Chapitre vingt-neuf
Convaincre des épéistes de la cité des épées, Sane n'y croyait pas trop, son père avait envoyé tellement d'émissaires, qui étaient tous revenus avec des réponses négatives, que cette idée lui paraissait improbable. De plus les habitants de la cité étaient originaire des quatre royaumes comment pouvaient-ils décider d'en favoriser l'un plutôt que l'autre, ils refuseraient d'intercéder.
Mais, Sane ne voulait pas prendre le risque de joindre des rebelles encore trop groupés et trop près des forêts, il savait que beaucoup déserteraient, s'ils étaient tous ensemble. Par contre, leur annoncer en leur rappelant que les autres continuaient à se battre pour leur cause et qu'ils ne devaient pas abandonner, ce serait plus efficace. Et il devait reconnaître que Feary et Tagan étaient deux atouts dont il excluait de se passer au corps à corps, quant à Maelia et Fuku ils étaient eux aussi des alliés de choix.
Si jamais les rebelles ne suivaient plus, Sane avait une dernière idée pour forcer les pourparlers, une idée folle, plus suicidaire que les autres, mais il était prêt à tenter un enlèvement, celui d'un des héritiers du trône ou de la reine, et Tagan était parfait pour cette issue-là. Mais ils n'en étaient pas encore là.
Pour aller à destination la route était longue et elle demandait à ce qu'ils se rapprochent de la capitale au risque de croiser plus de soldats en patrouille, même si de prime abord il n'y avait aucune raison que les soldats les soupçonnent de quoi que ce soit Tagan n'était pas tranquille et la nervosité de Feary ne l'aidait pas à ce sentir mieux.
Le porteur d'épée avait un mauvais pressentiment, il avait beau décider de changer d'itinéraire, accroître sa vigilance, rien n'y faisait et ça ne lui plaisait pas. Pourtant aller à la cité lui semblait toujours être la chose à faire. Cela le rendait confus, il perdait confiance en lui et il se mettait à douter, laquelle de ses deux intuitions était la bonne. Peut-être que son appréhension était due à l'épreuve terrible qu'il venait de vivre. Il n'en savait rien. Ça faisait des jours que le carnage avait eu lieu et pourtant les images étaient nettes dans son esprit, elles le hantaient constamment. Il avait la furieuse envie de devenir meilleur pour ne plus jamais laisser personne blesser les gens qui comptaient pour lui. Il se rappelait clairement le plaisir qu'avait affiché le visage de certains soldats pendant qu'ils taillaient en pièce des rebelles. Une envie de justice s'installait en lui et il espérait la communiquer aux autres épéistes qui croiseraient sa route.
Ils cheminèrent encore des jours avant d'arriver à la dernière bourgade avant les bois et la montagne qui cachait en son sein leur but. Les quatre marcheurs avaient les jambes lourdes et raidies par leur traversée entière du royaume à un rythme soutenu.
— J'ai l'impression d'avoir marché toute ma vie, se plaignit Tagan en s'installant à la table de la petite auberge où ils devaient passer la nuit.
Sane lui jeta un regard qu'il n'arriva pas à déchiffrer entièrement, mais il lut de l'énervement.
Une serveuse plantureuse vint prendre leur commande, la pauvre jeune femme était sollicitée de toute part. Malgré le coin reculé, beaucoup de bûcherons semblaient trouver leur cantine ici.
Maelia était mal à l'aise, tout dans cette ambiance lui rappelait de mauvais souvenirs. Les travailleurs n'étaient pas différents ici qu'à Soumans, les regards lubriques qu'ils dardaient sur la serveuse montraient clairement leurs intentions, alors que tous ses compagnons s'étaient délestés de leur cape, elle resserra davantage la sienne autour d'elle.
— Ca ne va pas, Maelia ? s'enquit Feary assit face à elle.
— Si, je suis juste fatiguée.
Tagan, n'était pas dupe, il voyait les regards que Maelia jetait à la ronde. Elle ne s'était jamais trop étalée sur sa vie à Soumans, mais Vacanac y ressemblait beaucoup et il savait que Maelia avait été serveuse. Une colère sourde naquit en lui quand il avisa les œillades libidineuses qui accaparaient l'attention de Maelia.
Tout le repas alors qu'il engloutissait le ragoût plus par automatisme que par appétit, il ressassa ce que l'inquiétude de Maelia révélait sur son passé. Il repensa à son histoire sur sa rencontre avec Eunan, et regretta que l'assassin n'ait pas toujours été dans cette auberge... il regretta de ne pas avoir été dans cette auberge, pour elle.
Des soldats entrèrent dans l'établissement l'arrachant à sa torture intérieure. Il essaya de rester naturel, tout comme ses amis qui continuaient à manger. Les douze hommes chassèrent une tablée et s'y installèrent la pièce parue de suite plus étroite. Tagan n'appréciait pas cette proximité, mais après tout, aucun d'eux n'avait vu d'affiche avec leur portrait nulle part, il se convainquit qu'il s'inquiétait pour rien.
Après quelques minutes les rebelles se rassérénèrent et finirent leur repas normalement.
Ils allaient se redresser quand une serveuse apparut près d'eux leur proposant de boire un verre. Ils n'eurent pas le temps de refuser qu'ils furent interrompus par un soûlard qui accosta la jeune femme en titubant. Lourdement, il passa un bras sur ses épaules et tenta de lui murmurer des choses à l'oreille pendant qu'elle essayait de se soustraire.
Pour Tagan ça en était trop. Il tira violemment l'homme par le bras pour le décoller de sa proie. Sane qui était assis en face de lui se leva à son tour et vint devant lui, posant sa main sur son torse.
— Que fais-tu ?
— Je le fais lâcher prise, et j'allais gentiment lui dire d'allais assouvir ses désirs ailleurs. Pourquoi ? Tu as encore un avis différent du mien ? Et des arguments percutants, j'en suis sûr.
— Tagan, tenta de le distraire Maelia près de lui, en posant doucement la main sur son épaule.
L'homme qui n'avait rien à faire de la dispute des compagnons tenta de frapper Tagan, qui esquiva son geste et le ceintura sans difficulté.
Toute la pièce n'avait d'attention que pour eux, même un jeune homme de passage assis dans le fond. Il avait remarqué le groupe dès leur entrée. Il avait hésité, mais n'était pas allé leur parler, avec la scène qui se déroulait sous ses yeux, il était plutôt satisfait de ne pas l'avoir fait. Il sentait les ennuis poindre, il caressa le manche de son couteau de chasse et continua d'observer.
L'agitation amena trois soldats à la table des fugitifs.
— Qu'est-ce qui se passe ?
La serveuse s'étant repliée vers le bar, et persuadé que Tagan ne ferait pas un interlocuteur de choix Sane prit les devants.
— Cet homme a dérangé la serveuse pendant qu'elle prenait notre commande et notre ami, s'est emporté. Il est exténué, je pense que nous allons nous replier dans notre chambre pour nous reposer, vraiment navré d'avoir troublé votre repas.
Sane bouscula Tagan pour qu'il lâche prise de l'homme qu'il retenait toujours et poussa tout le monde à aller vers l'étage et leur chambre. Tout ça sous l'inspection des soldats qui ne rataient pas une miette du spectacle. Quand Feary passa devant un des soldats, ce dernier l'arrêta et dégagea Lune camouflée en partie par les replis des habits.
— Tu es un porteur d'épée ?
Feary dévisagea l'homme, pour la première fois de sa vie il avait envie de mentir, mais il savait que ça ne servait à rien, l'homme avait deviné.
— Pourquoi ? demanda-t-il espérant détourner l'homme de ce que son esprit avait l'air de chercher.
— Je t'ai déjà vu, déclara le soldat en lui saisissant le bras.
— J'en doute, contra calmement Feary.
— Si, si, tu es un rebelle, j'ai vu l'autre mourir, et je t'ai vu près de lui avec la pierre de ton arme visible même dans la nuit.
Les rebelles se tendirent, la main sur leur lame, les soldats firent de même. Les badauds s'écartèrent. La tension était palpable.
— Tu fais erreur l'ami, nous ne sommes que des voyageurs, tenta Sane.
— Tu penses qu'avec ta balafre à l'œil tu es méconnaissable ? J'ai eu un doute au début, mais tu es le berserk, dans le chaos de cette nuit-là, je n'aurais pas pu reconnaître grand monde, mais toi le démon tu es inoubliable.
Tagan remarqua qu'il manquait un des soldats en parcourant la pièce du regard, leur interlocuteur tentait de gagner du temps.
— Bon les amis, ce n'est pas que votre discussion m'ennuie, mais je pense qu'il faudrait aller prendre l'air, sa phrase à peine achevé un de ses couteaux finit dans la gorge de celui qui retenait Feary.
Les quatre rebelles s'élancèrent vers la porte, sortant leur acier au clair et taillant dans la masse. Malgré lui Tagan avait agrippé Maelia et l'entraînait dans sa fuite.
Les clients près de la porte avaient déguerpis, mais l'accès à la sortie était compliqué, huit soldats leur barraient la route, les trois autres étaient au sol, Tagan se permit le luxe de récupérer sa lame sentant qu'il risquait d'en avoir besoin quand leur avancée fut stoppée net par ce mur acéré.
— Il faut y aller Sane, l'un d'eux est allé chercher des renforts.
— Du deux contre un, ça reste jouable.
Sane n'était pas convaincu, même s'il venait de déclarer le contraire, tant que les soldats campaient devant la porte, avec ses amis ils étaient obligés de s'exposer aux lames adverses simplement pour en attaquer un seul. Mais ils n'avaient pas le choix, alors qu'il allait donner la charge, une flèche se planta dans la gorge d'un des soldats, d'instinct il regarda Maelia. Cependant cette dernière ne tenait que son épée. Derrière eux se trouvait un chasseur qui lâchait déjà un second trait quand il le remarqua, toutefois dommage pour eux le projectile ne trouva pas sa cible. Cet allié inattendu et bienvenu leur offrit leur chance, les soldats ne pouvaient pas garder leur position et se lancèrent sur eux.
L'espace était encombré, Tagan ne pouvait s'empêcher de regarder ce que faisait Maelia, il buta à plusieurs reprises contre des tables ou des bancs. Il éloigna le tranchant adverse avec son couteau et le décapita pratiquement. La sciure du sol était déjà imbibée de rouge sombre et collait à leurs bottes.
Le chasseur restait en retrait, dans un coin une flèche prête à partir, mais dans le chaos il ne pouvait pas encore s'en servir, à la place il regardait Maelia se battre, prêt à tout moment à lui venir en aide s'il le fallait.
Maelia peinait à parer les assauts de son assaillant, tous ces jours de marche et de privations n'avaient pas arrangé sa condition physique l'escrime n'étant pas son point fort à la base. Elle parvint néanmoins à blesser son adversaire au bras, ce qui redoubla la hargne de ce dernier. Il intensifia ses attaques sans plus se défendre, Maelia, elle ne pouvait faire que se protéger. Elle encaissa de plus en plus difficilement, se tassant presque sur elle-même pour ne pas céder trop de terrain. Mais ses bras manquèrent de force, son épée recula et la lame entra en contact avec sa joue, sans aller plus loin. Tagan avait stoppé le trajet mortel avec sa propre épée et planté son couteau dans le cou de l'homme.
— Ca va ? s'inquiéta-t-il.
— Oui, merci, répliqua-t-elle en essuyant le sang sur sa joue d'un revers de manche.
— Tu n'as même pas besoin de points, constatât-il.
Feary fit reculer trois adversaires en balayant l'espace devant lui d'un coup puissant, les clients fuyaient la pièce comme ils pouvaient pour éviter la fièvre des combats. Ce qui permit à Feary de se battre dans un espace un peu moins occupé, mais il n'arrivait pas à toucher ses opposants, heureusement pour lui Sane qui était venu à bout de son duel vint lui prêter main forte.
Les trois ennemis rescapés s'étaient repliés contre la porte et leur barraient toujours la route. Trop occupés par les quatre épéistes avançant sur eux, ils avaient oublié le chasseur qui en abattit un. Les deux derniers n'offrirent que peu de résistance. Sans demander leur reste, les cinq hors la loi se ruèrent à l'extérieur. Feary en tête, leur sac avec eux cette fois-ci, ils s'enfoncèrent dans les bois, où Feary récupéra le panier de Fuku suspendu à un arbre, la chouette quant à elle faisait déjà des vols concentriques au-dessus de leur avancée.
Maelia et Tagan regardaient celui qui les avait aidés avec incrédulité, malgré leur fuite et leur course effrénée, la surprise demeurait. Autant l'un que l'autre souhaitaient avoir des explications quand ils auraient le temps.
Les bois étaient de plus en plus sombres, obligeant les cinq fugitifs à ralentir l'allure, plusieurs heures s'étaient écoulées depuis l'incident de l'auberge. Feary guettait les signes de poursuite et surtout il vérifiait de ne pas se tromper de route, tout reposait sur lui désormais. Il voulait s'éloigner le plus loin possible du village et trouver un endroit sécuriser avant de chercher à comprendre tout ce qui s'était passé.
Il lui fallut une heure supplémentaire pour mener ses amis sous une saillie rocheuse qu'il savait cacher une grotte invisible même en y passant à quelques mètres en plein jour.
Une fois tous à l'intérieur et toujours Fuku pour surveiller leurs arrières dehors, les quatre rebelles se tournèrent vers leur nouveau compagnon d'infortune.
— Arzel ? demanda Maelia après l'avoir fixé quelques secondes. C'est vraiment toi ?
— Oui.
— En effet, c'est bien lui, son côté loquace ne fait aucun doute, railla Tagan.
Arzel répondit aux questions qu'on lui posait, même s'il laissa Maelia raconter toutes les parties qu'elle connaissait, il préférait, car parler n'avait jamais été son truc.
Une fois rasséréné sur ses intentions en leur venant en aide, personne ne chercha à en savoir plus, ils définirent un tour de garde et prirent un peu de repos, ce qui arrangea Arzel, il n'était pas sûr d'avoir envie de parler de sa vie privée et de ses motivations
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