Chapitre trente-trois

Les portes de la cité étaient demeurées ouvertes pour l'arriver des cinq compagnons, et des personnes patientaient juste de l'autre côté pour les saluer, dont Avel l'ancien maître d'armes de Feary.

Maelia ne prêta pas grand intérêt à l'agitation, ses yeux papillonnaient de la hauteur des murailles, aux habitations en pierre. Ça avait l'avantage de la distraire de ses pensées qui n'avaient fait que tourner autour de Tagan et Sane se disputant au sujet de leurs intentions.

On les conduisit dans un réfectoire immense à travers les rues pavées, elle était sûre de ne pas être capable de se repérer dans ce labyrinthe, mais elle s'y sentait en sécurité.

Installée devant son écuelle, elle se fit violence pour ne pas ce jeter sur le contenu avant qu'Avel ne les y invite. Après quelques questions d'usages ce dernier interrogea Feary sur Sandayu. Attristé et soulagé à la fois de se rendre compte que les deux épéistes étaient en effet ensemble lorsque l'épéiste était mort.

Maelia continuait d'écouter distraitement, toute cette histoire elle la connaissait que trop bien, par contre Arzel ne ratait pas une miette de l'échange, heureux d'en apprendre davantage sur ce père inconnu et sur ses amis d'infortunes.

Fuku interrompit le maître épéiste en passant par une fenêtre ouverte et se posa sur la table ébouriffant ses plumes et fixant Avel de ses iris noirs, qui le saluait en lui caressant la tête.

— J'ai su que tu arrivais en le voyant, expliqua-t-il à Feary. Et je ne pense pas être le seul. Le coquin est venu chaparder de la viande en cuisine. Il est toujours aussi magnifique. Quand vous aurez fini de manger je vous mènerais à vos chambres, et après ça, je pense que Feary vous fera la visite lui-même rien n'a changé de place.

Les voyageurs acquiescèrent. Tagan rêvait d'un bain et espérait que ça ferait partie de ladite visite. L'architecture de cette ville l'avait beaucoup surpris, tout était en pierre, il y avait bien des poutres en bois à l'intérieur, comme dans cette pièce haute d'un étage, mais à l'extérieur rien d'aussi facilement inflammable. Les murs en pierres grises, les toits en ardoises noires, tout aurait pu paraître lugubre, mais les différents dégradés du blanc au noir donnaient simplement une étonnante impression d'invulnérabilité.

Une jeune femme athlétique le sortit de ses pensées en leur apportant une tarte à la rhubarbe pour dessert.

— Elle est toute pour vous, pour fêter ton retour Feary. Et tes nouveaux amis et toi vous devez avoir faim après le voyage. J'espère qu'on se verra demain, dit-elle en repartant vers la porte du fond qui menait aux cuisines.

Tagan regarda son compagnon, qui avait légèrement rougi et pas répondu à la jeune femme qui paraissait avoir à peu près son âge. Il remarqua le coup d'œil amusé d'Avel, et ne put s'empêcher d'asticoter son compagnon.

— Tu ne nous as même pas présentés. Tu as plus d'assurance quand on te menace avec une épée.

— C'était Elicia une amie avec qui je me suis entraîné à l'escrime, lâcha Feary, trop rapidement pour avoir l'air complètement naturel.

— Et qui était meilleure que toi, tu oublies de le préciser plaisanta Avel.

Feary se rembrunit, Tagan fut frappé, car pour la première fois son ami faisait son âge, un adolescent à peine devenu adulte qui était en train de bouder pour une histoire de fille.

Le porteur d'épée se sentait ridicule, il savait être le centre d'attention. Elicia le mettait toujours dans des situations où il n'était pas à l'aise. Elle avait beau être endurante et rapide, il aurait pu la battre durant leurs années d'entraînements, mais avec elle, il se comportait soit comme un empoté, soit il avait peur de lui faire mal. Avel s'en était aperçut et les avait souvent mis face à face. Il retint de justesse un sourire en repensant aux belles déculottées qu'Elicia lui avait mises. Pour garder une contenance devant les œillades curieuses, il mangea la tarte, pressé de quitter la table.

Le repas achevé la troupe suivit Avel, qui monta un escalier qui partait directement du réfectoire. Ils grimpèrent chargés de leurs bagages, mais ils ne s'arrêtèrent pas au premier palier qui était pourtant situé au niveau des seconds étages des autres bâtiments, ils ne s'arrêtèrent pas non plus au troisième, mais montèrent jusqu'aux combles.

Après avoir quitté le couloir exigu Sane détailla l'endroit assez sommaire dans lequel Avel les avait mené. Ce qui le frappa de suite, c'est Fuku installé sur un perchoir qui lui semblait dédié, à côté d'un panier dans le coin le plus sombre de la pièce. Une paillasse était à même le sol près des affaires de la chouette, alors que les cinq autres étaient en hauteur.

— L'endroit a été nettoyé pendant que vous mangiez. Mais si tes amis préfèrent, il y a des chambres à l'étage du dessous. C'est que te concernant, je suis presque sûr que tu voudras rester ici.

— En effet, merci maître.

Avel se tourna vers les quatre autres rebelles les interrogeant du regard.

— Nous restons ici, s'exprima Sane, alors que les autres acquiescèrent. Merci infiniment pour tout.

Avel prit congé, pendant que Feary alla déposer son barda près de son lit.

— Il y a cinq vrais lits, tu peux en prendre un, lui indiqua Sane.

— Je sais, mais c'est moi qui ai toujours préféré dormir par terre, je gêne moins Fuku de cette façon. Si les nuits vous avez froid, il y a des couvertures supplémentaires dans l'armoire.

Sane avisa le vieux meuble qui semblait avoir toujours occupé ces murs, il se situait dans la partie la plus haute de plafond de la pièce, alors que les lits étaient disposés pour la moitié sous la pente. Car ils se trouvaient dans une des parties des combles, ils avaient passé un petit couloir avant d'arriver ici, étant donné la taille du réfectoire en dessous, Sane n'était pas étonné d'imaginer d'autres pièces semblables à ce niveau.

Feary les invita à le suivre s'ils voulaient se décrasser. Aucun ne se fit prier.

Il les mena dans le dédale de rues, saluant plusieurs personnes apparemment ravies de le revoir et pressées de savoir ce qu'il avait fait à l'extérieur de leurs murs.

Sane mémorisait les voies qu'ils empruntaient, stupéfait de l'immensité des lieux et de la modernité de cette ville perdue au milieu de nulle part.

— Tout le monde ici sait-il se battre ? demanda-t-il à Feary en remarquant même des petites filles armées de dagues.

— Oui, tous les enfants sont formés à tous les types de combats, même si tous ne sont pas poussés à exceller, c'est la décision de chacun de se perfectionner dans une discipline plutôt que d'autres. Avel par exemple et l'un des combattants les plus complets ici. Quant à moi le lancer de couteaux est une pratique que j'ai vite laissé tomber.

— Pour quelle raison tout cet entrainement ?

— Les quatre royaumes ont toujours lorgné cette cité. Symboliquement elle a été pendant des siècles la capitale et le lieu où le destin du pays se jouait. Tout le monde sait la chance qu'il a de vivre ici, et est prêt à défendre sa liberté.

— Pourquoi n'aidez-vous pas le reste des peuples à avoir accès à cette liberté que vous semblez tant chérir ?

— Nous sommes peu nombreux, tout juste assez pour défendre ce lieu et beaucoup de personnes se réfugient ici pour échapper à la violence. Savoir se servir d'une arme ne veut pas dire vouloir le faire.

Feary avait sorti à peu de choses près ce que Avel lui avait expliqué quand enfant il lui avait posé la même question. Il n'avouerait pas à Sane que lui aussi trouvait injuste qu'une minorité ait droit à la tranquillité et qu'elle n'aide pas les autres à obtenir la même quiétude. Il avait rencontré ici d'anciens soldats d'armées royales, dont certains engagés volontairement, mais qui avait été dégoûtés de voir que certains prenaient plaisir à faire souffrir les autres, bien que certains ici aussi avaient une once de sadisme, mais ils luttaient contre cette part d'eux.

Les règles étaient strictes dans l'enceinte de la cité, au moindre crime on était banni, et Feary n'était pas dupe, une fois loin des murs les hors la loi étaient abattus pour ne pas révéler les passages secrets menant à la cité. Personne ne pouvait prédire ce que feraient les gens sous le coup de la rancœur.

Ils arrivèrent dans la cour menant à l'entrée des bains, mais avant ça Feary leur montra le lavoir, où tous commencèrent à laver leurs habits. Feary, Arzel et Maelia, se déshabillèrent pour nettoyer même ceux qu'ils portaient.

— Décidément, grommela Tagan en se détournant, se remémorant sa fuite avec Maelia qui n'avait pas hésité à ce mettre nue devant lui cette fois-là non plus. Il remarqua que Sane avait l'air tout aussi gêné que lui et surtout il remarqua le sourire moqueur de Maelia.

Sane avisa le porteur d'épée et le chasseur qui semblait ne pas prêter attention à leur pudeur et il décida de faire comme eux. Au camp des rebelles, pour éviter les incidents les femmes et les hommes n'allaient pas aux sources chaudes ensemble, mais il savait que les gens du peuple n'avaient pas l'embarras des riches.

Alors, que comme ses compagnons Tagan s'escrimait sur les tâches récalcitrantes, il avait de plus en plus de points noirs qui dansaient devant ses yeux, et les muscles en feu. Il ne montra pas la peine que lui infligeait le nettoyage, il se sentait tellement idiot d'être faible lors de l'exécution d'une action aussi basique.

— Ça ne partira jamais, bougonna Maelia.

— On achètera d'autres habits ici, la réconforta Feary. Mais pour le moment nous n'avons que ça à nous mettre. Il nous suffit d'enlever le plus gros.

Elle acquiesça, sans pour autant se réjouir de continuer à enlever la sueur, la crasse et le sang séché des loques qu'ils appelaient encore habits.

Une fois plus ou moins satisfaits du résultat ils mirent leurs affaires au soleil et suivirent Feary dans le tunnel menant aux bains.

Sane, juste derrière Tagan, remarqua que c'était celui dont la silhouette avait le plus souffert de toutes ces semaines sur les routes, il avait fondu. Leur séjour ici serait finalement peut-être bénéfique sur des pans qu'ils n'avaient pas prévus.

Feary s'arrêta dans la pièce où le bain était le plus tempéré, eninvitant ses amis à aller soit dans la pièce précédente et l'eau froide ou l'autre avec l'eau très chaude, toutefois tous optèrent pour le même que lui.

Des torches éclairaient la pièce aveugle quand ils se glissèrent dans l'eau fumante, leurs armes jamais très loin, l'air était épais, légèrement flou et Sane appréciait cet aspect ouaté de l'atmosphère.

Feary enleva la lanière de cuir qui retenait ses longs cheveux blonds et alla au centre du bassin où il n'avait pas pied pour s'immerger complètement dans l'eau, il fut imité par Arzel, et une fois tous les deux sous l'eau, avec leur longue chevelure blonde et le peu de luminosité, il était difficile de les différencier. Maelia resta au bord pour se laver la tête, elle était bien là où elle était assise, détendue pour la première fois depuis tellement longtemps qu'elle était incapable de se rappeler de quand datait son dernier moment de bien-être physique.

Le silence s'installa, uniquement perturbé par le clapotis de l'eau, à croire qu'aucun d'eux ne voulait troubler ce moment.

Puis vint le temps pour eux de sortir, ils avaient passé plus d'une heure dans le bain. Au contact de l'air frais de la montagne, ils frissonnèrent en arrivant à l'extérieur. Leurs habits n'étaient pas tout à fait secs, mais n'ayant pas spécialement le choix, ils décidèrent de les remettre. Sauf que, par chance, Elicia arriva à ce moment-là, les bras chargés d'habits simples.

— Je n'y ai pensé qu'en ne vous voyant pas revenir, vous serez plus à l'aise au sec. Je suis désolée pour les tailles, j'ai pris ce qui traînait. Il y a des ficelles pour ajuster les braies.

Aucun d'eux ne se servit de ces dernières préférant ceindre leur ceinture avec leurs lames.

— Bon, je vous laisse. Pour ce qui est encore mouillé, je vous le rapporterais quand ce sera sec en revenant du bain ce soir.

Tous la remercièrent et reprirent leur visite de la cité fortifiée.

Tagan était de plus en plus las, il n'arrivait plus à s'intéresser à ce que Feary leur montrait. Pourtant ils étaient passés à côté de Solitaire, une immense et impressionnante tour qui cachait dans son sous-sol la pièce avec les épées mystiques. Il ne prêta pas attention non plus au majestueux château qui abritait tous les jeunes en apprentissage et leurs maîtres. Pourtant Feary interrogé par Sane fournissait des détails captivants sur la vie de ce lieu à part, sur son fonctionnement : le conseil de vingt membres de la communauté qui prenaient des décisions pour tout le reste des habitants.

Tagan ne voyait pas la fin de ces kilomètres de rues et de places, son front était poisseux de sueur ses cheveux pourtant courts collèrent à son crâne ce que Maelia finit par remarquer.

— Ça va, Tagan ? Tu veux faire une pause ?

Il fit non de la tête, mais ce simple mouvement lui fit perdre sa concentration et le fit chuter. Quand il tenta de se relever, ses membres furent pris de tremblements. Il jura. Força davantage. Sa vue se voila. Il persista, tentant de repousser des mains secourables, puis s'évanouie.



Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top