Chapitre six

Sane prenait sur lui. En apparence impassible, il était aux aguets. Il avait choisi un tracé peu fréquenté pour rejoindre la cité. Il n'avait pas séjourné assez longtemps au château du royaume d'Abizmil pour que l'information gagne Finkel et les assassins de son père, mais il n'était jamais trop prudent. Il suffisait d'une seconde d'inattention pour passer de vie à trépa. Et la partie la plus épineuse se profilait, il ne connaissait pas les passages secrets permettant de traverser les montagnes. Si des meurtriers devaient l'attendre ils le feraient à la frontière.

Grisaille renâclait. La pauvre bête n'avait pas eu de réel repos depuis des semaines, il lui fallait tenir bon. Il continua à avancer tranquillement sous la futaie. Les bois étaient denses par ici, les seuls endroits où ils étaient clairsemés étaient près des mines. Le lieu idéal pour une embuscade. Malgré les angoisses de Sane le temps défila sans encombre. Dans des troués de branches il distinguait les immenses montagnes qui dominaient les terres. Au sommet de certaines se trouvait des reliquats de neige. Ce n'était pas qu'il n'aimait pas la météo des hauteurs, mais il était nostalgique de l'océan où il se rendait une à deux fois par an dans le royaume de son père. Sa terre natale lui étant interdite et étant chassé par le roi Pancrède, il devait définitivement dire adieu à l'immense étendue bleue. Ce constat lui pinça le cœur, mais il y avait plus urgent : rejoindre la sécurité.

Il fit halte loin des sentiers. Grisaille était fatigué, il avait fini par cheminer à côté pour le ménager. Il le bouchonna avec attention, flattant l'animal pour lui témoigner sa reconnaissance. Il espérait pouvoir franchir les premiers cols demain. Mais pour se faire, son cheval devait tenir bon.

Il n'y aurait pas de feu ce soir. Sane était devenu paranoïaque, malgré la fraicheur ambiante au pied des montagnes, il se refusa à signaler sa position.

— Tu perds ta clairvoyance, murmura-t-il en s'emmitouflant davantage dans sa couverture.

Il était transit de froid, ses dents s'entrechoquaient. Il n'avait pas prévu de fermer l'œil, trop inquiet à l'idée d'être surpris, mais sa grande fatigue n'était sûrement pas étrangère à son incapacité à se réchauffer.

— Tu es prêt à te laisser mourir de froid. Tu es stupide, marmonna-t-il.

Il hésitait. Deux nuits sans sommeil, ce n'était pas prudent, il le savait. Mais son esprit était engourdi par l'épuisement, il avait conscience de ne pas raisonner nettement.

Il devint enfin raisonnable et décida de se réchauffer près d'un foyer, quitte à l'éteindre rapidement.

Il était en train d'assembler le petit bois quand le bruit mat des sabots sur le sol se répercuta jusqu'à lui. Il jura.

Il y avait peu de risques qu'une personne ordinaire finisse par venir là où il se trouvait. Le soleil avait disparu depuis longtemps ce qui rendait suspect l'individu qui n'avait pas monté de campement pour la nuit et qui continuait sa route au risque de blesser sa monture.

Il abandonna ses branches et avança lentement vers la source du bruit avec un petit couteau au clair. Ce n'était pas une arme de jet, il n'y voyait pas assez et n'avait pas le talent de feu Tagan ou d'Eunan.

Un immense hongre baie finit par se détacher dans l'obscurité. Le cavalier sur son dos ne paraissait pas bien grand. Peut-être une femme. Mais impossible à distinguer, car ses traits étaient dissimulés par un grand chapeau et son corps serré dans une immense cape.

Le cavalier maintenait son cheval a une allure lente, ce qui mit à l'épreuve la patience de Sane qui voulait l'attaquer par derrière. Mais à force son immobilité paya, car il trouva son ouverture. Il bondit derrière l'intru, lui ceintura la poitrine et le jeta à terre.

Le couvre-chef s'envola et sous la stupéfaction de Sane c'est le prince Tancède qui se trouvait étalé sous ses pieds.

Le jeune prince gémi en se redressant.

— Votre majesté ! s'excusa Sane en l'aidant. Que faites-vous ici ?

— Je viens avec vous !

Sane eut l'impression de ne pas comprendre et garda le silence quelques secondes.

— Venir avec moi ? répéta-t-il bêtement.

— Oui, j'ai bien cru que vous m'aviez semé. Mais j'aurais bien fini par trouver la cité ! Je ne veux pas de mon titre ni du trône. Mon père se fourvoie. Je veux vous aider.

— Vous n'y pensez pas ! Vous devez retourner sur vos pas ! Le royaume de Finkel risque d'être accusé de votre disparition ! Voire même la cité des épées !

— J'ai laissé des mots et je suis parti plusieurs heures après vous.

— C'est de la folie ! Je n'ai pas d'ordres à vous donner, mais rentrez chez vous.

— Comme vous venez de le faire remarquer, vous n'avez pas d'ordre à me donner, donc je viens.

Eberlué et désarçonné Sane ne sut quoi répondre alors que le prince calmait son cheval, attendant qu'il lui indique son campement. Sauf que Sane était loin de ces préoccupations, il essayait de réfléchir à tout ce qu'impliquait la présence du prince d'Abizmil avec lui. Une douleur violente lui foudroya le cerveau à force de se perdre en conjecture. C'était rare qu'il se sente pris au dépourvu. Il ne s'en ventait pas, mais il planifiait et anticipait facilement les évènements, habituellement. Mais la venue du prince, il ne l'aurait jamais imaginé.

Il finit par se reprendre et par guider son invité surprise. L'adrénaline le déserta rapidement et la sensation de froid refit son apparition, sauf que la donne avait changé et qu'il ne pouvait se permettre d'ameuter d'hypothétiques gardes à la recherche de leur prince.

— Ne faisons-nous pas de feu ? finit par demander Tancède.

— Ce ne serait pas prudent. Vous êtes l'héritier d'un des trônes des quatre royaumes. Il faudrait rapidement vous faire disparaître aux yeux de tous. Nouveau prénom, nouvelle identité, nouvelle apparence, nouvelle façon de vous tenir. Je vais devoir arrêter de vous vouvoyer et vous allez devoir vous habituer à rendre vôtre langage moins lisse. À moins que vous ne repreniez vos esprits et que vous ne rebroussiez chemin.

— Contrairement à ce que vous pensez, je ne vous ai pas suivi sur un coup de tête, j'y réfléchissez depuis longtemps, mais je connais peu les us et coutumes du commun. J'avais besoin d'aide.

— Tu es très jeune. Je comprends que tu te sentes étouffé par la vie au château et tes obligations, mais pour ton bien et celui du peuple tu es certainement le plus à même d'avoir un règne juste, car tu comprends ton fardeau, sinon tu ne le fuirais pas.

— Je ne suis pas fait pour cette vie. Mon père ne m'écoute pas, il vient à peine de monter sur le trône, je n'ai aucun moyen d'aider. Je veux être actif et faire des choses qui comptent.

— C'est ta jeunesse qui t'aveugle, soupira Sane en resserrant sa cape.

— Mais v... tu ne me dis plus de partir.

— Non, tu fais tes propres choix. Tu devras en assumer les conséquences.

Sane tue le fait qu'il espérait ne pas subir ces mêmes conséquences, car elles pourraient se révéler destructrices. Il invita le prince en fuite à se coller à lui pour qu'ils se tiennent chaud. C'était le côté positif de cette arrivée impromptue.

Tancède acquiesça, il était prêt à faire face à tout, il savait qu'il avait trouvé sa place. Serré contre son compagnon de voyage, il se sentait en paix et s'endormit rapidement.

Sane savait qu'il ne pouvait pas amener le prince dans la cité, car si la nouvelle s'apprenait elle pourrait engendrer une guerre. Mais il ne savait pas quoi faire non plus. Il se refusait à l'abandonner, alors que ce serait la solution la plus prudente, parce que peu importait où il le mènerait, sa présence mettrait en danger ceux qui le côtoieraient. Surtout que Sane était aisément reconnaissable pour ceux qui le chercheraient. La balafre qui barrait son œil droit ne laissait que peu de place aux doutes aux gens qui avaient son signalement.

Sur le territoire de la cité des épées, il n'y avait rien pour qu'ils subsistent et le seul royaume où il était encore le bienvenu était celui où il serait cherché, mais il n'avait pas le choix, il devait trouver un lieu reculé sur le territoire de Bisror et y rester discret.

Il exposa son plan à son nouveau compagnon de voyage qui loin d'être bête, était d'accord avec lui. Il ne pouvait ni se rendre chez les rebelles de peur de déclencher de nouvelles tensions avec le pouvoir, car pour le moment leur présence était tolérée, mais cet état ne durerait pas. C'était pour cette raison que Beag ne quittait plus les bois, il ne voulait pas être tué et que son organisation s'écroule. Il serait capable de les tuer lui-même s'ils se rendaient là-bas. Son idéal passait avant tout le reste. C'est ce qui avait fait tenir les rebelles si longtemps et ce qui avait permis leur reconnaissance par le royaume.

Sane ne pouvait pas se résoudre à rejoindre Maelia et les autres, car il refusait de les mettre en danger là où maintenant ses amis vivaient des jours tranquilles. Il faudrait qu'ils se débrouillent. Leur premier objectif serait de rejoindre Bisror et les contrées boisées du centre sans se faire repérer. Ce qui ne s'avérerait pas une mince affaire, car ils allaient arriver sur le territoire par le sud. Dont les bois et les mines à la frontière des montagnes de la cité des épées étaient fortement exploitées et donc peuplés. Après cette zone épineuse, il leur faudrait éviter d'être repéré par les soldats qui patrouillaient souvent sur la route entre la capitale Senacnacsor et Ronnenbar une des grandes villes du royaume. Il n'y a aucun moyen d'éviter cet axe qui coupait la contrée dans sa largeur. Et ce n'était pas la seule route qui préoccupait Sane. Il y avait celle entre Ronnenbar et Liba qui était aussi problématique. Mais il devrait la traverser pour bifurquer vers l'Est, car sinon ils se rapprocherait trop du nord et du camp rebelle caché dans les Sasmif-Raltenc ; les montagnes sans fin. Un vrai casse-tête.

Tancède semblait épanoui, loin des tracas qui harcelaient Sane. Quandils s'engagèrent plus en avant et pénétrèrent dans les montagnes entourant lacitée des épées, le jeune homme était émerveillé par tout ce qu'il voyait. Lestempératures dans les Respeynes n'étaient pas clémentes et beaucoup de sommetsétaient recouverts de chapeaux blancs. Le froid était le danger de premierplan, le second était qu'ils étaient sûrement déjà repérés par une vigie de lacité, mais il ne pouvait rien y faire. S'ils ne s'approchaient pas trop desmurs, il n'y aurait aucune raison qui motiverait quelqu'un à venir à leurrencontre. La cité apprendrait après leur passage qui était la personne avec Sane,donc aucun risque qu'ils ne les stoppent. Le seul problème qui chiffonnait Sanesur le sujet, c'était que la présence du prince à son côté pourrait êtreconfirmée, car ceux de la cité se souviendraient de l'avoir vu avec quelqu'un.Mais il ne pouvait y remédier, alors il musela ses craintes et pris sur luipour continuer d'avancer sur une pente escarpée, malmené par un vent glacial.

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