Chapitre 13 - Zélie est en mission

Mais que vois-je ? Un nouveau chapitre et aussi vite ? 

Ne vous emballez pas ... J'ai été malade deux jours donc j'ai passé mon temps à ne faire que ça ^^ J'espère que la suite avancera avec un rythme aussi soutenu ! 

Piratement vôtre <3 

Bonne lecture !

***

Zélie souffla sa fumée de cigarette droit sur le bureau.

Tout poids avait désormais quitté ses épaules encore fragiles. À la braise de sa cendre, ses yeux safran luisaient d'un rougeoiement inquiétant, et terrible à soutenir du regard ; sa bouche emprisonnait la tige de tabac comme un brin de paille innocemment mordillé par un enfant.

Elle était désormais en mission.

Sir Edward, alias Barbe Rousse, s'était levé lentement de son siège et fouillait dans ses poches à son tour, afin de dénicher quelque cigarillo qui traînait. Lorsqu'il en trouva un, il l'alluma à la flamme d'un chandelier et alla se planter devant sa nièce en faisant claquer ses grosses bottes. Observant son visage féminin et ses traits irréguliers, le vieux loup de mer ne put s'empêcher de lui trouver un charme irrésistible, malgré la force de caractère qu'elle dégageait.

Zélie le considéra tranquillement en tirant une latte de temps en temps ; leurs fumées se mêlaient harmonieusement comme deux dragons s'entrelaçant. À travers ces vapeurs tournoyantes, la jeune femme voyait parfaitement les yeux foncés de Barbe Rousse sonder son visage, s'attardant sur les détails.

Prenant son temps et sans un mot, elle expira un dernier nuage gracieux par les narines et se dirigea vers la porte qu'elle ouvrit toute grande ; la jeune femme n'appréciait pas être dévisagée de la sorte, par quiconque.

Une bouffée d'air tiède souleva sa chevelure auburn d'un coup, et chassa l'air saturé de la cabine.

Malgré la température plutôt élevée, la jeune femme empoigna sa longue veste pour couvrir son corps et dissimuler ses formes, la drapant tout autour d'elle. Zélie releva ensuite la tête et serra la canne qu'elle tenait toujours en scrutant l'extérieur.

Le pont du bateau presque vide s'étalait sous ses yeux plissés par la lumière : leur bâtiment était amarré dans un petit port où dormaient une trentaine de navires de même acabit. Le ciel était bleu, sans nuages, et le soleil illuminait les pierres noires et brillantes des maisons alentours. Peu nombreuses, ces dernières s'empilaient comme de sombres galets sur le flanc de la colline verdoyante qui surplombait la crique ; les livres d'histoires disaient de cette colline qu'il s'agissait en réalité d'un volcan et que toute l'île de Saint Domingue n'était qu'un vaste champ de lave séchée. 

Enfin, un clocher fin et pointu dominait, tel une aiguille noire, le petit village de Las Galeras.

C'était en somme une charmante bourgade de colons, si l'on ignorait la piraterie qui y régnait en maîtresse. Zélie n'était pas venue depuis des années, mais elle pouvait encore sentir les émanations de violence et de sang séché dans l'air vibrant. Son regard tomba sur des corps étalés ça et là, tout le long des quais, des bouteilles brisées à leurs côtés. Ici, le rhum coulait à flots de jour comme de nuit ... Rien n'avait décidément changé.

Soudain, l'œil du capitaine fut attiré par un petit attroupement à la proue de sa Grande Ourse. Des hommes inconnus et battis comme des turcs semblaient surveiller avec attention quelques autres types assis sur les planches du pont.

La jeune femme descendit les marches avec précaution, le vent fouettant ses cheveux dans tous les sens ; quelques grands lascars se retournèrent à son passage, mais ne tentèrent pas de l'arrêter. Levant le menton, le capitaine marcha avec hauteur parmi la vingtaine d'hommes appartenant à Barbe Rousse. Aucun n'était une femme bien entendu.

Zélie atteignit finalement le bout de son bâtiment, et avisa le petit groupe sous bonne garde.

Il y avait là les restes de son équipage, mutilé par leur précédent combat : Malcolm, Rhalas, Bob, Wallace et Hamilton en faisaient partie. La Bidoche, un air bougon claqué sur la face, avait les bras croisés et attendait au milieu d'eux, les paupières fermées - Zélie remarqua qu'on l'avait dépouillé de sa raison de vivre : ses couteaux de cuisinier. Pas étonnant qu'il affichât une telle trogne ...

Óspakr était là aussi, mais légèrement à part des autres. Il ne perdait rien pour attendre.

Une marche au-dessus, Coco était également assise sur les planches, ses doigts fourrageant négligemment dans les cheveux de Gerry qui semblait au septième ciel. La botte droite de la femme-chat appuyait sur un corps saucissonné dans un filet ; Zélie ne put qu'apercevoir des mèches de cheveux pâles ébouriffés en dépasser. La jeune femme sourit en songeant à la scène qui avait probablement dû se dérouler quelques heures auparavant : cinq ou six hommes d'Edward, tentant de maîtriser un gamin qu'ils croyaient inoffensif à première vue. Smith avait dû leur en faire voir de toutes les couleurs ...

Soudain, le regard doré de Zélie tomba sur l'épaule gauche de Coco - qui trônait comme une madone accompagnée de ses anges. Un visage endormi y était apposé, crispé et tourmenté dans un demi-sommeil. Un pendentif avec une croix à son bout s'échappait de son col et tapait contre la poitrine de Coco lorsqu'il expirait.

Zélie vit rouge et serra les dents à cette scène surréaliste.

C'était elle qui avait besoin de cette douce épaule, pas ce séminariste de bas-étage.

Perdue dans son observation, la jeune femme avait ainsi atteint la petite troupe en marchant sans y penser. Les hommes de Barbe Rousse bloquèrent soudain son accès ; tous les yeux se tournèrent vers elle. La plupart des visages s'illuminèrent en retrouvant leur capitaine.

— Poussez-vous de là ! ordonna-t-elle, sans prendre de gants, aux sbires de son oncle. Laissez-moi passer.

— Laissez-la ! Tonna une grosse voix derrière elle.

Barbe Rousse venait de la rejoindre, son cigarillo dans une main, le col de chemise d'Eladar dans l'autre ; ce dernier se trouvait toujours dans ses vêtements et peinait à toucher le sol de ses pieds. Zélie se tourna vers eux en entendant un gémissement, et elle n'eut que le temps de réceptionner son serviteur tandis que Sir Edward lui envoyait comme une loque.

Le dos de Zélie buta contre un tonneau, mais tint bon le choc : Eladar saignait à la tempe et il semblait nettement affaibli, mais rien de grave à première vue. La jeune femme lui saisit les hanches et le remit debout avec peine. Ainsi relevé, il était largement plus grand qu'elle. Ses paupières s'ouvrirent difficilement et révélèrent des pupilles noires comme le plomb. Il sourit brièvement et ses lèvres dessinées murmurèrent :

— J'ai essayé ... Je suis ... désolé.

Zélie fronça les sourcils et darda Barbe Rousse, attendant des explications.

— Effectivement, il a essayé ! S'exclama le vieux pirate en crachant une fumée immonde par la même occasion.

Et tout son équipage s'esclaffa.

— Qu'est-ce que tu lui as fait ? S'écria la jeune femme en sentant petit à petit Eladar s'appuyer sur elle, de tout son poids.

— Bien, vois-tu, il était bien plus coriace que Gordon. De nombreuses fois, j'ai tenté de le convaincre de nous rejoindre, comme l'avait fait ton Second, déplora le pirate en secouant la tête d'un air désolé. 

Après un raclement de gorge gras à souhait, il reprit : 

— C'était Gordon, bien sûr, qui était chargé de soudoyer ton majordome. Mais ton petit chien-chien de serviteur n'a pas accepté une seule seconde ... (Barbe Rousse leva les yeux au ciel) Je l'ai menacé de mort, lui et sa famille. Nada ! J'ai dû menacer de te tuer toi, après maintes souffrances, pour qu'il accepte de seulement te sédater ! Sache que dans mon plan initial je reprenais juste mon bien, discrètement et en te laissant la vie sauve ! Dans ma grande bonté ... 

Le pirate tira une grosse latte et de la fumée âcre lui sortit des narines :

— Bref, il m'a été facile ensuite de prendre d'assaut ton bateau, dès son arrivée à quai ; tes hommes ne sont rien sans toi, je ne sais pas ce que tu leur fais mais ... (Il lança à Zélie un regard lubrique). Enfin bon ... Le problème, c'est que cette enflure connaissait le sédatif et te l'a administré trop tôt. Tu t'es réveillée avant que je n'arrive et ne prenne ta canne. Tout aurait été si simple s'il avait obéi ...

Zélie fulminait en entendant ces paroles : le sourire insolent de son oncle lui donnait des envies de meurtre ! Mais elle était coincée par Eladar, qui glissait à présent le long de son corps, jusqu'à cogner ses genoux sur le pont, ses bras enserrant sa taille. Si la jeune femme n'avait pas porté de veste, la tête de son majordome reposerait sur ses seins à peine recouverts. Zélie frissonna à cette idée saugrenue.

— Tu ne crois pas que j'ai assez d'hommes blessés sur ce rafiot ? tempêta enfin la jeune femme, soutenant la tête d'Eladar de ses deux mains.

— Il n'avait qu'à suivre mes directives à la lettre, et rien ne lui serait arrivé ! Répondit simplement Barbe Rousse en tirant une nouvelle bouffée de son cigarillo. Maintenant, je te laisse. Les gars, nous partons !

Le grand pirate s'avança d'un pas lourd vers la passerelle et fit descendre ses hommes de main vers le quai ; ainsi, les gardiens de l'équipage de l'Ourse quittèrent leur poste et rejoignirent leurs camarades à la mine patibulaire. Barbe Rousse chuchota quelque chose à l'un d'eux, qui acquiesça et sauta rapidement à bas du navire.

Tout le bâtiment se vidait de l'ennemi et Sir Edward fermait la marche. Avant de quitter l'Ourse, cependant, il se tourna une dernière fois vers sa nièce :

— Nous restons à Las Galleras pour encore deux jours. Si tu me cherches, je serai à la Taverne des Trois Voleurs. Mais ne t'avise pas de venir sans une raison valable ... Et ramène-moi la tête de Picton sous peu. Sache que je ferai halte à Las Galleras toutes les trois lunes, pendant la prochaine année : tiens-en compte pour me ramener ton trophée. D'après mes informations, l'amiral vogue au large de Cuba en ce moment ... Pour ma part - puisque tu le demandes avec tant d'attention -, j'irai vers la Guyane pour aller mater du gueux Français. Si tout va bien, ce chien des mers me suivra. Démerde-toi pour le chasser et lui montrer tes talents. Pense à moi quand tu le feras, cela t'inspirera ...

Zélie lui fit une grimace, mais n'en pensait pas moins : quand elle capturerait Picton, ce sera une joyeuse partie de rigolade. Et elle eut l'impression qu'Eladar approuvait cette perspective, puisqu'elle le sentit la serrer plus fort ; la jeune femme posa ses mains sur ses épaules tendues.

La chevelure de Barbe Rousse flottait dans le vent tiède comme un halo. C'était presque le soir désormais et le paysage se revêtait de couleurs chaudes aux tons ocres. Le pirate dardait sa nièce avec sévérité et hauteur ; il n'avait pas bougé et restait debout près de la passerelle. Comme s'il attendait.

Un brouhaha éclata soudain en bas sur le quai et quelques individus grimpèrent à bord pour se poster agilement aux côtés de Sir Edward. Ils étaient cinq. Le chef des pirates sourit.

Zélie comprit l'allusion en un battement de cils, et laissa lentement choir au sol son majordome pour s'approcher. Elle était forte désormais, ses membres lui obéissaient au doigt et à l'œil. S'avancer ainsi lui donnait de la prestance. Sa main droite tenait la canne et sa main gauche enserrait la poignée de son second sabre. Elle avait terrible allure, ainsi accoutrée. Les individus qui lui faisaient face virent leurs yeux briller d'admiration.

La Renarde du Shropshire allait devenir leur nouveau capitaine.

Arrivée à leur hauteur, la jeune femme leva le menton et avisa leur petit attroupement.

Le premier homme était un grand type aux traits marqués et aux bras énormes. Il avait une sale tête de paysan mal loti. Il était flanqué d'un second type pâle et roux comme un irlandais, moins musclé mais au corps tonique. Un bon élément selon toute vraisemblance.

Le troisième larron faisait la taille de Zélie et avait un profil assez français, avec sa petite moustache noire recourbée. Charmeur.

Le quatrième homme avait de nombreuses similarités avec le premier au niveau du visage mais présentait un corps de lâche, si l'on excluait ses gros bras musclés. Ce garçon-là était encore moins bien loti - si c'était possible - que le premier.

Quant au dernier larron, Zélie fut très surprise à la vue de son profil.

C'était une femme.

Ou plutôt une jeune fille, qui ne devait pas avoir plus de vingt ans.

Elle était affublée d'une chevelure brune très courte, faite de mèches inégales - comme coupées avec une hache - et qui partaient dans tous les sens ; son petit visage fin au menton pointu, qui apparaissait juste en dessous, lui donnait un étrange petit air de farfadet malin. De grands yeux verts, surplombant une étroite bouche en cœur, luisaient encore au milieu de sa figure et révélaient une sorte de détermination féroce ...

De taille moyenne, la jeune fille portait son dos droit avec une attitude fière ; vêtue d'habits de garçon, elle avait l'air d'un vrai sauvageon et la fine épée qui ceignait sa taille ne faisait que renforcer cette image. L'inconnue dévisageait Zélie avec un mélange d'admiration et de curiosité.

— Où l'as-tu dénichée, celle-là ? Maugréa le capitaine en haussant un sourcil intrigué.

Barbe Rousse élargit son sourire.

— Ça, c'est mon arme secrète, décréta-t-il en couvant sa protégée du regard. Je l'ai trouvée errant dans les rues de Port-au-Prince avec une bande de gamins. Elle m'a assuré vouloir se battre pour le compte d'un pirate. Figure-toi qu'elle me connaissait à peine de nom - du moins c'est ce qu'elle prétendait - mais que toi, elle savait tout de toi ... Tous les exploits de Zélie, la Renarde du Shropshire, la Princesse des Mers, la Terreur des Portugais. Tu cumules les sobriquets ridicules, tu le savais ?

Zélie chassa les dernières paroles de son oncle avec un geste agacé de la main. Cette gamine, en revanche, l'intriguait au plus haut point. Outre sa tête de lutin fascinante, elle dégageait quelque chose de mystérieux et de facétieux. La jeune femme eut l'impression d'être un soleil éblouissant face à un insecte avide de lumière. Troublant.

— Et en quoi est-elle ton arme ? Dit-elle avec méfiance.

— Satanas ! S'écria Sir Edward en levant les yeux au ciel. Pourquoi n'arrêtes-tu pas de poser des questions ? Réfléchis, petite renarde, et regarde-la avec encore plus d'attention ... Elle m'est assez précieuse cette gamine, malgré ce que tu pourrais croire, car ... c'est une FILLE.

Après un silence de plomb, Zélie comprit soudain où il voulait en venir : Barbe Rousse, avoir une femme sur son navire ? Jamais ! Ces créatures n'étaient réservées qu'aux moments de plaisir une fois sur terre, et toujours dans des bordels soigneusement choisis. Jamais sexe féminin n'avait posé ses précieux talons sur les planches de son bâtiment. Pas même sa nièce.

Mais qu'une femme veuille travailler - de son plein gré - et être sous le commandement de Barbe Rousse ... Quelle aubaine ! Il y avait de quoi en faire une espionne de choix ! Car personne ne soupçonnerait cette gamine d'être à la botte du pire misogyne voguant sur les mers. Personne ! 

Ah, la ruse de ce rascal était finaude, d'autant que le minois de cette fille pouvait faire tourner bien des têtes, ce qui était assurément pratique pour un mouchard.

Zélie comprit que Barbe Rousse avait bravé l'un de ses principes phare, dans le but ultime de devenir plus fort. 

"Imprévisibilité, Zélie ! Ruse et imprévisibilité !" se morigéna-t-elle. 

La jeune femme, soufflée par cette nouvelle qui chamboulait ses idéaux, darda leur petit groupe avec une attention extrême, mais ne s'attarda guère sur la jeune diablotine - il n'était jamais bon d'accorder trop d'attention à une recrue fraîchement cueillie. Enfin, elle s'exprima :

— Soit. J'ai compris l'idée, le vieux. Bienvenue à bord, bande de dégénérés ! Annonça Zélie en leur tournant le dos, dissimulant le mince sourire qu'elle affichait.

Les choses promettaient d'être très intéressantes pour la suite. 

***

Prochaine étape : découvrir plus en profondeur les personnages et explorer brièvement Las Galleras ... Qui sait ce que Zélie y trouvera avant de pourchasser l'amiral Picton ? 

Bisous tout mouillés :*

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