L'écho terrifiant des rugissements et autres hurlements était le signe annonciateur de la fin de cette traque dont l'issue ne faisait aucun doute. Felim ouvrait la voie, et pourtant, même si ce n'était pas sur ses talons que les bêtes couraient la peur lui tordait les entrailles.

En trois pas légers, il prit appui sur des rochers escarpés pour se retrouver au sommet d'une crête. Il dominait la vallée que les humains devaient finir de franchir pour trouver refuge, s'ils y parvenaient à temps...

Il promena son attention à la ronde, perçant et déchiffrant chaque piste sur tous les versants de montagnes accessibles à sa vision acérée. Rien. Pour le moment. Il croisa le gris presque fantomatique des yeux d'Envel qui se tenait sur la cime immense d'un pin. Le visage fermé de son ami le ramena à la réalité des évènements à venir, le dessein des elfes, son peuple pacifique, en train de mener son premier et dernier combat.

Les humains épuisés chancelaient sur la sente, soutenus par des elfes aux regards hantés par l'effroi. Felim scrutait leur avancée souhaitant que tout aille plus vite.

La première créature apparue à l'orée du bois au pied de la pente, un immense ours gris, plus grand que la bête originelle. Il gronda. Le son se répercuta contre les parois figeant une partie de ses proies.

Felim avait beau savoir que sous cette fourrure se trouvait un elfe assez amoureux de la vie animale pour épouser les traits d'un si noble être vivant, il ne voyait plus rien aujourd'hui de son semblable. Les siècles semblaient avoir supprimé tout ce qu'il avait été. Seule l'immense carrure de la bête montrait que la magie avait œuvré pour la créer.

Toutes sortes d'animaux — du plus petit prédateur à la plus grande des proies — sortirent des arbres pour parvenir au terrain dégagé, les premiers oiseaux aussi, sûrement venus à bout du piège immobilisant.

Les elfes qui fermaient la marche se retournèrent, et commencèrent à faire couler leur magie sur la pente caillouteuse. Au départ, quelques gravillons se détachèrent et roulèrent, avant que tous se mettent à glisser, entraînant avec eux les traqueurs les plus véloces. D'autres étaient restés à l'écart, abrités. La fluidité de la magie se déchaîna aussi dans le vent, offrant un barrage aux êtres volants.

Felim quant à lui déversa son énergie dans la barrière, rejoignant celle des autres. Il sentait leur présence pour la dernière fois. Son cœur se déchira à ce constat. L'écran était loin d'être finie, il fallait gagner encore du temps. Certains elfes étaient arrêtés dessus, directement pour épandre leur savoir et tisser avec leur talent le plus rapidement possible la fin de cet enchantement salvateur.

Felim avait les yeux fermés, concentré sur sa tâche, façonnant la protection, jusqu'à ce qu'il ressente la première perte. Le choc lui fit ouvrir les yeux.

Les humains avaient traversé, mais les elfes dévoués à retenir les bêtes commençaient à tomber. L'immense ours gris avait entrepris sa charge, une de ses pattes laissait une trace sanglante, éclaboussant le sol à chaque foulée. Pour augmenter la chance des hommes, les elfes restaient du côté de la barrière où se trouvaient les bêtes, pendant que les survivants se donnaient tout entier dans la protection.

Felim sentait l'énergie vivante et brillante des défunts se déverser au moment de leur mort pour renforcer leur réalisation, c'était la seule solution pour finir avant qu'il ne soit trop tard. C'était bref à chaque fois, comme une étincelle dans l'obscurité, mais aveuglante.

Un tigre arriva le premier à la barrière, il trancha, griffa et arracha. Un carnage. Felim connaissait l'elfe derrière ce meurtrier. Et derrière d'autres. Jamais il n'aurait pu imaginer que cet enchantement finirait par servir pour accomplir le contraire de sa destination initiale.

Il sentit le nombre de consciences dans la barrière diminuer à une rapidité terrifiante, il se jeta à corps perdu dans ce qu'il restait, réconforté par la présence d'Envel. Puis d'un coup, il éprouva la puissance, éclore enfin, elle vibra dans l'air, et courut sous ses yeux. Ses derniers amis moururent de l'autre côté, ils avaient retenu les bêtes pour qu'aucune ne se retrouve dans le sanctuaire. Il fixa Envel. Ils étaient seuls. Sans savoir si cette poche d'humanité survivrait à leur sacrifice.