Chapitre vingt-huit
Feary était celui qui était chargé d'aller acheter des provisions et des habits, de quoi tenir jusqu'à la prochaine ville ou village, pour ne pas attirer trop l'attention avec de trop grosses quantités. Il avait été désigné simplement car il était le plus présentable, et malgré ça, il se trouvait... effrayant. Il c'était lavé lui et ses habits, les parties abîmées étaient cachées, il était peu taché, mais il n'était pas rasé, impossible de discipliner correctement ses cheveux il se doutait en plus d'avoir la même mine de ressuscité que ses comparses. Rien d'engageant en somme. Il s'était délesté de son épée, et c'est armé de son plus beau sourire qu'il entra dans la bourgade, les poches pleines des butins de Tagan.
— Quand Feary reviendra, on va où ? demanda Maelia.
Sane et Tagan se regardèrent, avant que ce dernier ne réponde.
— Le mieux ce serait de se faire oublier dans un coin reculé.
— Es-tu sérieux ? Je souhaite que non ! L'option la plus sensée est de continuer le plan de son frère.
— Le politicien parle. Il essaie de t'avoir par les sentiments. Le mieux c'est d'essayer de vivre, pas d'aller se suicider quelque part où personne ne saura que nous avons existé. Honnêtement Sane, le massacre dans les bois, tu le sais aussi bien que moi, il va être passé sous silence. Prenons au moins un peu de recul pour voir comment la situation évolue, au lieu de courir après la mort.
— C'est tellement aisé pour toi de dire cela, ces derniers mois avec nous n'ont pas eu l'air de compter. Mais ce sont encore mes amis qui vivent et croient en notre cause, je ne vais pas fuir, comme un lâche.
— Tu peux m'insulter davantage, ricana Tagan, ça n'obscurcira pas mon jugement. Tu me crois dupe, j'ai côtoyé des hommes de ta trempe pratiquement toute ma vie. Tu tiens certainement aux rebelles, mais tu as aussi un intérêt là-dedans, je doute que tu aies renoncé à revoir les tiens, ton royaume, et plus que tout, que tu aies abandonné ta couronne. Donc, ne m'en veux pas si je regarde aussi nos intérêts.
— Quoi ? les interrogea Maelia interloquée.
Sane lança un regard noir à Tagan.
— C'est toi le courageux de nous deux, non ? Tu ne vas pas reculer devant des explications, si ?
— Soyons clairs, ce que je vais dire ne doit pas être répété, une fois qu'ils eurent acquiescé, il continua. Je suis Ridwen le prince de Finkel, futur accesseur au trône théoriquement, si je rentre chez moi un jour. Avant que tu ne demandes, j'ai atterri chez les Rebelles par hasard. J'étais jeune et impétueux, lors d'une bataille notre centre était en train de céder, j'ai voulu remotiver les soldats en chargeant avec mon cheval. Une lance a cueilli l'animal dans la poitrine, la bête a trébuché et m'a projeté au milieu des rangs ennemis. Je suis entrée en rage berserk, mais aucune de mes troupes n'a réussi à me rallier à temps, j'ai pris un mauvais coup et perdu connaissance. Je ne sais pas ce qui s'est passé ensuite exactement. Beag m'a dit m'avoir trouvé sous des cadavres qu'ils étaient venus dépouiller pour leur stock d'armes et d'armures, il m'a enlevé mes signes distinctifs et m'a amené pour me soigner. J'étais gravement blessé, il faisait un orage terrible, c'est sûrement ce qui a empêché les soldats eux-mêmes de tomber sur moi.
— Mon frère savait, et ça ne lui faisait rien ?
— Il s'est méfié, mais il a compris l'atout stratégique que je pouvais représenter. Au début je n'étais pas content d'être au milieu de roturiers, d'esclaves... en fait de tous les sujets auxquels je n'aurais jamais adressé la parole chez moi. Et puis, je dois admettre que ça m'a ouvert les yeux. Je ne pense pas que Tagan me contredira, mais quand on grandit dans l'élite amenée à gouverner on nous apprend volontairement à ne pas considérer les autres humainement. Tout n'est que des chiffres, c'est dans le but qu'aucun sentiment n'entrave nos décisions. Maintenant, je peux dire que c'est une mauvaise méthode. Et ce n'est pas acceptable. Désormais que je l'ai vécu des années, je ne peux plus le tolérer chez moi, ni ici. Nos guerres sont absurdes, sauf que je le réalise au moment où je ne peux plus influer sur quoi que ce soit. Je ne suis que Sane.
Tagan fixait Maelia qui buvait les paroles de Sane, il avait envie de s'énerver contre ce beau parleur, mais il ne disait rien de peur de se mettre Maelia à dos. Sane pouvait très bien mentir et au contraire profiter de tout ça pour vaincre définitivement ce royaume. Et même si ce n'était pas le cas, il était en train de faire en sorte que Maelia ne quitte pas la rébellion. Tagan venait de perdre la seule issue qu'il avait eu de sortir Maelia de là, et lui offrir enfin la vie qu'elle méritait. À force, elle aurait sûrement réussi à guérir et peut-être même à l'aimer lui, le voleur. Mais en voyant les yeux brûlants de haine de la jeune femme, il comprenait... Il comprenait très bien où tout cela allait les mener. Et il serait là, comme à chaque fois, son cœur ne lui laissait pas le choix, pas plus maintenant que la première fois qu'il l'avait vu, même si à ce moment-là c'était sa raison et ses principes qui l'avaient poussé à agir. Il avait le sentiment qu'un voile venait de se lever, et qu'il réalisait enfin l'évidence, quoiqu'il arrive il choisirait toujours Maelia, parce qu'elle était la femme de sa vie, même si elle ne le savait pas. Cette envie impérieuse de toujours la toucher, la protéger, la voir sourire, et heureuse, ce n'était tellement pas lui, il avait toujours eu du respect pour les femmes, il avait pensé en aimer une ou deux, mais il avait eu tort, et maintenant qu'il avait ce que n'importe quel homme chanceux pouvait désirer le plus, il devait simplement accepter d'être là, la voir souffrir et au final mourir avec elle. Il n'y aurait jamais rien de plus entre eux, Maelia avait renoncé à cette part-là de la vie, mais Tagan acceptait d'être humblement ce qu'elle voudrait qu'il soit : une épée.
Feary revint enfin, chargé comme une mule. Il avait pensé à beaucoup de choses, il avait même racheté du fil, celui qu'ils avaient, avait été fini sur leurs blessures les plus sérieuses, notamment et surtout sur Sane, qui depuis avait le bleu de son œil droit encadré par une estafilade, heureusement sans dommage pour sa vue.
Ils se changèrent avec les habits neufs et partirent, préférant s'éloigner par prudence pour faire leur premier vrai repas.
Ils s'étaient arrêtés près d'une veille représentation en pierre gravée dans la roche. Tagan avait lu des choses à leur sujet, c'était les dieux que vénéraient leurs ancêtres, mais comme beaucoup de choses, avec la guerre, les habitants n'avaient plu eu l'énergie de s'occuper des lieux de prières décéminés un peu partout dans les royaumes. Comme les épées, les elfes et toutes ces choses auxquelles il n'avait jamais cru lui-même, ces dieux étaient devenus anecdotiques, beaucoup ne savaient plus que ces représentations étaient des déités. Les gens priaient, mais ils priaient un ou des dieux sans nom, pour la pluie, la santé, un hiver clément... la source des choses qu'ils souhaitaient, c'était comme avoir simplifié à son strict minimum les anciennes croyances par manque d'énergie. Mais peut-être qu'un jour avec la paix ces religions polytéistes reprendrait dans le cœur des habitants. Tagan qui commençait à croire à la magie, espérait que l'espoir redonnerait envie aux gens de croire.
Alors que Feary s'attelait à allumer le feu avec le nouveau briquet à amadou qu'il avait acheté, il demanda :
— Il y a un problème ?
— Pourquoi ? répliqua Sane.
— Depuis que je suis revenu, j'ai l'impression qu'il y a un problème.
Sane détourna les yeux.
— Tu devrais lui dire, l'encouragea Maelia.
— Un secret, ce n'est pas supposé être répété toutes les minutes à tout le monde, bougonna Sane, avant de céder sous le regard insistant de Maelia et Tagan.
Feary eut pour unique réaction de sourire. Un sourire amical, comme toujours. Sane n'aimait pas raconter cette histoire, car ce qu'il omettait de dire, c'est qu'il était persuadé que si ses propres troupes ne l'avaient pas cherché sur le champ de bataille après les combats c'était parce qu'elles avaient vu un démon se déchaîner. Une part de lui, certes une petite, mais elle existait, se demandait s'il serait le bienvenu s'il rentrait. Chez les rebelles, Drystan, Egert et Beag avaient su pour son côté berserk et ils n'avaient jamais eu peur de lui. Et même ici, personne ne semblait y porter d'importance, alors que dans les croyances, les berserks étaient soit fous, soit dangereux, soit les deux. Il pouvait donc se considérer chanceux d'avoir trouvé des gens qui l'acceptent tel qu'il est.
***
Les jours se succédèrent, se ressemblant. Quand ils approchaient de villages l'un d'eux allait faire des achats, ils finirent enfin par avoir un sac chacun, avec leur gourde, couverture et autres objets nécessaires, et des vivres. Sauf que c'était le délai qu'ils s'étaient tacitement accordés avant de décider quoi faire. Feary voulait aller à la cité des épées expliquer comment était mort Sandayu, avant d'entreprendre quoi que ce soit d'autre. Tagan voulait toujours reprendre une vie normale, mais il ne l'exprimait plus à voix haute. Maelia buvait les paroles de Sane qui lui voulait suivre le plan de départ, en le nuançant et retarder l'annonce de leur débâcle au reste des rebelles. Il ne l'avait pas avoué à haute et intelligible voix, mais les autres avaient compris que c'était pour que les rebelles ne puissent plus faire marche arrière et se cacher.
— Je pense que nos actes sont importants Sane, mais je ne peux pas laisser ceux de la cité dans l'ignorance. Ils ont du voir Cendre arriver dans sa niche, je dois leur dire pourquoi. C'est un détour que je te demande. En plus, il se pourrait que l'on puisse convaincre des personnes de nous suivre. Tout le monde apprend à se battre là-bas, tu ne peux pas refuser cette opportunité.
— Même si je ne doute pas que tu dois connaître des chemins secrets, si nous nous faisons prendre personne ne pourra dire aux rebelles ce qui est arrivé. Approcher de la cité des épées n'est pas facile, peu importe le royaume, tous les monarques savent que c'est un vivier de soldats surentraînés.
— Je te promets que les chemins que nous emprunterons seront sûrs. De plus, tu veux attendre un peu que les rebelles soient investis dans leurs tâches avant de les rallier, ce détour tombe donc à pic.
— Je veux juste attendre de savoir où trouver les rebelles, là, ils sont encore durs à localiser. Et personne n'a jamais réussi à faire sortir les épéistes de leur cité.
— Feary et Sandayu, tu ne les comptes pas ? demanda Tagan. Je suis pour l'idée de Feary du renfort ne sera pas de trop.
— Deux porteurs d'épées ce n'est pas toute une armée, contra Sane.
— Écoute, Sane, peu importe les raisons qui font que tu ne peux pas rejoindre les rebelles immédiatement. Même un seul porteur d'épée supplémentaire ce serait d'une aide non négligeable.
Sane regarda tour à tour chacun de ses compagnons, et dans un soupir il accepta
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