Chapitre 17

Le temps est contre moi, mais Zélie ne mourra pas ! Foi de moi ! Kiss <3

***

Un uppercut du droit fracassa la mâchoire de Lazare. L'homme tituba tandis que la douleur lui vrillait le cerveau. Un second coup éclata contre son oreille, provoquant un aigu sifflement. Le séminariste s'écroula, un goût de sang dans la bouche.

_ Arrêtez ... balbutia-t-il en se crispant sous les élancements.

Quelques larmes de douleur s'échappèrent sur ses joues.

Mais un nouveau coup de pied l'atteignit sous le menton, et sa tête partit brutalement en arrière.

Lazare poussa un grand cri en se tenant la tête de ses mains rougies. Il tenta de se recroqueviller sous la douleur pour se protéger, mais quelqu'un l'enfourcha soudain et lui saisit le cou de ses mains puissantes. Malgré le sang et les larmes qui lui brûlaient les yeux, le séminariste distingua une silhouette auréolée de rousseur penchée sur lui. Luttant pour respirer, il tira de toutes ses forces sur les doigts constricteurs, et sa douleur le poussa à hurler :

_ ARRÊTEZ !

Le croassement rauque qu'il émit n'eut d'autre effet que de lui valoir une gifle monumentale ; la claque résonna dans les airs, et fut suivie par deux autres, retentissantes. Écrasé par le poids de son agresseur, le séminariste se débattit en jouant des muscles et réussit finalement à le renverser d'un brusque mouvement de reins.

Mais à peine se redressait-il qu'un poing lui atterrit en pleine figure, le plongeant brutalement dans les limbes tourbillonnantes et obscures de l'inconscient.

Le corps de l'homme s'effondra.

***

Des linges teintés de sang noir jonchaient le sol, tout autour du bureau.

Ils baignaient dans une petite flaque sombre, qui trempait le parquet et s'infiltrait lentement par les rainures ; personne n'avait jugé bon de l'éponger un tant soit peu. Le séminariste étalé s'engluait dedans de manière grotesque, les bras en croix. Cela faisait déjà un moment qu'il ne saignait plus mais son teint était d'une pâleur cadavérique.

Au centre de la pièce se dressait le capitaine, de dos et penché sur ses cartes. Ce faisant, il mordait dans un épais morceau de pain, garni de viande et de poivrons. Son tricorne trônait à présent à côté de sa main écorchée, posée prudemment sur la table.

Il ne semblait pas à Zélie qu'elle puisse débusquer l'amiral Picton avant au moins quatre jours. C'était le temps nécessaire pour contourner Saint Domingue par le Nord-Ouest avec une frégate rapide. Elle et son bateau devaient se plonger dans la Haute Mer ou se terrer sous l'île pour l'attendre. La première option était la plus risquée, mais elle avait l'avantage de lui donner assez de marge pour manœuvrer.

La jeune femme sortit pour en informer Eladar, qui avait pris les rênes du Second.

Le majordome accueillit les directive avec déférence et chargea Rhalas d'ajuster le cap d'une bourrade sur l'épaule. Zélie vit le barreur grimacer d'irritation face à cette familiarité, mais il s'exécuta de mauvaise grâce. Loin d'être en bons termes avec Eladar, Rhalas affichait un rictus agacé qui faisait tressaillir sa joue, et ses mains serraient la barre avec une ardeur peu naturelle.

Le capitaine sentit immédiatement qu'il était temps de trouver un véritable Second à son navire. Quelqu'un dont l'autorité ne saurait être remise en question ainsi ... Mais qui ?

Marchant lentement sur le pont, la jeune femme tanguait sous le roulis et agrippait nonchalamment ce qui lui passait sous la main pour se retenir. Tout semblait en ordre. Après tout, Eladar avait un certain sens du rangement et ce n'était pas plus mal. Elle l'entendit distribuer des ordres à tout va dans son dos.

Bloquant sa botte dans un interstice, Zélie leva tranquillement ses coudes au-dessus de ses épaules pour organiser une natte sur sa nuque, car ses cheveux voletaient dans tous les sens. Ses lourdes boucles auburn n'avaient d'ailleurs pas été lavées depuis au moins deux semaines ; leurs reflets cuivrés commençaient à se ternir.

Ses sourcils, agacés à cette idée, fronçaient au-dessus de ses yeux jaunes tandis qu'elle peinait dans sa besogne.

Le regard perçant de la jeune femme tomba alors sur le mât près de la poupe, où quatre pirates "conversaient" semblait-il. Plissant les paupières, Zélie acheva sa tresse qu'elle laissa dévaler son dos, et libéra sa botte pour les rejoindre.

Deux des forbans étaient Paul et George Hastings, les frères aux gros bras, confiés par Barbe Rousse ; ils étaient flanqués de leur jeune et irritante comparse, Alexandra, et d'un prisonnier au teint hâlé, ligoté comme un gigot sur ce même mât. Leurs voix parvinrent au capitaine, portées par le vent capricieux :

_ Oh, allez ... Juste une petite caresse.

_ Z'êtes dégueulasses vous savez, glapit une voix de fille, je le touch'rai pas.

_ Tu m'as pourtant l'air d'être une gamine pleine de ressources ... Tu sais que les véritables pirates plaisantent pas à ce sujet. Ils prennent leur dû. Estime-toi chanceuse d'être une femelle du côté d'la racaille ...

_ Hé, bas les pattes toi ! renchérit Alexandra.

_ George, cette gamine a déjà des seins, remarqua l'autre avec un air mi-éberlué, mi-appréciatif.

_ La ferme, Paul. On a pas le droit de toucher les membres de l'équipage, rétorqua son frère contre toute attente. Par contre, lui, elle peut lui faire ce qu'elle veut et ça me plairait bien d'être là pour voir ça ... Vas-y, gamine, sors-lui ton meilleur jeu...

_ Ouais, les pirates font ça tout le temps, ajouta Paul en zieutant la jeune fille. Aurais-tu les j'tons ?

_ Jamais, je suis des vôtres ! S'écria cette dernière qui commençait à s'énerver.

_ Froussarde de mes deux, se moqua Paul en la gratifiant d'un regard lubrique.

_ J'suis digne d'être un pirate de Barbe Rousse ! Cria Alexandra à leurs visages sceptiques.

Et elle plongea brusquement sa main dans les culottes du prisonnier portugais.

Zélie choisit cet instant pour se racler la gorge et franchir les derniers mètres qui les séparaient. Les trois pirates se retournèrent vers elle avec stupéfaction. Le capitaine les fusilla du regard, un par un, puis avisa l'homme ligoté qui semblait souffrir un doux martyre, la main d'Alexandra toujours serrée autour de sa virilité.

_ Nom. D'un. Calamar, articula Zélie d'une voix un peu blanche. Qu'est-ce que vous faites ?

Ses yeux topaze montèrent vers le visage d'Alexandra qui se décomposa : le capitaine put presque distinguer les rouages de son cerveau de gamine tourner à plein régime derrière son air contrarié. Mais bientôt la fille revêtit un air particulièrement graveleux. Elle se colla au torse du portugais et fit glisser ses doigts serrés, avec lenteur, ce qui tira un gémissement à sa victime :

_ Des trucs de pirate, dit-elle avec une fierté peu crédible.

Elle eut l'audace de montrer à Zélie qu'elle pouvait également mordre le cou du prisonnier et lui lécher la carotide. La benjamine jouait si bien le jeu qu'elle semblait en véritable émoi sur cet homme ligoté. Les deux frères qui l'entouraient se lancèrent un regard de connivence, et baissèrent discrètement leurs yeux sur les hanches mouvantes de leur acolyte féminin.

Prêts au spectacle.

Zélie fit de même et sentit une colère fulgurante l'envahir, tandis que ses prunelles glissaient sur les formes aguichantes d'Alexandra.

Le capitaine bouscula George et saisit le poignet d'Alexandra. Tirant dessus avec véhémence, Zélie l'extirpa des braies, puis le lâcha brusquement ; la virilité du pauvre prisonnier dépassait à présent de ses vêtements, sans qu'il puisse rien y faire. Les pupilles de Zélie s'y attardèrent un instant, avant que ses yeux ne soient aveuglés par une fureur noire. Tournant la tête vers Alexandra, le capitaine la trucida du regard et s'approcha d'elle jusqu'à frôler sa poitrine.

Désappointée, la gamine recula et son visage passa de la surprise à la couardise.

_ J'suis désolée, je pensais que ... Enfin ...

Où était son beau-parler ? Ah le tort lie bien des langues ...

Zélie continua d'avancer vers elle, en la surplombant de toute sa hauteur.

_ ... que c'était une manière d'être plus "pirate" ? Fulmina-t-elle en pointant un doigt impétueux vers le portugais. Qu'abuser ainsi - et inconsidérément ! - d'un homme ligoté pour assouvir tes besoins de femme était intelligent ? Hurla-t-elle à travers le pont.

Zélie tremblait de colère ; ses doigts n'arrêtaient pas de se serrer, puis de se desserrer en toisant sa subalterne. Que n'aurait-elle pas donné pour se calmer à l'aide d'une cigarette ?

_ Smith le fait bien dans les cales ... marmonna Alexandra en regardant ses pieds.

_ Bon sang ! C'est un HOMME, ma p'tite ! (Elle avisa les deux autres compères qui gonflaient d'impatience) Vous autres, pissez sur les prisonniers quand vous voulez ! Faites-leur du mal si ça vous chante. La vermine n'a que ce qu'elle mérite ! s'écria Zélie tandis que ses yeux se reposaient sur la benjamine. Mais toi, misérable gamine, il est HORS DE QUESTION que tu touches, ou qu'un homme de ce bateau te touche, tant que j'en serai le chef ! Vu ? Tu sais ce qui pourrait arriver, hein ?

_ Barbe Rousse, ça l'inquiétait pas ... protesta Alexandra en regardant partout sauf dans la direction de Zélie.

Cette dernière serra les dents dans un crissement épouvantable.

_ Barbe Rousse n'a AUCUNE femme à bord, et n'en a jamais eu. Même s'il a probablement des tas de gamins qui piaillent sur la terre ferme, voire six pieds sous terre, je doute qu'il s'en carre. Les enfants, c'est pour les femmes, et les femmes, c'est pour baiser. Point final. Mais je ne vois pas en quoi ça te chante, à moins qu'il ne t'ait touchée ?

La gamine serra les lèvres et détourna la tête. Paul et George se regardèrent d'une manière indéchiffrable au-dessus d'elle, mais Zélie n'avait que d'yeux pour sa sous-fifre acculée.

Sa voix se radoucit un peu :

_ Il t'a touchée, c'est ça ...

_ Non. Tu ne sais RIEN ! aboya Alexandra avant de tourner les talons et de s'enfuir vers les cales.

Zélie se mordit la joue devant cette scène ; le capitaine ne pouvait que trop bien comprendre et interpréter cette réaction insolente.

Comme pour le lui rappeler, son souffle court se coinça soudain dans sa propre gorge ...

S'exhortant à respirer, Zélie réussit à se ressaisir et n'eut que le temps de voir la jeune fille disparaître par la trappe. Son silence avait été éloquent.

_ Cap'taine, faut que j'te parle ... intervint une voix éraillée dans son dos.

Nom d'un poulpe, comme si c'était le moment !

Smith agrippait l'épaule d'une Zélie agacée avec une forte poigne, malgré son bras décharné. Ses yeux roulaient dans tous les sens et son haleine empestait tellement l'alcool que la jeune femme se recula avec un "hoof" de dégoût.

_ Quoi encore ? gronda-t-elle avec une grimace, tentant de se dépêtrer de cette prise odorante qui lui broyait l'épaule.

Le blondinet, privé d'appui, tangua un moment sans rien dire ; ses pupilles papillonnèrent vers le bas-ventre du prisonnier.

_ SMITH ! tonna la jeune femme pour le secouer.

_ Présent ! rigola le jeune pirate en levant une main qui tenait curieusement un petit livre de poche.

Son autre paluche avançait en frissonnant vers les culottes du portugais : elle reçut une tape stridente et son bras se rétracta comme un serpent agressé.

_ J'imagine que tu n'as rien à me dire ? insista Zélie face à son état lamentable.

D'un geste agacé, elle renvoya les deux lascars qu'elle tenait en joue depuis tout à l'heure, et posa ses poings sur ses hanches. Le sarcasme titillait sa langue.

_ Smith, nous sommes seuls à seuls. Si tu veux t'exprimer ...

_ Cap'taine, j'ai trouvé ça dans les affaires de la p'tite. Hic ! J'l'ai vue une fois ou deux y lire des choses. C'est p't-être intéressant ...

_ Donne.

_ Hein hein, je voudrais le prendre avec moi.

La jeune femme mit quelques instants à comprendre sa requête.

_ Mmmh ... Nom d'un chien, Smith ! ... (Soupir) ... D'accord ... Mais en bas et SANS TÉMOINS ! Surtout la gosse ! Hors de question d'avoir une femelle en cloque sur mon navire parce qu'elle participe à vos jeux. Si elle s'engrosse, je la jette aux squales ! Faites attention, tous autant que vous êtes ... Je songe même à tous vous castrer pour éviter ce problème.

_ Tu me laisseras garder les couilles ? Aïe ! Ouille ! Oui, c'est comme si c'était fait, patron.

Et le gamin lança en l'air le bouquin, que Zélie saisit au vol avec habileté.

_ Merci.

Les doigts de la jeune femme caressèrent la couverture en peau avec curiosité. Que pouvaient donc contenir ces pages ? Et par quel miracle cette gamine de la rue savait-elle lire ? Zélie perdit un instant son regard dans les craquelures du livre, puis elle fit volte-face et rejoignit sa cabine, sans un regard pour Smith. Elle devait tirer cette histoire au clair.

Derrière elle, se mirent à fuser des bruits de baisers et des gémissements masculins qui n'avaient rien de douloureux.

"EN BAS, j'ai dit !" vociféra-t-elle dans son esprit avec irritation.

La jeune femme ferma les yeux en frissonnant, puis scella la porte dans son dos.

Son bureau n'était pas des plus éclairés, même avec les bougies. Aussi se rapprocha-t-elle des baies vitrées qui attiraient la lumière automnale à l'intérieur ; enjambant les linges qui recouvraient le sol pour ce faire, Zélie alla appuyer son épaule contre un battant de fenêtre pour enfin lire :

" Mémoires d'un pirate nommé Warren, alias Le Purificateur "

***

La suite. Au prochain épisode :D

Si vous pensez que l'histoire se barre en sucette, faites-moi signe ! Ce sont peut-être les premiers signes de ma schizophrénie  ... 

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