Chapitre vingt
— Je te déconseille de t'enfuir, ou du moins d'essayer.
Eunan avait envie de répliquer, mais il s'abstint. Une douleur cuisante irradiait de ses épaules endolories par cette position inconfortable, s'ajoutant au concert de plus en plus bruyant de tout le reste de son corps qui protestait. Mais il serra les dents.
— On aurait pu te tuer au lieu de t'emmener, mais tu m'intrigues... Tu dois regretter de m'avoir aidé, commenta Beag d'une voix doucereuse.
Regretter... Non, car la traqueuse devait être proche depuis un moment, et il ne l'avait pas perçu, s'il n'avait pas assisté le chef de la rébellion, elle aurait tiré un de ses traits mortels sans même l'avertir de sa présence. Et il serait définitivement mort. Là, au moins, il avait un sursis. Même s'il ne savait pas bien quoi faire de ce délai supplémentaire.
Des fourmillements commençaient à courir dans ses mains et ses pieds, les liens étaient beaucoup trop serrés. Rien n'avait été laissé au hasard. Il n'aurait pas fait mieux lui-même s'il avait dû tenir une personne prisonnière. Il était entièrement piégé.
— Je ne vais pas avoir le temps de m'occuper de toi au campement. Une armée nous vient dessus... Le bon sens me dit que je devrais te tuer maintenant.
— Pourquoi tu ne le fais pas ? ne put s'empêcher de demander l'assassin.
— Tu parles enfin, se réjouit sinistrement Beag. Je pense que tu m'as sauvé sans savoir qui j'étais. C'est la raison la plus logique pour expliquer ton intervention. Mais je me demande pourquoi, toi et ton ami, vous n'essayez jamais de vous approcher du camp ensemble, et où il se cache pendant que tu es ici. Vous êtes une menace. Je ne tolère pas les menaces.
— Tu devrais me tuer alors, maintenant.
— Tu dis ça avec tellement de décontraction. Je me demande quels secrets tu veux amener avec toi. Ton lien avec l'armée qui arrive peut-être ? J'ai beaucoup de questions.
— Et tu n'auras aucune réponse. Tu perds ton temps, rebelle.
Eunan se maudit, il n'avait pas insufflé assez de hargne dans ses propos. Il n'allait pas être pris au sérieux. Beag était très charismatique, qu'il parle avec autant d'assurance malgré son jeune âge, rendait encore plus écrasante son autorité. Peu d'hommes avaient autant de présence, et elle était souvent le résultat d'années de pratique.
En position de faiblesse comme il l'était, face à un tel individu, Eunan perdait ses moyens. Et ça lui faisait mal de l'admettre.
Beag se tut le reste du trajet qui n'était malheureusement plus très long. Eunan n'avait pas besoin de se repérer visuellement pour le savoir, les tumultes de leur destination étaient audibles. Balloté comme un sac, il fermait les yeux de temps en temps pour faire refluer la nausée, de toute façon avec la nuit il ne pouvait rien discerner à moins de cinq mètres et il avait surtout vu sous l'animal qui le portait.
Quand le cheval s'arrêta et que des voix d'hommes l'entourèrent, il se concentra pour ne rien rater. Quelqu'un attrapa la bride de leur monture pour la faire avancer sur une planche de bois au-dessus d'un trou, puis précautionneusement au milieu d'épieux qui étaient plantés dans le chemin, coupant définitivement l'accès aux habitations.
Il avisa d'un coup d'œil la profondeur de la fosse qui était toujours en train d'être creusée autour du camp. Au moins deux mètres cinquante de profondeur. Elle ne s'étendait pas tout le long de la fortification, mais elle couvrait toutes les parties accessibles pour une armée. C'était du très bon travail, de ce qu'il pouvait en juger. Il n'y connaissait pas grand-chose, mais n'importe qui comprendrait qu'il faudrait beaucoup d'hommes pour venir à bout de tout ça. Au fond de lui quelque chose bougea. Il dut se concentrer pour comprendre quel sentiment c'était : de l'espoir.
Pas pour sa vie à lui, il était réaliste à ce niveau-là. Mais c'était l'espoir d'un enfant qui avait subi de plein fouet les ravages du règne sans pitié de la famille royale. Les espoirs d'un enfant qui avait payé le prix des larmes et du sang pour être l'homme qu'il était.
Il promena à nouveau son regard à la ronde. Est-ce que des personnes capables de si bien se protéger seraient capables de plus ? D'aller au-delà de leur forêt, à la capitale pour faire tomber le roi ?
Impossible d'en juger. Mais s'ils infligeaient une défaite cuisante à la force armée qui avançait sur eux, ils auraient la sympathie du peuple, qui leur fournirait plus facilement de la nourriture et des abris quand ils seraient en route. Donc, l'espoir, même ténu, était permis. Et il avait envie d'y croire pour Cylia et Kenelm. Un monde meilleur pour leur futur, c'était tout ce qu'il pouvait leur souhaiter.
Beag descendit de selle, sans se soucier de lui. Il discutait avec des personnes qu'il n'arrivait pas à voir. Il n'arrivait même pas à comprendre leurs paroles à cause de l'agitation, mais il frissonna en entendant une voix profonde et caverneuse, comme tout droit sortie de la gorge d'une bête immense. Une voix dure, d'un homme qu'il devinait puissant physiquement. C'est grâce à cette constatation qu'il ne fut qu'à moitié surpris quand il se retrouva empoigné avec fermeté pour être remis debout.
Malheureusement ses jambes ne le portèrent pas, et il s'avachit au sol. De plus, sa tête tournait un peu.
— Il est blessé ? demanda de sa voix grave, le géant qui l'avait soulevé.
— Non. Je pense que c'est dû au trajet.
Maelia s'approcha de son frère avec empressement, pour voir de ses yeux qu'il était entier.
Elle en voulait à Tagan. Même si à grand renfort d'explications il lui avait prouvé qu'elle n'aurait été qu'un fardeau pour Beag, elle n'avait pas supporté d'être séparée de lui. Mais apparemment les deux hommes avaient eu raison, car son frère était entier, concentré et il ne montrait aucun signe de fatigue, alors que depuis ce matin il avait couru poursuivit par toute une armée.
Une fois sûre et certaine qu'il allait bien, elle détailla le prisonnier. Constatant avec étonnement qu'il ne ressemblait pas à un soldat.
L'homme releva la tête vers elle. C'était comme si on lui assénait une gifle. Elle déglutit difficilement, les sourcils broussailleux de l'individu se baissèrent, ses yeux verts s'étrécirent.
Même à la lueur vacillante de cette nuit, elle n'avait pas oublié le noir si profond de ses arcades qui tranchait nettement avec le vert vif de ce regard. Elle ignorait son nom, mais elle se remémora l'apprenti que cet homme avait obligé à la raccompagner. Cela lui semblait dans une autre vie. Il l'avait marqué à cause de l'aura de dangerosité qu'il dégageait. Elle ne comprenait pas ce qu'il faisait là.
L'homme la fixait, comme s'il essayait de se rappeler où il l'avait déjà vu.
— Un problème Maelia ? s'enquit Tagan en arrivant à côté d'elle.
— Je le connais.
Beag ordonna d'un signe de tête à Drystan de le redresser.
Elle vit les regards curieux attendant qu'elle leur donne plus de détails. Mais elle n'en avait pas.
— Où as-tu rencontré cet homme ? demanda Tagan, en se plaçant subrepticement entre elle et le détenu.
Elle remarqua son geste, qui la toucha. Il était toujours prêt à la défendre, toujours inquiet.
— À Soumans, après que tu m'aies laissé là-bas, il a passé une nuit à l'auberge où je travaillais, sentant Tagan et Beag se tendre, elle se dépêcha de compléter sa phrase. Il m'a aidé en calmant les ardeurs d'autres clients.
Beag pencha la tête, comme si une nouvelle lumière éclairait le captif.
— C'est ta vocation de porter secours ?
— Il faut croire.
— C'est intéressant... termina le chef, avant d'aller plus loin.
Drystan, Tagan et elle restèrent seuls avec le prisonnier.
— Traite le bien, Drystan, ce n'est pas un mauvais homme.
— Ce n'est pas à toi de juger, roula, profonde la voix du géant. Et j'obéis à ton frère. Il vérifie que les fortifications, les seaux d'eau, les armes et tout le reste soit prêts, et après il me dira quoi en faire. Je doute qu'il laisse son cas traîner.
— Quoi ? s'alarma Maelia, qui avait très bien compris qu'il parlait de le tuer.
Drystan, avec patience lui expliqua qui était l'homme, et ce qu'il faisait là d'après toutes vraisemblances.
— Mais tu viens de dire qu'il lui a sauvé la vie, il doit y avoir un moyen de le garder captif, au lieu de l'exécuter, au moins le temps d'en savoir plus.
— C'est la guerre Maelia, répliqua doucement Tagan, en posant la main sur son bras. Ton frère n'a pas le choix. Il est une menace, on ne sait pas à quel jeu il joue, personne ne peut prendre le risque de le laisser vivre ici.
Énervée et impuissante la femme s'en alla. Elle savait que Tagan la suivait à une distance respectable pour ne pas la brusquer.
Lui et son frère semblaient toujours savoir quoi faire. Mais cette fois, elle ne pouvait pas laisser les choses arriver. Elle parlerait à Beag, seul à seule. Elle lui ferait entendre raison. Elle comprenait la menace que représentait un individu de ce genre, mais il l'avait aidé et elle n'était pas du genre à ne pas rendre la pareille.
Le géant traîna Eunan près d'un puits et l'aida à boire, avant d'enlever les liens de ses jambes.
— Merci.
— Pas de quoi, tu ne peux pas t'échapper d'ici en courant, et de toute façon Exurie te rattraperait.
Eunan ne répliqua pas, car il avait la conviction que la femme chauve serait capable, en effet, de l'abattre avant qu'il réussisse à s'enfuir.
Mais ce n'était pas sa sécurité, sa vie ou sa fuite qu'il avait à l'esprit, mais Kenelm. La sœur du chef l'avait déjà vu. Quand la jeune femme avait évoqué le lieu de leur rencontre, les souvenirs lui étaient revenus, et ce que Kenelm lui avait dit en rentrant aussi, elle connaissait au moins son nom. Il ne savait pas si elle pouvait avoir des informations pour nuire à ses amis. Mais il n'aimait pas du tout la situation, même si elle était la seule personne qui semblait vouloir lui donner un sursis plus long.
Au bout d'un moment, son immense gardien l'amena sous une tente où se trouvaient peu de lits et lui désigna une couchette. Il lui détacha les poignets, pour aussitôt les lier, moins serrés au-dessus de sa tête, accrochés à un piquet, à priori prévu à cet effet. Son sang pouvait à nouveau circuler, même s'il ne pouvait toujours pas se dégager. La douleur aux bras persistait, mais c'était mieux.
— Pourquoi te montres-tu si aimable avec moi ?
— Tu as sauvé la vie de Beag, ça mérite un minimum de considération. Maintenant, dors.
Eunan ne se fit pas prier, il était épuisé, et s'il voulait être en forme de corps et d'esprit il avait besoin de repos.
Tagan alla voir Beag aux premières lueurs de l'aube. Il avait enfin terminé de vérifier les préparatifs primordiaux, et Sane s'occupait du reste. Exurie avait rapporté que deux-cent-cinquante soldats composaient les troupes en marche, dont cinquante cavaliers. Les rebelles étaient en supériorités numériques et avaient l'avantage du terrain, les choses s'annonçaient bien.
— Un problème ?
— Je viens te demander l'autorisation pour que ta sœur dorme dans ma tente.
— Pardon ? s'étrangla le frère.
— Les hommes sont nerveux, c'est leur baptême du feu qui approche. Il y a déjà eu des bagarres. Sane, Sandayu, Feary et moi avons passé plus de temps à maintenir l'ordre qu'à vérifier les travaux. L'attente va ronger tes hommes. Nous en avons fait de bons guerriers, mais ça reste théorique pour beaucoup. Des escarmouches contre les bandits dans les bois, ce n'est rien comparé à ce qui arrive.
— Les femmes ne sont pas comme ça, elles maîtrisent mieux leurs nerfs, si c'est ce qui t'inquiète.
— Non, ce qui m'inquiète, c'est que tes hommes savent que la mort arrive. Et qu'un sentiment d'urgence à vivre, mélangé à la peur, va les pousser à être plus entreprenants envers les femmes. Il y a à peine une demi-heure, Sane et moi avons dû renvoyer un groupe de presque dix hommes qui traînaient autour du baraquement des femmes. Je sais que tu vas dire qu'elles sauront se défendre. Et je le pense, mais...
— Mais, l'interrompit Beag, tu penses que certains, ou peut-être certaines, puissent profiter de l'agitation pour faire du mal à ma sœur. Il y a peu de risque que ça arrive. Tu pousses un peu ta paranoïa à l'extrême.
— Tu sais comme moi que, même sans ça, des hommes t'en veulent de l'absence de prostitués. S'ils ne pensent plus rien avoir à perdre, ils peuvent faire du mal à Maelia. S'il te plaît Beag.
— Tu n'arrêtes pas de tourner autour de ma sœur. Je ne dis rien parce que je sais à quel point ça m'est utile de t'avoir pour la garder en sécurité. Mais je ne t'autorise pas à la toucher, elle mérite mieux. Alors si tu t'imagines une seule seconde que je vais accepter qu'elle dorme avec toi, tu te trompes.
— Beag, l'implora Tagan. Je ne suis pas seul là bas, je ne dormirais même pas sur la même paillasse qu'elle. Je suis sûrement un peu extrême, mais, si jamais ça arrive, je ne me pardonnerais jamais de ne pas avoir été là, et de ne pas t'avoir demandé.
— Très bien, grogna Beag. Tagan, je t'avertis, si tu la touches...
— Je sais.
Beag ne l'acceptait toujours pas, il avait confiance dans ses jugements, dans ses compétences d'analyses. Mais dès que ça concernait Maelia, son hostilité ressortait. Elle était sûrement due au rang qu'avait eu Tagan dans son passé. Il ne pouvait pas dire qu'il en était blessé. Toutefois, il aurait aimé que Beag comprenne le profond respect qu'il avait pour elle. Il ne la déshonorerait jamais. Il la protégeait, car elle n'était pas faite pour cette vie. Il avait vu à plus d'une reprise la peur dans son regard. Mais elle se forçait pour son frère. Pour l'amour du seul membre encore en vie de sa famille. Elle apprenait à se battre et à tuer. Et pour Beag, elle le ferait. Tagan n'y voyait que du gâchis, car elle méritait mieux. Une autre vie. Mais personne ne choisissait, il en savait quelque chose.
— Passe ton chemin, tonna la voix d'une femme devant la porte du dortoir.
— Je viens chercher Maelia.
La femme le toisa, son animosité et sa méfiance presque tangible dans l'air.
— Je ne compte pas lui faire de mal. Dis-lui de prendre ses affaires.
— Je ne suis pas à tes ordres, cracha-t-elle, avant de faire ce qu'il avait demandé.
Tagan décida de ne pas relever, les femmes avaient besoin de s'imposer ici. Et ce n'était pas tous les jours facile.
— Elle accepte de venir, l'informa-t-elle en repassant la porte.
Quand Maelia fit son apparition, la femme lui demanda si elle était bien sûre de vouloir partir avec lui, puis la libéra enfin.
— Qu'est-ce qui se passe ?
— J'ai l'autorisation de ton frère pour que tu puisses te reposer sous ma tente.
— M... M... mais, pourquoi ? rougit Maelia.
Tagan fit semblant de ne pas remarquer son embarras, car lui aussi, étrangement, n'était pas à l'aise avec cette idée.
— Je veux pouvoir être près de toi quoiqu'il arrive, les heures à venir vont être dangereuses.
Il lui tint le pan de la tente pour qu'elle y entre. Drystan ne dormait que d'un œil. Il les gratifia d'un drôle de rictus que Tagan n'essaya pas de déchiffrer.
Le prisonnier aussi était réveillé, même s'il continuait de faire semblant de dormir.
Tagan céda sa couche à côté de celle de Drystan à Maelia et s'installa de l'autre côté pour qu'elle se retrouve encadrée par eux deux.
***
Le lourd tissu de leur abri laissait passer que peu de luminosité, informant Tagan que le soleil était sorti de derrière les pics. Mais ce qui l'avait tiré du sommeil était un petit claquement répétitif qu'il mit quelques secondes à identifier.
Il baissa le regard vers Maelia qui grelottait dans son lit. Il jeta un œil aux deux braseros presque éteints. Il se leva rapidement, en ne prenant pas la peine d'enfiler quelque chose aux pieds. Il était tout habillé pour être prêt en cas d'attaque-surprise et alla alimenter les deux foyers. Puis il s'accroupit à côté de la silhouette recroquevillée sous les couvertures.
— Comment vas-tu ?
Un grognement étouffé fut la seule réponse. Il n'avait pas pensé à ça. Ici il ne faisait jamais très chaud. Il tira sur l'extrémité en laine pour dégager le visage de Maelia. Il frôla son nez gelé.
— As-tu toujours aussi froid d'habitude ?
— Souvent, si je me couche déjà fraiche.
Il attrapa une de ses mains et la frictionna doucement.
— As-tu pu dormir un peu au moins ?
Elle fit un signe négatif de la tête.
— C'est vrai que cette nuit on a beaucoup bougé et transpirés, et on n'a pas eu l'occasion de se changer, dit-il, se parlant à lui même. Fais-moi de la place.
Les yeux de Maelia s'agrandirent de surprise.
— N'en parle pas à ton frère, plaisanta-t-il pour la détendre, même s'il espérait vraiment qu'il ne l'apprendrait pas.
Il la poussa gentiment tout en tirant les couvertures, puis se glissa contre elle.
— Retourne-toi.
Elle s'exécuta maladroitement, tout en restant raide.
— Calme-toi, chuchota-t-il.
Il saisit une peau de loup qui traînait sur son lit défait et la posa sur eux. Maelia tremblait toujours. Il attrapa ses doigts d'une main, et avec son pouce les caressa pour les réchauffer. Son autre bras le maintenait en appuis, pour ne pas qu'il se laisse aller contre elle. C'était déjà assez dérangeant de se rendre compte à quel point son corps épousait le sien parfaitement.
Il n'avait jamais été mal à l'aise allongé avec une femme. Dans l'arrogance de la jeunesse, il avait présumé être un amant formidable. À tort. Et avec les années il avait passé du bon temps, perfectionnant ses connaissances de l'amour.
C'était sûrement la première fois qu'il se trouvait dans cette situation, sans qu'il y ait autre chose qu'un ami qui prêtait un peu de chaleur. Et c'était déstabilisant.
Maelia se pelotonna davantage contre lui en soupirant d'aise. Tagan vira instantanément couleur pivoine. Il leva les yeux pour retrouver ses esprits et croisa le regard amusé de Drystan. C'était bien sa veine. Le géant lui fit un clin d'œil dans un rire silencieux et se retourna.
Il n'y avait toujours qu'eux avec le prisonnier, Sane, Egert et Feary n'étaient pas encore venus et ne le feraient certainement pas. Il l'espérait du moins.
Le plus dur dans cette situation était qu'il avait envie de prendre Maelia dans ses bras, de la serrer fort à la hauteur de sentiments qu'il avait pour elle. En plus il ne la laissait pas indifférente, il le savait. Avec n'importe qu'elle autre femme il ne se serait pas gêné, et aurait pris ce qu'il voulait et qu'elle était disposée à lui donner. Mais pas avec elle. Il la respectait trop. Il donnerait tout pour qu'elle échappe à ce trou, et à cette vie. C'était des pensées qui le harcelaient tous les jours. Incessantes. Piquantes. Accusatrices. Une voix lui murmurait que si ses sentiments étaient sincères envers elle, il l'emmènerait loin d'ici de gré ou de force, pour lui offrir une vie normale, avec une demeure confortable, de la nourriture, de la chaleur, une famille.
Ici la seule chose qu'il allait lui offrir c'était de la défendre jusqu'à la mort, avant qu'elle ne meure aussi.
Depuis que la cour l'avait désavoué et que, lui, avait rejeté son père, aucune vie n'était plus passée avant la sienne. Et même avant ça, il avait toujours été égoïste. C'était une sensation bizarre qu'elle compte autant, alors qu'elle pouvait être parfaitement détestable.
Même là, en dormant enfin profondément grâce à lui, elle ne le remercierait pas. Elle ne l'avait jamais remercié pour rien. Mais bon, ce n'était pas qu'avec lui.
Il contempla son visage, chacun de ses traits détendus par le sommeil. L'ourlet parfait de sa bouche était une invitation constante.
Il inspira bruyamment, son esprit passait du coq à l'âne. C'était la fatigue. Il n'arrivait même pas à suivre la logique de son cerveau épuisé, distrait sans cesse par tout et n'importe quoi.
Il serra la main de Maelia dans la sienne, elle était chaude, comme le reste de son corps qu'il sentait derrière ses habits. Il s'extraya lentement du lit pour regagner le sien et prendre le repos dont il aurait besoin pour la garder en vie.
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