Chapitre 21
Zélie est de retour, et plus en forme que jamais !
Chapitre avec du contenu ! Ça oui ! J'ai pensé à vous, bande de chacals invertébrés !
Bonne lecture ! :p
***
Impossible, pas Coco ...
Un poing invisible réduisit en miettes le cœur de Zélie, pourtant bardé aussi sûrement que la coque d'un navire de guerre. Toute sa volonté s'effondra brutalement.
Les genoux de la jeune femme ployèrent et rencontrèrent le sol, sans récolter une once d'attention de leur propriétaire ; le bois de la cale accueillit ainsi le capitaine prostré, avec la même indifférence que le vent frappant les voilures. Zélie avait mal.
Ce déluge de malheurs la minait ; ce bateau ennemi, les conditions de navigation, sa chute sur le pont, ses blessures latentes, tous les mystères qu'elle ne pouvait résoudre seule. Coco ne portait que le coup de grâce logique - elle n'était que l'apothéose de toute cette souffrance qui rongeait Zélie de l'intérieur.
Le corps de la matriarche roula à ses côtés, les bras le long du corps ; son chapeau à oreilles tenait parfaitement sur sa tête, aussi fermement que s'il y avait été vissé. Le silence qui accueillit sa chute fut mortel. Sa tête était étrangement tordue, la lame fichée dans son cou l'empêchant d'adopter une posture naturelle.
Zélie tendit une main tremblante vers le long manche du couteau, puis tira d'un coup sec.
Le métal tinta brièvement en rencontrant le sol, mais ne dit plus un mot. Le capitaine se pencha alors vers l'imposante tête de sa Gardienne et, tandis qu'elle lui fermait les paupières, ses propres yeux la piquèrent sévèrement.
La fétidité de la cale n'y était pour rien ...
— C'est moche, dit Wallace dans son dos.
L'homme des cuisines n'ajouta rien pendant un moment, loin de faire preuve de tact dans le choix de ses mots, mais assez subtil pour respecter le deuil de son capitaine. Puis, il se crut obligé d'ajouter :
— C'est moi qui l'ai trouvée. Je passais dans le coin quand j'ai aperçu ses ... ses oreilles de chat. Elles se découpaient dans l'obscurité de ce p'tit recoin, sans bouger. Pas dupe, j'ai j'té un coup d'œil, juste pour voir.
Ses grosses bajoues mal rasées tremblotaient, alors qu'il déblatérait son histoire dans la pénombre ; sans le savoir, il ressemblait ainsi à un gros chien Saint Hubert, à qui l'embonpoint ajoutait des mentons en colliers.
— Elle était affalée contre cette poutre, comme une endormie. C'est c'qui m'a mis la puce à l'oreille, cap'taine. Coco-la-Femme-Chat ne dort jamais que d'un œil, elle m'aurait rossé si elle m'avait r'marqué en train de l'observer. (Il tenta de retrouver son souffle, après avoir trop parlé) Ensuite, j'ai accouru pour vous prévenir. Sans la toucher, ça non.
Zélie n'écoutait déjà plus. Ses mains caressaient les cheveux de l'Espagnole, en songeant à la ribambelle d'enfants qui attendaient leur mère depuis la péninsule ibérique : leurs espoirs étaient désormais vains. Déjà orphelins d'un ancien bon membre de l'équipage, Pedro-Trou-de-Vin, ces gosses venaient de perdre leur dernier parent, leur dernière ressource.
Toutefois, pour le moment, des affaires infiniment plus urgentes nécessitaient son attention : Zélie n'avait pas le droit de s'apitoyer, ni de s'arrêter un moment pour faire son deuil. La jeune femme était capitaine, elle avait gagné ce droit, et devait prouver sans relâche sa valeur pour conserver sa place. Ainsi allait sa vie de sacrifices.
Mais son armure était fêlée, Zélie le savait.
Se redressant, la jeune femme toisa pompeusement le commis à forte carrure.
— Nous avons un nouveau traître à bord, dit-elle avec des flammes dans les yeux.
Wallace ne put qu'acquiescer.
Les prunelles de Zélie tombèrent sur le poignard ensanglanté.
— Coco savait quelque chose. Elle connaissait par cœur chaque membre de notre compagnie, poursuivit le capitaine en serrant les dents. Alors, pourquoi aujourd'hui ?
— Je suis p't-être pas à ma place ... si j'vous dis ça ... cap'taine, commença Wallace avec moults hésitations. Mais les suppôts de Barbe Rousse, eux, sont d'la bleusaille. J'sais que Coco les a tous passés au confessionnal, lors des premiers jours. P't-être qu'elle a découvert quelq'chose à leur sujet, enfin ça s'pourrait ...
Zélie lui saisit vivement le bras, le faisant sursauter.
— Oui, c'est forcément l'un d'eux ! rugit-elle tandis que ses yeux s'injectaient de sang.
Puis, aveuglée par la rage, vrillée par une folie naissante, la jeune femme remonta par l'écoutille en grimpant les marches quatre à quatre.
***
Le foulard en soie de Zélie claquait violemment dans les bourrasques nocturnes ; tout autour, ses mèches rousses gesticulaient avec la même intensité, telles des tentacules désarticulées. La pluie drue de cette nouvelle nuit avait tôt fait de les tremper au cœur, mais ses cheveux ne cessèrent de voltiger en projetant des gerbes de toutes parts.
Une forte odeur d'orage flottait dans la pénombre environnante.
— Toi, là ! héla Zélie en agrippant la vareuse de Marcel, l'un des sbires de Barbe Rousse qui œuvrait entre les gouttes.
— Madame ? rétorqua poliment le rouquin en lui décochant un regard méfiant.
Zélie avait du sang plein les mains, et les yeux aussi perçants que des lances.
— Dis-moi ce que tu sais ! hurla-t-elle soudain à travers l'obscurité du pont qui grouillait de pirates à l'œuvre. Immédiatement !
— Suis désolé, je comprends pas votre question, répondit le français avec un accent à couper au couteau.
Il semblait très impressionné par le ton véhément de son nouveau capitaine.
— « Elle veut que tu lui dises ce que tu sais » intervint une voix dans la langue de Molière.
Un autre individu, à la moustache recourbée et aux grands yeux verts, s'approcha de leur emplacement ; il portait remarquablement bien le style pirate, avec sa peau hâlée et son air bravache. Si la mémoire de Zélie était bonne, il se prénommait Aymeric Du ChienQuiBoite, et ses pairs l'appelaient Sirius. Ses paupières lourdes, à demi-plongées dans la pénombre, firent du charme sans le vouloir au capitaine de la Grande Ourse.
L'homme gratifia son comparse d'une bourrade sur l'épaule, sans quitter Zélie des yeux, puis continua dans un anglais parfait du Sud de Londres :
— Il ne comprend pas tous les mots de votre langue. Veuillez l'excuser.
— Que lui avez-vous dit ? gronda Zélie en lui décochant un regard méfiant.
— La même chose que vous, répondit le français aux cheveux bruns. Je vous assure que c'était l'une de mes meilleures traductions.
— Ne jouez pas aux plus malins, tous les deux ! cria la jeune femme en sentant ses joues s'enflammer. On vient d'assassiner l'un des meilleurs membres de mon équipage !
L'annonce explosa sur le pont comme une bombe ; tous les visages dissimulés dans l'obscurité se braquèrent sur elle en un instant. Chacun semblait figé par la nouvelle ; seul le crachat de Smith, pour rappeler sa présence, brisa le tumulte des éléments. Les deux compères français affichaient quant à eux des faces pour le moins étonnées. Jouaient-ils la comédie ?
Brusquement, une clameur monta à bâbord et Zélie pivota par réflexe pour affronter la menace : c'était Gerry, solidement retenu par Bob et Malcolm. Le spécialiste des canons se débattait dans tous les sens sous la lumière des lampes, rendu fou de douleur par les paroles de Zélie.
— Elle était à moi ! hurlait-il en jouant des épaules. Ma douce chérie d'Espagne ! Mon rossignol aux seins ronds !
— Calme-toi, pour l'amour du Ciel ! jura Malcolm en s'arquant en arrière sur sa jambe de bois, afin de le retenir.
Mais Gerry vociférait à s'en casser les cordes vocales ; il avait le cœur fragile pour un pirate, bien que sa main fût aussi cruelle qu'une guillotine. Des gouttes de pluie ruisselaient sur sa face rondelette à la barbe mal entretenue. Soudain, à l'étonnement général, l'homme se mit à sangloter.
Brisé, Gerry se laissa choir au sol, comme perforé par une balle en pleine poitrine.
Des plis inquiets ceignirent le front de Zélie, tandis que ses pupilles safran couvaient d'un regard doux l'amoureux transis qui pleurait dans la nuit impartiale.
« Si c'est cela l'amour, je n'en veux pas » songea-t-elle en frissonnant.
La jeune femme s'approcha de lui avec prudence, puis darda l'assemblée, à peine éclairée, de ses yeux injectés de sang. La folie grondait toujours en elle. La vengeance hurlait dans ses veines, pulsait dans son cœur de glace, martelait des tambours de guerre dans sa tête.
Eladar apparut alors à son côté, avec sa détestable manie de surgir de nulle part soudainement ; ses immenses mains tenaient fermement les vareuses des deux bougres français, qui avaient tenté de s'éloigner avec discrétion. Le brun lui jetait un regard dégoûté. D'une brusque poussée, Eladar les projeta au sol comme des malpropres, puis se tourna vers son capitaine. À contre-lumière, Zélie ne vit pas ses grands yeux noirs détailler son visage buriné, s'attardant brièvement sur sa bouche.
— Leurs mains sont innocentes, admit Eladar en la gratifiant finalement d'un regard droit. Tout comme la majorité des gaillards qui nous entourent. Je n'ai pas les yeux partout, mais comme j'ai l'habitude de surveiller les bleus depuis le poste de Commandement, je peux garantir qu'ils n'ont pas quitté leur poste une seconde.
— Ils peuvent avoir engagé un félon, ou fomenté quelque chose ! cria quelqu'un dans l'assemblée des pirates remontés. En plus, on n'y voit rien dans cette nuit d'encre !
— Ouais ! tonna un autre avec une voix rocailleuse. Ils sont forcément coupables, d'une façon ou d'une autre ! Ce sont des étrangers ! Tuons-les tout de suite !
— Oui ! La Griffe ! La Griffe ! criait-on encore.
— Minute ! intervint Zélie en levant une main autoritaire. Vous avez entendu votre Second, à qui je donne toute confiance : ces deux recrues n'ont pas acté physiquement contre notre membre assassiné, car Eladar l'a vu de ses yeux.
— La Femme-Chat était le seul membre féminin à part vous, elle était comme notre mère ! protesta l'un des gars, vite approuvé par bon nombre de voix bourrues. Nous réclamons justice ! Gordon était une plaie, le sommelier (chacun semblait avoir oublié son nom) ne représentait rien pour nous. Mais Miss Coco ... Ah, sa mort sera vengée, ça oui ! Pas vrai, vous autres ?
À leurs pieds, Gerry gémissait sous la pluie battante, tandis que tous vociféraient leur dévouement à la nuit et aux enfers qu'ils surplombaient.
— Cap'taine, le navire se rapproche ! hurla soudain Smith depuis les sommets, ramenant tout le monde à leur destinée imminente.
— Vous avez entendu ? tempêta Zélie en pointant une lueur sur l'horizon à peine visible. Pas de temps à perdre, la marmaille ! Rejoignez vos postes ! Je me charge personnellement de cette affaire, maintenant ou plus tard. Allez !
Tous disparurent derrière les tourbillons de flotte qui pleuvaient des cieux. Rassurée de se voir obéir aussi facilement, malgré cette période de tension, le capitaine décocha ensuite un regard courroucé aux deux français qui gisaient au sol, et les filets d'eau qui dégoulinaient de son calot en soie n'étaient pas pour la calmer.
— Vous deux, venez avec moi ! cria-t-elle dans la violence du vent.
Talonnée par Eladar, la jeune femme les emmena laborieusement jusqu'au poste de Commandement ; ce dernier se trouvait à la poupe, au-dessus de sa propre cabine ainsi que du gouvernail, et aucune lumière ne venait l'éclairer convenablement.
Là, les repoussant vers le bord où les flots sombres rugissaient leur colère, Zélie tira l'un de ses sabres au clair et le pointa sous le menton du brun basané.
Des larmes noires striaient la peau du capitaine, alors que le visage de Coco traversait fugacement son esprit peiné. Sa lame, propre et pure comme le verre, alla alors caresser la jugulaire du français, oscillant dangereusement sous la puissante houle que Zélie peinait à maîtriser.
Elle n'avait qu'un geste à faire.
Peut-être était-il innocent, c'était vrai. Mais peut-être pas non plus ...
Barbe Rousse, lui, n'aurait certainement pas hésité devant une situation pareille.
Acculé, Sirius arborait une expression assez paisible, au point d'en être irritante ; ses cheveux bouclaient sous les gouttes, sa petite moustache s'entortillait aussi, à peine perceptible dans la pénombre ... Toute sa beauté détonnait à côté de son camarade, moins gâté que lui, malgré sa chevelure de lion. Zélie vit ses yeux verts courir sur son épiderme avec curiosité, avant de remonter vers ses propres prunelles. Quelle insolence.
Son coup fut si rapide que le brun se plia en deux, avant même d'avoir eu mal ; un moment après, son hurlement déchirait le tumulte des éléments. Ce son, étonnement strident, tira aussitôt une grimace mi-agacée, mi-jouissive à la jeune femme. Heureusement pour lui, elle avait décalé son sabre de quelques pouces dans son geste, sauvant ainsi sa carotide, et sa vie par la même occasion.
— Ce qui est valable pour mon équipage l'est aussi pour toi, gronda Zélie en rangeant son pied qui la démangeait. On ne regarde que mes yeux.
Ces derniers, rougis et alourdis par la fatigue, surprirent un sourire sur le visage trempé d'Eladar, avant de retourner vers les deux français d'un battement de paupières.
Le roux n'avait même pas moufté, les bras croisés sur son torse, mais il semblait couver la même violence que Zélie lui avait vue lors de leur première rencontre ; son regard clair, blancheur double dans la nuit, était braqué sur Zélie, sans une once d'attention pour son camarade, qui crachait sa douleur en pestant contre tous les dieux du monde.
— Vous êtes sur le point de mourir, dit Zélie avec un calme funeste.
Ses doigts massaient le pommeau de ses sabres avec une certaine affection, ses bras ne tremblaient pas.
— Jamais mon propre équipage n'aurait tué Coco, reprit-elle d'un ton acerbe. Vous avez pu le constater de vos yeux tout à l'heure. Elle se trouv...
PAN ! Un coup de pistolet explosa aux oreilles de Zélie, lui coupant la chique et la respiration l'espace d'un instant. Une balle venait de frôler ses côtes, allant se ficher dans la jambe de Sirius qui hurla de plus belle sous la pluie. Quand le sort s'acharnait ...
Le capitaine pivota en un éclair et tomba sur la silhouette de Gerry, la face écarlate de fureur et les traits crispés par la concentration ; sa grosse paluche tenait un petit calibre à double canons. D'un pouce, il en abaissa le second chien et tira aussitôt dans la jambe du rouquin, qui s'époumona à son tour en se recroquevillant sur lui-même.
— Ça, c'est pour elle ! tonna le barbu en rechargeant illico son arme.
— Arrête ! aboya Zélie, j'ai encore besoin d'eux vivants !
— Qu'ils crèvent ! renchérit Gerry en s'approchant de sa démarche lourde.
Par les tentacules de Davy Jones ! Ni Malcolm, ni Bob ne l'avait suivi pour l'empêcher de commettre une telle barbarie ? C'était absurde !
« Bien sûr que non » lui susurra sa petite voix intérieure « L'équipage aussi réclame vengeance, et Gerry est le gaillard tout désigné pour servir cette cause. »
— Arrête ! répéta-t-elle à Gerry en dégainant un second sabre, pour stopper sa course vers les deux hommes terrassés.
— Je mourrai, s'il le faut ! rugit le pirate en levant une nouvelle fois son pistolet chargé.
Étonnamment, ce fut Eladar qui fut le plus leste : le majordome-garde-du-corps surgit et effectua une clé de bras à Gerry, lui faisant lâcher son arme, puis il lui décocha un coup de talon à l'arrière du genou pour le mettre au sol. L'une des lames d'Eladar rejoignit ensuite la gorge du fou-furieux, achevant ainsi de l'immobiliser. Zélie lui coula un regard désapprobateur, mais hocha la tête :
— Ton geste est presque excusable, annonça-t-elle avec ses bras toujours écartés, armes au poings. Mais il n'y aura pas de seconde fois, Gerry. Ce n'est pas à toi de faire la justice sur mon navire, c'est moi qui en décide, et moi seule. Reste là pour m'assister, si ça te chante. Après tout, je te dois bien ça, quant à ton ... affection ... pour Coco. Mais garde ta grande gueule fermée, et tes mains au fond de tes poches, l'ami. Sinon tu y passes aussi. J'ai trop peu de temps pour discuter désormais. Les secondes sont comme de l'or qui coule entre mes mains.
Comme pour en attester, une énorme vague ricocha soudain sur la coque et les doucha tous d'un rideau opaque, noir comme la nuit.
Trempés jusqu'à l'os, glacés, aucun ne bougea, car leurs pieds étaient solidement ancrés sur le pont ; seul le sang poisseux des français rejoignait la mer avec l'écume, entre les piliers des rambardes.
***
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La suite sera mouvementée, c'est moi qui vous l'dit !
Soyez sages en attendant, les moussaillons ... Asta la vista !
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