Chapitre deux

— Pourquoi tu es timide ? demanda Adren à Sane alors qu'ils mangeaient à l'auberge.

— De quoi parles-tu ? questionna en retour Sane, réellement intrigué.

— Je sais pas, mais tu as peur que des gens te regardent on dirait. Il faut pas, le monsieur est très gentil, il donne du lait de chèvre.

Sane se retrouva désarçonné qu'un petit garçon remarque qu'il n'était pas à l'aise. En effet, il avait peur, peur que des assassins payés par son père tentent de le tuer. Il avait pourtant renoncé à la couronne et à toutes prétentions, s'attirant par la même, les foudres des parents de sa femme, qui de ce fait ne l'était plus, elle avait épousé un prince, pas un marginal. La situation était vraiment compliquée depuis la mort de Dwen son frère aîné, l'héritier était le fils qu'avait eu ce dernier, mais l'adolescent avait une santé très fragile, personne ne le voyait vivre longtemps, même s'il avait plus d'une fois fait mentir les herboristes. C'est pour cette raison que le roi, son père, voulait le tuer, car Sane refusait de pérenniser la royauté, il voulait que les quatre royaumes disparaissent et qu'un conseil de sages dirige, comme avant. Il s'était beaucoup documenté à la cité des épées. Il était persuadé que la prospérité du peuple et de la nation ne pouvait venir que de cette façon. Mais rien n'était fait.

Les guerres avaient cessé, sauf qu'il savait que son père finirait par rendre les accords caducs. Après tout, le prince Ridwen n'existait plus, ne restait que Sane le vagabond, pour quoi s'encombrer des engagements qu'il avait pris... C'était son seul regret en renonçant à son nom, il avait affaibli l'alliance qu'il avait nouée avec Cadwil. Alliance qui avait été obtenu au prix de vies, dont celle du père de l'enfant devant lui.

Adren avait dû sentir son regard, car il releva la tête. Des yeux verts, identiques à ceux de Tagan, le clouèrent sur place, Sane était souvent hanté par sa mort. Il se sentait coupable. Il avait douté tellement de fois de la volonté de Tagan à les aider, que son sacrifice lui pesait.

— Tu as des ennemis ? finit par demander Eunan qui s'était crispé à son tour.

— Mon père. Et je ne te parle pas des gens qui chassent les sorciers et autres mages, que ce soit avéré ou non. Je reste quelqu'un de reconnaissable, c'est le problème.

— Un gros...

Eunan se tut avant d'aller plus loin, une part de lui voulait ne pas prendre de risques et rester loin de Sane, mais il refoula sa peur, avec Sane et lui, Adren ne risquait rien.

— Restez-vous longtemps à la capitale ?

— Non, on part après-demain, sauf si la livraison du forgeron arrive plus tard.

— Puis-je faire la route en votre compagnie ?

— Oui.

— Super ! s'enthousiasma Adren. Tu faisais quoi au château ? finit-il par demander.

— Je leur ai remis une missive en provenance de la cité des épées et je me suis entretenu avec le prince Cadwil pour l'aider à solutionner des problèmes.

— Quand tu parles, je comprends pas grand-chose.

— Ça viendra.

— Comment tu t'es fait ta cicatrice à l'œil ? T'es un grand combattant ?

Sane prit sur lui pour ne pas montrer que les souvenirs qui remontaient étaient douloureux.

— J'ai fait la guerre, oui. Je suis ni le moins bon ni le meilleur, j'ai eu surtout beaucoup de chance.

— Tu m'apprendras ?

— Je pense que si quelqu'un doit t'apprendre, ce sera ta mère.

Adren plissa les yeux et se mit à fixer Sane, cherchant à savoir si l'ami d'Eunan se moquait de lui.

— C'est une fille, elle sait pas se battre, répondit Adren.

Sane regarda Eunan dont le visage n'exprimait pas grand-chose.

— L'un de vous lui apprend-il à se défendre ?

— Non, Maelia refuse. Elle a simplement accepté qu'il apprenne le tir à l'arc pour chasser avec Arzel.

Sane ne fit pas de commentaire, mais il trouvait la décision de Maelia dangereuse, même s'il pouvait comprendre les craintes qui devaient l'habiter après avoir perdu Tagan. Toutefois, la vie était dangereuse, son fils devait apprendre à prendre soin de lui.

— C'est Exurie qui m'apprend à tirer, s'égaya le jeune garçon. Je te montrerai comme je suis fort. Pas comme Exurie, mais elle s'est la meilleure !

— Ta maman est très talentueuse avec un arc aussi.

— Tu es sûr que tu connais ma maman ? finit par demander Adren.

— Oui.

Sane se leva, prétextant qu'il avait des achats à faire.

Eunan comprenait l'étonnement de Sane et tout comme les autres il espérait que Maelia finisse par changer d'avis pour l'éducation de son fils. Mais tout ce qui lui rappelait Tagan la faisait souffrir, elle avait du mal à parler de lui, Adren s'en était aperçu et il n'osait plus poser de questions sur son père pour ne pas lui faire de la peine, mais l'ex-assassin voyait toutes les interrogations qui brûlaient les lèvres du petit garçon.

— Le monsieur il a menti sur m'man ?

— Non. Il a connu ta maman et ton père, ils se sont déjà battus ensemble dans le même camp, mais c'était il y a longtemps.

— C'est comme ça que mon papa est mort ?

— Oui, pour nous défendre, il a pris des risques et il ne s'en est pas sorti. C'était un bretteur hors pair. Il se battait avec deux épées, il était vraiment très doué.

— J'espère que je serais aussi fort que lui quand je serais grand.

— Tout comme ta maman, j'espère que tu n'en auras jamais besoin.

***

— Tu me rends nerveux, déclara Eunan.

— Je te prie de m'excuser, depuis que nous avons croisé les deux mineurs, j'ai un drôle de sentiment, déclara Sane en soupirant.

Adren ne se préoccupait pas des échanges des deux adultes, il adorait voir le monde d'aussi haut sur la selle de Grisaille, le cheval de Sane. Il avait mal aux fesses depuis tous ces jours à réclamer de voyager sur le dos du hongre. Il avait envie d'aller vite, mais il restait au pas, l'animal dirigé par la longe tenue par Sane.

Eunan avait été contaminé par le comportement anxieux de Sane, il se crispait à chaque craquement des bois autour d'eux.

— Qui est nerveux, maintenant ?

Eunan grogna sans répondre.

Ils finirent par faire une halte pour se sustenter. Adren était débordant d'énergie, impossible à tenir, malgré les injonctions d'Eunan lui demandant d'attendre d'avoir fini de manger pour s'amuser.

Les deux hommes discutaient des projets de Sane qui avait été à la capitale pour tenter de soustraire les orphelins à leurs maîtres, car malgré l'abolition de l'esclavage les enfants n'avaient aucun lieu où être élevés. Toutefois, le prince n'avait pas voulu en faire une priorité et renvoyé Sane sans lui apporter l'aide demandé.

Sane et Eunan se turent et se tournèrent dans la même direction. Eunan attrapa Adren et lui demanda de se taire.

— Mais arrête ! Je veux encore m'amuser.

— Silence, murmura l'assassin, qui malgré le peu de décibels savait être menaçant.

— Prenez mon cheval, partez, chuchota Sane qui s'était délesté de sa cape et avait dégainé.

Eunan ne l'écouta pas, il tira d'une gaine au bas de son dos un couteau à lancer. L'attente dura un moment, ils cherchèrent si des personnes n'essayaient pas de les encercler, mais rien. Le mouvement repris dans une seule et unique direction.

— C'est Arzel, cria une voix.

Les lames retrouvèrent leur protection, les muscles se détendirent.

— Si nous avions eu un arc, tu serais mort, déclara Sane quand il arriva à leur portée.

Arzel ne répondit pas, ce qui n'étonna personne. Il ne demanda pas ce que Sane faisait là, si c'était important on le lui dirait. Adren qui avait eu peur, finit par bouger pour se jeter dans les jambes du chasseur.

— Désolé de t'avoir inquiété, petit, déclara Arzel en lui ébouriffant les cheveux.

— Tu es loin de nos maisons, lui fit remarquer Eunan.

— Je suivais une piste et je vous ai aperçu.

— Toujours droit au but, dit Sane en se rasseyant pour manger. C'est tellement plaisant d'assister à vos discussions.

Eunan tendit de la viande séchée à Arzel, ils finirent de manger dans un silence relatif, ponctué par les questions d'Adren.

***

Maelia observait la plaine en bas de leur colline, elle espérait voir revenir son fils. Depuis son départ elle attendait d'apercevoir la carriole. Elle regrettait d'avoir fini par céder à Eunan. Elle n'en fermait plus l'œil. Comme souvent pendant que son cerveau la harcelait elle caressa à travers le tissu de sa chemise le manche du couteau caché à sa taille. Le métal chauffé par sa peau était devenu un réconfort vital pour elle, surtout quand Adren n'était pas près d'elle, c'était le rappel que Tagan avait vécu, qu'ils s'étaient aimés. Elle ne comprenait pas pourquoi elle souffrait toujours autant de sa mort, les autres non plus. Elle avait aimé ses parents et sa sœur, elle avait fini par en faire le deuil, mais pour Tagan elle n'y arrivait pas, le trou dans sa poitrine semblait ne vouloir jamais se combler. Peut-être parce qu'elle se sentait coupable, peut-être parce qu'elle lui en voulait de l'avoir abandonnée, aussi bête que soit cette réflexion.

Elle plissa les yeux pour mieux voir ce qui arrivait au loin, sa vue n'était plus aussi bonne qu'avant, elle ne voyait nettement que ce qui était proche. Elle pesta. Le groupe qui était en approche semblait gros. Malgré la poussière, elle distinguait un grand cheval. Aucun paysan n'avait de cheval, à part ceux de traits qui n'avait pas cette allure.

Elle partit en courant, prévenir Exurie, Kenelm et Cylia.

Elle croisa les deux premiers en train de consolider une clôture, mais ne s'arrêta pas, le fait de passer en trombe sans leur parler les mettrait en alerte, ce qui fut le cas, ils lui emboitèrent le pas. Cylia était à l'autre bout de leur hameau sur sa terrasse en train de faire du tricot, la petite Elane jouant au sol avec des objets en bois.

Maelia dépassa la première maison et fonça vers Cylia.

— Qu'est-ce qui se passe ? demanda l'aveugle.

— Enferme-toi avec Elane, des gens arrivent, répliqua Maelia en se rendant dans la maison voisine qui était la sienne.

Rapidement elle saisit l'arc près de l'entrée et le carquois, elle poussa un lourd banc pour atteindre l'épée en dessous. Son cœur se serra, c'était l'ancienne épée de Tagan. Arzel, quand elle était absente, entretenait toutes les armes cachées sous le plancher et silencieusement elle lui en était reconnaissante. Elle se reprit et repartit, Exurie et Kenelm étaient eux aussi armés et en route pour le haut de la colline. Sans se poser davantage de questions elle s'accroupit déposa armes et carquois à côté d'elle et banda son arc.

— Attends, lui intima Exurie. Cylia m'a dit qu'elle ne voyait pas de menaces.

— Qu'est-ce que tu vois ? répliqua tout de même Maelia, qui préférait ne pas prendre de risque.

— Je crois que c'est Eunan qui revient et que c'est ton fils sur le cheval... Oui, c'est ça, je reconnais notre âne aussi, et Arzel est avec eux, et... je crois que Sane est là aussi.

— Tu as raison, je les reconnais aussi, confirma Kenelm.

Maelia se laissa tomber assise dans l'herbe et soupira. Il y avait tellement peu de monde par ici, à part des chargements de bois ou de minerai, et encore, la plupart préféraient prendre des sentiers moins défoncés. Elle était beaucoup trop tendue.

Kenelm posa une main rassurante sur son épaule, avant de ramasser les armes et de partir imité par Exurie.

Les martèlements d'un galop lui parvinrent avant qu'elle ne voie Sane et son fils, montés sur l'immense cheval gris.

— Maman ! s'égaya Adren, arrachant un sourire à sa mère.

— Mon écureuil, répondit-elle en allant s'emparer de lui à même la selle.

— Mais ! M'appelle pas comme ça, bouda-t-il, avant de se reprendre, tu as vu comme j'allais vite ?

— Oui, tu n'as pas eu peur ?

— Bien sûr que non, j'ai peur de rien.

— Bonjour, Maelia, salua Sane en descendant à son tour.

— Ça fait plaisir de te voir en bonne forme, répondit-elle en souriant.

Ils échangèrent quelques amabilités d'usages et prirent des nouvelles pendant qu'elle le guidait jusqu'au centre de leur modeste hameau puis dans la grange pour qu'il y desselle son cheval.

— Vous avez bien arrangé ce lieu.

— Oui, nous avons beaucoup de chance, c'est paisible.

Adren se dégagea de ses bras et quitta l'étable pour aller rejoindre Elane, laissant Maelia et Sane seuls.

— Je ne sais pas comment tu vas prendre mon cadeau, mais j'ai acheté des couteaux de lancer pour ton fils, mais je ne les lui offrirai pas si tu ne le veux pas. Je me suis dit que ça pourrait lui faire plaisir.

Maelia resta interdite et regarda les petites lames faites pour un enfant. Elle eut du mal à contrôler la colère qui l'envahit.

— Pourquoi mon fils aurait besoin de savoir se servir de ça ! Ce n'est qu'un enfant.

— Aucun de nous n'est éternel, notre monde n'est que chaos, vous vivez reclus, mais rien ne vous certifie que ça durera. Et Tagan excellait dans cette discipline, je pense qu'en tant que son fil, Adren pourrait apprécier de se rapprocher de son père de cette façon.

Sane avait parlé de sa voix la plus douce possible, Maelia avait viré au cramoisi, cette colère servait à dissimuler sa peine, il en était conscient. Elle allait peut-être le chasser tout juste arrivé.

— Je vais y réfléchir, cracha-t-elle en le laissant seul.

Ce n'était pas un refus, un bon début du point de vue de Sane. Maelia n'avait jamais été quelqu'un qui se laissait imposer quoi que ce soit, il lui fallait simplement du temps.

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