Chapitre trente-quatre
Un mal de tête soutenu tira Tagan de son sommeil. Il entrouvrit un œil avant de réaliser qu'il ne savait pas du tout où il était et de se relever d'un bond, tendant son bras pour saisir une arme qu'il ne trouva pas. Un linge humide tomba de son front. Il était complètement désorienté. Il lui fallut une grande poignée de secondes pour se rappeler son malaise dans les rues de la cité des épées.
Son regard parcourut la pièce, il perçut Maelia, avachit et endormit sur une chaise non loin.
Les murs se mirent à tanguer, il dut se rallonger. Il se sentait mal, courbaturé et tellement faible.
Une dame assez âgée entra dans la chambre et s'exclama :
— Tu es réveillé, il te faut manger et boire, beaucoup boire, tu as une vilaine fièvre. Je suis en train de faire bouillir des plantes qui aideront la température à baisser, tu auras le droit de te reposer après, déblatéra-t-elle en souriant.
— Merci, répondit Tagan, légèrement ébranlé par l'entrain de la femme.
Maelia s'était réveillée, elle attendit que Darerca quitte la pièce pour s'approcher de son ami, elle se mit à genou près de la couche et le regarda avec inquiétude.
— Ne me fixe pas comme ça Maelia, ça va.
— La dernière fois que tu m'as dit ça, tu t'es écroulé sur les pavés.
— Je suis juste fatigué par notre marche et nos fuites. C'est une faiblesse passagère.
— Darerca n'a pas dit ça, elle dit que tu es malade, et que tu dois traîner cette fièvre depuis plusieurs jours, le rouspéta Maelia.
— Honnêtement Maelia, je me sentais simplement fatigué, je te l'ai dit. Je ne me suis pas senti malade.
La jeune fille fit une moue peu convaincue. Elle avait eu tellement peur pour Tagan, elle ne voulait pas le perdre aussi, cette réalité l'avait presque assommé au moment où il s'était effondré inerte. Elle le voyait toujours si invincible. C'était l'homme qui avait toujours été là pour la défendre sans jamais faillir, peu importe le nombre d'assaillants et de situations qui semblaient désespérées. Là où certains n'auraient même pas cherché à se débattre, lui avait toujours essayé... et réussi.
Elle se sentit coupable de ne jamais avoir pris conscience de ce que ça devait lui coûter en énergie, et les risques qu'il prenait simplement parce qu'il tenait à elle.
— Merci, souffla-t-elle, la gorge nouée par des larmes qu'elle retenait.
Tagan la fixa, les yeux grands ouverts.
— Je suis mort, c'est ça ?! fit-il, faisant semblant d'être paniqué.
— Idiot, grogna-t-elle avant de retourner sur son siège.
Malgré sa grande lassitude, Tagan esquissa un sourire, s'il avait su qu'il suffisait d'être souffrant pour avoir des remerciements de Maelia, il aurait essayé plus tôt. Même s'il ne savait pas pourquoi elle le remerciait au juste.
Ses yeux le piquèrent et il commençait à s'endormir quand Darerca entra avec un plateau.
— Ah non, mon joli ! J'ai été claire, d'abord tu manges, tu bois et après tu dors.
Tagan invita Maelia à partir se reposer aussi, mais elle refusa. Elle regarda l'herboriste gaver Tagan et ce dernier était peu coopératif, mais la vieille dame ne lâchait rien. Et son compagnon dut se plier à sa volonté avant de pouvoir enfin dormir.
Avant de sombrer à son tour, Maelia se résolu à ne plus être un fardot, elle s'entraînerait pendant la convalescence Tagan, pour ne plus le revoir aussi épuiser, car elle était intimement persuadée que c'était parce qu'il veillait constamment sur elle qu'il était dans cet état. Et quoi de mieux qu'une cité rempli de maîtres d'armes pour devenir meilleure.
***
Tagan s'ennuyait fermement allongé dans son lit. Darerca était une tortionnaire même s'il ne niait pas qu'elle fût efficace. Il en avait assez, ses journées se résumaient à manger, dormir, et une fois par jour Darerca l'accompagnait dans les sous-sols de l'hôpital prendre un bain. Il ne pouvait rien faire seul, et il n'avait même pas le droit de lire, les visites étaient courtes pour ne pas le fatiguer.
Il reconnaissait que debout il se sentait encore chancelant, mais sur cette couche il bouillait. Maelia venait peu, et la dernière fois qu'il l'avait vue un hématome ornait sa joue, résultat de son entraînement.
La porte de sa chambre s'ouvrit, Tagan croisa les yeux bleus de Sane, qui vérifiait de ne pas le réveiller et qui toqua après leur contact visuel.
— Entre, tu ne peux pas t'imaginer comme, même ta visite, me fait plaisir.
— Je pourrai être vexé par tes propos et partir, répliqua Sane.
— Même ça, ça me ferait plaisir, souria Tagan.
Sane finit d'entrer dans la pièce et vint s'installer près de son ami convalescent et déposa un livre sur la table près du lit.
— Darerca t'autorise enfin à lire, je suis allé te prendre de quoi t'occuper à la bibliothèque.
— Merci, tu n'imagines pas à quel point je m'ennuie.
— Si, mais il faut que tu te remettes correctement et Darerca a l'air de savoir ce qu'elle fait.
— Sûrement. Comment avance l'entraînement de Maelia ? ne put s'empêcher de demander Tagan.
— Elle progresse beaucoup, Feary essaie de lui donner une meilleure endurance. Ils courent sur le chemin de ronde, et elle doit le faire en tenant une épée d'entraînement dans chaque main. Même moi, je ne suis pas certain d'être capable d'endurer ça.
— Je suppose que ça t'arrange qu'elle devienne meilleure... répliqua Tagan avec amertume. Si je survis, que tu survis, et qu'elle meurt à cause du but que tu poursuis, soit conscient que je serais celui qui te tuera. Ce n'est pas une menace, mais la simple réalité, termina calmement Tagan son regard planté dans celui de son interlocuteur.
— J'en avais déjà pleinement conscience.
— Et malgré ça tu veux que je me remette correctement de ma fièvre ?
Sane ne fit que hausser les épaules.
— Je ne te fais pas peur ? demanda sérieusement Tagan.
— Je ne suis pas sûr de gagner contre toi, si c'est le sens de ton interrogation. Tu as encore quelques semaines pour être au meilleur de ta forme. Et pour le bien de nous tous, il vaut mieux que tu le sois... que nous le soyons tous.
Tagan regarda le prince quitter la pièce, il était en colère, il ne pouvait pas s'empêcher d'entrer en conflit avec Sane, alors que malgré tout, il avait une réelle affection pour lui. Après tout ce qu'ils avaient enduré, c'était normal, mais il ne pouvait pas empêcher sa méfiance de ce manifester, surtout qu'à cause de lui il sentait Maelia lui échapper.
Au lieu de continuer à ruminer, il saisit le livre à sa portée, une œuvre assez barbante sur une partie de l'histoire après la déclaration d'indépendance des quatre royaumes, mais ça lui suffit.
Sane était installé sur le rebord d'un puits dans la cour du château profitant encore des rayons du soleil qui ne tarderait pas à disparaître derrière un mont.
Il regardait Feary donner une leçon d'escrime assez musclée à Maelia, à tel point qu'il lui avait fait mettre des protections.
D'autres apprentis s'entraînaient un peu partout dans cette immense cour, cela le rendait nostalgique de sa vie d'avant. Ici il pouvait presque oublier quelques secondes qu'il était Sane... Mais une part de lui aimait cet homme, ce qu'il était, acquis non par la chance d'une naissance, mais par ses compétences, son intelligence et les liens humains. C'était gratifiant.
Elicia arriva dans la cour, en tenue plus serrée que d'ordinaire, son regard lui aussi était différent, plus déterminé, plus espiègle. Elle s'approcha du puits et remonta le sceau avant de s'y désaltérer.
— Tu veux t'entraîner ? demanda-t-elle à Sane.
— Ne préférerais-tu pas dominer Feary ? contra-t-il.
— Je n'irais pas fort, n'aie pas peur, railla-t-elle avant de le planter au puits.
Sane n'était pas contre un duel amical, mais la confiance qu'avait affichée son interlocutrice l'avait décontenancé. Néanmoins, il se rendit à son tour chercher une épée d'entraînement tout en laissant la sienne sur le côté.
Des jeunes avaient arrêté leur séance pour regarder le duel qu'ils pressentaient intéressant, Feary en avisant les badauds autorisa une pause à Maelia pour aller voir lui aussi.
Sane inspira calmement et se mit en garde. Le plaisir clairement visible dans les yeux de sa partenaire faillit le déstabiliser, mais il dut interposer sa lame en bois rapidement pour s'éviter d'être assommé. À peine repoussée Elicia tourna sur elle-même, l'obligeant à se retourner rapidement. Il dut parer une attaque dans les jambes cette fois. La bretteuse était dure à suivre, elle lui donnait l'impression de danser au tour de lui, elle échappait à ses tentatives de la toucher en les évitant.
Il dut se baisser précipitamment, grognant de se faire dompter de la sorte. Les techniques de la jeune femme l'ébranlaient complètement. Il entendit le rire moqueur d'Elicia qui semblait plus s'amuser que lui.
Il se redressa, raffermit sa prise, obligea son adversaire à reculer avec un ample mouvement de son arme tranchant l'air autour de lui. Elle sauta en arrière pour esquiver. Il chargea.
Il mit beaucoup de puissance dans son coup frontal, espérant remporter par la force contre une adversaire plus véloce que lui. Mais elle para, et coula sous leurs épées avant de réapparaître dans son dos et de le déstabiliser avec un coup d'épaule.
Ça faisait longtemps que Sane ne s'était pas senti trop lent. Son honneur était piqué, il décida de tout envoyer. Trop sûrement, car il sentit la barrière faiblir entre sa fureur berserk et les attaques qu'il lança.
Elicia ne souriait presque plus, trop concentrer à éviter les attaques ou les parer quand elle ne pouvait faire autrement. Il la fit reculer jusqu'au mur. Il était en nage, il donna un dernier coup, mais avant qu'il atteigne la cible, il sentit une pression sur son ventre.
— Perdu, claironna Elicia.
Sane réussit à rester neutre. Il savait qu'en perdant patience ou en rage berserk il ne se protégeait plus. Dans un duel réel, peut-être que par surprise il aurait pu la tuer, mais il aurait succombé quelque temps après de la blessure.
— C'était instructif, dit-il d'une voix neutre récupérant son arme et se dirigeant au puits pour boire.
— Tu étais en fureur berserk ? demanda doucement Feary qui venait de le rejoindre.
— Pas loin, pourquoi ? Est-ce que c'est l'impression que je donnais ?
— J'ai eu un doute à un certain moment, mais tu t'es arrêté quand ça s'est fini. C'est mauvais pour ta survie de te battre comme ça, tu viens de le voir. Fais attention.
— En termes de survie, toi et moi nous savons que les chances ne sont pas spécialement avec nous.
— Ce n'est pas une raison. Fais juste attention, s'il te plaît.
Sane ne répliqua pas et regarda Feary retourner à l'entraînement de Maelia.
Feary mettait à rude épreuve les muscles de Maelia, il ne la ménageait pas, ils avaient peu de temps. Elle avait acquis pas mal de techniques au camp des rebelles, il ne lui manquait qu'à aiguiser ses réflexes et sa force, et aussi par ricochet son endurance. Il n'aimait pas faire souffrir son amie, toutefois il avait senti son manque de confiance en elle, il avait vite compris que les mots ne suffisaient pas à la rassurer sur ses compétences, qui étaient pourtant plus aiguisées qu'elles ne les imaginaient. Elle manquait certes de pratique, mais Tagan lui avait enseigné tout un arsenal de bottes, et lui avait appris une parfaite maîtrise de l'esquive. Et la jeune femme s'avérait une élève performante. Meilleure qu'Elicia, même si Feary n'était plus aussi certain de la battre, il savait que sa vieille amie n'avait qu'un seul atout : sa fluidité. C'est ce qui empêchait ses adversaires de la toucher et les déstabilisait. Mais une fois que l'on avait saisi son style, il devenait plus aisé d'anticiper ses mouvements. Il testerait sa théorie dans les jours à venir, savoir s'il était capable de la battre ou non le titillait fortement.
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