Chapitre vingt-cinq

Certains étaient restés en arrière. C'était des déserteurs, même s'ils avaient tous fourni des excuses pour rester à Ylufer : surveiller les arrières de la révolte, défendre le village, garder un œil sur le bétail qu'ils avaient laissé là-bas ou d'autres matériels. Beag avait fait mine d'accepter chaque raison, il n'avait pas eu le choix, il avait toujours tenté de donner l'impression que c'était son idée, un de ses ordres, pour ne pas qu'il y ait plus de pertes. Il évitait en plus de penser aux blessés qu'ils avaient dû abandonner... Les choses ne se déroulaient vraiment pas de la meilleure des façons. Mais ils avançaient, c'était tout ce qui comptait. Il était pressé que ses hommes se séparent en plusieurs groupes. Mais il n'y avait qu'une route qui partait d'Ylufer et ils devaient encore faire le chemin ensemble au moins pour traverser la Secesier, après, une partie continuerait jusqu'à Soumans et les autres prendraient des sentiers annexes. Il fallait s'éloigner de cette zone avant qu'elle ne grouille de soldats. Ils avaient déjà perdu plusieurs jours à organiser leur départ et à rejoindre Ylufer. Il ne fallait pas en perdre davantage. Exurie n'avait rien repéré, mais certaines garnisons n'étaient vraiment pas loin, et ici ils étaient coincés.

Eunan profitait pleinement de la liberté qu'offrait cette marche, il coula un regard discret à Drystan qui ajusta la sangle de son sac pour se soulager, avec son bras blessé cette fuite était pénible même s'il ne le montrait pas. La plaie guérissait bien, mais c'était encore douloureux l'estafilade avait été profonde. Feary non loin de lui avec le taciturne Sandayu, ne disait rien. Drystan ne parlait pas pour préserver ses forces, et les autres n'étaient pas bavards de nature. Eunan souriait intérieurement, il sentait que le géant aurait souhaité que l'un d'eux engage la conversation, mais heureusement il pourrait se consoler en écoutant Tagan taquiner Maelia de temps en temps juste devant eux, ça le distrairait. Sane aurait fait un bon compagnon de route, mais il était à la tête de la colonne avec Beag et Exurie, quand cette dernière ne partait pas devant repérer le terrain.

Une brise fraîche balaya le chemin, les marcheurs et les pâturages autour d'eux, avant de se perdre dans les bois alentour. Feary essuya son front, vérifia pour la énième fois que les attaches du panier de Fuku étaient bien fermées. Il flatta ensuite l'encolure de son hongre qui le pauvre était bien chargé, c'était pour cette raison qu'il avait préféré faire le trajet à côté plutôt que dessus.

Perdu dans ses pensées il faillit entrer dans la personne devant lui, car la colonne c'était arrêtée. La discipline se fit, car Beag les avait bien entraînés, il comprit que le chef ne pouvait pas faire porter sa voix au risque d'être entendu, machinalement il caressa Lune. L'information remonta la colonne, une cinquantaine de soldats gardaient l'autre côté du pont. Il fit appeler les meilleurs archers près de lui pour leur expliquer son plan plus en détail.

Feary se retrouva entouré d'Exurie, Maelia, Tagan, Sane, Gatien et quatre autres bons archers à écouter le plan du chef.

C'était relativement simple, une garnison de soldats gardait l'autre côté du pont, sous le couvert des arbres de chaque côté de la route ils devaient en abattre un maximum et couvrir la charge du reste des rebelles. Il n'y avait pas assez d'arbres pour y aller à davantage, et de plus, pour être discret c'était difficilement envisageable. Feary était serein, il posa la main sur l'épaule de Maelia qu'il sentait anxieuse, pourtant cette dernière ne déméritait pas avec son arc, puis ils se mirent en route, cinq de chaque côté du sentier.

Gatien était le chef de leur groupe, ils le laissèrent passer devant. Sane, Tagan et Maelia le suivaient pendant que Feary fermait la marche à l'affût du moindre changement sur la route. Être discret tout en progressant rapidement dans les sous-bois n'avait rien d'aisé, il devinait qu'Exurie devait avoir pris position la première sur le côté opposé.

Trouver un angle correct ne fut pas facile non plus sans gêner les autres tireurs, leur position déterminait quel soldat ils devaient viser pour être sûrs de ne pas prendre la même cible, et bien sûr leur trait devait passer assez haut par la suite s'ils devaient couvrir leurs amis, pour ne pas les blesser.

Gatien vérifia qu'ils étaient tous en place avant de signifier par un petit sifflement à Exurie que c'était le cas, elle fit de même avant de siffler à nouveau pour signifier d'armer, puis une dernière fois pour ordonner de tirer.

Le bourdonnement des cordes et le bruit des flèches perturbèrent le silence qui semblait avoir alourdi l'air. Maelia saisit un second projectile et tira à nouveau sur les hommes en plein regroupement qui cherchaient la provenance des tirs. Le bruit des sabots martelant le sol se mêla bientôt au reste, quelques flèches ennemis se perdirent dans les arbres près d'eux, mais Maelia continua son travail, car elle savait que son frère menait la charge. Les soldats cédèrent et fuirent loin de leur arc toujours poursuivi par les rebelles montés, Exurie se mêla à la traque laissant l'arrière garde récupérer ce qui était nécessaire et les blessés.

Tagan récupéra ses traits, l'un d'eux était devenu inutilisable, mais il le rangea quand même, une sorte de besoin impérieux de ne pas laisser une trace de lui là où il n'y avait plus de vie. À quelques pas de lui, Maelia s'affairait à faire de même, ses gestes étaient saccadés, mal assurés. Son cœur se déchira, elle n'était pas à sa place ici, et pourtant elle prenait sur elle, pour son frère et son amour inconditionnel pour lui, et elle faisait des choses qui devaient la dégoûter du monde et d'elle-même.

Maelia venait d'essuyer sa dernière flèche sur les vêtements du mort, elle contemplait ses mains tachées de sang. Le bruit qu'avait fait le fer en s'arrachant au mort la hantait et ne l'abandonnerait jamais, c'était elle qui avait fait ça, un vide absolu englouti toutes ses émotions positives, elle avait le sentiment de ne pas avoir le droit de les ressentir, comme une punition pour les actes irrémédiables qu'elle avait commis.

— Ça va, Maelia ?

Elle acquiesça, elle ne voulait pas davantage de la sollicitude de Tagan, donc elle se secoua et quitta le corps.

— Tu veux parler ? insista-t-il.

— Non, allons-y.

***

Même si tous les soldats avaient été rattrapés Tagan n'était pas tranquille, un mauvais pressentiment lui oppressait de plus en plus la poitrine de jour en jour depuis leur départ du campement, le poids était devenu tel qu'il se demandait s'il n'avait un problème au cœur. Il inspira profondément. Les choses tourneraient mal, il devait l'accepter, si ce n'était pas aujourd'hui pour leur groupe ce serait un jour... le jour de l'anniversaire du roi au plus tard. Il n'était pas d'accord avec cette partie finale du plan, mais il avait été le seul, et étant donné son passé avec le prince, ni Sane ni Beag ne l'avaient écouté... Même lui avait douté de lui-même quand il avait opposé ses arguments, car si le soulèvement fonctionnait il condamnait son plus vieil ami, son presque frère, mais s'il échouait c'était toutes les personnes qu'il aimait à présent qui mourraient. Comment savoir si son jugement était biaisé ? Il n'en avait aucune idée. Mais il était certains que des rebelles se feraient attraper avant l'été, imaginer qu'aucun ne parle ou que l'information durant le recrutement ne soit pas entendue par de mauvaises personnes paraissait impossible. La place de Senacnacsor serait tellement gardée que s'en approcher serait déjà sûrement un exploit. Il en avait des vertiges simplement en y pensant.

— Arrête de réfléchir, petit, certaines choses ne peuvent pas être arrêtées.

— C'est très précisément ce qui m'inquiète.

Drystan regarda autour d'eux vérifiant qu'aucune oreille indiscrète ne traînait avant de poursuivre en chuchotant.

— Si tu disparaissais avec Maelia, je pense que Beag comprendrait, même si en façade il ferait mine du contraire. Il n'enverrait pas Exurie après vous... le géant porta son regard au loin, serrant la mèche de cheveux pendue à son cou, avant de continuer, tu as toujours une raison de vouloir vivre.

Tagan regarda l'imposante carrure s'éloigner, encore plus perdu qu'avant cet échange inattendu. Même si pour lui personne ne comptait plus que Maelia, elle, elle ne voyait que par son frère, l'option de fuir était inenvisageable, et pourtant c'était tout ce que les instincts de Tagan lui hurlaient, de partir loin de tout ça.

Mais la question ne se posait pas vraiment, il chassa cette idée et se concentra sur la marche, pressé que leur groupe se réduise encore, moins nombreux ils seraient, plus ils passeraient inaperçus. Toutefois le souhait de Tagan ne se réalisa pas de la façon dont il aurait voulu...

Ils campaient près d'un village qu'une partie d'entre eux devaient traverser le lendemain matin pendant que le reste continuerait plus au Sud quand ils furent surpris par des soldats.

Le chaos se répandit aussi rapidement qu'un feu de forêt en été, les ordres de Beag résonnèrent malgré tout par-dessus le vacarme ordonnant aux rebelles de former des cercles défensifs. Tagan agit d'abord par réflexe et automatisme, sa survie primant sur le reste. Près de lui Maelia, Feary, Egert, Drystan, Sane et Eunan couvraient ses flancs et son dos, comme lui les leurs. Ils avaient eu la chance que l'offensive arrive à l'opposé de leur couche, car la charge montée avait été d'une violence dévastatrice, ils étaient en infériorité et moralement l'ennemi avait le dessus.

— Maelia prends ton arc et va au centre, pour nous couvrir des dangers moins proches si tu y vois assez. Egert, aide là.

Avant qu'elle ne réplique, il la dissuada d'un regard. Il faisait ça pour la protéger, mais aussi pour eux, certains des soldats avaient des lances, des corps étaient tombés sur des feux, outre l'odeur, la fumée rendait de plus en plus difficile de se défendre et d'anticiper les périls plus lointains dans cette nuit déjà bien sombre.

Maelia se jucha sur un rocher, dos-à-dos avec Egert et ses couteaux de lancer.

Un cor retentit, les cavaliers toujours montés se replièrent, avant qu'à nouveau le sinistre son déchire la nuit et qu'une nouvelle vague d'acier déferle sur le camp. Les cris d'agonies couvrirent bientôt même le chant de la corde de l'arc de Maelia, elle n'entendait plus que ça. La fin du monde, l'enfer, ça ne pouvait être que ça. Elle tirait sur ce qu'elle pouvait, mais son efficacité était limitée ainsi que celle de son binôme, qui avait été blessé, elle avait senti l'impact quand il l'avait percuté sous le coup de lance, mais impossible de s'arrêter.

— Vise les montures Maelia, hurla Sane en esquivant une charge.

La mort dans l'âme elle obéit.

Tagan était poisseux de pied en cap, douché par le sang ennemi, de ce qu'il arrivait à apercevoir leur cercle était le dernier complet, et ceux qui commençait à perdre des membres ce faisaient submerger, certains de leurs membres parvenaient à en joindre d'autres, mais leur pertes étaient catastrophiques, même si les plus mauvais épéistes étaient morts à l'heure actuelle, et qu'ils pouvaient penser les défenses restantes plus solides, d'ailleurs les soldats devenaient plus hésitant à les approcher de front.

— Il nous faut une ouverture pour fuir, c'est un bourbier, nous allons tous y rester, ils sont trop nombreux et des renforts sont peut-être en route, haleta Sane entre deux coups de taille pour faire reculer ses assaillants.

— Je le pense aussi, et vite, on s'épuise.

— Vous vous repliez vers la forêt derrière la position de Beag, c'est le plus proche, dès que je vous le dis. Drystan avec moi, nous les couvrons, ordonna Sane.

Tagan ne dit rien, une part de lui aurait voulu, mais ce n'était pas le moment d'entrer en conflit. Et l'autre part de lui était contente de ne pas faire partie de ceux qui étaient sûrs de rencontrer la mort.

Feary n'était pas en paix avec ce qui allait suivre, il aurait aimé prendre la place de Sane. Il ne se sentait pas invincible, sauf que la vie de Sane pouvait apporter plus pour l'avenir que la sienne, il le sentait.

— Sane ?

— Part avec eux Feary, ça va aller. Préparez-vous. Tout le monde, dégainez vos lames.

Ils repoussèrent avec vigueur les assaillants autour d'eux, avant que l'ordre de Sane ne claque. Tagan ouvrit la voie perçant les rangs ennemis, Feary et Eunan de chaque côté empêchant la brèche de se refermer, Maelia et Egert à leur suite devant eux aussi jouer de l'acier, malgré l'intervention efficace de Drystan et Sane, car leur tentative ne passa pas inaperçue les combats s'intensifièrent autour d'eux, toutefois d'autres rebelles tentèrent aussi de rejoindre le groupe de Beag : le plus proche des bois.

Drystan et Sane étaient séparés, ils se battaient seuls au milieu de marée d'armures ennemies.

L'imposante carrure de Drystan ne lui épargna pas de multiples blessures alors qu'il fauchait les vies ennemies, c'est en peinant qu'il atteignit le groupe de rebelles amassés non loin de la forêt, inaccessible à cause d'un mur de soldats compact, toujours montés.

Sane était toujours dans la mêlée, un sourire condescendant s'afficha sur son visage quant il se retrouva acculé. Il arracha l'épée d'un mourant et partit dans une véritable frénésie. Une danse à deux lames. La même qui lui avait sauvé la vie et qui l'avait mené chez les rebelles. Mais cette fois, ça ne suffirait peut-être pas... L'avantage c'était que dans ces moments-là ça n'avait aucune importance.

Il ne faisait qu'un avec ses lames, ne cherchait pas à parer quoi que ce soit, il était létal, la mort venue sur terre se repaître de toujours plus d'hommes.

Devant sa rage berserk les soldats se mettaient à reculer, ça ne les empêchait pas de mourir au contraire, dans sa brume sanglante il en oublia de rejoindre les rebelles, c'est la voix de Drystan qui lui rappela son objectif. Il avait hérité de quelques estafilades, mais rien de sérieux, un vrai miracle, la dernière fois, il en était presque mort.

— Bien joué Sane, le félicita Beag. Il nous faut franchir le mur de soldats, seuls c'était impossible, ensemble ce sera difficile.

— Ils sont légèrement en surplomb, plus leurs chevaux, c'est pratiquement irréalisable, de notre position je ne les voyais pas avec la fumée. Il faut leur faire rompre les rangs avant de charger, j'espère que nous avons encore assez d'archers, d'arcs et de flèches.

— Nous sommes, au plus, une grosse quarantaine, dont des blessés, tu ne peux pas demander à trop de personnes de rompre la défense extérieure Sane, sinon ils vont nous engloutir.

— Je sais, et c'est à toi de donner l'ordre chef, une dizaine devrait suffire. Et j'espère qu'ils n'ont pas d'archers.

Exurie, Maelia, Maulde, Eunan et six autres se placèrent à l'intérieur du cercle, et montèrent sur des corps pour avoir un meilleur point de vue.

Eunan n'avait pas peur, la situation était pourtant désespérée, ils ne passeraient jamais, il restait au bas mot trois fois plus de soldats qu'eux. Mais il était fier d'avoir participé d'une certaine façon à cette rébellion et d'avoir connu des personnes aussi courageuses et talentueuses. Il repéra le commandant qui était la charge d'Exurie et choisit un cheval juste à côté, dans la section qu'on lui avait définie à viser. Il se prépara. Attendit. Puis le vrombissement des cordes emplit l'air.



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