarde du Shropshire. Ses mains fines et vierges - de cicatrices. Ses traits mutins et plutôt attrayants.

Son instinct l'avait su.

Mais aussi le fait que Picton la recherche. Elle. Pas Zélie, mais elle.

— Picton recherche son propre sang, comprit Zélie d'une voix blanche.

— Et Barbe Rousse s'en est débarrassé, ajouta Sirius en rendant les armes.

— Nous avions fait un marché, mais en réalité c'était lui le gagnant sur toute la ligne, enchaîna la jeune femme dont les méninges tournaient à plein régime. Il voulait la tête de Picton et se décharger de son cœur de cible, en me livrant à un sort que je n'aurais jamais pu deviner. Ainsi, Picton me pourchasse pendant que je le pourchasse lui : nous recherchons chacun à trancher la gorge de l'autre en premier. Pendant que Barbe Rousse vogue loin, et sans crainte de la Marine. C'est ... c'est ...

— C'est digne de ce chien, en effet, grinça Eladar avec inconvenance.

— Mais alors, pourquoi un seul bateau ? objecta Gerry qui suivait la scène de loin.

— Il y en a d'autres, dit le rouquin. L'amiral ne voyage qu'en grandes pompes ...

— Où diable sont-ils dans ce cas ? s'exclama Zélie en sentant la situation lui échapper.

— Devant ? Derrière ? Qui sait ? On n'y voit comme dans le cul d'une nonne ...

— Fabuleux, répliqua la jeune femme avec un cynisme dramatique.

— Et Coco ? s'emporta soudain Gerry, retenu par son Second. Où est la Justice pour ma douce ? Qui me dit que ce n'est pas vous qui avez fait ça ? HEIN !?

— Pour quoi faire ? grimaça Sirius à qui appartenait le sang gouttant sur le sol. Qu'est-ce qu'on aurait eu à y gagner ? On aurait trahi beaucoup trop de serments pour que ça en vaille la peine, et en plus cette salo... FEMME ... ne nous avait rien fait. 

— Coco était la Gardienne des Secrets, intervint Eladar à l'intention de Zélie. Elle devait avoir appris quelque chose, un mystère bien gardé. Et je suppute que celui dont nous parlons est suffisamment gros et précieux pour que ça justifie un meurtre.

La jeune femme réfléchissait. Effectivement, c'était une explication très plausible : Coco-La-femme-chat devait avoir découvert le secret d'Alexandra et, connaissant son tempérament, elle devait avoir mis les pieds dans le plat en lui révélant tout d'un bloc. L'hypothèse se tenait.

— D'accord, on part là-dessus. Ou est-elle ? Cette ... mioche. 

Il n'y avait que Zélie pour utiliser le mot "mioche" dans une telle situation. 

Tout le monde se regarda avec circonspection ; voilà qui était une fameuse question.

— Pas l'temps de niaiser, reprit Zélie en empoignant le taureau par les cornes. Vous deux, les Frenchies, à partir de maintenant vous vous mettez à mes ordres exclusifs, sinon je vous tranche les couilles et je vous balance à Calypso : remarquez que vous avez le choix ... Si vous ne creuvez pas de vos blessures avant cela (Gerry grommela). Barbe Rousse peut clairement aller se faire voir, et je suis polie quand je dis ça.

Peut-être était-ce une erreur monumentale que de les laisser vivre encore quelques heures. Mais leur nombre était déjà trop réduit pour dédaigner quelques forces supplémentaires, même amoindries. 

— La question elle est vite répondue, balança le rouquin dans un anglais affreux. 

— Je pense être à peu près convaincu que j'aime mes couilles, ajouta Sirius en empoignant son paquet. Elles peuvent encore servir ... Aïe ... fichue jambe de merde... 

— À la bonne heure ! grinça Eladar en comprenant le raisonnement de son capitaine, maintenant nous y allons ! Le temps presse.

— Eladar, héla Zélie, nous appliquerons la manœuvre de Thornes. Je te laisse la main pour les ordres. De mon côté, je vais traquer la gamine, et je prends Gerry avec moi.

Le majordome hocha la tête et revêtit aussitôt un air autoritaire qui ne lui allait pas du tout, puis son ombre disparut vers le pont en compagnie des deux autres qui claudiquaient.

La pluie avait définitivement cessé, laissant un sol glissant et des humains trempés aux quatre coins de la Grande Ourse. Désormais, comme c'était rarement le cas la nuit, le ciel se découvrait : quelques petites étoiles, plus brillantes que leurs sœurs, apparurent aux yeux de tous. Une drôle de scène pour un affrontement.

— Ma cabine, annonça Zélie en détalant sans attendre.

Son homme de main la talonna comme il put, et ils déboulèrent bientôt devant la porte, que le capitaine ouvrit à la volée.

— Nom d'une quille ! s'égosilla-t-elle en découvrant le spectacle.

Sous ses yeux ébahis, un homme presque dénudé s'affairait à se vêtir de quelque cuirasse posée en vrac sur le bureau.

Il ne portait que des braies élimées, retenues par un épais ceinturon, et un bandeau rouge maladroitement noué sur la tête. Ses pieds étaient nus, son torse également. Hormis ses bras, ses épaules et ses mollets, il n'avait point de muscles apparents ; le reste n'était que veines bleutées, peau tannée et poils recourbés. Un corps simple, mais diablement efficace à regarder.

Zélie ne reconnut pas cet homme, pas plus qu'elle ne fit le lien entre cette chevelure brune et ce visage taillé à la serpe. C'est ce long nez, un peu tordu, qui fit mouche.

— Mais qu'est-ce que vous fabriquez ? s'étrangla la jeune femme dont les yeux étaient complètement happés par les roulements d'épaules de leur propriétaire.

Interpellé, Lazare se retourna tout à fait.

— Oh, c'est vous ? dit-il. Et bien je me prépare à combattre, pas vous ?

— Mais je ... quoi ? ... Evidemment que...

La jeune femme, harassée, se passa une main sur le visage, puis soupira.

Si elle n'arrivait plus à parler ...

Le grand torse s'approcha en claudiquant, avec le pas feutré des pieds sans chaussures ; il ne semblait pas vraiment s'émouvoir de son propre état, mais une sorte d'urgence le pressait.

— Avez-vous réussi à identifier nos poursuivants ? argua-t-il en s'arrêtant à un pas des deux pirates. Holà !

Un coup de roulis plus puissant venait de faire tituber le séminariste vers le côté. Zélie haussa un sourcil.

— C'est la Marine Britannique, annonça-t-elle de but en blanc, et elle ne vient pas pour vous.

Voilà une belle voix, ferme et autoritaire.

Lazare retrouva un semblant d'équilibre, mais son visage s'était refermé - il devait vraiment haïr la mer.

— La Marine, dit-il. Ah...

— Un problème ?

— Quoi ? Oh, non ... J'aimerais ... simplement éviter de croiser les Autorités de la Couronne, dans la mesure du possible. Que mon ordre soit à ma recherche, via des émissaires, je le souhaite de toute mon âme - bien qu'ils doivent avoir abandonné les recherches depuis longtemps - mais les autorités  ... Disons que ma vie passée...

— D'accord, d'accord, vous nous raconterez ça plus tard, le coupa Zélie avec un geste pressé. Ne perdons aucun temps ! Ils sont presque sur nous. Vous disiez vouloir vous battre ? Et bien très bien l'ami, vous manierez le sabre à nos côtés. Mais tous, ici, garderont un œil sur vous ... Vous avez de la chance, vous n'êtes plus la pupille de ce bateau pendant quelques heures. Quelqu'un a pris votre place. Vous avez déjà empoigné un sabre ?

— Jamais ...

— Ah, fâcheux ... On peut dire que vous êtes déjà mort.

— ... mais par contre, je connais les pistolets.

— Vraiment ? On ne vous apprend pas à bretter dans votre couvent, mais on vous enseigne le maniement des armes à feu ? C'est cocasse. Et bien dans ce cas, vous irez dare-dare dans les cales pour récupérer des armes, puis vous rejoindrez le pont pour vous tenir prêt.

La main de la jeune femme crocheta soudain son épaule moite, et Zélie se colla à lui pour que ses lèvres atteignent son oreille :

— Vous trouverez des pistolets, murmura-t-elle aussi bas qu'elle put, dans les poches de Coco-la-Femme-chat qui doit toujours gésir contre un poteau en bas. Elle en a plein, et ils sont tous chargés. Prenez aussi ses munitions.

Le séminariste hocha lentement la tête, si bas que sa bouche frôla l'épaule de Zélie brièvement. Puis il se défit de cette étreinte et ramassa sa cuirasse, avant de quitter la pièce à grandes enjambées.

— Capitaine, intervint Gerry, j'ai pas tellement compris les motifs de c'type, mais vous pensez qu'on peut lui faire confiance ?

— Les ennemis de mes ennemis sont mes amis, répondit la jeune femme en pivotant vers lui, le regard vague. Et il craint la Marine apparemment. C'est peut-être du bluff, mais j'ai de bonnes raisons de penser qu'il n'est pas séminariste ... De toutes façons, il ne peut pas rester ici. Autant le garder à l'œil et voir quelques têtes tomber par sa faute.

— S'il les tue ! Car c'est pas catholique, ça...

— Cortez s'en fichait pas mal, rétorqua Zélie avec insolence.

Et elle décampa pour rejoindre ses hommes.

***

*Vous êtes de la merde (version traduite).

La suite se concocte 😌

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