Chapitre 18

(NAB : N'hésitez pas à retourner au chapitre précédent pour vous rafraîchir la mémoire !)

Car je sais que ce n'est pas forcément évident de s'y retrouver lorsqu'on a beaucoup d'histoires en cours ^^ Sinon j'espère que cette nouvelle partie vous plaira :3 !

Méga bisous sur vos cuisses <3

***

Mon nom est Warren, et l'on m'appelle le Purificateur. Oh les gens aiment à croire que je les défends des barbares en entendant ce sobriquet flatteur, mais ils sont loin d'être à l'abri eux-mêmes ; navire ou chaloupe, on ne ressort pas indemne de ma rencontre. Et nulle flatterie là-dedans. Simplement la vérité.

Si je n'en suis pas un, il est néanmoins de notoriété publique que je raffole des pirates. Ces derniers méritent le chaos, ils le créent et sont détruits par lui. Aussi, rien de tel qu'un pirate sans merci pour entamer une belle journée dans les Caraïbes Britanniques. Bien entendu, il m'arrive aussi de tomber sur quelques vaisseaux chargés de fameux butins ... Ceux-là sont remplis de soldats bien entraînés, ils constituent un bien beau défi. Car vous vous doutez bien qu'il serait fâcheux de les laisser s'en aller sans leur payer une petite visite de courtoisie ...

Zélie repoussa l'une de ses mèches derrière son oreille. Ses yeux pensifs papillonnèrent un instant vers les vagues qui frémissaient au pied de la poupe, puis elle s'en retourna à son ouvrage. Cet anglais était des plus raffinés pour un pirate. D'où sortait cet individu ? Inconnu par-dessus le marché ...

Mon équipage ressemble à tous les autres, il est véreux et cruel à souhait. Je ne pourrais espérer meilleure compagnie. Quoique... Les femmes me manquent terriblement, surtout les blondes, ces divines créatures aux cheveux d'or. Elles sont mes préférées. Il me tarde déjà d'accoster à Las Galleras pour en profiter à ma manière. Si j'ai un péché mignon, c'est bien celui-là. Quand je leur ...

Le capitaine détourna les yeux avec embarras et sauta quelques passages un peu osés. Apparemment, ce type était un Don Juan de la pire espèce. Un parmi tant d'autres.

Soudain, une phrase attira son attention :

Bien que je sois voué à de nombreuses malédictions, il est indéniable que mes origines juives me protègent des aléas venteux et du mauvais temps. Au sens premier du terme. Étonnant n'est-ce pas ? Ma mère m'avait conté maintes histoires - que je ne suis pas près d'oublier -, narrant les anciens textes et les étranges mouvements de l'eau que pro...

Mais l'écriture semblait s'interrompre brusquement. La page suivante commençait ainsi :

... ne sait toujours pas où, ni comment cela a pu lui échapper. Mais pour moi ce sont des histoires de bonnes femmes. À mon humble avis, il n'y a rien de plus intéressant que la chair et les flots, quoi qu'on en dise. Ainsi...

Et les fioritures un peu baveuses poursuivaient leur cours. Par la Barbe de Davy Jones, il manquait une page ! Comme c'était prévisible ...

Zélie éplucha le livre rapidement, mais aucun indice ne retint son attention, mis à part quelques gribouillages érotiques éparpillés.

Refermant l'ouvrage avec furie, elle se retourna pour le flanquer violemment sur son bureau.

Quelle perte de temps !

Un petit bout de parchemin s'envola alors dans les airs et retomba en tourbillonnant sur le sol. Échappé du livre, il se trouvait amplement jauni par les années. La jeune femme fronça les sourcils et se pencha pour le ramasser. Tout enluminé, le papier rêche aux contours grignotés révélait un petit texte écrit à l'encre rouge.

Zélie plissa les yeux pour tenter de déchiffrer les arabesques, mais elle constata très vite que cela lui était impossible. Les phrases s'étalaient en latin.

Mille calamars. C'était bien une veine !

Du latin ...

« Si vis pacem, para bellum. » C'était tout ce qu'elle connaissait.

Satanas !

Son regard s'évada un instant.

Puis la jeune femme se tourna lentement vers le tas ensanglanté qui gisait dans l'ombre de son buffet en acajou.

_ À moins que ... murmura-t-elle pour elle-même.

***

_ Vous m'avez ... délogé ... une dent ... elle bouge maintenant, gémit une voix faiblarde.

_ Les miennes sont jaunes, et alors ? Ça nous fait une belle jambe. Pour la énième fois, traduisez-moi ce parchemin.

_ Vous m'avez ... tabassé ... pour ensuite me demander ... un service ? Vous êtes ...

_ Soyez chrétien mon brave ami, c'est pour une bonne cause : la mienne. Et je vous rappelle que vous avez dévoré votre dieu sans mon consentement.

_ C'est la loi du Talion ça, soupira Lazare avec indignation.

_ Je ne sais pas ce que vous baragouinez, s'agaça la jeune femme.

_ Œil pour œil, dent pour dent. Ce genre de tendance ...

_ C'est la loi pirate, corrigea Zélie en essuyant la remarque d'un geste.

_ C'est surtout une loi juive, insista le séminariste.

Un ange passa.

Plissant ses paupières, le capitaine décocha à Lazare un regard à la fois circonspect et avide :

_ Vous vous y connaissez en juifs ?

Voyant qu'il haussait les épaules depuis le sol avec une grimace éloquente, Zélie s'adonna à ses réflexions un moment, ses yeux sondant le visage abîmé de l'homme.

Elle se mordillait la lèvre dans sa concentration :

_ Ils ont fait un joli pied-de-nez à votre Jésus, si je me rappelle l'éducation de ma mère. Ils feraient de bons pirates, non ? Plutôt cruels dans le genre ...

_ Peut-être bien, répondit Lazare, mais je n'en connais ... (il gémit bruyamment en roulant sur le côté) ... aucun personnellement.

Zélie se figea en l'observant remuer :

_ Ne vous relevez pas. Restez exactement où vous êtes. Et faites ce que je vous demande concernant ce bout de papier.

_ Il faut me donner de la lumière si vous voulez que je lise, céda Lazare en se remémorant son récent calvaire. Surtout avec un seul œil ...

_ De la lumière ? Tiens donc, je pensais que vous n'en manquiez pas ...

_ Votre sarcasme ne fait rire que vous, vous savez. Je préfère quand vous me suppliez de vous obéir, c'est beaucoup moins humiliant.

_ Je ne supplie pas, j'ordonne.

Zélie lui saisit soudain le bras et le traîna vers la grande baie vitrée qui filtrait une pâle lueur automnale. Lazare poussa un hurlement de douleur, alors que la jeune femme le relâchait au pied des vitres.

_ Vous dégueulassez mon parquet par-dessus le marché.

L'autre ne répondit pas, tentant de reprendre son souffle ; il cracha quelques caillots de sang, qu'il essuya dans sa manche. Son œil gauche était quasiment clos, obstrué par ses paupières boursouflées. Toute son apparence suintait la souffrance.

_ Allez ! tempêta Zélie en trépignant d'un pied sur l'autre. Vous êtes d'un flegme ... C'en est frustrant.

Lazare lui décocha un regard meurtrier et agrippa le rebord des fenêtres de ses mains tremblantes pour se mettre à genoux. Il se hissa comme il put, puis arrima ses doigts autour de la poignée en cuivre. Son regard, à l'instar de celui de Zélie un moment auparavant, balaya sombrement la mer qui s'agitait bruyamment derrière les carreaux.

L'espace d'un instant, il s'imagina sauter dans ses bras et accueillir la mort avec soulagement.

Le futur prêtre serra les lèvres.

Zélie, absorbée par son parchemin, ne vit pas son prisonnier appuyer sa tête ensanglantée sur sa main cramponnée – son long nez frottant doucement contre ses pouces - marmonnant des mots qui se voulaient implorants et enveloppés de piété.

L'homme ferma les yeux et souffla un profond soupir. Puis il déglutit avec difficulté et pivota lentement son nez vers Zélie. Alors, il la regarda.

Il vit une femme. Avec de grandes pupilles jaunes. De longs cheveux auburn tout emmêlés. Un cou pâle à la peau tannée. Quelques taches de rousseur, éparpillées, du front jusqu'au creux des seins. Un menton volontaire. Des lèvres abîmées par le sel et les mordillements.

Il vit un monstre. Avec d'immenses pupilles incandescentes. Une crinière rebelle aux reflets enflammés. Un cou élancé portant une tête énorme, marquée par les périples de l'Océan. Des taches solaires indélébiles gravées dans son épiderme, qui la ceignaient de mille écailles disséminées. Une mâchoire puissante. Une bouche dangereuse aux dents tranchantes et à la langue acerbe.

Lazare referma ses paupières avec force et grimaça en resserrant ses doigts.

Dans quel enfer était-il tombé ?

***

Pendant ce temps, quelque part dans un petit recoin des cales, une ombre recroquevillée se rongeait les ongles en maugréant dans sa barbe. Des mèches de cheveux courts pointaient dans tous les sens sur sa tête, lui conférant la silhouette d'un animal à plumes.

Si personne n'y prêtait attention, cet être courroucé et plongé dans la pénombre était totalement invisible.

Tout autour, les forbans déambulaient bruyamment, comme affairés par une quelconque mission urgente. Ils montaient et descendaient dans les cales, trimballant des armes ou des rouleaux de bouts (=cordages). Et pour tout dire, ça fourmillait de partout, la plupart tempêtant dans leur tâche ingrate. Ils ne voyaient rien dans leur élan, ou ne voulaient rien voir.

Le brouhaha des pieds tambourinant se mêlait étrangement à des cris de douleur étouffés, de ceux que l'on entendait dans les maisons closes ... À l'écoute de ces gémissements suspects, l'ombre cachée s'agita, mais ne révéla ni œil, ni bruit pouvant trahir son trouble.

Soudain, une courte silhouette dévala l'escalier qui descendait à quelques pas de là. Dévaler étant un bien grand mot pour désigner les mouvements d'un individu aussi discret : aucun bruit ne suivait son pas rapide, pas même un grincement de plancher. Aucun talon, aucune chaîne qui grince, zéro cliquetis de métal. On eût dit un fantôme matériel.

La silhouette se faufila directement vers le recoin reculé, comme s'il eût flairé une piste.

_ Que fais-tu là ? demanda-t-elle d'une voix chaude et grave.

Une vague plus impétueuse que les autres vint frapper la coque et chamboula tout le navire.

_ Tu as des tâches, poursuivit la voix d'un ton un peu sec. Cet Eladar de malheur en a distribué à foison pour tout le monde. Et cela m'étonnerait que tu fasses partie des oubliés.

Deux petits yeux luisirent un instant dans l'obscurité, puis disparurent aussitôt.

_ Mais avant de filer faire ce qui t'attend, je voudrais te parler.

Le roulis se fit un peu plus fort. Des grognements fusaient aux alentours, certains gars beuglant des ordres à s'en rompre la voix.

_ Chacun des membres de l'équipage est comme un fils pour moi, reprit la courte silhouette, c'est la mission que je me donne et je n'ai jamais eu qu'une exception - que tu n'as pas besoin de connaître. J'élève et je partage. En retour, je connais les secrets de tous. C'est la condition sine qua non pour rester sur ce rafiot. Le capitaine a fait de moi un confesseur, un passeur. Je juge les âmes. Si je vois qu'elles ne conviennent pas, je les débarque avec mon pied aux fesses.

Disant cela, le pirate-fantôme se tourna sur le côté pour laisser la piètre lumière des cales frapper la face crispée de son interlocuteur caché.

_ Je lis sur ton visage beaucoup de choses, Alexandra, mais tu m'en caches aussi de très importantes. Si tu ne me révèle rien, ou si Zélie apprend l'un de tes secrets avant moi, il vaudrait mieux que tu apprennes à nager, et en haute mer. (La voix se durcit soudain) Cela fait plusieurs fois que je viens te voir pour que tu l'ouvres, mais tu ne fais que te planquer ou faire des bêtises pour me provoquer ! Alors j'ai fouillé moi-même ton passé.

La jeune fille dévoilée se figea, et ses pupilles étincelèrent face à la menace.

_ J'y ai trouvé des choses ... très intéressantes. J'ai notamment découvert que nous sommes tous maudits depuis l'instant où Barbe Rousse t'a confié à nous. Oui, MAUDITS ! Et j'ai découvert pourquoi, petite inconsciente. J'ai également découvert comment cette vermine a élaboré son plan, peut-être même sans que tu le saches. Te trahissant et te vouant à l'échec par la même occasion.

_ Il aurait jamais fait ça ! tempêta la bleue dans son habituel langage de rue. J'suis son plus dévoué des serviteurs, et il le sait bien, le vieux !

La silhouette secoua ses épaules dans un rire bref. Alexandra grimaça en apercevant les deux oreilles plantées sur son crâne : elles s'étaient brièvement découpées dans la pénombre, les bougresses, lui rappelant immédiatement le sobriquet de leur porteur. La jeune fille put enfin mettre un nom sur cette vipère trop curieuse et trop suspecte, vipère dont elle ne se rappelait que les oreilles, si identifiables.

Coco-la-Femme-Chat.

_ Oh, je viens de découvrir un autre aspect qui semble confirmer mes doutes, poursuivit cette dernière en plissant ses yeux de félin. Un aspect qui confirme pourquoi une jeune fille voudrait s'engager pour Barbe Rousse. Et tu as beau bricoler un accent de rue - que tu as dû entendre je-ne-sais-où -, ton vocabulaire, ma chère, te trahit souvent. Aussi sûrement que l'état de tes mains.

Alexandra replia vivement ses doigts en poings serrés, et les dissimula sous ses aisselles en croisant les bras. Elle, qui était si joviale et entraînante d'habitude, ne pipait mot à présent.

_ Deux petites pattes blanches aussi innocentes et inviolées que celles d'un bébé.

_ Taisez-vous.

_ Les mains d'une demoiselle.

_ Arrêtez !

La silhouette aux oreilles pointues ricana doucement à nouveau, dévoilant des dents mal rangées qui luisirent brièvement dans l'obscurité. Elle réajusta son chapeau de mistigri, et enfonça ses mains dans ses poches pour caresser ses pistolets :

_ Je crois que je n'ai pas besoin d'en savoir plus ... Je connais ton nom, Alexandra. C'est une information qui vaut son pesant d'or. Et le capitaine le saura dès que j'aurai quitté ces cales crasseuses. (La matrone secoua sa tête, ce qui fit virevolter sa crinière de boucles) Comment avons-nous pu être aussi aveugles ?

Face à cet affront, la jeune fille s'extirpa de sa cachette et avança d'un air hautain vers Coco, la dominant d'une tête. Ses cheveux sombres et courts pointaient toujours dans toutes les directions. Son visage fin semblait investi d'un sentiment de panique mêlé de fierté. Sa posture n'avait plus rien d'un garçon de rue ou de bon à rien.

_ Mon père ne m'aime pas, Femme-Chat, mais il m'épargnera. Evidemment qu'il sait où je me trouve. Mais quand les choses seront achevées et que tout sera à sa place, alors je le renierai publiquement pour suivre Barbe Rousse. Tel est mon destin.

Coco éclata d'un grand rire incontrôlable, récoltant quelques regards intrigués de ses collègues masculins qui ralentissaient leur course pour la jauger :

_ Pour cela, il faudrait que tu vives, petit oiseau.

Elle toucha l'épaule de la gamine qui eut un mouvement brusque :

_ Ne me touchez pas ! Rugit Alexandra, comme si on l'avait brûlée. Et si vous me tuez, ou si jamais je disparais, Barbe Rousse vous étripera. Tous. Jusqu'au dernier !

Coco se pencha vers elle en levant sa paire de sourcils :

_ Si tu crois qu'il a des sentiments pour toi, tu te fourres le doigt dans l'œil jusqu'au coude ma p'tite.

_ Vous êtes prévenus, c'est tout, éluda la jeune fille en croisant les bras. Je ne me défendrai pas. Barbe Rousse a juré à la Renarde du Shropshire qu'aucun d'entre nous ne toucherait à un seul membre de votre équipage. Et inversement. C'était le contrat, alinéa 6 du Code de la Piraterie.

_ Tu n'es PAS un membre de son équipage, et il n'en a rien à faire de toi. Tu es un pion, Alexandra, ouvre les yeux ! Un superbe pion que cette ordure manœuvre avec l'habileté d'un connaisseur. Maintenant tu vas nous écouter et faire exactement ce qu'on te dit avant que nous prenions une décision. Tes jours sont comptés comme les nôtres.

_ Vous ignorez vraiment dans quel pétrin vous êtes, ricana insolemment la jeune fille secouant la tête.

Elle hésita un instant puis annonça d'une voix grave :

_ Ce bateau n'a plus que quelques heures devant lui.

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